Est-Républicain
13 juillet 1922
Une visite de M. Reibel aux
sinistrés de l'arrondissement de Lunéville
L'EFFORT ACCOMPLI DANS LA RECONSTITUTION
De notre envoyé spécial.
Ainsi que nous l'avions annoncé, M. Reibel, ministre des régions
libérées, a fait mercredi après midi une visite à un certain
nombre de communes de l'arrondissement de Lunéville.
Voici quel a été l'itinéraire suivi par le ministre : Emberménil,
Leintrey, Reillon, Vého, Gondrexon, Chazelles, Verdenal, Domèvre,
Badonviller, Bréménil, Parux et Cirey.
Le ministre des régions libérées a quitté la préfecture de
Nancy, à 2 h. 45. Il était accompagné de son chef adjoint de
cabinet, M. Nau ; de MM. Duponteil, secrétaire général à la
reconstitution ; Bouet, sous-préfet de Lunéville ; Louis Michel,
sénateur ; Georges Mazerand, député ; de Turckeim, conseiller
général ; Deville, architecte départemental pour la
reconstitution ; Delorme, architecte d'arrondissement ; Préaud,
directeur du génie rural, etc.
Le cortège, en automobiles, est arrivé à Emberménil à 4 heures.
M. Alison, maire, reçoit le ministre et les personnalités qui
l'accompagnent. Il est entouré des conseillers municipaux : de
MM. Cordier et Simonin, architectes ; Emile France-Lanord, de la
firme France-Lanord et Bichaton et d'habitants du village
accourus pour voir et acclamer M. Reibel.
Après les .présentations d'usage, une petite fille s'avance, lit
un charmant compliment au ministre et lui remet un joli bouquet,
M. Reibel remercie avec quelques paroles pleines de cordialité.
Le ministre s'enquiert aussitôt de la marche de la
reconstitution. Il constate avec satisfaction que l'on travaille
à Emberménil très activement à la réédification du village.
Le maire déclare que la moitié des habitants sont revenus. Quand
les maisons seront construites, d'autres personnes reprendront
le chemin de leur commune.
M. Alison attire particulièrement l'attention de M. Reibel sur
la remise en état du sol. Beaucoup de trous d'obus ne sont pas
encore bouchés et les routes sont dans un état pitoyable.
Le ministre et sa suite s'en sont largement aperçus en
traversant cette zone de bataille, où les chemins sont ravagés
par les ornières, les fondrières, les excavations de toute
nature qui forment les plus dangereux obstacles pour les
voitures.
M. Reibel est remonté en auto en félicitent M. Alison de
l'effort accompli par lui et ses administrés.
Le cortège arrive ensuite, vers 4 heures 20, à Leintrey.
C'est M. Armand Nicolas, architecte, qui est chargé de la
reconstruction de ce pays, où il ne reste plus que six maisons à
bâtir.
Le maire de Leintrey, M. François, fournit ce détail à M. Reibel,
tandis que le cortège pénètre dans une baraque Adrian qui sert
de mairie et où les jeunes enfants du village accueillent le
représentant du gouvernement par un chant patriotique sous la
direction de leur excellent instituteur, M. Grandelaude.
Dans la modeste construction, on remarque, a la place d'honneur,
la croix de guerre gagnée par la vaillante localité.
M. François a insisté surtout auprès du ministre au sujet de la
difficulté des moyens de. communication dans la région.
M. Reibel a répondu à la requête du maire de Leintrey en
l'assurant de toute la sympathie de son, administration et en
lui promettant que le nécessaire allait être fait sans retard
pour que ce village et les communes voisines obtiennent
satisfaction.
Puis le cortège continue l'itinéraire annoncé. Il arrive un
quart d'heure plus tard à Reillon, ou M. Jacquot, maire, la
reçoit, ceint de son écharpe.
Ici, le ministre des régions libérées entend ces doléances au
point de vue financier. La municipalité de Reillon estime que
les crédits alloués à la reconstitution sont insuffisants.
M. Reibel prend note de cette observation qu'il entendra à
plusieurs reprises au cours da sa visite.
Il constate avec plaisir que l'on reconstruit rapidement dans
ces villages qui eurent tant a souffrir de la guerre et félicite
M. Jacquot de la tache qu'il mène à bien, en collaboration avec
ses administrés et MM. Desenclos architecte à Epinal et France-Lanord
entrepreneur. Cette dernière maison (France-Lanord et Richaton)
est également chargée, de la reconstruction de Gondrexon,
Chazelles, Verdenal, Amenoncourt, Autrepierre et Igney. Nous
arrivons à présent à Vého, où lès toits rouge-sang surgissent un
peu partout,
La mairie modèle, qui est en même temps l'école, retient
notamment l'attention du ministre.
