Est-Républicain
5 juillet 1949
6 MORTS 40 BLESSÉS
A 110 à l'heure le rapide STRASBOURG-PARIS déraille à Emberménil
Emberménil (de nos envoyés spéciaux) :
Trois mois après Port-d'Atelier, un nouvel accident de chemin de fer vient
d'endeuiller notre région.
Six morts. Une quarantaine de blessés. Si le chiffre des victimes n'est pas
plus élevé, on le doit sans aucun doute au fait qu'il s'agit cette fois d'un
déraillement et non pas d'un tamponnement. Aussi, et surtout, au fait que le
convoi accidenté était formé de wagons métalliques qui ont parfaitement
résisté au choc. C'est heureux, car le train était bondé de voyageurs.
C'est peu avant 13 heures - à 12 h. 48 exactement - qu'une partie du rapide
Strasbourg-Nancy-Paris, qui avait quitté Strasbourg à 11 h. 27 et devait
arriver à Nancy à 13 h. 25, est sortie des voies, à une centaine de mètres
avant la gare d'Emberménil, 12 kilomètres environ avant Lunéville.
Du ”shimmy”
Le convoi quittait une courbe assez prononcée, roulant à une vitesse moyenne
de 110 à l'heure, quand le mécanicien perçut des vibrations anormales.
(Quelque chose dans le genre de ce que les automobilistes connaissent bien
sous l'appellation de « shimmy ».) Cette expression devait d'ailleurs être
employée devant nous par un rescapé qui avait nettement perçu, lui aussi,
quelque chose d'insolite dans la courbe.
Le mécanicien freina, mais il était déjà trop tard, une rupture d'attelage
s'était produite, brutale, coupant le train en deux. La locomotive et les
deux premières voitures (lre et 2e classe) continuèrent normalement sur leur
lancée, s'immobilisant un kilomètre plus loin.
Le wagon-restaurant sort des rails
Que s'était-il passé ?
Pour une raison officiellement non encore déterminée - mais qu'on a de
fortes raisons de croire être une dilatation des rails sous l'action
caniculaire de la chaleur - le wagon-restaurant, qui se trouvait le
troisième, sortit des rails, enfonçant ses roues profondément et
s'immobilisant, fortement incliné, dans le ballast, sur la gauche de la
voie. Le quatrième wagon (une voiture mixte 2e et 3e classes, de
construction allemande), comme soudé au wagon-restaurant, se bloqua dans les
mêmes conditions, mais en s'inclinant davantage sur le talus.
Un wagon renversé parcourt 100 mètres sur le ballast
Mais la cinquième voiture devait subir un sort beaucoup plus rude et ce sont
ses occupants qui pâtirent le plus de l'accident. Le wagon-restaurant et son
suivant faisant office de buttoir, la cinquième voiture (3e classe) eut ses
boggies arrachés ; elle se coucha sur la voie de droite et « ripa » dans
cette position Sur une centaine de mètres, à la manière d'une luge,
dépassant les 3e et 4e voitures immobilisées sur le côté gauche. Ce sont les
voyageurs de ce wagon qui, projetés hors des portières, ont été écrasés,
déchiquetés entre l'énorme masse et le ballast.
Derrière, deux autres voitures de 3e classe et le fourgon postal
déraillaient, arrachaient les traverses, mais demeuraient debout. Dans tous
les compartiments et dans les couloirs, les voyageurs et les bagages
projetés pêle-mêle occasionnèrent quelques blessures plus ou moins
sérieuses. Mais grâce, répétons-le, à la rigidité des carrosseries
métalliques, le pire fut évité.
Des débris informes
Aussitôt, de la gare toute proche, des témoins de l'accident donnèrent
l'alarme au village et à Lunéville. Le bras en partie arraché, le contrôleur
du rapide, ayant réussi à se dégager du cinquième wagon dont il venait
d'achever le contrôle, courut jusqu'à la gare. Quand il y parvint, on
s'aperçut qu'il avait, collé dans le dos, un morceau sanguinolent de
cervelle humaine... De tous les compartiments, des gens hagards, couverts de
sang, des enfants terrorisés et hurlants, sortirent, cependant que les
voyageurs demeurés de sang-froid organisaient les premiers secours.
Sur plus de cent mètres, des débris humains informes étaient répandus sur
les rails et les traverses rougis de sang. Membres arrachés, troncs broyés,
lambeaux de chair impossibles à identifier, et qu'on recouvrit rapidement
d'un peu de foin prélevé dans un champ voisin.
