DÉPARTEMENTS
Arrestation d'un ancien forçat
BAR-LE-DUC. - Le commissaire de police de Bar-le-Duc vient
d'arrêter, pour infraction à un arrêté d'expulsion, un nommé
Auguste Colin, âgé de cinquante-sept ans, né à Ressicourt-le-Château
(Meurthe-et- Moselle), ferblantier sans domicile fixe, condamné
a mort dans les circonstances suivantes :
En 1861, de complicité avec un sieur Bernard, il assassina
l'oncle de ce dernier, nommé également Bernard, dit Jean Evrard,
à Blâmont (Meurthe).
Le 14 août de la même année, il fut condamné à mort par la cour
d'assises de Nancy et eut sa peine commuée en celle des travaux
forcés à perpétuité.
Après être resté treize ans à Cayenne, sous le numéro 9,961,
Colin opta pour la nationalité allemande et continua sa peine à
Sisheim. Depuis cette époque, il a subi cinq autres
condamnations. Il a été écroué à la prison de Bar-le-Duc.
A LA FRONTIÈRE
Nancy, 22 septembre.
Jeudi dernier. veille de la rentrée à Nancy, la 22e brigade
d'infanterie (général Michel), cantonnait à Blamont et Repaix :
le 79e de ligne, les 1er et 3e bataillons du 37e étaient à
Blamont, tandis que le 2e bataillon se trouvait à Repaix, petit
village de cent cinquante-cinq habitants, situé à trois
kilomètres de Blamont le commandant Bader. qui commande le
bataillon avait pris toutes les précautions d'usage.
Des sentinelles avaient été placées pour empêcher les soldats de
quitter le cantonnement ; malgré toutes ces précautions d'autant
plus nécessaires que Repaix est à l'extrême frontière, il s'est
passé une série d'incidents regrettables quoique peu graves par
eux-mêmes.
Tout d'abord un certain nombre de militaires appartenant aux 7e
et 8e compagnies ont revêtu des habits civils appartenant à
leurs hôtes et ont essayé de passer la frontière pour aller
chercher du tabac en territoire annexé: reconnus par des
douaniers français, ils ont été mis en lieu sûr.
D'autres soldats en tenue, malgré la surveillance des
sentinelles, ont franchi le poteau frontière et ont fait
plusieurs centaines de mètres au delà. Arrêtés par les douaniers
allemands, ceux-ci leur ont pris les numéros matricules placés
dans leurs képis ; les troupiers ont été en outre photographiés
par des officiers allemands en manoeuvre dans ces parages.
Enfin, troisième phase de l'incident - une dizaine de soldats
ont gravé leurs noms à l'aide de couteaux sur un
poteau-frontière.
Aussitôt ces faits connus, le commandant Bader en référa au
colonel de Curières de Castelnau. commandant le 37e, et
l'enquête commença.
Dès leur arrivée à Nancy, les 7e et 8e compagnies furent
consignées, mais jamais on n'a songé à consigner le riment qui,
comme on l'a vu plus haut était loin d'être cantonné tout entier
à Repaix.
Sur ces entrefaites on reçut communication des photographies
prises par les officiers allemands, les douaniers allemands
firent parvenir les numéros matricules saisis et la découverte
des coupables fut facile. Dix - la plupart libérables - ont été
punis de 60 jours de prison.
Le maire et les notables de
Blamont avaient été condamnés à mort par les Allemands
Quand nos troupes sont entrées, l'autre nuit, à Blamont, elles
ont trouvé sur les murs des affiches annonçant que le lendemain
matin le maire et les notables du pays seraient fusillés. Notre
arrivée rapide et le désordre de la retraite allemande leur ont
sauvé la vie.
[...]
Les Atrocités allemandes
D'un rapport de M. Mirman, préfet de Meurthe-et-Moselle, adressé
au ministre de l'intérieur, il résulte que des actes de
sauvagerie révoltants continuent à être commis par les
Allemands.
Ils ont été régulièrement constatés.
Ainsi, dans les cantons de Badonviller, Cirey et Blamont, des
femmes, jeunes filles, vieillards ont été assassinés sans aucune
raison, sans le moindre prétexte; des maisons incendiées
systématiquement par les troupes allemandes, ici dès l'arrivée,
là au commencement de la retraite.
En plusieurs endroits, ces sauvages n'ont pas seulement saccagé,
ils ont volé, emportant argent et bijoux.
A Badonviller, onze personnes assassinées, dont la femme du
maire : soixante-dix-huit maisons incendiées avec du pétrole ou
des cartouches spéciales.
Après le pillage de la ville, l'église a été canonnée et
démolie. Quinze otages, dont le juge de paix, ont été emmenés le
13 août.
