II
Au duc Antoine étaient dûs
des travaux législatifs d'une certaine
importance ; le duc Charles III attachera son
nom à la rédaction des coutumes ; entre les
deux, Chrétienne, dont la domination fut au
reste beaucoup plus courte, fait assez pauvre
figure quant aux progrès du droit civil ; on ne
connaît d'elle qu'un règlement du 5 septembre
1548 renouvelant une ordonnance faite à la
prière des Etats de décembre 1519 : que les
demandes en désistement d'immeubles seraient
intentées devant le juge de leur situation.
Encore n'avons-nous pas le texte, mais seulement
une brève analyse de ce règlement (9). Cette
indigence législative s'explique : d'ordinaire,
c'étaient les Etats généraux qui invitaient le
duc à faire des réformes, lui signalaient des
abus à corriger ; or, aux Etats de novembre
1545, les trois ordres avaient été trop occupés
à discuter la question de la tutelle pour penser
à autre chose, et pendant les sept ans de sa
tutelle, Chrétienne ne convoqua pas d'autre
assemblée d'Etats.
Elle s'intéressa d'une autre façon aux questions
de justice en prononçant elle-même des arrêts
rendus en Conseil. Par exemple, en 1547, Gilles
de Sappoignes est en procès avec ses fils, Jean
et Guillaume, au sujet de la maison forte de
Villers-devant-Ornault (10), au bailliage de
Saint-Mihiel; les tuteurs, assistés d'une
dizaine de membres de leur Conseil, donnent
raison aux enfants et les mettent en possession
provisoire de la maison forte (11). En 1549,
Pieresson de Noiregoulle, écuyer, seigneur de
Batilly, et Alix d'Ourches, sa femme, plaident
contre Gérard du Hautoy, écuyer, seigneur de
Récicourt, au sujet de la vente de cette terre
de Récicourt par les premiers au second, et du
droit de la racheter que prétendent avoir les
vendeurs ; un arrêt du 13 février 1549, n. st.,
rendu en Conseil, leur reconnaît ce droit de
rachat (12). En 1551, Michel Bouvet, procureur
général au bailliage de Bar, agissant au nom du
duc, et l'abbaye cistercienne de Lisle-en..Barrois
se disputent le droit de haute justice à
Seraucourt ; un appointement est passé entre
eux, le 17 février 1551, n. st. ; le 27 mai
suivant, les tuteurs et leur Conseil chargent
Bouvet de requérir devant le bailliage de Bar
l'homologation de cet appointement (13).
Voici une autre affaire plus compliquée et aussi
plus curieuse ; c'est un procès entre des dames
du fameux chapitre noble de Remiremont. Une dame
de très haute noblesse, Marguerite du Châtelet,
était alors secrète, c'est-à-dire sacristine de
l'église, et en cette qualité avait les clés de
la pièce appelée trésor où se trouvaient les
espèces monnayées et les objets de prix. Un
jour, elle constate qu'une de ses compagnes,
Marguerite de Choiseul, avec l'aide d'autres
dames, s'est introduite dans le trésor et a
emporté au dehors un coffre contenant de l'or,
de l'argent et des pierreries. A bon droit
irritée, elle porte plainte directement devant
la duchesse douairière, qui est sans aucun doute
très qualifiée pour connaître de ce conflit :
femme, et d'un caractère entier, elle a
l'expérience de ces passions féminines si âpres
et si tenaces, de ces rivalités et
susceptibilités si fréquentes entre personnes
qui se voient tous les jours. Elle doit
comprendre que le désoeuvrement aigrit encore
ces mauvaises dispositions. D'accord avec son
beau-frère, elle délègue, pour appointer les
parties, quelques notables personnages qui
échouent, à cause de l'extrême obstination de
ces dames. En août 1548, les tuteurs viennent à
Remiremont, se déclarent juges compétents, et
font comparoir les parties devant eux. Les dames
se présentent le 24 août, chacune assistée de
ses parents et alliés, de sorte qu'une fraction
importante de la chevalerie lorraine est
impliquée dans le conflit, comme il adviendra
encore soixante ans plus tard, lors du débat
entre Catherine de Lorraine et ses chanoinesses.
Les défenderesses allèguent qu'elles ont saisi
le coffre au nom du chapitre, et que du reste
elles l'ont aussitôt remis en place ; puis,
grâce à des artifices de procédure, l'affaire
est renvoyée au 15 octobre.
Dans l'intervalle, les dames ont le temps de
réfléchir et de machiner : elles soutiennent
qu'à raison du fait considéré, elles ne sont pas
justiciables de Leurs Excellences (les tuteurs),
mais du pape seul dont elles relèvent
immédiatement. C'était gagner du temps, beaucoup
de temps, car le pape est loin et a de plus
grands intérêts à traiter que ces querelles de
femmes nerveuses. L'affaire est encore remise au
29 octobre, où les tuteurs affirment de nouveau
leur compétence, puis au 15 novembre, puis au
lundi qui suit les prochaines assises tenues à
Nancy, puis au 28 décembre. Enfin, le lendemain
de ce jour, le 29 décembre 1548, jugement est
prononcé par le Conseil, siégeant à Nancy, et
présidé par Chrétienne : Marguerite de Choiseul
et ses adhérentes n'avaient pas le droit
d'emporter le coffre hors du trésor de l'église
; nous les condamnons à le faire remettre à sa
place, en prêtant serment solennel qu'il
contient bien tout ce qui s'y trouvait avant
ledit enlèvement, et en s'engageant à ne plus
rien faire de tel à l'avenir, sous les peines en
tel cas requises. Nous les condamnons aux
dépens. Quant à l'offense qu'elles ont commise
contre l'autorité du duc, nous la leur remettons
pour cette fois. Solution très équitable et sans
sévérité excessive, qui fait certainement
honneur au sens droit de la duchesse et de ceux
qui l'assistaient ce jour-là, presque tous
hommes de la meilleure noblesse, les baillis de
Nancy, de Vosges, de Clermont, de Saint-Mihiel,
les sieurs de Saint-Martin, de Savigny, de
Sandaucourt, de Neuflotte, le prévôt de la
collégiale Saint-Georges et le président de la
Chambre des comptes de Lorraine (14).
