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     Le Pays Lorrain 
	1988 
	 
	Les portes monumentales de maisons rurales dans la moyenne vallée de la 
	Vezouze 
	Michel Berna On demeure confondu de 
	voir, dès le dernier quart du XVIIe siècle, des constructions neuves 
	respirant l'aisance, et même une certaine recherche de l'art, s'élever dans 
	tout le canton de Blâmont, y laissant un type d'architecture très 
	particulier, très intéressant, et qui mériterait de ne pas rester totalement 
	ignoré. 
	Emile Ambroise 
	 
	La vallée de la Vezouze, cruellement éprouvée à maintes reprises au cours de 
	l'histoire (que l'on songe aux dévastations occasionnées par les guerres du 
	XVIIe siècle, et, tout dernièrement encore, par les deux guerres mondiales), 
	n'a conservé que peu de traces d'un passé pourtant prestigieux. 
	Val-et-Chatillon, Blâmont, Herbéviller, Ogéviller, Croismare, Chanteheux 
	avaient leur château; Saint-Sauveur, Cirey, Domèvre leur abbaye. Qu'en 
	reste-t-il ? Au mieux quelques pans de murailles; le plus souvent, des 
	pierres ou des objets disséminés ici et là, dans des musées ou chez des 
	particuliers. Aussi ne pouvons-nous appréhender la splendeur passée de ces 
	modestes villages qu'au prix de gros efforts de lecture... et d'imagination! 
	Si tous les villages de la Vezouze ont perdu à jamais les grands édifices - 
	guerriers, religieux ou d'apparat - qui, à un moment ou à un autre, avaient 
	fait leur gloire, certains d'entre eux ont néanmoins conservé jusqu'à nos 
	jours une richesse architecturale qui, pour être plus modeste assurément, 
	n'en suffit pas moins à les faire briller d'un éclat tout particulier. Il 
	s'agit, suivant l'expression de M. l'abbé Choux, des «  portes monumentales » 
	que présentent certaines maisons d'habitation. 
	Le village lorrain traditionnel n'est pas spécialement réputé pour sa 
	coquetterie. L'austérité y est de rigueur, tant en ce qui concerne 
	l'agencement général des constructions que l'aspect de chacune d'elles. La 
	comparaison avec l'Alsace voisine est, à cet égard, tout à fait édifiante. 
	Cet état de fait semble tenir à deux causes essentielles. Le regroupement de 
	l'habitat en «  villages-rue », où les maisons, d'un type uniforme, sont 
	accolées les unes aux autres le long d'une large rue principale, a été dicté 
	en grande partie par le mode d'exploitation des terres, basé sur une étroite 
	solidarité entre les membres de la communauté villageoise. Quant à 
	l'économie de moyens dont témoigne l'aspect extérieur de la maison 
	d'habitation, c'est bien là l'exact reflet du tempérament du paysan lorrain, 
	lequel, confronté aux rigueurs du climat et à l'ingratitude du sol, dut de 
	tout temps consacrer toutes ses ressources aux «  menus soins de la vie 
	pratique », pour reprendre l'expression employée par Maurice Barrès. 
	Nous disons bien : «  économie de moyens », car, si le paysan lorrain n'avait 
	que peu de temps et d'argent à consacrer à l'ornementation de sa demeure, le 
	souci de réaliser cette ornementation ne lui était nullement étranger. Aussi 
	s'est-il, le plus souvent, contenté de faire porter son effort sur la seule 
	porte d'entrée du logis. De fait, il n'est pas rare que celle-ci reçoive un 
	linteau sculpté où figurent la date de construction de l'édifice ainsi que 
	le nom ou les initiales de ses premiers propriétaires, parfois même des 
	motifs décoratifs tels qu'emblèmes religieux ou attributs professionnels 
	(représentation d'outils en relation avec le métier exercé par le premier 
	propriétaire). 
	Or, dans l'est de la Lorraine, cette habitude de décorer la porte d'entrée 
	des maisons d'habitation a pris une importance considérable, se 
	
	  
	Porte de 1693 à Manonviller 
	traduisant, bien au-delà de la simple sculpture du linteau, par celle du 
	chambranle, ainsi que par l'adjonction d'un fronton avec tympan sculpté. 
	Bien plus, dans la région comprise entre Lunéville et Blâmont, elle s'est 
	manifestée avec un goût et une opulence tels qu'elle a donné naissance à de 
	véritables chefs-d'oeuvre. 
	La quasi-totalité de ces portes monumentales peuvent être observées dans la 
	moyenne vallée de la Vezouze, c'est-à-dire dans les villages de la zone qui 
	s'étend entre Domèvre et Marainviller. Nous passerons en revue les 
	différentes portes qu'il est permis d'observer, puis, les envisageant dans 
	leur ensemble, nous tenterons de dégager quelques enseignements d'ordre 
	historique et architectural. 
	 