Les secours s'organisent rapidement
De service à la gare d'Emberménil, M. Aupetit se trouvait sur le quai
lorsque se produisit l'accident. A son appel, M. Fournier,
facteur-enregistrant, accourut, ainsi que le chef de gare qui déjeunait.
Vite, M. Fournier ferma les « carrés », car un train montait. Des secours
furent aussitôt mandés par téléphone.
Quelques instants plus tard, toute la population d'Emberménil venait
seconder les efforts des rescapés qui, déjà, s'empressaient autour des
blessés.
M. Thomas, maire d'Emberménil, et M. le docteur Martignon, de Lagarde,
furent au nombre de ceux qui se prodiguèrent les premiers sans compter.
Bientôt, avec une rapidité digne de tous éloges, les secours venaient de
Lunéville, de Sarrebourg, de Nancy.
De Lunéville, quatorze Secouristes de la Croix-Rouge arrivaient en un temps
record avec quarante brancards, sous la direction-de M. Dalainzy. Les
sapeurs-pompiers les suivaient avec deux voitures, sous les ordres du
capitaine Prud'homme et du lieutenant Schoepfer ; puis une camionnette de la
Faïencerie, avec M. Debus, directeur technique : une camionnette des
établissements Villard et Weill ; MM. les docteurs Simon, Bichat et Lassale.
Des Lunévillois, comme Mme Bohême, MM. Beylstein père et fils, s'étaient
empressés d'offrir leurs services et leurs voitures pour le transport des
blessés M. Roger Marchal, directeur du service des travaux, avait, de son
côté, amené une quinzaine d'hommes. Le bureau de garnison dépêchait
rapidement sur place un nombre respectable de véhicules, ainsi qu'un
important détachement du 31e dragons.
De Nancy, les sapeurs-pompiers arrivaient avec deux ambulances et un
fourgon, sous les ordres du capitaine Duroc. Les docteurs Thomas, de
Blâmont, et Gaillard, de Bénaménil, étaient venus entre temps rejoindre le
docteur Martignar. MM. les abbés Denis, curé de Vaucourt ; Gérardin, curé de
Laneuveville-aux-Bois et d'Emberménil, et Petit, vicaire de Saint-Maur de
Lunéville, s'affairaient à leur côté, ce pendant que les gendarmes, sous les
ordres de M. le capitaine Ravey et de M. l'adjudant-chef Rollin, assumaient
le service d'ordre.
A 14 h. 30, des équipes de déblaiement venues de Nancy et de Sarrebourg
étaient à l'œuvre. Elles devaient être puissamment aidées par les militaires
du 31e dragons, que dirigeaient personnellement le général de Linarès et le
colonel Gouze de Saint-Martin.
Peu à peu les blessés étaient dirigés, les uns sur l'hôpital de Lunéville,
où le docteur Bohême leur prodiguait aussitôt ses soins, les autres sur
l'hôpital de Sarrebourg.
Tout Lunéville était en émoi et le public se pressait tant autour de
l'hôpital que de la gare pour obtenir des nouvelles.
Le mouvement des voitures de secours et des autos particulières avait
également provoqué une grande effervescence à Marainviller et Laneuveville-aux-Bois.
Le préfet sur les lieux
Immédiatement prévenu, M. Samama, préfet de Meurthe-et-Moselle, se rendit
sans tarder sur les lieux, où il retrouvait M. Jacquet, sous-préfet de
Lunéville. On notait également la présence des personnalités suivantes : M.
le général de Linarès, commandant la 2e division d'infanterie ; M. le
docteur Lionel-Pèlerin, sénateur, maire de Nancy ; M. Crouzier, député ; M.
le colonel Gouze de Saint-Martin, commandant d'armes de Lunéville ; M, le
commandant Durieux, commandant la compagnie de gendarmerie de
Meurthe-et-Moselle ; M. le capitaine Ravey, commandant la section de
Lunéville, ainsi que le lieutenant commandant celle de Sarrebourg ; M.
Bourion, commissaire de police de Lunéville ; M. le chanoine Pourel,
archiprêtre de Lunéville, etc...
L'enquête a été aussitôt entreprise sous la direction de M. Terrible,
inspecteur de l'Exploitation, à Nancy.
Les voyageurs indemnes poursuivent leur voyage
Lorsque tout le monde fut à son poste, les voyageurs indemnes purent
reprendre place dans les deux wagons de tête qui n'avaient pas quitté les
rails. MM. Druost, chef de section, et Lozier. chef de district à Lunéville,
réunissaient sans plus tarder tous les éléments susceptibles de servir
l'enquête.