III
La justice criminelle est
redevable à Chrétienne d'un office nouveau,
celui de prévôt des maréchaux en Lorraine et
Barrois. A la vérité, un certain Jean de Desme
avait déjà été investi de cette charge, mais il
semble qu'elle ne soit nettement définie que
dans les lettres patentes du 14 octobre 1549 qui
en pourvoient Claude Richard (15). La
juridiction de ce prévôt paraît s'étendre
surtout sur les vagabonds de toute sorte et sur
les étrangers qui viennent en Lorraine pour y
commettre des délits ; il les juge sans délai,
mais après avoir pris l'avis des magistrats les
plus proches. C'est à peu près de la sorte
qu'opérera la maréchaussée au XVIIIe siècle.
En matière criminelle, comme en matière civile,
nous rencontrons quelques causes intéressantes
et significatives. L'une d'elles dure juste
autant que la tutelle de Chrétienne, de 1545 à
1552, et comme elle a déjà été étudiée (16), il
nous suffira de la résumer : dom Benoit Juville
avait été élu, le 4 avril 1545, abbé du
monastère bénédictin Saint-Arnoul de Metz; à
peine en fonctions, il eut des altercations
violentes avec un de ses moines, Nicole
Cornehault, qui, assurait-il, l'avait menacé de
son couteau ; il l'expulsa du couvent. L'affaire
était en somme d'importance minime et aurait dû
en rester là ; mais, pour des motifs qui nous
échappent, les régents de Lorraine, puis les
Guises, enfin la cour de France prirent parti
pour Cornehault et, par contre, la ville de Metz
soutint âprement la cause de dom Juville. Des
soldoyeurs messins malmenèrent Cornehault ; il y
eut même un coup d'arquebuse tiré, mais qui ne
blessa personne, et, circonstance aggravante,
ceci se passait sur les terres de Lorraine. Tout
de suite, le bailli de Saint-Mihiel, dans le
ressort duquel l'agression avait eu lieu,
assigna devant lui Juville et Cornehault, et
comme l'abbé ne vint pas, les biens et revenus
qu'il possédait dans le duché de Bar furent
séquestrés ; puis, le litige ayant été évoqué
devant le Conseil de Lorraine, deux arrêts de
cette juridiction rendus en avril et août 1552
attribuèrent à Cornehault les biens confisqués
sur Juville et condamnèrent ce dernier aux
dépens. L'empereur lui-même avait failli être
mêlé à ce singulier débat : la ville de Metz
s'était plainte à lui des agissements du
gouvernement lorrain, mais ne voulant pas
blesser sa nièce, Chrétienne, qu'il aimait
beaucoup, Charles-Quint avait refusé
d'intervenir.
Plus clair est le procès de Nicolas de
Haraucourt d'Acraignes. La famille à laquelle
appartenait ce seigneur était une des plus
considérables du duché de Lorraine et s'était
souvent signalée par son esprit indépendant et
frondeur, puisqu'au XVe siècle, plusieurs
Haraucourt avaient abandonné René II pour servir
Charles le Téméraire. Au XVIe siècle, la façon
habituelle de fronder le pouvoir établi était de
passer à la Réforme ; c'est ce que firent
Nicolas et sa femme, Suzanne de Harange, fille
du grand maître de l'artillerie ducale. Les
tuteurs en furent-ils informés et voulurent-ils
se prémunir contre les mauvais desseins
possibles de ce gentilhomme, on ne le sait trop
; ce qu'on sait, c'est qu'en 1549 ou 1550, ils
le firent sommer par le bailli de Vosges de leur
ouvrir son château de Monthureux-sur-Saône (17),
exigence tout à fait conforme au droit féodal.
Non seulement Haraucourt refusa, mais il
emprisonna des officiers ducaux, ce qui lui
valut d'être arrêté à son tour, amené à Nancy et
détenu dans la maison du prévôt de cette ville
(18). L'incarcération d'un gentilhomme d'aussi
bonne race causa une vive émotion parmi les
nobles dont certains inclinaient du reste vers
le protestantisme. Ceux qui formaient les
Assises du bailliage de Vosges témoignèrent leur
irritation en refusant de siéger. Peu de temps
après, le même incident faillit se produire au
Assises du bailliage de Nancy, mais Chrétienne
veillait : le 29 janvier 1550, Nicol Bellon,
sénateur de Milan, conseiller du duc, comparaît
devant ces Assises et déclare que la duchesse
régente est informée que les nobles qui les
composent menacent de les rompre pour faire
remettre en liberté M. de Haraucourt; s'ils
persistent dans ce dessein et empêchent ainsi la
justice d'être rendue, elle députera d'autres
gens en ce siège pour les remplacer. Afin de
bien faire voir que la menace est sérieuse,
Bellon a amené un tabellion qui rédige séance
tenante et lui remet un procès-verbal de cette
déclaration (19). Ainsi, Chrétienne qui avait
déjà traité les Etats généraux avec beaucoup de
désinvolture, s'en prenait maintenant aux
Assises de la chevalerie, autre institution
essentielle du duché de Lorraine, et paraissait
disposée à les remplacer par un tribunal de
gradués en droit, c'est-à-dire de roturiers, ce
qui ne devait se réaliser qu'un siècle plus
tard.