	I. LES DEUX TYPES DE PORTES MONUMENTALES 
	 
	Un rapide survol de l'ensemble des portes monumentales de la vallée de la 
	Vezouze permet de les répartir en deux groupes qui, bien que voisins par 
	leur inspiration et leur aspect général, se distinguent cependant par la 
	manière dont a été réalisée l'ornementation du chambranle. Le plus souvent, 
	celle-ci affecte l'aspect d'une forte mouluration; mais certaines portes 
	présentent une ouverture encadrée par deux colonnes. Nous envisagerons 
	successivement ces deux types de portes. 
	 
	Les portes à chambranle mouluré 
	 
	Le voyageur qui, venant de Lunéville, entreprend de remonter le cours de la 
	Vezouze, ne peut manquer de noter, à Marainviller, le changement qui affecte 
	la configuration de la vallée. Jusqu'alors bien ouverte, celle-ci se 
	resserre aussitôt après le village, à la hauteur de Thiébauménil. Les vastes 
	étendues agricoles cèdent alors la place à un riant paysage de prairies et 
	de boqueteaux, où la rivière affirme davantage sa présence. Laissons pour 
	l'instant de côté le gros village de Marainviller - nous y reviendrons au 
	terme de notre étude -, et pénétrons plus avant à l'intérieur de notre champ 
	d'investigations. 
	Etabli sur la rive droite de la Vezouze, à l'écart des grandes voies de 
	communications, Manonviller semble sommeiller au pied de son fort ruiné. 
	C'est le premier village que l'on rencontre en venant de Thiébauménil. 
	L'aspect qu'il offre depuis la vallée donne l'impression d'un assez 
	important ensemble de constructions bien regroupées autour de l'église, 
	laquelle, bâtie sur un tertre, élève son clocher massif et d'un beau type 
	lorrain bien au-dessus des maisons d'habitation. 
	Aussitôt après le pont qui enjambe la rivière, on pénètre dans le village, 
	et, remontant la rue principale, on ne tarde pas à y découvrir, au n° 8, une 
	belle porte à chambranle mouluré. Malgré la destruction, en 1944, de la 
	maison dont elle faisait partie à l'origine, cette porte a fort heureusement 
	pu être sauvée et réinsérée dans la nouvelle construction. 
	Ce qui frappe tout d'abord, c'est la splendide ornementation du chambranle; 
	nulle part ailleurs nous n'en retrouverons d'aussi magnifiquement réalisée. 
	Elle se présente sous la forme d'une triple moulure au relief vigoureux. Ce 
	dernier est remarquablement accentué par trois 
	élégantes crossettes (les deux premières, dédoublées, sont situées à chacun 
	des angles du chambranle, la troisième au milieu de sa partie transversale) 
	qui contribuent à donner à l'ensemble l'aspect d'une croix de taille 
	humaine. 
	Le linteau est, lui aussi, somptueusement orné. Un cartouche rectangulaire, 
	contenant le nom du premier propriétaire (Jean Mangenat), est encadré de 
	deux paires de motifs décoratifs figurant, de manière très stylisée, des 
	fleurs (côté gauche) et des astres (côté droit). L'ensemble, traité avec 
	beaucoup de maîtrise, est d'un effet remarquablement décoratif. 
	Au-dessus du linteau, le fronton est en arc brisé, c'est-à-dire affectant la 
	forme d'un demi- cercle interrompu en son milieu. Les deux arcs de cercle, 
	ou rampants du fronton, sont constitués chacun par un cordon boudiné à 
	volute, s'enroulant sur lui-même à son extrémité. Ils soutiennent une petite 
	niche recouverte d'un toit sculpté des plus élégants et encadrée de deux 
	motifs en forme de consoles renversées. En dessous, au centre du tympan, un 
	second cartouche contient la date de 1693. Nous verrons que cette porte, 
	assurément la plus remarquable de toutes, est aussi l'une des plus 
	anciennes. 
	Il nous faudra revenir sur nos pas pour gagner Bénaménil, car la passerelle 
	n'existe plus, qui enjambait la Vezouze à la hauteur de ce village, et 
	permettait ainsi à ses habitants de se rendre à la Bonne-Fontaine, le 
	pèlerinage marial le plus fréquenté de la vallée. 
	A l'inverse de son proche voisin Manonviller, Bénaménil est traversé par la 
	route nationale, sur laquelle il fut relais de diligence au XIXe siècle : il 
	étire sur près de deux kilomètres ses grosses maisons d'exploitation et 
	conserve aussi une porte monumentale, étroitement apparentée à celle que 
	nous venons de décrire, encore que d'une facture plus sobre et d'une 
	apparence moins somptueuse, un peu après l'église, vers la sortie Est du 
	village, au n° 107 de la grande rue. 
	D'emblée, nous reconnaissons, dans l'imposant chambranle à triple moulure, 
	le lien de parenté qui unit cette porte à celle de Manonviller. Moins 
	travaillé, il ne comporte toutefois que deux crossettes. 
	Le linteau, bordé de palmettes à chaque extrémité, est divisé en quatre 
	compartiments égaux. Les deux compartiments latéraux sont ornés d'oves; ceux 
	du centre présentent des rosaces voisines de celles du linteau de 
	Manonviller (quatre cœurs disposés en croix et un soleil). Deux motifs 
	similaires ornent le tympan, plus vaste que celui de Manonviller; ils 
	  
