1918-1938 - Reboisement
Bulletin mensuel de la Société des Sciences de Nancy
Novembre 1938 - N° 9 bis
Comptes rendus du premier congrès lorrain des Sociétés
Savantes de l'Est de la France
Nancy - 6-8 juin 1938
FORÊTS ET REBOISEMENTS PARTICULIERS
LE ROLE DE LA SOCIÉTÉ LORRAINE DES AMIS DES ARBRES
PAR DE METZ NOBLAT
Vice-président de la Société Lorraine des Amis des
Arbres Si la
région lorraine n'est pas de celles qui ont subi les
destructions de guerre les plus définitives, elle est à coup sûr
celle où, relativement aux autres sources de richesse, la forêt
a été le plus atteinte dans ses forces de production.
Cela tout d'abord en raison d'un taux de boisement élevé,
sensiblement supérieur à la moyenne générale de la France;
ensuite parce que le matériau bois perd à peu près toute sa
valeur dès qu'il a subi des tares, mitraille, crampons ou fils
de fer; et enfin par suite du mode même de formation du capital
forestier, lent, progressif, et grevé d'une longue période
préparatoire de croissance et d'attente.
Or les brèches faites dans ce capital étaient larges, tant dans
la zone d'opérations que dans les arrières, où les besoins des
armées avaient nécessité de considérables prélèvements.
Un effort de reconstitution et de restauration s'imposait donc
au lendemain de la guerre, exigeant une révision soigneuse des
massifs éprouvés, en vue de les expurger, de les recompléter et
d'assurer leur avenir par un renouvellement approprié des
essences les plus convenables.
Il fallait en outre remettre en valeur par le boisement certains
terrains abandonnés par la culture, qu'ils fussent en zone rouge
et retirés d'office à leurs propriétaires, ou simplement
délaissés par ceux-ci comme trop éloignés ou trop pauvres:
aucune meilleure utilisation ne pouvait s'offrir que de les
rendre à la vocation forestière et à une productivité lente, à
coup sûr, mais ne faisant appel qu'au seul jeu des forces
naturelles.
Ainsi, ayant pour origine les besoins de la reconstitution, mais
bientôt amplifié et poursuivi dans le sens d'une amélioration
généralisée, un grand mouvement en faveur de la forêt s'est
dessiné depuis vingt ans dans les départements lorrains.
Il ne nous appartient pas de dire ici l'activité déployée pour
cet objet par l'Administration des Eaux-et-Forêts, dont les
Officiers trouvent traditionnellement à Nancy la formation et
les directives les plus adéquates. Qu'il suffise de rappeler
que, de ce centre vital, n'ont cessé de rayonner de puissantes
influences, génératrices de méthodes plus modernes, de
techniques plus appropriées aux besoins présents, et dont ont
profité et profitent encore largement les forêts particulières
traitées et exploitées en dehors de l'action de
l'Administration.
C'est de ces dernières seules que nous nous proposons de parler
aujourd'hui.
Elles occupent dans notre région environ le quart de la surface
boisée, un deuxième quart étant propriété de l'Etat, et le reste
aux communes. Leur variété est grande et on y peut trouver toute
la gamme allant de la futaie de sapin vosgienne aux
taillis-sous-futaie de la plaine et aux pineraies artificielles
disséminées ça et là, marquant les stades d'une extension
forestière progressive, entamée dès la deuxième moitié du siècle
dernier, au moment où le développement industriel commençait son
implacable succion des populations rurales.
On ne saurait indiquer d'une manière précise l'importance de
cette extension; les chiffres des enquêtes agricoles ne peuvent
à cet égard être considérés que comme très approximatifs. Mais
l'augmentation est certaine; elle apparaît nettement à l'oeil
dans certains arrondissements vosgiens ou subvosgiens, et dans
les côtes de la région meusienne. Vous en trouverez un aspect
caractéristique dans la vallée de Celles, où on voit la forêt
résineuse envahir littéralement les pentes consacrées à la
culture, et jusqu'aux prairies jadis fauchées avec un soin
jaloux pour assurer l'alimentation du bétail en hiver: symptôme
d'une régression agricole qui n'est pas l'apanage exclusif de
notre temps, et qu'on savait combattre il y a quelques siècles
par des avantages divers accordés aux populations rurales ou
forestières, tels que franchises et droits d'usage, auxquels il
faudra sans doute revenir un jour, sous une forme ou une autre.