A BriméniI, cinq personnes ont été assassinées dont un vieillard
do soixante-quatorze ans ; un homme blessé il y a quelques
jours, alité, a été brûlé dans sa maison avec sa mère âgée de
soixante-quatorze ans.
Le maire a eu l'épaule traversée d'une balle.
Parux n'est plus qu'un monceau de ruines. Presque toutes les
maisons ont été incendiées, non par des boulets pendant un
combat, mais par des soldats dès leur arrivée, avec des
cartouches spéciales.
A Blamont, plusieurs victimes dont une jeune fille ; la
chocolaterie saccagée et pillée.
En présence de ces actes d'une odieuse sauvagerie, les maires
lorrains témoignent d'un sang-froid et d'une fermeté admirables.
L'un d'eux, M. Benoit, maire de Badonviller, a connu dans une
journée tragique toutes les douleurs. Sa maison de commerce a
été brûlée, sa femme assassinée. Avec un courage admirable, il
n'a cessé de veiller à la protection des intérêts de sa commune,
sans un instant de repos, sans une minute de défaillance, en
soutenant les forces morales de tous.
Et le lendemain de ces malheurs, les Allemands ayant évacué
Badonviller, un prisonnier allemand fut amené au village. La
population, frémissante des atrocités subies, entourait et
menaçait le prisonnier.
Le maire Benoit s'interposa, rappela le respect dû à tout
prisonnier ennemi et lui sauva la vie.
Le gouverneur a décidé hier matin de donner la croix des braves
au maire de Badonviller, et M. Malvy, ministre de l'intérieur,
propose aujourd'hui même d'accorder la croix de la Légion
d'honneur à ce citoyen français qui a donné en ces heures
terribles un merveilleux exemple d'énergie et de noblesse d'âme.
[...]
CEUX QUI REVIENNENT
Un train de blessés français, qui a été évacué sur Vichy, est
passé hier en gare de Moulins. Leur moral est excellent. « Qu'on
nous guérisse vite pour retourner là-bas », disent-ils.
Ces blessés proviennent des combats de Blamont Les blessures
sont presque toutes aux jambes ou aux bras. Les Allemands tirent
bas et fort mal ; quant aux obus, ils n'éclatent pas, dans la
proportion de 80 %.
Dans cette affaire de Blamont les soldats se sont lancés sur les
Allemands avec une fougue irrésistible et irréfléchie. A 1,500
mètres, les clairons sonnèrent la charge, malgré les officiers,
et les hommes partirent sans qu'on pût les retenir.
Tous les blessés rapportaient des trophées pris aux Allemands :
casques, éperons, etc.
LES VICTIMES DE LA GUERRE
CE QUE RACONTENT LES RÉFUGIÉS
Rennes (de notre envoyé spécial.) - C'est un groupe de cinq
personnes : trois femmes, une jeune fille, un vieillard.
Parmi ces mornes émigrants que traque dans le hall des gares la
même communauté de misères, ceux-là ont un relief précis : leurs
yeux sont rouges de n'avoir plus de larmes. Une mèche blanche au
front de la plus jeune femme, les phalanges enflées du vieil
homme, leurs visages contractés, et cette volonté aussi qu'on
sent dans tout leur air de ne pas être plaints, les isolait dans
la foule anonyme. Ils se taisaient : nul bagage ne les
chargeait.
Entre Paris et Rennes, cette famille en fuite m'a conté son
histoire. Je la rapporte sans y rien changer.
Ils habitaient Cirey, en Meurthe-et-Moselle, à deux kilomètres
de la frontière. La veille de la déclaration de guerre, les
uhlans ont envahi le bourg.
Réquisition de tout le bétail : ordre est donné de porter sur la
place tous les ciseaux, serpes et scies qui servent d'ordinaire
aux moissons. En ces pays frontière, à la première alerte, les
hommes rejoignent leurs postes : il ne reste que des vieillards.
Revolver au poing, la patrouille obligea ces invalides à couper
eux-mêmes les fils télégraphiques et le câble du téléphone. Ce
soir-là, aussi, les uhlans dîneront à Cirey.
- Quarante années de travail et d'économies nous ont permis de
faire construire à l'entrée du village une des plus belles
maisons. Cette maison, nous l'avons voulue confortable et
plaisante : elle était l'orgueil de notre vie. Les officiers la
choisirent.
» Nous dûmes d'abord leur porter une douzaine de seaux d'eau
pour leur tub. Ils s'amusèrent brutalement à crever à coups de
sabre quelques portraits de famille, accrochés dans les
chambres. L'un d'eux trouva plaisant de se promener nu dans le
jardin, coiffé de la couronne d'oranger qui date de mon mariage.