	Porte de 1697 à Bénaménil encadrent 
	un cartouche de forme carrée portant la date de 1697. Au-dessus, la niche, 
	entourée de rinceaux d'un bel effet décoratif, est surmontée d'un petit 
	fronton curviligne à coquille. Cette porte frappe par son aspect massif et 
	la haute qualité de son ornementation. 
	Imposant, majestueux, Domjevin est installé sur le flanc de l'une des 
	collines qui constituent la bordure septentrionale de la vallée. Comment 
	résister au plaisir de suivre la petite route qui, traversant la grande 
	prairie de la Vezouze, conduit à ce beau village en passant par-dessus 
	plusieurs petits ponts dont les plus anciens auraient été construits sur 
	l'ordre du duc Stanislas ? 
	  
	Porte de 1707 à Domjevin 
	 
	  
	Porte de 1692 à Ogéviller Delorme 
	nous dit que Domjevin dépendait autrefois de deux seigneurs : le comte d'Haussonville 
	possédait la partie basse du village, alors que la partie haute appartenait 
	au duc de Lorraine. C'est dans cette partie haute que nous pouvons voir 
	plusieurs portes monumentales, dont l'une, située au n° 77 de la rue Haute, 
	à l'amorce de la petite route qui conduit à Manonviller, est tout 
	particulièrement intéressante. 
	Au-dessus du chambranle dont la triple moulure manque un peu de vigueur, 
	bien qu'elle soit soulignée par trois crossettes, le linteau ne comporte 
	aucun motif décoratif, cette fois, mais de simples motifs géométriques : 
	quatre rectangles bordés d'entailles en forme de croissant de lune. Tout 
	l'effort d'ornementation a été porté sur le fronton. Ses deux rampants en 
	forme de cordon boudiné à volute, entre lesquels s'insère un cartouche de 
	forme carrée portant la date de 1707 et les initiales des premiers 
	propriétaires, soutiennent une petite niche au décor véritablement 
	exubérant. Elle est en effet encadrée de deux petits pilastres sommés chacun 
	d'une croix de Lorraine. Entre les deux croix de Lorraine, juste au-dessus 
	de la niche, nous croyons reconnaître le motif décoratif lorrain 
	traditionnel : un panier d'où retombent des guirlandes de fleurs. Enfin, de 
	part et d'autre des pilastres, ainsi qu'au-dessus du toit de la niche, on 
	voit, trois fois répété et sculpté avec art, un motif décoratif dit «  vase 
	fumant ». 
	L'ensemble est du plus bel effet, et lorsque, après avoir remonté la rue 
	Haute, on découvre le vaste panorama qu'offre la route de Manonviller 
	aussitôt après les dernières maisons d'habitation, on ne peut manquer d'être 
	frappé par l'éclat de ce beau village, l'un des phares de la vallée. 
	A Ogeviller, au no 23 de la rue du Château, on peut voir une dernière belle 
	porte à chambranle mouluré. Les simples sculptures géométriques du linteau, 
	en tout point semblables à celles du linteau de Domjevin, mettent en valeur 
	la force du chambranle à triple moulure. Un cartouche rectangulaire, placé 
	au centre du tympan, contient la date de 1692, et fait donc de cette porte 
	une contemporaine de celle de Manonviller. 
	 