Celle-ci devait d'ailleurs être ouverte officiellement autour de 15 heures,
aveo l'arrivée sur place de MM. Althoffer, juge d'instruction, et Husson,
juge à Lunéville, qu'accompagnait leur greffier M. Bezancenet.
Des traverses marquées d'une croix blanche
Touchant les causes de l'accident, on ne peut émettre jusqu'alors que des
hypothèses. Un fait ne manque pas de frapper : à cet endroit, les traverses
sont marquées d'une croix blanche, ce qui indique qu'elles étaient à
remplacer. Les rails ont-ils travaillé ? Si oui, les techniciens pensent que
la chaleur n'y est pas étrangère.
Dans la chapelle de bois sur des brancards...
Les restes des morts furent relevés par des secouristes de la Croix- Rouge,
et transportés sur huit civières à la chapelle provisoire d'Emberménil,
localité très éprouvée par cette guerre, comme elle l'avait déjà été par
celle de 1914- 1918.
Les victimes étaient méconnaissables et leur identification ne put être
faite sur-le-champ, aucune pièce d'identité n'ayant été retrouvée sur elles.
Sur les civières, dans cette chapelle de bois, au fond de laquelle un Christ
étend ses bras, les pitoyables débris composent un spectacle qu'on ne peut
supporter et qui défie toute description. Seules les familles pourront
rendre possible l'identification. On ne peut, en effet, se fier aux objets
ramassés pêle-mêle avec les morceaux de chair. C'est ainsi qu'un sac à main
gisait sur la voie, au milieu de débris humains. Il fut réclamé par une
voyageuse qui n'était pas blessée. Ce fait montre que l'identification devra
être conduite avec précaution.
M. l'abbé Petit, vicaire à Saint-Maur de Lunéville, a relevé quelques
indices : initiales sur des bagues notamment, qui aideront à la
reconnaissance des morts.
Les restes déposés à la chapelle provisoire d'Emberménil, paraissent être
ceux de quatre femmes et d'un homme. Parmi les femmes se trouveraient la
tante et la fiancée d'un jeune Strasbourgeois, M. Suss, qui voyageait avec
elles et qui les vit tomber sur la voie. Lui s'en tira avec une commotion ;
le soir même, après, avoir été réconforté par M. Dalainzy, président de la
Croix-Rouge, il repartit par le train pour Strasbourg.
Veillée funèbre
A 18 heures, un fourgon des Pompes funèbres amenait cinq cercueils à
l'église et on procédait à mise en bière des restes déchiquetés. Le
couvercle des cercueils n'était pourtant pas vissé en vue de
l'identification par les familles. M. l'abbé Gérardin, curé d'Emberménil,
aidé de ses paroissiens, a édifié une chapelle ardente et, dans la soirée,
des âmes pieuses et des employés de la S.N.C.F. ont veillé.
Le récit d'un témoin
Un Nancéien qui se trouvait dans le rapide, dans la seconde voiture avant le
wagon-poste, nous a fait ce récit :
« J'étais assis. Je causais avec un compagnon. Tout à coup, j'eus
l'impression que ça tanguait. Habitué à voyager, je me dis aussitôt : « On y
va ! » Pétrifié, je me cramponnai comme je le pus. Déjà les bagages
quittaient les filets et tombaient sur les voyageurs. Le wagon s'immobilisa.
Je compris qu'un accident venait de se produire. Hébété, je regardai d'abord
dans le couloir pour voir s'il y avait des blessés. Il y en avait, mais peu
atteints, me sembla-t-il. Des cris s'élevaient. Je sortis du train et vis
l'affreux tableau. C'est à ce moment que je m'aperçus que nous étions près
d'une gare. Des employés de la gare arrivaient en courant. Des voyageurs
indemnes se portaient au secours des blessés. Le mécanicien se précipitait
vers nous. Le chef convoyeur du wagon postal était atteint. Il ne voulait
pas abandonner les sacs postaux et valeurs dont il avait la garde. Il fallut
presque le faire sortir de force. Encore voulut-il, auparavant, signer
quelques papiers pour se garantir. Un cheminot du convoi fut admirable. Il
était blessé à la main ; de la chair humaine était collée à son dos. Il
s'empressa auprès des blessés, lui aussi... »
LA LISTE DES VICTIMES
Dans la soirée d'hier, on était parvenu à identifier, non sans mal, deux des
cinq victimes transportées à la petite chapelle d'Emberménil. Il s'agissait
de Mlle Mariette Sustraut, 52 ans, 17, rue du Champ-de-Mars, à Paris, et de
Mlle Katz Silas, 18 ans, chez Mme Doberer, 4, rue Sainte-Hélène, à
Strasbourg.