C'est un beau bâtiment moderne, avec de grandes fenêtres et, à
la partie supérieure une sorte de campanile muni d'une horloge
sur chaque face.
Des drapeaux français et américains claquent au vent. Devant la
mairie, une allée d'arbrisseaux verdoyants a été plantée. Le
ministre a été accueilli à l'arrivée et au départ par les cris
de « Vive la France ! Vive Monsieur le ministre ! »
M. le maire Gérardin lui a souhaité la bienvenue et a souligné
l'effort réalisé par les sinistrés et par les entrepreneurs, MM
Dupic et Vilain.
Là encore, M. Reibel a tenu à dire toute sa joie de voir la
reconstitution en pleine marche.
Mais l'heure avance et les instants du ministre sont comptés.
Péniblement, la théorie des automobiles suit des chemins boueux
et malaisés, qui bordent ce vallonnement qui fut le champ de
bataille.
Partout, des abris, des fils de fer barbelés des casemates,
subsistent, émouvante attestation des âpres combats qui se
livrèrent dans la région de Leintrey.
Voici Gondrexon. Le ministre est reçu par M. Albert Cotel,
maire. D'utiles explications sont données au ministre et a son
entourage par M. Armand Nicolas, chargé de reconstruire le
village.
M. le maire fait remarquer à M. Reibel combien le temps est peu
propice à une visite ministérielle. Mais le ministre des régions
libérées déclare qu'il lui arrive souvent de voyager par la
pluie.
Son dernier voyage dans la Lorraine meurtrie n'a-t-il pas été
marqué par de fréquentes averses ?
Alors M. Cotel, de répondre à M. Reibel : « En ce cas, Monsieur
le ministre, si c'est vous qui amenez la pluie, vous auriez bien
dû venir il y à deux mois ; elle faisait tant défaut ! »
Cette boutade, lancée avec bonhomie, amuse beaucoup M. Reibel.
Le maire de Gondrexon fait ensuite observer au ministre que
beaucoup de sinistrés seraient désireux de ne pas céder la zone
rouge à l'Etat. M. Reibel enregistre la requête des habitants de
Gondrexon.
M. Cotel lui fait observer, en outre, que la commune n'a pas
encore la Croix de guerre. Elle l'a cependant bien méritée.
« Nous allons réparer cette injustice, dit M. Reibel. Gondrexon
a bien gagné cette Croix pendant la guerre et il la mérite
également par la belle attitude qu'il montre au pays dans la
paix. »
M. Lemaire, conseiller municipal, formule encore quelques
desiderata et l'on repart, pour arriver à Chazelles à 5 heures
et quart.
Dans cette commune, la réception a lieu en plein air. L'école et
la mairie sont, en effet, en construction et il reste peu de
maisons intactes.
Une cloche sonne à toutes volées. « Elle a été bénie avant-hier
», nous apprend un des habitants.
M Reibel écoute avec attention les doléances de M. le maire
Masson. Il demande ensuite à M. Masson et à ses concitoyens de
croire à la gratitude du Gouvernement et de la France pour l'oeuvre
accomplie.
La randonnée se poursuit alors, à travers de dangereux cahots et
des dérapages que des maîtres du volant arrivent heureusement à
surmonter. Avant de gagner Verdenal, nous apercevons le château
de Grandseille, victime lui aussi de la guerre.
Les bâtiments portent, par endroits, la marque lépreuse des
shrapnells et les traces de l'incendie.
Contre la route, un gros vase ciselé, en métal, est resté debout
sur son socle de pierre.
Le cortège pénètre dans Verdenal. A la mairie, M. Mathis de
Granseille lit une harangue au ministre des Régions libérées,
dans laquelle il fait une allusion à la politique de fermeté du
cabinet Poincaré.
La réponse de M. Reibel, indépendamment des commentaires qu'il
fera aux suggestions formulées par le maire de Verdenal
concernant la reconstitution, portera surtout sur la question
des réparations dues par l'Allemagne.
M. de Granseille entretient ensuite le ministre des dommages
forestiers.
M. Reibel déclare qu'il y aura lieu de fixer les coefficients
suivant -les années où les dommages auront été causés.
Le mauvais état dés routes fait également l'objet d'une requête.
Un conseiller de Verdenal, M. Vaganay, demande que les fils de
fer soient complètement enlevés dans les champs.
Toutes ces réflexions sont soigneusement consignées par le
chef-adjoint de cabinet de M. Reibel et par les collaborateurs
de M. le préfet de Meurthe-et-Moselle.