	Les portes à colonnes 
	 
	La partie de la vallée qui s'étend en amont de Domjevin semble avoir 
	constitué le domaine d'élection des portes à colonnes. Moins bien représenté 
	que le précédent, ce second type de portes monumentales est aussi d'un 
	aspect plus recherché, «  un peu prétentieux » a même écrit Emile Ambroise. 
	On peut discuter ce jugement de valeur. Quoi qu'il en soit, la réalisation 
	des portes à colonnes devait être passablement difficile ou onéreuse, car le 
	type fut définitivement abandonné peu de temps après son éclosion, 
	contrairement au premier qui, passé la prestigieuse période des débuts, 
	connut, on le verra, une dégénérescence progressive. 
	Bâti sur un escarpement de la rive gauche de la Vezouze, Fréménil n'est 
	distant de Domjevin que d'un peu plus d'un kilomètre à vol d'oiseau. Pour 
	s'y rendre, le mieux est encore d'emprunter le chemin qui, longeant le cours 
	d'eau sur sa rive gauche, conduit, à travers prés et oseraies, au pied du 
	promontoire où s'est établi le village. 
	Il suffit alors de remonter la rue qui débouche directement sur la prairie, 
	pour parvenir sur la place de l'église. On y voit les restes d'une porte à 
	colonnes datant vraisemblablement des toutes premières années du XVIIIe 
	siècle, et dont nous pouvons deviner, grâce à une carte postale éditée vers 
	1900 par la librairie Bastien de Lunéville, combien elle devait être 
	remarquable. C'était sans doute la plus belle du genre. Malheureusement, 
	cette porte a été presque entièrement détruite lors de la Première Guerre 
	mondiale; il n'en subsiste que la niche. 
	  
	Porte sculptée de Fréménil, non datée (état avant 1914) 
	Par son allure générale, la porte de Fréménil 
	s'apparentait étroitement à celles que nous venons de décrire, à ceci près 
	qu'à la mouluration du chambranle avaient été préférées deux colonnes 
	corinthiennes soutenant le fronton par l'intermédiaire de deux ressauts de 
	la corniche d'entablement et du linteau. Ce dernier présentait d'élégantes 
	sculptures affectant l'aspect de guirlandes de fleurs, d'une inspiration 
	relativement moderne, car traitées de manière réaliste, à l'opposé des 
	décors floraux stylisés que nous avons pu observer sur certaines portes à 
	chambranle mouluré. A chacune des extrémités du linteau, sur les ressauts 
	coiffant les colonnes, on voyait en outre un motif astral. 
	
