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Claude Ambroise Régnier - Journaliste royaliste - 1789-1791
Voir aussi Claude-Ambroise Régnier, Duc de Massa
 


Un journal royaliste en 1789
Les Actes des Apôtres (1789-1791)
Marcellin Pellet
Ed. Paris, 1873

[...]
On ne peut se faire une idée des monstruosités et des ordures contenues dans ces journaux, organes des gens « bien élevés » Il faut parcourir les collections des Actes des Apôtres, du Journal général de la Cour et de la Ville (vulgairement désigné sous le nom de Petit Gautier), du Journal des Halles, du Journal de Suleau et autres feuilles de ce genre, pour voir jusqu'où pouvait aller l'imagination des nobles défenseurs du trône et de l'autel. Souvent, dans le Petit Gautier, une épigramme licencieuse s'étale effrontément à la première page, sans que la moindre allusion politique lui serve d'excuse. Les souscripteurs de ces feuilles, gens à l'esprit blasé, au corps usé par les orgies du siècle de Louis XV, ne demandaient que deux choses : des calomnies spirituelles contre le Tiers-État qui venait troubler leur fête, semblable à la statue du commandeur dans le Festin de Pierre et des anecdotes grivoises; on leur en servait, suivant l'expression vulgaire, « pour leur argent.» La tâche des rédacteurs était souvent difficile : comment émoustiller une génération qui s'était nourrie du Sopha de Crébillon le fils et des chefs d'oeuvre de l'Arétin? Il fallait recourir aux historiettes graveleuses que ne rachetait pas toujours une dose suffisante d'esprit. Un journal royaliste eut fait fortune en publiant, à la place des débats de l'Assemblée constituante, les oeuvres complètes du marquis de Sade.
Parmi les journaux de ce genre, deux surtout ont joui d'une grande célébrité : les Actes des Apôtres, et le Journal général de la Cour et de la Ville.
[...]
Malgré leur succès d'un moment, les auteurs du Journal général sont complètement oubliés aujourd'hui, tandis que la plupart des Apôtres se sont fait un nom dans l'histoire par leur esprit, leur courage, leurs vices et leurs malheurs. Aussi avons-nous choisi leurs « Actes » comme spécimen de la presse royaliste de 1789 à 1792. Avant d'apprécier leur œuvre, voyons quels étaient les antécédents de ces défenseurs suprêmes de l'idée monarchique.
Les « Apôtres de la Liberté et de la Démocratie royale, » (telle est la qualification qu'ils se donnent dans leurs prospectus) nous sont connus presque tous, au moins de nom. On peut les classer en deux groupes bien distincts : 1° les faiseurs d'épigrammes, Peltier, Rivarol, Champcenetz, Mirabeau cadet, Suleau; - 2° les auteurs d'articles sérieux, (articles plus rares et peu attrayants) Bergasse, Montlosier, d'Aubonne, Lauraguais. Quelques. rédacteurs comme Régnier, Béville, Langlois, ont joué un rôle tout à fait secondaire. On sait peu de chose sur leur compte.
[...]
Les historiographes (Deschiens entre autres) citent encore parmi les Apôtres, les noms peu connus de Béville (ou Belleville), Aubonne et Langlois. Ils mentionnent aussi Régnier, né à Blamont,. en Lorraine (1736), avocat à Nancy, député aux États-Généraux, fait duc de Massa et ministre de la justice par Napoléon, mort disgracié à Paris, le 24 juin 1814. Régnier s'est rendu célèbre en dirigeant les poursuites dans l'affaire de Georges et de Pichegru (1804).
[...]
Nous venons de passer en revue le brillant personnel des Actes des Apôtres. Ces spirituels champions de l'aristocratie entreprirent, contre le principe die la liberté, une croisade impitoyable, lutte des moucherons contre le lion. Leur caractère ne fut pas à la hauteur de leur talent et de leur courage, tant s'en faut. Ils défendirent l'ancien régime, parce qu'ils avaient tous les travers de la noblesse, et que la monarchie seule pouvait laisser subsister cette société pourrie jusqu'à la moelle, dans laquelle ils avaient grandi comme poussent des fleurs de serre sur un fumier. Nous avons vu que leur vie privée n'était pas irréprochable ; buveurs, bretteurs, coureurs de ruelles et de tripots, ils possédaient une jolie collection de vices
[...]
La question d'argent entra pour beaucoup dans le dévouement des Apôtres. Nous ferons une exception en faveur de Suleau, dont le désintéressement semble prouvé. Mais le vicomte de Mirabeau, Peltier, Rivarol et son « clair de lune, » aimaient fort les petits soupers, Ies vins vieux et les jolies femmes, trois choses excessivement chères. Avec l'argent des abonnés et une large subvention de la cassette royale, ces faméliques défenseurs des Bourbons payaient la carte des restaurateurs qu'ils honoraient de leurs visites quotidiennes. Suivant une jolie expression de Loustallot, ils savaient rechercher à la fois la gloire et la soupe. Le secret n'est pas perdu.
[...]
Aucun des nouveaux évêques ne trouva grâce devant les Apôtres. L'abbé Grégoire, représentant du clergé de Lorraine, qui joignait à la foi d'un Saint Paul l'esprit tolérant et la vaste intelligence d'un Condorcet, fut aussi maltraité que l'impur Talleyrand. Il avait demandé qu'on rendit aux juifs leurs droits civils et politiques ; quelques jours plus tard, ayant protesté de son attachement au Christianisme, il fut chansonné ainsi dans les Actes :