Le comte de Vaudémont était absent quand sa
belle-sœur parlait avec cette intransigeance. A
son retour, il s'employa sans doute à la calmer,
lui fit comprendre la gravité de ce dessein, et
l'on aboutit assez vite à un compromis : le 26
février, Adam de Pallant vint signifier à
Haraucourt qu'à la supplication de ses parents
et amis, les tuteurs consentaient qu'il fût
prisonnier sur parole à Nancy, sans en pouvoir
sortir sous peine d'être tenu pour convaincu des
faits dont il était accusé (20). L'affaire ne se
termina que trois ans après, quand Nicolas
gouvernait seul, ce qui donne à croire que
Chrétienne s'était montrée rigoureuse jusqu'au
bout. Des lettres de rémission faites par le
comte de Vaudémont, le 20 juin 1553, disent que
le procureur général de Lorraine a requis contre
Haraucourt la prison et la confiscation des
biens, mais plusieurs gentilshommes de
l'ancienne chevalerie de Lorraine, ses parents
et alliés, ont intercédé en sa faveur ; lui-même
a humblement demandé pardon de l'offense commise
; c'est pourquoi le tuteur lui fait grâce et
lève le séquestre mis sur ses biens, à la seule
condition qu'il paye les dépens du procès (21).
Si Nicolas de Haraucourt avait fait sa
soumission, il persista dans ses opinions
théologiques : nous le voyons peu après établi à
Metz, ville devenue en partie protestante, où
deux de ses enfants sont, en 1561 et 1564,
baptisés par un ministre. Il mourra en 1574 au
service du prince palatin, Jean-Casimir, alors
champion décidé de la Réforme (22).
Ceux deux procès avaient un caractère politique
assez accusé, mais ils ne touchaient qu'au
gouvernement des deux duchés ; au contraire,
l'affaire de Claudine Boussart atteint la
famille ducale elle-même. Cette personne était
femme de chambre de l'épouse du duc Antoine,
Renée de Bourbon, qui paraît l'avoir aimée
beaucoup : en 1534, elle lui fait obtenir
permission d'établir un pressoir dans la maison,
dite la cour Vichart, qu'elle possède à
Condé-sur-Moselle (23) ; en 1543, elle lui
assigne une pension annuelle de 200 francs -
juste le même chiffre que la pension du
procureur général de Lorraine - parce que
Claudine l'a suivie dans plusieurs voyages et
soignée lorsqu'elle a été malade (24). Ce poste
de femme de chambre est de toute confiance,
puisque Claudine a sous sa garde une partie du
mobilier et des armures, et même la bibliothèque
du duc Antoine (25). La faveur dont elle jouit
ne peut qu'exciter la jalousie, et quand Renée
de Bourbon meurt, le 26 mai 1539, on accuse
Claudine de l'avoir empoisonnée. C'était la
coutume, aux XVe et xvi" siècles, et même encore
au xvn6, lorsqu'un grand personnage mourait d'un
mal que la médecine d'alors ne savait pas
expliquer, de crier au poison et d'inculper ses
gens, inculpation des plus graves, car
l'empoisonnement était puni de la mort sur le
bûcher. Tant que vécut le duc Antoine, qui, sans
doute, ne voulut pas admettre cette
dénonciation, Claudine ne fut pas inquiétée,
mais quand son fils lui eut succédé, elle fut
arrêtée et ses biens furent séquestrés. A la
suite d'une information dont nous n'avons pas
gardé trace, son innocence fui reconnue, elle
fut élargie et ses biens lui furent rendus. Par
deux actes successifs, du 15 avril 1545 et du 16
juin 1546, elle promit de ne pas porter plainte
et de ne pas réclamer d'indemnité pour le tort
qui lui avait été fait. Sa famille prit le même
engagement (26).
Voilà les principales affaires criminelles qui
ont été jugées au temps où Chrétienne de
Danemark exerçait la tutelle. Pour en finir avec
cet objet, il reste à se demander ce qu'elle
pensait du crime de sorcellerie. On aimerait à
croire que son esprit ferme et éclairé l'élevait
au-dessus des préjugés de son temps, que, femme,
elle a eu compassion de ces malheureux accusés
dont le plus grand nombre étaient des femmes.
Mais rien ne permet de lui attribuer de tels
mérites. Les bûchers se sont allumés sous son
gouvernement, comme avant et après. En 1549, par
exemple, Catherine, femme de Claude Bourguignon,
âgée de cinquante ans, comparaît devant la
justice du chapitre de Saint- Dié et, sans avoir
été mise à la question, reconnaît avoir usé de
pratiques de sorcellerie pour faire mourir, les
gens ou les rendre malades ; cette justice
locale décide de la remettre à la volonté du!
duc ; le duc, ou plutôt sa mère, renvoie
l'inculpée au tribunal des échevins de Nancy qui
la condamne à être brûlée en un feu de fagots
pour servir d'exemple (27). En 1545, deux
sorcières sont brûlées à Frouard ; en 1550,
trois le sont à Arches (28). Si on ne voit pas
plus d'exécutions par le feu, c'est que les
accusations de sorcellerie étaient encore rares
à cette époque ; ce qu'on a appelé la grande
épidémie de sorcellerie en Lorraine correspond à
l'activité judiciaire de Nicolas Remy, qui fut
lieutenant général du bailliage de Vosges en
1570, membre du tribunal des échevins de Nancy
en 1576, procureur général de Lorraine de 1591 à
1606. Ces quelques cas suffisent à établir que
Chrétienne croyait à la sorcellerie avec tous
ses contemporains, et même avec certains
accusés, par exemple cette Catherine
Bourguignon, sorcière d'intention.