	  
	Porte de 1698 à Herbéviller 
	(démontée en 1987, achetée par le Musée historique lorrain) 
	Les rampants du fronton, plus courts que ceux des portes 
	à chambranle mouluré, ne soutiennent plus, mais encadrent la niche, qui, de 
	ce fait, occupe à elle seule la majeure partie du tympan. Insérée, comme à 
	Domjevin, entre deux petits pilastres, et reposant sur un soubassement 
	décoré de cercles accolés, elle est encadrée par deux motifs affectant 
	l'aspect d'une accolade à volutes. Ici encore, un petit fronton curviligne à 
	coquille fait office de toit. Une coquille occupait également l'espace 
	triangulaire délimité par chacun des rampants du fronton, espace qui était, 
	en outre, fermé, du côté de la niche, par un motif en forme de console 
	renversée. 
	Assurément, l'ensemble devait être très élégant, et l'on ne peut que 
	déplorer la disparition de cette belle porte monumentale. 
	En amont, à Herbéviller, on pouvait voir, naguère encore, au n° 15 de la rue 
	principale, non loin des ruines du château de Lannoy, une autre porte à 
	colonnes qui, sans avoir la beauté de celle de Fréménil, n'en était pas 
	moins digne du plus grand intérêt. 
	Le parti adopté par l'architecte était exactement le même qu'à Fréménil : 
	ouverture flanquée de deux colonnes corinthiennes, niche abaissée au niveau 
	du tympan et encadrée par les deux courts rampants du fronton. Mais 
	l'ornementation était ici beaucoup plus sobre. Hormis le petit fronton à 
	coquille qui coiffait la niche, elle ne se manifestait qu'au niveau du 
	linteau, de manière très originale, il est vrai. Ce dernier comportait en 
	effet une longue inscription incisée, disposée sur deux lignes et dont voici 
	le texte : LAUS IMMENSA DEO, REQUIES AETERNA SEPULTIS, PAX VIVIS, TU NOSTRI 
	MISERERE DEUS (Dieu soit loué infiniment, qu'aux défunts soit accordé le 
	repos éternel et la paix aux vivants; Seigneur Dieu ayez pitié de nous). 
	Comme le relevait fort justement M. l'abbé Choux, si l'on ne trouvait pas, à 
	la suite de ce texte, avec la date de 1698, deux paires d'initiales qui 
	indiquent un ménage, on penserait plutôt à la demeure d'un curé qu'à celle 
	d'un cultivateur! 
	Voici donc, là encore, une belle œuvre de la fin du XVIIe siècle. La maison 
	ornée de cette porte a été incendiée en avril 1987 et la porte démontée par 
	son acquéreur vient d'entrer, par achat, dans les collections du Musée 
	lorrain où elle trouvera place dans la seconde partie du Musée des arts et 
	traditions populaires des Cordeliers, lorsque l'aménagement complet sera 
	enfin achevé. 
	L'ancienne église d'Herbéviller, qui avait été construite au début du XVIIIe 
	siècle, possédait un portail à colonnes et fronton brisé d'une inspiration 
	très voisine de celle de la porte que nous venons d'étudier, au point qu'on 
	a émis l'hypothèse qu'ils étaient tous deux l'œuvre d'un même artiste. Ce 
	portail a disparu en 1914 dans les ruines de l'ancienne église. 
	Notons enfin la présence, non loin de l'église, au n° 2 de la rue de 
	Saint-Martin, d'une petite porte à chambranle mouluré, datée de 1703. Il 
	semble que cette porte ait été réinsérée dans une construction moderne après 
	que la maison dont elle faisait partie à l'origine eut été détruite, 
	vraisemblablement lors du premier conflit mondial. Les rampants du fronton, 
	abîmés, n'ont pas été repris. Cette porte est surtout intéressante par les 
	élégants rinceaux qui ornent son linteau. 
	Plus haut, Saint-Martin, Domèvre, presque entièrement détruits lors de la 
	Première Guerre mondiale, n'ont conservé que peu de maisons anciennes; 
	celles qui subsistent ne présentent aucun intérêt pour notre étude. Nous 
	quitterons donc la vallée de la Vezouze pour gagner Reherrey. 
	Ce petit village est situé dans la vallée de la Verdurette, à quelque cinq 
	kilomètres en amont d'Ogéviller. A cet endroit, la vallée est bien ouverte, 
	et offre un reposant paysage de prés et de boqueteaux, doucement animé de 
	molles et amples ondulations. Aussi, contrairement à ses proches voisins, 
	Vaxainville et Pettonville, Reherrey a-t-il pu adopter une position moins 
	ingrate, en s'établissant sur le versant exposé au midi. 
	Outre une très belle croix ancienne, on peut voir à Reherrey une porte à 
	colonnes, dans la façade de la maison sise au n° 17 de la Grande rue. 
	Rigoureusement identique, dans sa partie inférieure, à celle de Fréménil, 
	cette porte s'en distingue toutefois par la position et l'ornementation de 
	sa niche. Cette dernière, étroitement apparentée à la niche de Manonviller 
	(toit sculpté, ornements en forme de consoles renversées), est en effet 
	placée au-dessus du tympan, comme dans les portes à chambranle mouluré, bien 
	que la présence du fronton à courts rampants eût, ici encore, autorisé 
	l'adoption d'une disposition différente. Il en résulte un meilleur équilibre 
	dans les proportions, et, croyons-nous, plus de grâce que dans les autres 
	réalisations du même type. 
	La porte de Reherrey marque cependant un net recul par rapport aux autres 
	portes monumentales, et annonce déjà la décadence. C'est ainsi que, 
	au-dessus des colonnes au fût un peu grêle, le linteau présente, pour toute 
	ornementation, deux paires d'initiales et la date de 1707, sommairement 
	gravées. 
	Avec cette incursion dans la vallée de la Verdurette, s'achève la promenade 
	qui nous a conduits à visiter la quasi-totalité des villages du cours moyen 
	de la Vezouze. Sur le chemin du retour vers Lunéville, nous pourrons 
	cependant nous arrêter quelques instants à Marainviller. Dans le petit 
	groupe de maisons anciennes que la route nationale sépare du reste du 
	village, au n° 9 de la rue Charles Chatton, nous trouvons en effet une 
	dernière porte à colonnes. 
	Par l'agencement de son chambranle, cette porte est, à quelques détails 
	près, l'exacte réplique des autres réalisations du même type. Par 
	l'ornementation de son tympan, elle s'apparente étroitement à la porte de 
	Fréménil (coquil- 
	  
