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Août 1914
- Fort de Manonviller

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Les armées françaises dans la Grande guerre. Tome premier
Tome premier 2e vol. ANNEXES - 2e vol.
Ministère de la guerre, état-major de l'armée, service historique
Ed. Imprimerie nationale (Paris), 1925

Annexe n° 2660.
Rapport sommaire fourni par le docteur Blasson, médecin aide-major de 1re classe de réserve, médecin du fort de Manonviller, rentré le 7 septembre de captivité à Constance où il avait été emmené prisonnier avec ses blessés après la reddition du fort, médecin civil à Bénaménil chargé en temps de paix du service du fort de Manonviller.

Je me suis rendu au fort de Manonviller le 31 juillet 1914 à 18 h. 30 sur réquisition de M. le chef de bataillon Rocolle, commandant d'armes.
Afin de pouvoir rejoindre mon poste le plus rapidement possible, craignant une attaque brusquée, je pris ma voiture automobile, cette voiture qui se trouvait par conséquent au fort au moment de la reddition a été prise par l'ennemi sans qu'aucun bon ne m'ait été fourni.
Durant les premiers jours de la mobilisation et avant que nos troupes aient pris l'offensive, le fort avec ses tourelles, nord, sud, fit de l'excellent travail en tirant sur de nombreuses patrouilles de cavalerie qui se montraient sous le feu de nos canons. Nous pouvions voir aussi défiler sur la route de Leintrey à Amenoncourt des troupes allemandes, artillerie, cyclistes, infanterie, contre lesquelles malheureusement, étant donné la distance, nous ne pouvions rien.
Lors de l'offensive de nos troupes, nos canons détruisirent ou endommagèrent sérieusement des batteries allemandes placées sur la côte de St-Martin et des escadrons ou pelotons de cavaliers ennemis aperçus aux environs de la ferme de Grand-Seille, des Amienbois, dans la direction de Xousse et Leintrey.
La position des troupes ennemies nous était fréquemment signalée par l'instituteur de Leintrey et cela malgré la présence dans ce village de cavaliers allemands, et communications faites par voie téléphonique.
Nos troupes s'étant portées en avant sur la ligne Blamont, Avricourt, Maizières, le rôle du fort fut nécessairement réduit à celui de spectateur.
Puis nos troupes se replièrent (21 août) et nous n'aperçûmes que peu de troupes allemandes durant cette retraite, l'ennemi semblait éviter le fort et passer sur la lisière nord de la forêt de Parroy (Hénaménil, Crion, Sionviller) ou sur la lisière de la forêt de Mondon (Hablainville, Azerailles).
Le 24 août, vers 5 heures du soir, un aéroplane allemand est venu survoler le fort à faible hauteur, faisant deux fois le tour de l'ouvrage, ce qui nous a permis de penser qu'il le photographiait.
Le 25 août à 9 heures 20 du matin, est tombé sur le fort le premier obus allemand (coup long, passant exactement au-dessus d'un groupe d'officiers en observation sur le parapet). Immédiatement le pont-levis est levé et le blindage de toutes les ouvertures effectué, soit à l'aide de rails, soit à l'aide de nombreux sacs à terre préparés à l'avance.
Du 25 août à 9 h. 20 du matin et durant 53 heures consécutives sans aucune interruption (si ce n'est une interruption de 3/4 d'heure environ dans la nuit du 26 au 27) le fort fut bombardé à raison de 180 à 230 obus par heure. Les constatations qui ont pu être faites, débris de projectiles, ogives trouvées, ont permis de penser que l'on avait à faire à des obus de 280, voire même 305 et de calibres inférieurs.
Après une heure 1/2 de bombardement, la tourelle sud (fonte dure) était déjà sérieusement endommagée, quelques heures après le bombardement une gaine circulaire s'effondre rendant le passage impossible, les observatoires d'artillerie ne signalaient aucune troupe importante en avant de nous, quelques patrouilles de deux ou trois cavaliers. Un ballon captif allemand était aperçu du côté d'Amenoncourt, il fut tiré sur lui sans résultat. Impossibilité de pouvoir situer la position des batteries allemandes.