Pour aider à l'identification des trois autres victimes, voici d'elles un
bref signalement :
Il y a d'abord une femme âgée de 60 à 70 ans. Elle portait une chaîne en or
avec deux médailles : l'une à l'effigie du pape Pie XI, une autre médaille
et un scapulaire.
Une autre femme avait au doigt une alliance en platine, inscrustée de
pierres précieuses. La malheureuse était enceinte.
Enfin, un homme, avec une chevalière gravée aux initiales F. W. ou J. M. (la
gravure était mauvaise).
LES BLESSÉS
Une des blessées transportées à l'hôpital de Lunéville ne devait pas tarder
à succomber. C'était une jeune fille de 20 ans, Mlle Thérèse Jeanjean, fille
du colonel Jeanjean, commandant la place de Sarrebourg. Une autre blessée
devait être amputée d'une jambe : Mme Geneviève Goury, née Blanrue, 21 ans,
demeurant 25, rue Saint-Michel, à Nancy.
Mme Goury est employée comme secrétaire dans les bureaux de la
Reconstruction et de l'Urbanisme. Elle est mariée depuis un an. Elle avait
pris le train samedi pour aller voir son mari à l'école des maîtres
vérificateurs de Colmar. Et c'est en revenant qu'elle a été victime de
l'accident.
L'hôpital de Lunéville devait recevoir une trentaine d'autres blessés plus
ou moins graves, dont quelques uns purent être reconduits chez eux après
pansement. Voici la liste de tous les blessés soignés par l'hôpital :
Mme Jeanjean, épouse du colonel Jeanjean, Sarrebourg ; Mme Cauchy, 56, rue
de la Rochefoucault, Paris ; Mlle Muhr Georgette, Molsheim (Bas-Rhin) ; Mme
Yvonne Eckert, Strasbourg ; Mlle Marie Rapp, 26, avenue de la Robertsau,
Strasbourg ; Mme Fassnacht, 29, avenue de la Forêt-Noire, Strasbourg ; Mlle
Thérèse Mayer, Hargen, près Saverne ; Mme Gazon Juliette, 58 ans, Affracourt
(M.-et-M.) ; Mlle Laccourege Arlette, de la Bastille, Castel-Amanoux
(Lot-et-Garonne) ; Mme Kromer, née Lucienne Colinot, 94, rue Heurault,
Auberviliers (Seine) ; Mme Suzy Epstein et sa fille. Strasboug ; Mme veuve
Godard, 2, rue du Grenier- à-Sel, à Châlons-sur-Marne ; Mlle Colette
Aubertin, à Flin ; Mme Foltz Doris, 102, boulevard Arago, Paris.
MM Fischer Georges, 12, rue Lerozier, Paris (15e) ; Tschupp Paul, 7, place
de la Liberté, Sarrebourg ; Grosjean Aimé, 6, rue G.-Taral, Bobigny (Seine),
postier ambulant ; Parisot Gilbert, 4, Porte Ménilmontant, Paris (20e) ;
Laval Henri, 4, rue Thiers, Rennes ; Trouve Raymond, Mehun-sur-Yèvre (Cher)
; Buchesenschutz Paul, chez Mme Sutter, 13, rue de Serre, Nancy ; Jeanjean
Jacques, 10 ans, 15, rue de la Division-Leclerc, Sarrebourg ; Jeanjean
François, 19 ans, Sarrebourg; Kromer Léon, 94, rue Heurault, Aubervilliers
(Seine); Margne André, 7, rue Durnouf, Paris (19e) ; Halacziewitz Stephan,
Polonais, venant de Rastatt ; Jeandel Camille, 9, rue Emile-Gebhart, Nancy ;
Rœser, à Briey ; colonel Berenger, en retraite, à Marseille, boulevard
Perrin.
A cette liste déjà trop longue, il convient d'ajouter un certain nombre de
voyageurs qui, atteints superficiellement, reçurent des soins sur place ou
même dans les pharmacies de Lunéville.
M. Samama, préfet de Meurthe- et-Moselle, le général de Linarès, M. Jaquet
sous-préfet de Lunéville, le colonel Gouze de Saint-Martin, et M. Bisiaux,
maire de Lunéville, sont allés rendre visite aux blessés à l'hôpital de
Lunéville.