	Porte de 1707 à Reherrey les 
	occupant l'espace délimité par les deux rampants du fronton, soubassement de 
	la niche décoré d'une rangée de cercles accolés). La seule particularité de 
	la porte de Marainviller réside dans le fait que sa niche est dépourvue de 
	toit. La présence d'une fenêtre, immédiatement au-dessus de l'entrée du 
	logis, interdisait en effet que l'on reproduisît ici ce couronnement 
	traditionnel. 
	Il convient de souligner, à propos de cette porte, la relative pauvreté de 
	son ornementation; le linteau, en particulier, n'offre aux regards qu'une 
	surface uniformément lisse. Cette circonstance, jointe à l'absence de 
	millésime, rend difficile la datation du monument. Néanmoins, son étroite 
	parenté avec la porte de Fréménil permet de faire remonter son érection aux 
	années 1700-1710. 
	 
	Eléments d'histoire et d'architecture 
	 
	Nous venons de passer en revue les différentes portes monumentales de la 
	vallée de la Vezouze; il s'agit à présent de faire la synthèse de nos 
	observations. 
	La datation de ces portes ne pose pas de problème particulier, puisque, 
	comme on l'a vu, on trouve presque toujours un millésime sculpté au niveau 
	du linteau ou du tympan. 
	Elles ont toutes été édifiées entre 1692 et 1707, les deux types 
	apparaissant presque simultanément. 
	Il convient d'insister sur le fait que nous ne nous sommes arrêté qu'aux 
	plus belles réalisations de l'un et l'autre type. En effet, s'il n'existe 
	pas d'autres portes monumentales qui soient antérieures à 1692, on en trouve 
	quelques-unes qui ont été édifiées après 1710. Notons qu'elles se rattachent 
	toutes au premier type (portes à chambranle mouluré). Nous en citerons un 
	exemple pris à Domjevin, daté de 1717 (105, place de l'église), et un autre 
	à Manonviller (au n° 11 de la rue principale), non millésimé, mais dont on 
	peut situer l'érection aux alentours de l'année 1720. 
	Ces réalisations tardives ne méritent pas plus qu'une simple mention. Ce 
	n'est pas qu'elles soient dépourvues d'intérêt, mais on constate chez elles 
	un affaiblissement des caractères qui font la beauté des portes de la 
	première période : réduction des dimensions et diminution de la vigueur de 
	la mouluration du chambranle, fronton traité de manière plus sommaire 
	(absence de motifs décoratifs sculptés) et avec moins de grâce. 
	L'exemple constitué par la porte de 1717 à Domjevin est, à cet égard, tout à 
	fait significatif. Suppression de la moulure intermédiaire et simplification 
	à l'extrême du dessin de la moulure extérieure du chambranle, absence de 
	volutes aux rampants du fronton, réduction à deux larges coquilles de la 
	décoration du tympan, font que cette porte, d'aspect pourtant encore 
	monumental, se situe nettement en retrait par rapport aux chefs-d'œuvre de 
	la charnière XVIIe-XVIIIe siècles. 
	Notons, en tout cas, que l'apparition de nos premières portes monumentales, 
	vers 1690, coïncide très exactement avec la mort de Charles V et l'accession 
	de son fils Léopold à la tête de la Maison de Lorraine. Une tâche immense 
	attendait le nouveau souverain : la nécessaire reconstruction de nos 
	villages, dévastés par les guerres entreprises contre la France, pendant 
	une bonne partie du XVIIe siècle, par son grand-oncle, le duc Charles IV. Et 
	de fait, il s'y attela avec ardeur dès qu'il se trouva investi du pouvoir 
	ducal. 
	Tout au long de son règne, le duc Léopold manifesta un goût prononcé pour 
	les belles constructions. Aussi pourrait-on être tenté de voir, dans la mode 
	des portes monumentales qui a touché les villages de la Vezouze dans les 