Dès le premier jour, les gaines, les casemates, les tourelles étaient envahies par une fumée noirâtre et jaunâtre particulièrement asphyxiante dégagée par l'explosion des projectiles.
Dans la nuit du 25 au 26, j'ai pu donner mes soins à près de 150 hommes atteints d'un début d'asphyxie. Devant cet état de choses, je priai le capitaine du génie de bien vouloir mettre à ma disposition les tubes d'oxygène destinés à la télégraphie optique dont le poste venait d'être démoli. Grâce à ces tubes, aussitôt que m'était signalé un endroit où les vapeurs asphyxiantes étaient particulièrement intenses, immédiatement Ses brancardiers se rendaient à l'emplacement indiqué, avec un tube dont le dégagement gazeux permettait de créer une atmosphère un peu plus respirable.
Les 25 et 26, le bombardement continua sans relâche, moral des hommes et de toute la garnison excellent, plusieurs blessés dont les premiers l'ont été de la façon suivante : un officier et plusieurs hommes allant porter des sacs à terre devant la porte d'entrée, un obus perfore cette porte projetant de nombreux éclats qui atteignirent grièvement l'officier (lieutenant Fora) et trois hommes dont l'un mourut dans la nuit de fracture du crâne. Plusieurs casemates, en particulier celle des officiers de la 10e cie, étaient sérieusement atteintes, c'est miracle qu'aucun d'eux n'ait été blessé. Un d'entre eux qui portait sa jumelle en sautoir a vu cette jumelle écrasée sans que lui n'ait subi aucun dommage. Des fissures sont constatées dans de nombreux endroits, les gaines et casemates sont constamment envahies par les gaz. La tourelle nord autant que je puisse me rappeler était indisponible dès ce moment, l'approvisionnement en projectiles de ces tourelles fut évacué dans la crainte qu'un nouvel obus ne les fît sauter.
Le 27 au matin, le bombardement redouble et l'on sent très bien (ébranlement sérieux du fort, plus grande intensité des détonations) que les obus lancés sont d'un plus gros calibre. Vers midi, un obus tombé sur l'ambulance fit fléchir nettement sous mes yeux la voûte de celle-ci qui après, se réfléchissant, reprit sa forme primitive sans autre détérioration qu'une fêlure. Trouvant que dans ce local la sécurité était plus que relative, après avis du commandant d'armes et du capitaine du génie, je me mis en devoir de transporter ma table d'opérations dans une gaine voisine de la casemate du gouverneur. Là se trouvaient 25 à 30 hommes que je fis reculer un peu plus loin pour établir mon installation. A peine venais-je de donner cet ordre que la voûte s'effondrait, blessant grièvement deux hommes (l'un fracture du crâne, l'autre fracture de la clavicule) ; moi-même je reçus sur la tête un énorme débris de maçonnerie qui ne me causa que peu de mal grâce à l'idée que j'avais eue de placer dans mon képi trois ou quatre mouchoirs de poche.
La situation devenait critique, une casemate dans laquelle heureusement ne restaient que quelques hommes s'effondre en en ensevelissant un sous les décombres et en en blessant deux autres (l'homme enseveli a pu être retiré dans la nuit du 27, il a été retrouvé courbé en deux, la colonne vertébrale brisée, la tête aplatie d'arrière en avant). A ce moment se trouvaient à l'infirmerie une vingtaine de blessés, dont huit ou neuf (dont 2 officiers) ne pouvaient marcher.