IV
Comme tous les souverains,
les ducs de Lorraine jouissaient du droit de
grâce, et ils l'exerçaient sans contrôle, sans
limite aucune, par le moyen des lettres de
rémission. Ces lettres avaient encore une autre
raison d'être que d'assurer au prince l'exercice
de sa prérogative ; elles permettaient d'adoucir
à l'occasion la rigueur extrême de la justice
criminelle, qui ne connaissait pas alors les
circonstances atténuantes et frappait du dernier
supplice des actes que punirait maintenant une
simple peine de prison.
La presque totalité des lettres de rémission
faites par Chrétienne sont accordées pour des
meurtres. Nous n'avons pas moins de
quatre-vingt-dix-sept rémissions pour meurtres
délivrées de juin 1545 à avril 1552, c'est-
à-dire en moins de sept ans, ce qui fait une
moyenne de quatorze par an. C'est beaucoup, si
l'on considère le faible chiffre de la
population des deux duchés à cette époque. Mais
il faut tenir compte de ce que plusieurs de ces
meurtres - et nous les analyserons plus loin -
sont tout à fait involontaires, des accidents de
chasse, par exemple. Puis, les mœurs étaient
rudes, les caractères vifs et irascibles, et
enfin, il faut bien le dire, les querelles
éclataient le plus souvent à la suite de
libations trop copieuses. Si les Lorrains du
XVIe siècle n'avaient pas encore l'alcool, ils
avaient en abondance des vins assez généreux
pour faire perdre la raison, et les lettres de
rémission ne manquent pas d'indiquer qu'on en
est venu aux mains après boire. Comme on était
toujours armé, la tentation était trop forte,
après quelques gros mots suivis de quelques
bourrades, de faire intervenir épées, couteaux,
épieux, voire arquebuses et pistolets, sauf à
affirmer ensuite, dans la supplique adressée à
la duchesse régente, que le cas de mort est
arrivé « au grand regret et déplaisir du
remonstrant ».
Chrétienne de Danemark paraît avoir exercé avec
beaucoup d'attention et de discernement ce droit
de grâce que la jeunesse de son fils laissait
entre ses mains. Quand un cas est douteux, qu'on
ne voit pas trop de quel côté sont les torts,
elle prescrit une enquête sur les antécédents
des inculpés, afin de savoir quelle réputation
ils ont dans leurs villages, s'ils sont
querelleurs, s'ils ont déjà encouru des
condamnations; les résultats de ces enquêtes
sont résumées dans les lettres de rémission.
Elle consulte toujours son conseil ; dans une
affaire épineuse, elle demande même l'avis d' «
aultres doctes, scavants et périts en droict »
(29). Un nombre assez grand de ces lettres de
rémission sont datées du vendredi saint, et
alors la duchesse ne manque pas de spécifier
qu'elle fait grâce « en l'honneur et révérence
de la mort et passion de nostre benoist Saulveur
Jhésus-Christ ». On savait bien que ce jour-là,
Chrétienne inclinait plus volontiers à la
clémence ; aussi les meurtriers et leurs
familles attendaient autant que possible cette
fête pour la solliciter. Nous remarquons enfin
que toutes ces querelles ont éclaté fortuitement
et sans qu'on pût prévoir leurs tristes
conséquences, ce qui permet d'induire que la
duchesse ne graciait jamais quand il y avait
préméditation.
Chrétienne gracie le meurtrier s'il s'est trouvé
en péril de sa vie et n'a fait que se défendre ;
par exemple, en 1549, Pierre Barrois, de Boucq :
un certain Robert lui avait précédemment coupé
la main gauche d'un coup d'épée et maintenant
menaçait de le tuer ; Barrois l'abat d'un coup
d'arquebuse (30). En 1551, à Laignières, près de
Bar-le-Duc, pour une de ces questions d'intérêt
qui exaspèrent si aisément les âmes paysannes,
un homme entre en querelle avec une femme,
l'insulte et même la frappe, quoiqu'elle soit
près d'accoucher ; le mari intervient et tue
l'agresseur (31). Dans ces deux cas, les lettres
de rémission sont expédiées peu après
l'événement ; en voici un où elles se font plus
attendre : c'est à Parroy, le jour de
Saint-Pierre-ès-liens, 1er août 1549, fête
patronale de ce village. Jean Groscolas et trois
de ses amis ont célébré cette solennité plus au
cabaret qu'à l'église. Ils se disputent et
Groscolas tire son épée ; les autres le tuent.
Ils ne sont graciés qu'en mars 1552, parce
qu'aussitôt le coup fait, ils sont sortis du
duché, de peur d'être arrêtés (32).
Même indulgence dans les cas d'injures très
graves. Par exemple, en 1546, à Salmagne, une
femme en outrage une autre, l'accusant à peu
près d'être sorcière ; elle est tuée d'un coup
de pierre et la meurtrière échappe à toute
vindicte : elle a défendu son honneur (33). En
1548, à Sommerviller, c'est un homme qui traite
une jeune femme de ribaude et de paillarde ; un
cousin de l'insultée prend sa défense, les deux
hommes mettent flamberge au vent et l'insulteur
est tué (34).
A plus forte raison celui qui a défendu son
honneur de mari n'est-il pas inquiété. Nous en
trouvons deux exemples : en 1548, un homme de
Rosières-aux-Salines tue l'amant de sa femme
(35). En 1550, même drame à Ceintrey : Didier
Pelletier est allé au service de la reine
d'Ecosse ; pendant son absence, sa femme s'est
laissée séduire, et, à son retour, le séducteur
l'a accablé de moqueries ; justement exaspéré,
Pelletier le tue (36). Tous deux sont absous.