» Ils commandèrent ensuite pour le dîner du poulet, des pommes
de terre, du fromage et du vin. Je préparai le repas comme pour
nous. Tandis que je surveillais la cuisine, un d'eux se détacha
et me fit goûter, sous ses yeux, aux deux plats et à la boisson.
« Nous ne voulons pas être empoisonnés ! » déclara-t-il. II
parlait français : je lui fis honte de ces profanations,
inutiles et sans grandeur.
» C'était un tout jeune homme, blond, la figure fraîche,
vingt-deux ans à peine. Il me confia : « Moi, je ne suis pas
soldat de profession : je suis avocat à Munich. J'ai laissé ma
fiancée là-bas : je lui ai promis, pour notre mariage, un
collier à trois rangs de perles. » Et, comme il sentait qu'il
allait s'émouvoir, il ricana :
» - Je suis venu en mai à Paris : j'ai choisi rue de la Paix...
Le collier ne me coûtera pas cher...
» Dans la nuit, la patrouille est repartie : les Français sont
venus. Nous avons dépouillé nos jardins et nos caves pour les
recevoir. Mes deux fils servent au 21e chasseurs. Quelle joie
d'hospitaliser leurs frères d'armes !
» - C'est trop bon! c'est trop beau!... disaient les soldats en
nous aidant dans nos menues besognes. Le colonel couchait chez
nous : j'ai sorti, pour sa chambre, mon linge le plus frais. «
Je vais dormir ici; m'a-t-il dit, comme dans le meilleur lit de
la Croix-Rouge! »
» Deux jours plus tard, le canon tonnait du côté de Blamont et
de Badonviller. Pendant deux semaines, tour à tour, les troupes
françaises et allemandes se sont pourchassées. Nous avons revu
les uhlans. Ils ont brûlé d'abord la mairie, puis l'hôpital. Le
village, maintenant, n'est que ruines. Je veux vous dire quelle
fut ma dernière rencontre avec l'avocat de Munich.
» Jeudi, vers huit heures, des pas de cheval nous réveillent
brusquement, rude galop que nous reconnaissons : les uhlans. On
frappe à la maison. J'allume la lampe. Celui qui m'apparaît,
c'est le jeune officier du premier jour.
» Il interroge sèchement. « - Des. Français, aujourd'hui ?. »
S'il en est passé, certes : quelques-uns ont dîné ici : la table
non desservie l'atteste assez. Mais je réponds : « Non ! »
» - Nous sommes avertis qu'ils sont venus. De quel côté sont-ils
partis ?... » Je nie toujours. Mon mari, à qui les émotions des
derniers jours ont donné une poussée de rhumatisme, est arraché
de son lit.
» - Où sont les Français, vieux diable ?. » Il ne saurait rien
répondre : depuis vingt-quatre heures il n'a pas quitté sa
chambre.
» - Prenez garde !. prenez garde ! » dit l'officier, et il s'en
va.
» Le village s'est levé. On nous ordonne d'éteindre toutes les
lumières. Des mitrailleuses sont placées aux deux entrées de la
grand'route. Des sentinelles sont postées. Nous savons les
Français cachés dans un bois, à cinq kilomètres. Il y aura
bataille cette nuit.
» Notre maison, je vous l'ai dit, est grande et confortable. Les
voûtes de la cave sont en ciment armé. On s'y peut cacher a
l'abri des balles et même des obus allemands. Quelques femmes, -
des rares familles qui n'ont pas voulu, malgré tant de périls,
abandonner le foyer natal, - demandent à s'y réfugier. On le
leur permet : défense est faite à toutes, sous quelque prétexte
que ce soit., d'en sortir de toute la nuit.
» Nous voilà comme au fond d'un puits, tapies contre les
tonneaux, assises sur des planchettes, prêtant l'oreille aux
moindres bruits.
» Parmi nous s'est glissée la fille d'un douanier, une «
innocente », gardienne de chèvres, qui, malgré ses vingt-deux
ans, n'en paraît pas plus de douze : elle est bien connue à
Cirey, où nous l'appelons « Rosette la folle ».
» Rosette se rappelle qu'en partant elle a oublié les clefs sur
sa porte. Qu'a-t-elle à risquer ? Un mauvais lit de paille,
quelques hardes données par charité. Avec une obstination qui,
pour toute autre, serait maintenant de la folie, la démente veut
retourner chez elle pour reprendre ses clefs. On la retient.
Elle pleure, lutte, nous échappe. Ah ! le retour n'a pas été
long !...
» La lourde porte que nous avions barricadée est enfoncée à
coups de crosse. Cinq uhlans portent, ficelé, un pauvre petit
être qui se débat. C'est Rosette. On l'a bâillonnée avec le
mouchoir même qui la coiffait Un instant plus tard; elle était
fusillée.