A DOMEVRE
Puis c'est la marche sur Domêvre où une magnifique réception a
été réservée au ministre.
Domèvre est une forte agglomération qui, courageusement, renaît
de ses ruines.
Un peu partout, des drapeaux français et italiens ont été mis
aux fenêtres. Un arc de triomphé a été installé dans la rue qui
mène à la mairie. C'est M. Vercelli, chargé de reconstruire
Domèvre, ce sont ses ouvriers qui ont -donné à là localité cet
air coquet des grands jours.
Dans la cour de la mairie, M. Veislinger, maire, entouré de son
conseil municipal, reçoit les personnages officiels.
La réception a lieu dans une des salles du premier étage.
M. Veislinger rappelle, en termes émouvants, les souffrances de
Domèvre ; l'entrée des Allemands, le 23 août 1914 ; le pillage
chez l'habitant par les troupes ennemies ; l'incendie de 136
maisons ; l'expulsion de la population.
Le maire de Domèvre rend hommage au curé, M. l'abbé Renaud, qui
à multiplié ses démarches et se dévoué journellement aux travaux
de la coopérative pour le bien et la renaissance du pays.
Deux hommes consacrent aussi toute leur activité à la
restauration de Domèvre : MM. Vercelli, entrepreneur, et Vilmont,
architecte.
Pour terminer, M. Veislinger a donné le bilan de la besogne
effectuée : 87 maisons sont achevées ; 23 sont sur le point
d'être terminées ; 27 sont en construction.
Seule, l'égllsê, qui faisait jadis l'orgueil de la population,
n'est pas encore reconstruite. « Nous vous demandons donc,
Monsieur le Ministre, une subvention supplémentaire. Nous
voulons rendre à ce pays son attrait d'autrefois, pour que nos
enfants restent ici définitivement fixés au sol natal.
De chaleureux applaudissements ont salué cette allocution. M.
Reibel a remercié la ville de Domèvre de son accueil. Il savait
son attitude glorieuse pendant les hostilités. Il la voit aussi
noble dans la paix. A présent, voici l'heure de la récompense.
C'est le bonheur de voir tous ces foyers reconstruits et de
constater que la population a repris fidèlement sa place.
Au départ, le ministre des régions libérées reçoit des gerbes de
fleurs qui sont portées dans sa voiture. Elles s'ajoutent aux
autres bouquets qui garnissent déjà l'automobile.
A BADONVILLER
Entre Domèvre et Badonviller, la route est en bon état. Aussi
arrivions-nous vers 6 heures à Badonviller. Dans les rues, grand
brouhaha.
Des enfants courent et crient, des groupes se forment.
M. Fournier, le jeune et actif maire, attend le cortège
officiel. Lorsqu'il arrive, M. Fournier le conduit dons la salle
de la mairie où sont groupés les fonctionnaires et personnes
notables de la ville. M. Fenal, conseiller général, est présent.
Le maire de Badonviller, s'adressant à M. Reibel, s'est exprimé
en ces termes.
Discours de M. Fournier, maire
Monsieur le Ministre,
« J'ai le grand honneur de vous présenter les membres du conseil
municipal et toutes les personnes qui, par leurs fonctions,
sont. liées à la vie intérieure de notre Cité, auxquels se sont
joints les maires des communes du canton. Tous ont tenu à
s'assembler ici pour vous remercier de votre bienveillante
démarche et saluer en vous un des plus nobles représentants du
Gouvernement de la République qui, malgré les grandes
difficultés de l'heure présente, dirige avec tant d'autorité et
d'énergie la politique intérieure et extérieure de la France.
« Je suis certain d'être leur interprète, ainsi que celui de
toute la population, en vous priant d'accepter, Monsieur le
Ministre, et de transmettre à vos collègues du Gouvernement, et
à son président, notre illustre compatriote, M. Raymond
Poincaré, l'assurance de notre attachement, de notre approbation
sincère, et de notre dévouement sans réserve.
« un rapide coup d'oeil jeté par vous sur Badonviller, que l'on
surnomme avec raison l'héroïque et la martyre, a suffi
certainement pour que vous vous rendiez compte de l'étendue du
désastre qui s'est abattu sur nous de 1914 à 1918, de
l'immensité de la tâche qui incombait à chacun de nous après
l'armistice, et enfin les résultats déjà obtenus.
« Notre parole, Monsieur le Ministre, ne sera pas
essentiellement pessimiste. Nous reconnaissons que quelque chose
a été fait à Badonviller. Nous devons et accordons des
remerciements très vifs à nos dévoués administrateurs,
représentants et chefs de services à la Préfecture. Par une
amicale collaboration à laquelle je tiens à rendre hommage, nous
avons déjà surmonté bien des difficultés.