La lettre de rémission est encore d'un usage
utile lorsque la culpabilité n'est pas certaine.
Ainsi, une querelle éclatant à la suite d'un
repas trop copieux, un nommé Gilletel est
accablé de coups de poing et on le trouve mort ;
son adversaire ne nie pas le fait, mais fait
valoir que Gilletel est un ivrogne invétéré et a
dû mourir de ses excès plutôt que des coups ;
l'explication est admise (37). A deux reprises,
en 1548 et 1551, des rixes s'engagent en pleine
nuit entre des groupes, et chaque fois un homme
reste sur le terrain, sans qu'il soit possible
de déterminer lequel de ses antagonistes l'a
frappé. La duchesse excuse et s'épargne ainsi le
risque d'une erreur judiciaire (38).
Elle sert aussi dans le cas de meurtre
involontaire : deux jeunes gens s'amusent à
escrimer, l'un avec un bâton, l'autre avec une
épée, et dans ce jeu dangereux, le premier
reçoit une blessure mortelle ; une enquête ayant
établi qu'ils étaient très bons amis, qu'il n'y
avait jamais eu de querelle entre eux, le
meurtrier involontaire est remis en liberté
(39).Même solution pour un homme qui, tirant
avec une arbalète sur des oiseaux, a atteint une
petite fille de neuf ans (40).
Il semble que dans la catholique Lorraine et
sous une duchesse très attachée à l'Eglise, le
meurtre de prêtres ne devait jamais être excusé.
Mais, hélas ! le clergé d'alors n'était pas
toujours très édifiant ; nombre
d'ecclésiastiques se montraient brutaux,
querelleurs et ivrognes, et ceux qui en venaient
aux mains avec eux avaient donc de sérieuses
excuses. Ainsi, le jour de la foire de
Saint-Mihiel, 4 février, le prévôt avait ordonné
aux arbalétriers de la ville de faire des rondes
pour maintenir l'ordre ; à 8 heures du soir,
l'un d'eux, nommé Jacques Calot, trouve un
prêtre, Blaise Robinot, qui se dispute avec un
bourgeois et cherche à les séparer ; il ne
réussit qu'à exaspérer la querelle et en se
défendant tue Robinot. L'enquête faite aussitôt
établit que Calot est de bonne fame et sans
reproche, qu'au contraire Robinot a mauvaise
réputation et qu'il a fallu plusieurs fois
l'incarcérer pour divers méfaits. Calot obtient,
le 8 juin 1549, des lettres de rémission (41).
Même grâce est faite, en 1550, à un aubergiste
de Brainville, qui refuse à boire à un prêtre,
sachant qu'il s'enivre facilement et qu'alors il
cherche querelle à tout le monde et ne veut pas
payer son écot ; le client furieux prend un
couteau et blesse au bras l'hôtelier qui riposte
et le tue (42). Un arquebusier du bailli de,
Vosges a occis, on n'explique pas à quel propos,
Didier Tournay, curé de Remoncourt ; à la
supplication de sa femme et de ses quatre
enfants, et sur l'instante prière de sa
belle-sœur, la duchesse d'Arschot, Chrétienne
lui fait grâce de la vie, mais le bannit à
perpétuité et confisque ses biens, ce qui donne
à penser qu'il est plus répréhensible que les
précédents (43). Ainsi, la tutrice se montre
impartiale et sa clémence ne dépend pas de la
qualité des personnes en cause.
La duchesse grâcie même quand la victime est une
manière de fonctionnaire. Julien Pierre,
laboureur à Varney, dans la prévôté de Bar, a
noise avec Didier Thiébault qui, chargé de
répartir une taille, l'a taxé, affirme-t-il,,
outre mesure. Après avoir échangé force injures,
les deux hommes saisissent leurs épieux et se
jettent l'un sur l'autre ; Thiébault est tué et
son adversaire obtient des lettres de rémission,
quoique ce pardon puisse encourager d'autres
contribuables à régler leurs impôts de la sorte
(44). A Longeaux, dans la même prévôté, Jean
Virelot, forestier de la gruerie, reproche à un
paysan qu'il a trouvé son fils mésusant dans le
bois ; on en vient aux coups, le forestier
succombe, son adversaire échappe à toute
pénalité et n'aura qu'à satisfaire la partie
civile (45).
Si les lettres de rémission pour crimes contre
les personnes sont fort nombreuses, celles pour
les atteintes à la propriété sont des plus
rares. Nous en voyons seulement une, en faveur
d'un homme qui a volé une bougette, c'est-à-dire
une sacoche de cuir, à la foire de Bouzonville
en mai 1547 (46). La propriété avait-elle donc
plus de valeur que la vie humaine ? Quant aux
attentats aux mœurs, non seulement nous ne
trouvons aucune lettre qui s'y rapporte, mais,
un autre document nous montre avec quelle
sévérité ils étaient punis. Deux jeunes gens de
Remiremont ou des environs ayant voulu outrager
une jeune fille, sont condamnés à mort et pendus
; la tutrice a donc refusé d'user en leur faveur
de son droit de grâce (47).
Restent les crimes contre la religion. La
sorcellerie en était un. Nous avons dit que,
sous la tutelle de Chrétienne, plusieurs
sorcières furent exécutées par le feu et nous
n'avons pas trouvé une seule lettre de rémission
faite par elle en faveur de l'une de ces
malheureuses, même quand le cas était douteux.