	toutes dernières années du XVIIe siècle, une manifestation de la politique 
	d'embellissement de la Lorraine, conduite par Léopold. 
	Mais ce serait oublier que, de 1670 à 1697, la Lorraine, occupée par les 
	troupes du roi de France, fut administrée par ce dernier, et que ce n'est 
	qu'en 1698 que Léopold quitta Vienne, où il vivait réfugié avec sa famille, 
	pour rentrer en Lorraine et prendre effectivement possession de ses Etats, 
	conformément aux dispositions du traité de Ryswick, signé un an plus tôt. 
	Force est donc d'admettre, avec Emile Ambroise, que l'apparition des portes 
	monumentales «  s'est produite spontanément, et a devancé l'ère de rénovation 
	et de paix qui a rendu cher aux Lorrains le règne de Léopold ». 
	Quels pouvaient donc bien être les premiers propriétaires de ces belles 
	maisons d'habitation, ornées de portes monumentales ? Ces portails d'apparat 
	avaient-ils été réalisés pour le compte de riches marchands, de bourgeois 
	fortunés ? 
	Nous avons déjà répondu implicitement dans notre introduction. Il ne s'agit 
	ici que de maisons paysannes; la présence systématique, à côté de 
	l'ouverture du logis, d'une vaste porte de grange, l'atteste suffisamment. 
	C'est donc bien, en définitive, à un rapide accroissement de la richesse de 
	nos campagnes dans le dernier quart du XVIIe siècle qu'il faut imputer 
	l'éclosion de la mode des portes monumentales. 
	Phénomène bien singulier, en vérité, que ce brusque passage de la misère la 
	plus noire à l'opulence la plus raffinée! Il semble que l'occupation 
	française et la véritable révolution agricole qui en résulta, avec 
	l'introduction de cultures et de procédés culturaux jusque-là inconnus en 
	Lorraine, aient joué ici un rôle déterminant. 
	Si nous cherchons à caractériser nos portes monumentales du point de vue 
	architectural, nous nous trouvons placés dans l'embarras. 
	Elles se rattachent incontestablement au style baroque, qui fit son 
	apparition en Italie à la fin du XVIe siècle et se maintint jusque vers 
	1730, en diffusant largement en France. En effet, le fronton brisé à 
	rampants terminés par une volute et soutenant ou encadrant un petit 
	tabernacle, dont nous avons relevé la présence de manière constante, est un 
	élément caractéristique du style baroque. 
	De même, les moulures à crossettes et les colonnes à chapiteau corinthien 
	sommé d'un ressaut de l'entablement, dont nous avons vu qu'elles encadraient 
	tour à tour l'ouverture de nos portes monumentales, se rencontrent 
	fréquemment dans les édifices de la période baroque. De ce point de vue, ces 
	portes s'inscrivent donc dans le droit fil de la mode architecturale de la 
	période où elles ont été édifiées. 
	En revanche, le détail de leur ornementation fait davantage penser au style 
	Renaissance. Cartouches rectangulaires, frontons curvilignes à coquille, 
	rinceaux et dessins géométriques sont en effet des motifs décoratifs 
	traditionnels de ce style d'architecture, né dans l'Italie du XVe siècle et 
	qui puisait son inspiration dans l'art de la Grèce et de la Rome antiques. 
	On peut, à juste titre, s'étonner de voir le style Renaissance faire ainsi 
	son apparition dans l'architecture rurale de la Lorraine des années 1700, 
	alors qu'il avait pénétré en France au début du XVIe siècle et y avait cédé 
	la place au style baroque dès le début du siècle suivant. C'est ici qu'il 
	faut s'interroger sur l'origine des artistes qui ont participé à l'érection 
	de nos belles portes monumentales. 
	Aucune étude systématique n'a encore été entreprise sur ce sujet. Quelques 
	recherches ont cependant permis de dégager un certain nombre de données qui 