Vers 2 heures du soir, le 27, la situation devient intenable, le fort est ébranlé de toutes parts, les gaines sont envahies de plus en plus par les gaz délétères et les hommes cherchent de tous côtés un endroit où ils puissent respirer. Les gros obus dont il sera parlé tout à l'heure éclatent exactement sur le fort. A chaque chute de l'un d'entre eux, nous avons nettement l'impression, le moral étant toujours parfait, que nous sommes sous la menace imminente ou d'une asphyxie complète, ou d'un ensevelissement total.
Le conseil de défense se réunit pour envisager la situation dans une première réunion» dont je n'ai pas connu le résultat. Vers 15 heures (autant que mes souvenirs soient exacts) nouvelle réunion du conseil de défense qui envisage la possibilité d'une sortie reconnue impossible ensuite. (En effet, les fossés sont à moitié comblés, les parapets n'existent plus, les abords du fort sont impraticables, la grille d'avancée sérieusement endommagée semblait présenter un obstacle des plus sérieux.) Devant cet état de choses, le conseil de défense considère que résister plus longtemps vouerait à une mort certaine et sous peu de temps (asphyxie ou ensevelissement) la garnison tout entière, et cela sans aucun profit pour les opérations, la défense ou le pays. Il décide, à regret, les larmes aux yeux, d'abandonner le fort dont les tourelles, les canons-revolvers sont inutilisables.
La garnison sort avec les honneurs de la guerre et le colonel ou général allemand félicite la garnison en la personne de son commandant sur sa bravoure et sa ténacité.
Nous apprenons par les Allemands que nous étions bombardés par des batteries installées sur voie ferrée, a la gare Deutsch-Avricourt, ils s'étonnent que nous n'avons pas eu connaissance de l'emplacement de leurs batteries. Un capitaine de pionniers, parlant très bien le français, nous a montré le plan du fort qu'il possédait, il nous apprend que les obus lancés sur nous dans la dernière journée sont du diamètre de 42,5 mesurant 1 m. 90 de haut, contenant chacun 100 kilogs d'explosifs, un ou deux culots de ces obus ont été vus sur le fort après le bombardement. Les pièces tirant ces obus étaient installées sur voies à la gare de Deutsch, sur un raccordement de la ligne Avricourt, Strasbourg ou Avricourt, Dieuze.
Les affûts, d'un poids très lourd, ne peuvent guère être amenés que par voies ferrées, ils rouleraient sur rails, la portée maxima de ces canons est, paraît-il, de 15 kilomètres, le maniement de ces pièces était effectué par des ingénieurs ou ouvriers de l'usine Krupp.
J'ai quitté le fort de Manonvillers, le 29 août au matin avec mon personnel et mes blessés pour me rendre à la gare de Blamont; là, nous fûmes embarqués dans un train contenant des blessés allemands en grande quantité, nous fûmes dirigés par Strasbourg sur Appenwiller et Offenburg, et après deux jours et deux nuits de voyage, nous fûmes enfermés à Constance où j'étais en compagnie du sous-lieutenant Villard du 19e dragons et du lieutenant Claudel, blessés du fort de Manonviller. L'attitude des officiers allemands à notre égard fut bienveillante.
Après 5 jours de captivité, le personnel sanitaire et moi fûmes reconduits à la frontière suisse à Kreuzlingen, d'où un officier suisse nous accompagna jusqu'à Berne. A Berne l'état-major suisse nous fit diriger sur la gare frontière des Verrières.
Je suis allé me présenter à la place de Pontarlier où j'ai pris le train pour Besançon, me mettant dans cette ville, immédiatement à la disposition de M. le général commandant la 7e région.
Je me permettrai de signaler l'accueil particulièrement bienveillant et chaleureux des officiers suisses qui, durant la traversée de leur pays, ne permirent pas que mes hommes et moi eussent à dépenser quoi que ce soit pour leur nourriture eu leur voyage.
Signé : docteur BLUSSON.
Pour copie conforme : Besançon, le 10 septembre 1914
Le général commandant la 7e région.
P. O. : Le chef d'état-major,
Sans signature.


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