Dans son ouvrage d'ensemble sur La criminalité
en Lorraine, qui s'étend du xv. au XVIII6
siècle, Raymond de Souhesmes n'en signale pas
une seule pour ce crime. C'est que, de l'avis
général, le premier geste du sorcier, quand il
se donnait au diable, étant de renoncer à Dieu,
un prince chrétien aurait eu horreur de
pardonner, ou seulement de mitiger la peine. On
était moins sévère pour les atteintes à
l'orthodoxie. Antoine de Saulxures, seigneur de
Dommartin-sous-Amance, était détenu dans la
prison de Nancy pour « les offenses qu'il peut
avoir commis et perpétrez contre les édicts et
deffences nostres sur le faict de la religion
chrétienne... qu'il dict avoir heu faict plus
par ignorance que autrement ». Il est du reste «
bien délibéré pour l'advenir de faire mieulx ».
La duchesse lui pardonne donc, mais il devra
fournir caution de ne pas s'éloigner des états
du duc, ce qui montre qu'il avait versé dans
l'hérésie et qu'on voulait l'empêcher de se
réfugier dans quelque état protestant (48).
Dans ces pages, nous n'avons rapporté que les
cas de grâce les plus significatifs. Ils
suffisent à montrer que, dans l'emploi qu'elle a
fait des lettres de rémission, Chrétienne a su
concilier assez heureusement les exigences de la
justice -et celles de l'humanité et de la bonté,
sans du reste s'émanciper des préjugés de son
temps, sans être aucunement en avance sur ses
contemporains.
CHAPITRE V
AFFAIRES RELIGIEUSES
I. Relations avec le Saint-Siège. - II.
Relations avec le clergé séculier. - III.
Relations avec le clergé régulier. - IV.
Relations avec la Réforme.
I
Un érudit qui a exploré avec
soin les archives du Vatican nous assure
qu'aucun document de ce vaste dépôt ne se
rapporte à la période de la tutelle de Charles
III (49). Dans les dépôts français, nous n'avons
trouvé qu'un bref du 15 février 1550, par lequel
le pape Jules III annonce au jeune duc son
avènement et le félicite de ses vertus et de son
attachement à la foi catholiques (50). Comme
Charles III avait juste sept ans, on ne peut
voir dans cette missive qu'une de ces formalités
protocolaires dont il n'y a rien à retenir.
Il est cependant probable qu'au cours de ses
sept années de gouvernement, Chrétienne a eu
quelques rapports avec Rome, mais il n'en est
pas resté de traces. On peut conjecturer que,
dans, ces rapports, elle a dû suivre l'exemple
de son oncle, l'empereur, qui, très attaché à
l'Eglise catholique, n'en tenait pas moins tête
au pape, et très âprement, dès que ses intérêts
politiques étaient en jeu. Elle avait du reste
été élevée par Marie de Hongrie qui, ayant des
tendances luthériennes, n'avait pas dû lui
insuffler une soumission sans réserve au pape. A
la fin de sa vie, on verra bien Chrétienne en
excellents termes avec les papes ses
contemporains, mais alors elle n'a plus de rôle
politique ; il ne s'agit plus que de religion,
ce qui facilite l'entente.
II
Au regard du spirituel, la
plus grande partie des duchés de Lorraine et de
Bar était partagée entre les diocèses de Metz,
Toul et Verdun ; quelques cantons dans l'extrême
nord relevaient du diocèse de Trêves ; quelques
paroisses sur les autres frontières étaient
rattachées aux diocèses de Strasbourg, de
Besançon et de Châlons. Tous ces évêques et
archevêques étaient indépendants des ducs sur le
territoire desquels s'étendait leur juridiction,
cause de difficultés incessantes, parfois même
de conflits. Mais, sous la tutelle de Chrétienne
de Danemark, du moins au début, cette situation
complexe se trouvait bien simplifiée, son
cotuteur, Nicolas de Lorraine, étant évêque à la
fois de Metz et de Verdun. Avec ces deux
évêchés, les litiges, s'il y en eut, purent se
régler à l'amiable, et c'est seulement avec
l'évêché de Toul que les relations furent
parfois tendues.
L'évêque de Toul était alors, et depuis deux ans
déjà, Toussaint d'Hocédy, arrivé à la mitre par
la protection du cardinal Jean de Lorraine, dont
il avait été le secrétaire. Dès le début de son
épiscopat, il eut à se plaindre des empiètements
des justices ducales sur la juridiction
ecclésiastique : le bailli de Vosges et ses
subordonnés prétendaient juger les cas
d'hérésie, de sorcellerie, d'adultère et autres
faits dont devait seule connaître l'officialité
; ils prononçaient en ces matières des
condamnations à mort ; ils s'immisçaient aussi
dans les causes bénéficiales et de patronage des
paroisses, s'emparaient des biens des clercs
morts intestats et obligeaient les clercs
pourvus de bénéfices à leur payer de fortes
sommes pour entrer en possession. Tous ces
griefs furent exposés dans une supplique que
l'évêque présenta à « Madame la duchesse, Mgr de
Vaudémont, tuteurs, et à MM. des Estatz » (51).
Cette supplique n'est pas datée, mais comme il
n'y a pas eu, quand Chrétienne gouvernait la
Lorraine, d'autre session d'Etats que celle de
novembre 1545, on peut sans hésiter la placer à
cette date ; l'évêque a profité de cette réunion
des Etats pour formuler ses plaintes,
inutilement du reste, car trop occupés par
l'importante question de la tutelle, les Etats
n'eurent pas le temps d'aborder cette affaire
secondaire et rien n'indique que les tuteurs
aient corrigé les abus signalés.