A l'hôpital de Sarrebourg
M. Cathal, préfet adjoint de la Moselle ; M. Robert Sérot, président du
Conseil Général ; M. Mourer sous-préfet de Sarrebourg, et M. Emile Peter,
maire de Sarrebourg, se sont rendus hier, vers 19 heures, à l'hôpital
Saint-Nicolas à Sarrebourg, au chevet des quelques blessés de l'accident d'Emberménil,
hospitalisés à Sarrebourg.
M. Cathal eut un mot de réconfort pour chacun.
Parmi les blessés, nous relevons les noms de : Mlle Marie Scholl, demeurant
à Walscheid, née le 9 avril 1897, qui a été amputée du bras gauche ; Mlle
Marie Schlosser, née le 22 janvier 1932, blessée au bras gauche avec
fracture du coude, originaire de Walscheid ; Mlle Henriette Gribia, âgée de
19 ans, originaire de Foug, près de Toul, avec des blessures sans gravité à
la tête ; M. Robert Rœser, né le 3 septembre 1928, demeurant à Bischheim,
avec blessures au bras gauche et fracture du coude ; M. Tschupp, directeur
des contributions directes à Sarrebourg, blessé assez gravement aux deux
jambes.
Certaines des victimes se rendaient-elles au Congrès Eucharistique de Nancy
? On peut le supposer car parmi les débris humains non identifiés qui
reposent dans la chapelle ardente d'Emberménil, on a trouvé un fascicule du
congrès rédigé en langue allemande.
Son sixième accident de chemin de fer !
M. Raymond Cuvelier, demeurant 60, rue Nationale, a Paris (13e), est serveur
à la Compagnie des wagons-lits « C'est la sixième fois en 14 ans que je suis
rescapé d'une catastrophe ferroviaire », nous apprend-t-il avec une certaine
philosophie.
« J'achevais le premier service, nous déclare-t-il, le second devant débuter
à partir de Nancy. J'allais servir le café aux 27 clients qui achevaient
leur repas, lorsque le choc, brutal, terrible, se produisit. Je fus projeté
au fond du wagon avec mon plateau et ma cafetière, tandis que tous les
voyageurs s'entassaient violemment du même côté au milieu de la vaisselle et
des verres brisés. »
« Je n'eus qu'un souci : empêcher la panique. « Que personne ne bouge,
criai-je. Ce n'est rien. » Mais il y avait là deux enfants en compagnie de
leur maman. Leurs cris étaient inhumains. Rapidement, je constatai qu'il n'y
avait pas de blessés sérieux. Seul, un monsieur d'un certain âge, légion
d'honneur à la boutonnière, et qui avait fait, sous le choc, une cabriole
impressionnante, m'a paru très gravement atteint à la tête et sans doute a
l'intérieur du corps. »
Parmi le personnel du wagon-restaurant quelques bosses et quelques plaies.
Le « chef » a été brûlé au bras et blessé à l'épaule.
Le reportage photographique que nous publions sur l'accident d'Emberménil a
été réalisé par M. Odinot, photographe à Lunéville, et M. Bollaert
reporter-photographe à « L'Est Républicain ».
LES BRAVES
Nous avons dit plus haut que le premier geste du contrôleur avait été, bien
que blessé et perdant son sang en abondance, de courir à la gare voisine
pour faire prendre les mesures de sécurité.
Dans leur wagon postal, en queue du convoi, les ambulants, occupés a trier
le courrier, avaient été projetés au sol et sérieusement touchés. Quand les
sauveteurs voulurent les évacuer, ils refusèrent d'abandonner la garde de
leur courrier. Il fallut que les médecins se fâchent ; « Votre vie avant
tout », et que l'assurance leur soit donnée qu'une garde vigilante
veillerait sur les sacs postaux, pour que les postiers acceptent de se
laisser transporter en ambulance à l'hôpital de Lunéville.
Ajoutons que le courrier a été entièrement sauvé.
Est-Républicain
6 juillet 1949
Le déraillement d'Emberménil
4 corps identifiés
Douze heures après la catastrophe un rail s'affaisse au passage d'un train :
ACCIDENT ÉVITÉ
Lunéville. - La catastrophe d'Emberménil a mis en émoi toute la région de
Lunéville. On a fort commenté hier les circonstances du déraillement. Que
l'accident ait été occasionné par la chaleur, peu de personnes le croient.
Ceux qui ont constaté l'état des traverses de la voie, marquées d'une croix
blanche, pensent qu'il faut voir là la cause première.
Les travaux de déblaiement ont été menés rapidement. Lundi, vers 18 heures,
une grue arrivait de Metz avec son personnel et. pour 19 heures, le wagon
qui s'était couché et avait le plus souffert était rangé sur le quai. Deux
autres grues, venues un peu après de Nancy et Strasbourg avec leurs équipes,
retiraient les trois voitures enfoncées dans le ballast. En même temps
commençaient les travaux de réfection.