« Mais, évidemment, il en reste encore d'importantes à
solutionner que je me permets de vous soumettre. Le programme
des travaux est établi maintenant d'une façon satisfaisante pour
les coopératives et les isolés, tous les entrepreneurs
travaillent, mais les plaintes sont nombreuses sur le retard
dans les constatations, les réquisitions et les mandatements ?
Des mémoires de fin d'année 1921 et de janvier-février 1922 sont
encore impayés !...
« La remise en état du sol s'opère lentement et souvent très
mal. Les adjudicataires de ces travaux ont surtout en vue la
rapidité, mais non la satisfaction de bien faire. Une importante
surveillance s'imposerait.
« Des fils de fer encombrent toujours certains chemins et
terrains. Différents services, dont, le génie, ont dû s'occuper
de leur enlèvement, mais nos nombreux appels sont restés vains
jusqu'ici.
« La grande partie des obus sont détruits, mais néanmoins l'on
en découvre chaque jour. Une destruction mensuelle ne
pourrait-elle être effectuée et organisée sérieusement, non par
un seul artilleur comme nous venons de le voir dernièrement.
Cette importante question mérite cependant plus d'attention.
« Et maintenant, Monsieur le Ministre, j'attire spécialement
votre bienveillance sur les deux points suivants intéressant
particulièrement notre ville :
« Notre plan d'alignement s'exécute, les travaux de création de
notre groupe scolaire vont commencer, les routes d'accès sont en
voie de construction. Le dossier de demande de subvention a été
établi, mais a été retourné à votre ministère pour quelque mise
au point. Il va repartir complété vers le 20 courant. Pour
pouvoir payer notre entrepreneur qui travaille, et réaliser nos
acquisitions
de terrains, nous vous serions reconnaissants, Monsieur le
ministre, d'intervenir pour qu'une large subvention nous soit
rapidement attribuée à cet effet.
« Jeudi dernier, le conseil municipal, à l'unanimité, m'a chargé
de rédiger une délibération de protestation contre les lenteurs
apportées à la reconstruction de l'église, qui, nous le
regrettons vivement aujourd'hui, a été classée monument
historique.
« Nous avions accepté en 1920 ce classement à condition qu'il
n'en retarde pas la réédification. Hélas !... je crois qu'un
crédit de 20.000 francs a été accordé cette année - de quoi
refaire un pilier - sur 1 million au moins de dommages. Cette
situation est très pénible, car le visiteur fait cette
constatation que partout avec l'initiative privée, Badonviller
renaît de ses ruines et que le seul bâtiment dont l'Etat, par
les services des beaux arts, est directement chargé de
reconstruire, fait tache.
« Si cette lenteur continue, d'importantes dépenses vont
incomber à la commune et à l'Etat ; remise en état de l'église
provisoire et installation d'un clocher, car la population
aspire à la dotation de cloches indispensables à la vie du pays.
Je me permets de vous remettre une copie de cette délibération
en vous priant de bien vouloir attirer l'attention des services
des beaux arts sur son contenu.
« Votre visite, Monsieur le ministre, qui nous fait .le plus
grand honneur, nous laisse entrevoir que votre sollicitude nous
est acquise. Au nom de mes concitoyens, je vous remercie une
nouvelle fois.
« Vive là France !... Vive la République ! »
Après la réception à la mairie, M. Reibel a visité plusieurs
quartiers de la ville en compagnie de la municipalité et des
personnalités qui avaient suivi dans son voyage à travers
l'arrondissement.
Ce voyage s'est continué à Bréménil et à Parux, où le ministre
est arrivé à 6 heures et demie.
A 7 heures, le ministre des régions libérées était l'hôte, à
Cirey, de M. Georges Mazerand, député. Il a pris le train à
minuit, en gare d'Avricourt, à destination de Paris.
Nous reviendrons demain sur ce voyage ministériel, .d'une
importance réelle au point de vue de la reconstruction de notre
pays.
Les populations ont vu à quel point M. Reibel s'intéressait aux
progrès de la reconstitution.
Elles se sont rendues compte que le ministre tenait à s'assurer
lui-même du bon fonctionnement de son administration et, à
enregistrer les doléances des Lorrains sinistrés.
Pour cette manière loyale et précise d'activer te travail de
relèvement dans notre province, les populations éprouvées ont en
M. le ministre Reibel une absolue confiance à laquelle s'ajoute
la plus affectueuse des gratitudes.
Georges LEGEY. |