	sont de nature à nous fournir des indications intéressantes. Les registres 
	paroissiaux de Herbéviller mentionnent, à la date de 1699, le baptême de 
	Pierre, fils de Pierre Auchard, maître-sculpteur, et, en 1700, le décès, à 
	l'âge de soixante ans, de Jean-Jacques Gras, suisse italien et maçon de son 
	état, dont on sait qu'il avait alors avec lui un neveu prénommé Jacques. A 
	Domjevin, on relève, à la date de 1733, le nom de Christophe Philibert, 
	architecte originaire d'Yverdon, en Suisse. 
	Ainsi donc, il est établi que, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe 
	siècle, il se trouvait, à Herbéviller et Domjevin, les deux villages où l'on 
	peut voir le plus grand nombre de portes monumentales, et qui sont situés au 
	centre de l'aire de diffusion de ce type de constructions, des architectes, 
	maçons et sculpteurs originaires de Suisse ou d'Italie du Nord. On ne 
	saurait affirmer que ces hommes sont précisément les auteurs de nos portes 
	monumentales, mais de fortes présomptions inclinent à le penser. En effet, 
	on ne retrouve plus leur nom dans les 
	actes ultérieurs; il s'agirait donc bien d'artistes venus spécialement dans 
	notre région pour y prendre part à la reconstruction des villages détruits, 
	et qui seraient ensuite retournés dans leur pays d'origine. 
	Plus intéressante encore, et toujours dans le même sens : l'indication 
	fournie à Edmond Delorme par l'abbé Hatton, ancien curé de Domjevin, selon 
	laquelle certaines des portes monumentales de ce village seraient dues à des 
	maîtres-maçons italiens ayant nom Dulci et Haléguo, qui se seraient 
	installés dans la région du début du XVIIIe siècle et y auraient fait 
	souche. 
	Dès lors, on peut penser que ces artistes étrangers, principalement 
	originaires d'Italie, ont voulu recréer dans notre région les belles 
	réalisations architecturales qu'ils avaient eu l'occasion d'admirer dans 
	leur pays d'origine. S'inspirant à la fois des constructions de l'époque (de 
	style baroque) et d'autres plus anciennes (constructions Renaissance), ils 
	ont alors donné naissance à un style d'architecture rurale tout à fait 
	original, que d'aucuns n'ont pas hésité à baptiser «  style italo-lorrain du 
	XVIIIe siècle » (Delorme). 
	Cette attitude nous semble d'ailleurs parfaitement justifiée. Force nous 
	est, en effet, de reconnaître que, en dépit de la coexistence de deux types 
	dont nous avons parlé, les portes monumentales de la vallée de la Vezouze 
	présentent une remarquable homogénéité d'ensemble, et se distinguent très 
	nettement des belles réalisations contemporaines que l'on trouve, isolées, 
	en divers autres points de l'est de la Lorraine. 
	C'est précisément cette homogénéité d'ensemble qui, alliée à la haute 
	qualité de l'inspiration et au soin apporté à la réalisation, fait tout 
	l'attrait de nos belles portes monumentales. 
	Puissent-elles, dans un proche avenir, susciter un regain d'intérêt au sein 
	de la population locale, et bénéficier, de la part des pouvoirs publics, 
	d'une protection bien légitime et qui leur fait encore si cruellement 
	défaut ! 
	 
	Ouvrages et articles consultés : 
	Emile Ambroise, Les vieux châteaux de la Vezouze, dans Le Pays Lorrain, 
	1908-1909. 
	Jacques Choux, Portes de maisons rurales à fronton monumental dans l'est de 
	la Lorraine, dans Art populaire de France, Strasbourg, 1960, pp. 37-47. 
	Edmond Delorme, Lunéville et son arrondissement, Luné- ville, 1927, 2 vol.; 
	réimpress. Marseille, 1977. 
	Claude Gérard, L'architecture rurale française, vol. 5 (Lorraine), Paris, 
	1981. 
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