L'année suivante, 1546, nouveau conflit :
craignant le retour de la guerre entre la France
et l'Empire, les tuteurs voulaient fortifier
diverses villes pour assurer la neutralité de la
Lorraine, et les sommes qu'ils levaient dans les
deux duchés ne suffisant pas à payer cette
grosse dépense, ils prétendirent les percevoir
aussi dans le temporel de Toul, sous prétexte
que les forteresses lorraines couvraient le
domaine épiscopal aussi bien que le domaine
ducal. Toussaint d'Hocédy repoussa cette étrange
prétention et les commissaires lorrains ayant
entrepris de lever quand même l'impôt, il se
plaignit à l'empereur qui, ne pouvant pas lui
donner tort, mais ne voulant pas donner tort à
sa nièce, assoupit l'affaire (52).
Il semble que ces deux différends furent assez
vite oubliés, car, dès le 10 mars 1547, les
tuteurs confirmèrent à l'église Saint-Etienne de
Toul, c'est-à-dire à la cathédrale, la
protection et la sauvegarde que lui avaient
accordées Antoine et François 1er, les ducs de
Lorraine, disent-ils, ayant toujours eu en
singulière recommandation cette église et ses
suppôts (53). Du reste, en 1549, Charles-Quint
trouva le moyen de placer un homme de confiance
dans le chapitre toulois, sans doute pour
prévenir tout nouveau conflit. L'office de
chantre de la cathédrale étant devenu vacant, le
chapitre avait fait choix de Nicolas de Rogeti ;
l'empereur proposa, ou plutôt imposa son fidèle
François Bonvalot, qui le représentait depuis
quatre ans déjà auprès de la duchesse de
Lorraine, et Rogeti dut se retirer (54).
Parfois tendues avec les évêques, qui étaient
des princes souverains, souvent étrangers à la
région lorraine, comme d'Hocédy, né à
Valenciennes,, les relations étaient au
contraire fort bonnes avec le clergé des
paroisses et des chapitres, recruté
principalement dans les duchés de Lorraine et de
Bar, et très attaché à ses princes. La
bienveillance des tuteurs à son égard se
manifeste de différentes façons : François Ier
avait fondé dans l'église tout nouvellement
achevée de Saint-Nicolas-de-Port une messe
quotidienne à dire entre onze heures et midi ;
Chrétienne, voulant parfaire l'œuvre de dévotion
de son époux, assigne une rente annuelle de 120
francs pour la célébration de cette messe (55).
Le chapitre de la collégiale Saint-Nicolas de
Darney se plaint que son église, construite au
milieu du château de Darney, fait plus figure de
grenier que de sanctuaire, qu'elle est placée
sous la salle où se tiennent les soldats qui
font le guet, de sorte que le bruit y est
incessant, que les fidèles de la ville ne
peuvent y venir commodément, parce qu'ils
trouvent fermée la porte du château, et que si
on laisse cette porte ouverte, la sécurité de
cette forteresse toute proche de la frontière
sera compromise ; le chapitre demande donc
l'autorisation de construire une nouvelle église
dans un jardin au milieu de la ville. Les
tuteurs l'y autorisent et ramènent de quatorze à
onze le nombre des prébendes canoniales, le
revenu des prébendes supprimées devant servir à
payer vicaires et enfants de chœur (56). Ils
permettent à Louis de Dommartin, baron de
Fontenoy-en-Vosges, seigneur de Bayon et de
Thicourt, de donner à la confrérie de la
Conception Notre-Dame de Nancy une rente de 350
francs, monnaie messine, faisant 393 francs,
monnaie de Lorraine, qu'il perçoit tous les ans
sur la saline de Château-Salins (57).
La facilité avec laquelle les tuteurs accordent
l'amortissement des biens qui deviennent
propriété ecclésiastique prouve aussi leurs
bonnes dispositions. De ces amortissements, nous
ne citerons que ceux-ci, parce qu'ils sont faits
pour des personnages de quelque importance : en
1548, amortissement de rentes et de dîmes
données aux églises de Verdun et de Dagonville
par Jean Maguillot, chanoine et écolâtre de
Verdun (58). En 1549, amortissement de gagnages
offerts par Richard de Wassebourg pour
l'entretien de la chapelle qu'il a fait
construire au milieu du cimetière de
Saint-Mihiel (59) ; archidiacre de Verdun, ce
Wassebourg était de plus un écrivain de mérite
et, en cette même année 1549, il publiait à
Paris ses Antiquitez de la Gaule Belgicque, très
gros in-folio rempli de faits et aussi de
légendes. En 1550, à la prière de Pierre
Vautrin, curé de Senon, on amortit une maison et
un jardin que son oncle, Léonard Vautrin,
scripteur de bulles en cour de Rome, a donnés
pour servir à l'entretien de l'église qu'il a
fait bâtir à Senon (60) ; Mathieu Lasson, maître
de la chapelle du duc Charles III, obtient
pareille faveur quand il fonde des obits pour
ses père et mère (61) ; et de même les
exécuteurs testamentaires de Jean de Chaumont,
chanoine à Bar-le-Duc, et aumônier du duc Claude
de Guise, qui a prescrit par son testament de
fonder une chapelle en l'église paroissiale de
Chaumont, son lieu de naissance, et d'y
entretenir un chapelain (62). Tous ces
amortissements sont accordés sans que les
demandeurs aient à payer aucune finance, parce
que, disent les tuteurs, « nostre vouloir et
désir est que, par tous bons moyens, le service
divin soit augmenté ».
Si, dans tous ces arrangements, le duc n'avait
en vue que les intérêts de l'Eglise, il pensait
beaucoup plus aux siens propres dans la
collation des bénéfices. Comme patron de
certaines collégiales, il avait le droit de
nommer aux places de chanoines vacantes et le
titulaire qu'il avait choisi était ainsi mis en
possession d'une prébende plus ou moins ronde,
selon le degré de richesse du chapitre. Il
nommait de même des titulaires de chapelles.