Mais à ces augmentations visibles de la surface boisée, il faut
ajouter l'enrichissement moins perceptible des forêts
existantes, oeuvre de propriétaires avisés qui y maintiennent des
réserves plus abondantes, ou qui y introduisent des essences à
croissance plus rapide et d'un rendement plus hâtif, telles que
les résineux, dont les mines et la papeterie font une
consommation grandissante.
Il s'agit là d'un développement lent et obscur de la richesse
forestière, dont les résultats sont appelés à faire apparaître
progressivement des quantités de bois plus grandes et de qualité
meilleure, mais qui posent pour leur exploitation un problème de
main-d'oeuvre sur lequel nous aurons à revenir tout à l'heure.
Voilà comment à grands tarifs se dessine, selon nous, la tâche
forestière en Lorraine, tâche des individus, mais tâche
collective aussi, comme l'ont senti dès le début de ce siècle
des personnalités comme GUYOT et d'autres, lorsqu'ils ont posé
les bases d'une association forestière lorraine.
Créée en 1902 par un groupe de propriétaires forestiers, et
bientôt doublée d'un Syndicat permettant d'élargir son action,
la Société Lorraine des Amis des Arbres s'est proposé dès son
origine d'encourager le développement de la richesse forestière
et plus spécialement du reboisement.
En liaison avec le corps forestier, qui lui a prêté un constant
appui, elle a connu depuis la guerre une extension ininterrompue
et groupe aujourd'hui près de 1.400 membres, effectif comparable
à celui des plus grandes associations forestières.
Son action a débuté par la création d'un Office de
renseignements, demeuré toujours accueillant et régulièrement
consulté. Des réunions et des excursions en commun permettent
des échanges de vues fructueux et des comparaisons instructives.
Enfin un encouragement direct est accordé aux adhérents sous la
forme de remises accordées sur leurs achats de plants ou de
graines forestières; c'est ainsi que depuis 1925, il a été
distribué 132.000 francs de subventions correspondant à l'achat
de 7.850.000 plants et au boisement d'environ 1.900 hectares,
dont 1.200 à neuf et 700 en regarnis.
Ces chiffres suffisent à caractériser l'impulsion donnée depuis
une douzaine d'années au mouvement forestier; il faudrait, pour
être complet, y ajouter ceux des boiseurs isolés, dont personne
ne totalise les efforts.
Mais l'action appelle l'action, et de nouveaux développements
ont bientôt été reconnus nécessaires.
Une pépinière a été créée pour fournir des plants à bon compte
et surtout en bon état de fraîcheur. Puis il a fallu songer aux
risques d'incendie, particulièrement redoutables dans les jeunes
peuplements résineux et dont les Compagnies d'assurances se
désintéressent trop souvent. Une mutuelle a été organisée à cet
effet, suivant une formule de simplification qui s'est révélée
comme très appréciée. Enfin il a paru bon de ne pas se borner à
prêcher et à subventionner, et de se soumettre à
l'expérimentation.
En 1928, a été constituée une Coopérative de Reboisement
approuvée, jouissant en conséquence de certains allégements
fiscaux, et qui a acquis environ 150 hectares de terrains mis en
vente dans la zone rouge par l'Administration des Domaines.
Hâtons-nous de dire que ces achats ont été faits avec le souci
de n'enlever aucune parcelle de terre revendiquée par la
culture, et que leur boisement a apporté et apportera dans le
voisinage un supplément de richesse, tant en raison des salaires
payés pour les travaux d'équipement, de plantation et
d'entretien, que des futurs produits dont l'échéance est, somme
toute, relativement proche.
Actuellement, le capital de la Coopérative dépasse 400.000
francs entièrement versés, pour 97 sociétaires. Une centaine
d'hectares répartis en deux massifs ont été plantés en résineux,
l'un dans la région du Bois-le-Prêtre, sur le finage de l'ancien
village de Régniéville, l'autre du côté de Blâmont, sur les
territoires de Leintrey et de Reillon. Le reste forme une
peupleraie située à Cumières, au Nord de Verdun, dans les prés
de la Meuse, spécialement favorables à ce genre de culture.