» Les Français ont pu chasser une fois encore les bandits
allemands. Au petit jour, en nous délivrant, le lieutenant de
dragons qui commandait nous a dit : « Partez !...- partez vite
!... Ils peuvent revenir !... » Nous avons fait trente-six
kilomètres à pied dans la campagne. Voyez mon pauvre mari: ces
mains et ses genoux sont des paquets de noeuds.
» Je vous donne notre nom : famille Gance, afin qu'au jour
prochain du règlement de comptes, s'il le faut, nos témoignages
puissent être invoqués. ..
ANDRE TUDESCQ
VIOLATION D'ARMISTICE
Les Allemands pillent et incendient dans leur retraite
[DÉPÊCHE DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]
CHATEAU-SALINS, 18 novembre. - On vous a déjà conté l'émouvante
arrivée de la division marocaine à Château-Salins. Nous avons
rencontré là les premiers témoins qui aient été-en contact avec
l'armée allemande et qui puissent nous renseigner.
Sans doute, on s'est peu battu dans cette région depuis 1914 ;
mais les habitants ont vu les divisions au repos, à plusieurs
reprises, en prévision d'une attaque française. Il y a eu des
accumulations de troupes dans la région. Ces attaques n'ont pas
eu lieu où les Allemands se préparaient à les recevoir,
probablement, comme en 1914, sur les hauteurs de Morhange.
En tout cas, leur première position sur la Loutre noire n'était
pas capable d'une résistance sérieuse aux procédés d'attaques
modernes. Elle consiste en trois tranchées successives, taillées
dans une argile qu'il a fallu consolider par des clayonnages.
Les abris de mitrailleuses sont bétonnés et ressemblent à des
dés enterrés dans la campagne. Les réseaux sont relativement
minces. Tout cela n'eût certainement pas arrêté des chars
d'assaut. Aussi, les Allemands avaient-ils renforcé la position
par des champs de mines.
Tous les témoignages nous représentent les Allemands sûrs de la
victoire, au printemps de 1918, quand ils ont commencé le
gigantesque effort destiné à séparer les Français des Anglais.
Les Lorrains n'ont aucun doute sur la réalité de ce plan, qui a
été si discuté en France, et il est probable que les Allemands
ne s'en cachaient pas.
Je demande à quel moment cet espoir s'est évanoui et quand le
découragement a commencé. On me répond que c'est au mois d'août.
Il est probable qu'ils ont compris l'imminence du désastre après
la bataille du 8 août, quand ils ont été rejetés sur la ligne
Hindenburg. Depuis lors, ils ont été de déception en déception.
Le 2 septembre, la ligne Hindenburg était crevée à Quéant et Je
26 commençait la bataille générale qui a achevé la guerre. Mais
l'évolution n'a pas été aussi rapide qu'il semblerait par ces
dates. En fait, dès la fin de 1916, leur moral déclinait. A la
fin, ils manquaient réellement de tout.
Les habitants ont été stupéfaits de la bonne mine de nos soldats
comparés aux troupes hâves et médiocrement vêtues dont ils
avaient l'habitude.
Les Allemands ont d'ailleurs à leur ordinaire été odieux
jusqu'au dernier moment.
Les habitants les accusent d'avoir fait massacrer
systématiquement les Lorrains. Il y a des cas de pillage et de
vol nettement constatés, qui sont justiciables des tribunaux.
Quant aux vexations, elles sont abominables. Je ne citerai qu'un
fait pour son raffinement.
Il y avait, à Blamont, une vieille femme qui se mourait. Elle
demande un prêtre. Les Allemands lui amenèrent le curé de
Château-Salins, la nuit, à cheval, et les yeux bandés.
L'officier qui l'accompagnait exigea un texte pour suivre la
messe des morts, afin de s'assurer que le prêtre ne changeait
rien au texte, sans doute, et n'introduisait pas de
renseignements militaires dans le Dies irae, ni des paroles
séditieuses dans le De Profundis. Cela n'est que ridicule; ce
qui est plus grave, c'est que, en se retirant, ils laissent des
patrouilles, lesquelles fouillent le pays, brûlent les villages
qu'elles trouvent pavoisés.
Ainsi, la race haïssable aura été digne d'elle-même jusqu'au
bout.
HENRY BIDOU
UNE AUTO CAPOTE
NANCY, 25 novembre. - Une automobile venant de Saverne et
transportant son propriétaire, un négociant de Saint-Quentin, M.
Paul Dubois, et son chauffeur, Rollung, jeune. Alsacien, âgé de
18 ans, a capoté à un tournant brusque de la route, non loin de
Blamont. La voiture a été projetée sur un talus. Le chauffeur a
été tué net ; M. Paul Dubois a eu le bras cassé et a reçu des
contusions diverses. |