« Le sot abbé Grégoire,
Qui se croit de l'esprit,
Veut partager la gloire
De défendre le Christ,
Lui qui naguère au Christ se montra peu fidèle;
Car s'avouer l'associé
De ceux qui l'ont crucifié.
Autant tenir l'échelle ! » (1)

Dans la suite, Grégoire fut nommé président de l'Assemblée. Nouvelle chanson.
« Vive Grégoire,
Qui du Sénat constituant
Par un scrutin épuratoire
Vient d'être nommé président.
Vive Grégoire I
« De l'Islamisme
Il ne témoigne aucun mépris.
Et tel est son tolérantisme.
Qu'il embrasserait les houris
De l'Islamisme.
« Faut-il le dire
ll est plus tolérant encore,
Et pour combler sa tirelire.
Il encenserait le veau d'or.
Faut-il le dire ? » (2)

Pour servir de commentaire à ces insultes, deux mots sur la vie de Grégoire.
Envoyé à la Convention, il demanda le premier la suppression de la royauté et la proclamation de la République ; absent par congé pendant le procès de Louis XVI, il adhéra hautement par une lettre officielle à la sentence qui punissait un roi traître à son pays, et complice de l'étranger ; il organisa l'instruction publique, et fit décréter l'abolition de l'esclavage des noirs ; sous le Directoire, il représenta dignement, au conseil des Cinq-Cents, le génie de la Convention ; sous l'Empire, réfugié au Sénat, il protesta pendant dix ans contre le despotisme de Bonaparte, et vota le premier sa déchéance en 181 4 ; en 1819 il fut élu membre de la Chambre des députés par les républicains de l'Isère, et les corrompus de la Restauration lui firent le suprême honneur de l'expulser comme indigne. Il passa les dernières années de sa vie dans une retraite studieuse, et en 1831, il mourut avec le calme d'un stoïcien, heureux d'avoir pu consacrer une longue vie à la cause du devoir et de la liberté. L'archevêque de Paris, M. de Quélen, ne voulut pas donner l'extrême-onçtion à Henri Grégoire, et défendit d'ensevelir le régicide en terre sainte, parce qu'il avait refusé de renier son glorieux passé, et de rétracter son serment civique de 1790. Vingt mille citoyens accompagnèrent le conventionnel à sa dernière demeure.
Quelques années plus tard, Talleyrand, qui avait débuté comme Grégoire aux Etats-Généraux, mourait muni des sacrements de l'Eglise et du mépris des honnêtes gens.

(1) II, no 43.
(2) VIII, no 221.


Les Actes des Apôtres - n° 21 - 1er janvier 1790

 

 

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