On peut attendre de bons résultats de ces plantations, qui, il
faut l'espérer, ne donneront pas de déceptions à ceux qui ont
fait confiance au placement forestier. Il est à penser aussi
que, d'un autre point de vue, celui de la propagande,
l'initiative de la Coopérative Lorraine de Reboisement n'aura
pas été absolument inutile.
Elle complète, en effet, les autres actions de propagande
entreprises par la Société des Amis des Arbres, et parmi
lesquelles nous nous bornerons à citer les subventions en
plants, en argent et en volumes accordées à plus de trente
Sociétés scolaires forestières adhérentes; les conférences et
promenades organisées dans les Ecoles Normales et d'Agriculture;
les concours annuels de reboisement, etc.
Enfin, on n'a pas omis de songer aux auxiliaires du reboisement
et de la forêt, dont la fidèle collaboration mérite d'être
reconnue et récompensée. Chaque année ont lieu des remises de
médailles et de diplômes aux gardes et ouvriers forestiers
signalés pour leur zèle et leurs bons services. Par ce moyen, la
Société se propose à la fois de signaler le mérite et de montrer
aux jeunes la voie à suivre pour l'avenir.
Car l'avenir joue un grand rôle dans les préoccupations des
forestiers; et l'avenir des forêts ne peut être séparé de
l'avenir de ceux qui seront appelés à en tirer parti.
On nous permettra donc de revenir, pour terminer, sur cette
question de la main-d'oeuvre forestière, digne de retenir toute
l'attention des propriétaires, des associations forestières, et,
ajouterons-nous, de l'Administration, tous également intéressés
à une bonne solution.
Presqu'universellement en France, les coupes sont vendues en
bloc et sur pied; leur exploitation se fait par des acheteurs
qui n'ont d'autre intérêt que d'entrer en possession aussi vite
et aussi économiquement que possible des bois à réaliser.
Aussi est-il rare de leur voir porter quelqu'attention aux
conditions d'abatage, et, à moins de fautes grossières dans
l'exécution de la coupe, l'intervention du propriétaire de la
forêt dans l'exploitation est nulle. Qu'il en résulte des
inconvénients pour la forêt, on le conçoit aisément; mais plus
graves encore sont ceux qui, sans qu'on s'en aperçoive, viennent
répercuter sur le personnel. La formation des jeunes à une bonne
technique, le perfectionnement de l'outillage, l'amélioration
des conditions d'abatage et de transport sur la coupe, le bon
classement même des produits secondaires, autant de questions
généralement laissées de côté, ou traitées épisodiquement et
sans méthode.
On ne saurait s'étonner si dans des conditions pareilles, et
abandonnée à ses seules forces, la main-d'oeuvre forestière ne
puisse résister aux appels de l'usine ou de la ville, et si on
la voit s'évanouir rapidement au profit d'étrangers, souvent
moins exigeants, et quelquefois, il faut l'avouer, bénéficiaires
d'une formation professionnelle acquise hors de chez nous.
Nous ne saurions ici qu'effleurer ce problème de la main-d'oeuvre
qualifiée, qui se pose dans toutes les branches avec une acuité
plus ou moins grande, mais qui se complique ici de la crise qui
sévit sur les professions rurales.
Il apparaît comme urgent à résoudre, non par des réglementations
qui risqueraient d'être inopérantes, mais par une amélioration
des conditions et des moyens de travail, permettant à l'ouvrier
de mieux accomplir sa tâche et de la lui rendre plus attrayante
et moins rude.
Des concours de bûcheronnage, des réunions locales où serait
démontré l'usage de tel ou tel outil, mais surtout
l'intervention plus active dans les exploitations d'un personnel
qualifié, seraient déjà des mesures applicables en nombre
d'endroits.
Quoiqu'on en puisse penser, si nous voulons demain exploiter les
forêts que nous nous efforçons d'enrichir, voire même de créer
par le reboisement, il nous faut parallèlement assurer le
recrutement d'une main-d'oeuvre capable: c'est un programme
d'activité d'un intérêt trop grand pour que les forestiers ne
s'attachent pas à le remplir. |