Eclairés par des phares à acétylène, une équipe de 120 hommes du service de
la voie travailla toute la nuit, sous la direction de M. Druost, chef de
section. Dans la journée de mardi, ils étaient au nombre de 150.
Fausse alerte
Lundi, vers 23 heures, un raccordement provisoire était réalisé avec la voie
venant de Strasbourg, ce qui permit le passage de l'express 18 se dirigeant
sur Paris et passant à Lunéville à minuit 43. Naturellement, le convoi
franchit le lieu de l'accident à une vitesse très réduite. Cependant, par le
poids, un rail devait céder, et une forte secousse précipita les voyageurs
les uns sur les autres, mais, fort heureusement, aucun d'eux ne fut blessé.
L'émotion qui les étreignit fut d'autant plus vive qu'ils étaient tous au
courant de la catastrophe survenue douze heures plus tôt. Le train put
continuer sa route avec un peu de retard.
Les voies étaient définitivement déblayées mardi à 5 h. 30 du matin, et dès
7 heures, tous les trains de voyageurs se dirigeant vers Sarrebourg
circulaient sur la voie de service, les trains de Paris étant détournés par
Metz.
Les deux lignes étaient remises en état pour 17 h. 30, mais les trains ne
circulaient encore qu'à une vitesse très réduite. Aujourd'hui, le trafic se
fera normalement.
Les dégâts
Les wagons qui, fort heureuse ment, étaient en tôle, n'ont apparemment pas
souffert. Seule, la carrosserie du wagon qui a été traîné sur une centaines
de mètres est sérieusement endommagée.
Les boggies se sont détachés du second au moment de son soulèvement, mais
les quatre autres, dont la voiture poste et le wagon restaurant, rangés à
présent sur une voie de garage, ont seulement quelques vitres brisées et les
soufflets détériorés.
A la chapelle ardente
La petite chapelle provisoire de la commune d'Emberménil a été tendue de
noir et une chapelle ardente a été dressée par les soins de M. l'abbé
Gérardin, curé de Laneuveville-aux-Bois et Emberménil. Devant l'autel sont
exposés les cinq cercueils où reposent les restes des malheureuses victimes.
Les cheminots se relaient pour monter une garde d'honneur.
Un nombreux public, venu des villages environnants et de toute la région, a
défilé durant toute la journée de mardi devant les corps.
Mgr Fleury, évêque de Nancy et de Toul, accompagné de M. le vicaire général
Froment et de M. le chanoine Hartmann, est venu s'incliner devant les
dépouilles mortelles.
La petite chapelle a également reçu la visite des familles venues se
recueillir sur leurs disparus. Les obsèques auront lieu aujourd'hui, à 9 h.
30, à Emberménil.
Identification difficile
Quatre nouveaux corps ont été identifiés : Mlle Mariette Sustraud, 52 ans,
17 chemin du Champ-de-Mars, à Paris, et sa nièce, Mlle Silas Katz, 18 ans,
habitant chez Mme Dorbel, 4, rue Sainte-Hélène, à Strasbourg ; Mme Camille
Caillaud, née Lévy, 66 ans, 2, rue Pierre-Levée, â Paris, et Gilbert-Georges
Weiss. 16 ans, 13, rue des Lentilles, à Schiltigheim.
Seule, une femme paraissant âgée de 65 à 70 ans n'a pas encore ou être
identifiée.
L'identification de Mlles Sustraud et Katz furent relativement faciles
puisque le neveu de la première voyageait avec elles et assista à leur mort.
Pour Gilbert Weiss, c'est grâce à une chevalière aux initiales de son père
qu'il portait à un doigt que son cousin a pu le reconnaître.
Venant de Strasbourg, Mme Caillaux avait au doigt une alliance en brillant
où manquait un éclat de diamant qu'elle avait mis dans une enveloppe. Ce
sont ces deux objets qui ont permis à sa belle-sœur de l'identifier.
Enfin, la levée du corps de la sixième victime, Mlle Jeanjean, a eu lieu
hier à l'hôpital de Lunéville.
Les bagages des voyageurs ont été déposés en gare de Lunéville. Après
inventaire, ceux portant une adresse seront adressés aux intéressés. Les
autres pourront être réclamés par leurs propriétaires.
Les blessés hospitalisés à Lunéville
Voici la liste des blessés qui étaient hospitalisés, hier, à Lunéville :
MM. Margne André et Blondot Marcel, tous deux de Paris (blessures à la tête
et côté gauche) ; Grosjean Aimé, Bobigny (contusions) ; Parisot Gilbert,
Paris (contusions internes) ; Buchsenschutz Paul, Chagny (Hte-Saône),
(fracture épaule gauche) ; Fischer Georges, Paris (fracture bras gauche) ;
Juteau Auguste, Paris (côtes fracturées) ; colonel Henri Berenger, Marseille
(contusions à la tête et au corps).
Mmes Juteau Auguste, Paris (commotion) ; Goury Jean, 25, rue Saint-Michel,
Nancy (blessée au pied droit) ; Gouchy Paul, Paris (blessée à la jambe
droite) ; Gazon, à Affracourt (plaie genou droit) ; Berenger Henri,
Marseille (contusions).
Mlles Muhr Georgette, Molsheim (contusions à une jambe) ; Comte Geneviève,
Aubervillers (amputation jambe gauche) ; Rapp Marie, Strasbourg (fracture
bras gauche); Eckert Yvonne, Strasbourg (contusions internes).
Trois de ces personnes sont gravement atteintes ; six le sont sérieusement.
Dans la liste parue hier matin, il a été indiqué par erreur que Mme Goury,
de Nancy, avait été amputée d'une jambe. Mme Goury, blessée aux pieds, est
dans un état relativement satisfaisant.
C'est Mlle Geneviève Comte, âgée de 20 ans, et domiciliée à Aubervilliers
(Seine), qui a dû subir l'amputation d'une jambe. Son courage, son cran,
sont dignes d'admiration.
Dans la matinée d'hier, M. Jaquet, sous-préfet ; M. Gravier, sénateur ; M.
Bisiaux, maire de Lunéville, et S.E. Mgr Fleury, évêque de Nancy et de Toul,
qu'accompagnait M. le vicaire général Froment, se rendirent au chevet des
blessés pour leur prodiguer des paroles de sympathie.
Trois blessés ont quitté l'hôpital de Sarrebourg
Mlle Marie Scholl, de Waldscheid, qui a subi l'amputation du bras gauche, et
M. Tschupp, receveur de l'Enregistrement, soignés à l'hôpital de Sarrebourg,
sont en bonne voie de guérison.
Les autres victimes admises dans cet hôpital dans la journée de lundi : Mlle
Marie Schlosser, de Walscheid ; Mlle Henriette Gribia, de Foug,- près de
Toul, et M. Robert Rœser, de Bischeim, ont regagné leur domicile respectif
en fin d'après-midi d'hier.
Deux demandes d'interpellation
M. Jean Crouzier, député de Meurthe-et-Moselle, a fait déposer sur le bureau
de l'Assemblée Nationale une demande tendant à interpeller le gouvernement «
sur les conditions dans lesquelles s'est produit l'accident de chemin de fer
survenu le 4 juillet, à Emberménil ».
On sait que, la veille, M. Kriegel-Valrimont, député communiste de
Meurthe-et-Moselle, avait déposé une même demande.
Jamais deux sans trois!
Cette fois, le Paris-Strasbourg abordait à 90 à l'heure la gare d'Emberménil
Le sang-froid d'un contrôleur évite une nouvelle catastrophe
Un troisième accident, qui aurait pu avoir les plus graves conséquences, a
failli se produire, hier, vers midi, au moment où le train rapide qui quitte
Paris à 8 heures passait en gare d'Emberménil.
Le convoi roulait à environ 90 kilomètres à l'heure en approchant de cette
dernière station, lorsque des ouvriers travaillant sur la voie, affolés à la
vue d'une pareille vitesse, firent signe de ralentir. Ce que voyant, 1e
contrôleur tira la sonnette d'alarme.
Le train s'immobilisa peu avant l'endroit où s'était produit le premier
accident de la veille.
Le mécanicien a déclaré que la gare n'étant pas couverte, il n'avait vu
aucun signal lui ordonnant de ralentir. De l'avis des experts, le rapide
aurait dû rouler à une dizaine de kilomètres à l'heure au maximum.
Dès qu'ils ont eu connaissance de sa conduite, les voyageurs ont tenu à
féliciter le contrôleur.
Est-Républicain
8 juillet 1949
L'enquête sur le déraillement
LUNEVILLE (de notre rédaction). - Le juge d'instruction de Lunéville a nommé
un expert, M. Marchal, directeur des travaux municipaux, en vue de faire
l'examen des traverses sur les lieux de l'accident du Strasbourg-Paris.
D'autre part, le juge d'instruction a ordonné la saisie des wagons en vue
d'une expertise.
Les boggies seront également examinés afin de rechercher les responsabilités
sur le plan pénal.
La bande Flamant qui a été saisie indiquerait qu'au moment de l'accident le
train roulait à 109 kilomètres à l'heure.
De leur côté, les gendarmes et la police judiciaire continuent leur enquête.
Est-Républicain
13 juillet 1949
L'accident d'Emberménil devant l'Assemblée Nationale
Un débat immédiat vainement réclamé par Crouzier et Kriegel-Valrimont
En fin de sa séance d'hier après-midi, l'Assemblée Nationale a décidé de
suspendre ses travaux ce soir, après avoir terminé le débat sur la Sécurité
sociale, et de les reprendre mardi prochain.
Intervenant à ce sujet. M. Jean Crouzier (P R L M-et-M) protesta contre le
fait que son interpellation sur la catastrophe de chemin de fer d'Embermeml
ne sera pas discutée cette semaine. Il indiqua qu'il démontrerait que cet
accident, qui a fait six morts et cinquante blessés, n'est dû ni à la
fatalité, ni, comme le prétend la SNCF, à une déformation de la voie sous
l'action de la chaleur solaire ; il prouvera, au contraire, par des faits
irréfutables, que certaines responsabilités sont engagées.
« Nous perdons assez de temps ici en débats stériles, s écria M. Crouzier.
pour que l'on ne nous refuse pas d'examiner, pendant une heure un problème
aussi grave que celui de la sécurité des voyageurs On a le sentiment que le
Gouvernement cherche à couvrir des négligences et des responsabilités »
M. Kriegel Valrimont (communiste M.-et-M), auteur d'une demande
d'interpellation sur le même sujet, insista lui aussi pour qu'il y ait un
débat, aucune indication véritable n'ayant été donnée sur les causes exactes
de l'accident.
M. Edouard Herriot répondit qu'il n'y avait aucune opposition de principe
pour un débat de ce genre, mais que la Conférence des présidents, en raison
de la sur charge de l'ordre du jour, avait décidé de refuser jusqu'à nouvel
ordre toute interpellation. Et l'affaire en resta là.
Est-Républicain
3 décembre 1949
L'ACCIDENT du Strasbourg-Paris à Emberménil a été
évoqué hier au Palais-Bourbon
L'abbé Pierre Grouès. député M.RP. de Meur the-et-Moselle. avait demandé au
ministre des Travaux Publics, à la suite de l'accident du Strasbourg-Paris.
à Emberménil, le 4 juillet dernier, « étant donné les négligences que
l'enquête avait révélées relativement à l'entretien des voies », quelles
mesures ont été prises pour rechercher les responsabilités et pour empêcher
le renouvellement de semblables catastrophes.
Un « regrettable concours de circonstances »
Une réponse lui a été donné» hier après-midi devant une Assemblée Nationale
réduite à 40 membres. Ni l'auteur de la demande ni le ministre intéressé
n'étaient présents. C'est, on ne sait trop pourquoi, M. de Tinguy,
sous-secrétaire d'Etat aux Finances. qui a expliqué qu'on se trouvait devant
« un regrettable concours de circonstances » : affaissement par soufflage
d'une section de la voie qui n'était pas en très bon état ; fortes chaleurs
qui, agissant sur les joints, avaient entraîné une déformation de la voie;
enfin, défectuosité de la locomotive, un ressort de rappel de boggie étant
insuffisamment tendu. On ne peut dire quel fut l'élément déterminant.
L'enquête n'est d'ailleurs pas achevée.
M. Albert Schmitt député M. R.P. du Bas-Rhin, donna la réplique au
sous-secrétaire d'Etat. Tout en lç remerciant de sa réponse, et en se
félicitant que, contrairement a certains bruits, l'accident du 4 juillet ne
fut pas dû à des négligences des techniciens ou du personnel de la voie, il
fit observer qu'un autre accident s'était produit au même endroit, deux
jours plus tard, accident qui aurait eu pour cause la rupture d'un rail. Or,
cette rupture remonte à l'époque de l'occupation. et il est inadmissible que
cinq ans après la libération elle n'ait pas été constatée.
On a le temps...
L'incident en resta là, et le reste de la journée tut consacré à la réforme
de la banque de Madagascar, et au statut des agents communaux type des
débats avec lesquels « on amuse le tapis », tandis que l'étude des grandes
questions ne fait pas le moindre progrès. Mais rien ne presse, n'est-ce pas
? André BALLET.
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