Bien vite, trop vite, il fut amené à considérer
cette collation de bénéfices comme un moyen
commode de récompenser des services et de se
faire des obligés sans engager aucune dépense.
Les lettres patentes qui nomment un chanoine
sont adressées au prévôt et au chapitre de la
collégiale où une place est vacante, et ces
lettres ne manqùent pas de rappeler
explicitement les droits du souverain : « Comme
ainsy soit que la collation, provision et
totalle disposition des prébendes et chanoinies
de ladicte église compète et appartient de plain
droict à nostre dict filz, à cause de
patronnaige... ». Elles n'omettent pas non plus
de faire l'éloge du nouveau titulaire : « Pour
les bonnes mœurs, mérites, vertus et honnestes
conversations que scavons estre en la personne
de... », formule invariable, ne précisant rien,
s'appliquant donc à tous les sujets, et dont on
se demande jusqu'à quel point elle garantit
vraiment la vocation et la préparation du
candidat.
L'examen de quelques-unes de ces lettres
patentes conférant des bénéfices fera voir à
quelles catégories de personnes le duc, ou
plutôt sa mère, réserve la plupart de ces
libéralités. Nous rappelons que, d'après la
convention de Deneuvre du 6 août 1545, la
duchesse seule, à l'exclusion de son beau-frère,
nomme aux bénéfices dont son fils possède la
collation. Il y a d'abord les clercs attachés à
la cour, auxquels on veut assurer un titre
honorable et de plus forts revenus. Ainsi, en
1547, Chrétienne fait don à Antoine de Vinaize,
un de ses chapelains, de la chapelle de saint
Nicolas, érigée en l'église d'Auzéville, vacante
par décès du titulaire (63) ; son aumônier,
Antoine Jardinier, reçoit la chapelle de saint
Pierre au château de Bouconville, vacante de
même (64) ; Jean Picart, aumônier du duc, est
gratifié de la chapelle Notre-Dame, située dans
la collégiale de La Mothe, libre également par
décès (65). En 1548, le sieur Guyot, chapelain
du comte de Vaudémont, cotuteur, est fait
chanoine de l'ancienne et illustre collégiale
Saint-Georges de Nancy, à la place de Christophe
de Graveron, résignataire (66). En 1549, ce
Mathieu Lasson, maître de chapelle du duc, que
nous avons déjà rencontré à propos d'un
amortissement de biens d'Eglise, reçoit une
prébende de chanoine dans la collégiale
Saint-Jean de Vaudémont (67) ; Jean Ancel, autre
aumônier de Charles III, reçoit l'expectative
d'une prébende de chanoine dans la collégiale
Saint-Maxe de Bar-le-Duc, actuellement occupée
par Florentin Oudart (68) ; Antoine de Vinaize,
déjà pourvu d'une chapelle en 1547, reçoit
encore celle de sainte Anne dans le château de
Clermont-en-Argonne (69). En 1550, Jean Ancel,
qui, peut-être, attend encore sa place de
chanoine à Saint-Maxe de Bar, est invité à
prendre patience par le don de la cure de
Méligny-le-Grand, vacante par la mort de
François de Gennes (70). En 1551, Antoine Dartys,
clerc de la chapelle ducale, reçoit une prébende
en la collégiale Saint- Georges, vacante par la
mort de Jean Billiquet, prévôt de cette
collégiale (71). En 1552, Jean Bégin, prêtre,
organiste de la chapelle ducale, est gratifié
d'une prébende en la collégiale Saint-Maur d'Hattonchâtel
(72), et Antoine Vinaize, qui a déjà éprouvé
deux fois la munificence de la duchesse, et qui
est maintenant aumônier d'e ses filles, reçoit
la promesse de la première prébende qui viendra
à vaquer, soit à la collégiale Saint-Georges de
Nancy, soit à la collégiale Notre- Dame de La
Mothe, à son choix (73).
Au moins, tous ces personnages étaient-ils déjà
dans les ordres avant de recevoir leur prébende.
Ce n'est pas le cas de Jean de Potsimsberg,
sommelier d'échansonnerie à la cour ducale,
auquel Chrétienne assure, en 1551, la première
prébende de chanoine qui sera vacante en la
collégiale Saint-Jean de Vaudémont; il est
laïque, mais la duchesse d'Arschot, belle-sœur
de Chrétienne, le recommande chaudement, disant
qu'il a « grande dévotion d'être d'Eglise »
(74).
Quand les clercs attachés au duc et à sa mère
sont pourvus, il reste encore quelques places
pour d'autres, par exemple François Thiébault,
d'Herbéviller, jadis clerc de chapelle du défunt
cardinal Jean de Lorraine, oncle de François
Ier, à qui est promise, en 1550, la première
prébende de chanoine vacante en la collégiale
Sainte-Croix de Pont-à-Mousson, et Jean
Chobillon, fils d'un valet de chambre du même
cardinal, qui reçoit, en 1551, une promesse
analogue pour la collégiale Saint-Pierre de
Bar-le-Duc (75). François de Bassompierre,
premier maître d'hôtel du duc et bailli de
Vosges, place de même deux de ses clercs : en
1546, Jean Bouchet, « pédagogue » de ses
enfants, reçoit la première place de chanoine
qui sera vacante en la collégiale de Vaudémont,
et, en 1549, son chapelain, François Wolkier,
est nommé chanoine en la collégiale Saint-Gengoult
de Briey (76). Ce même Bassompierre et
Montbardon, gouverneur du jeune duc,
s'intéressent à Didier Xaubourel, fils de
Bertrand Xaubourel, auditeur en la Chambre des
comptes de Lorraine et contrôleur de la dépense
ordinaire du duc ; grâce à leur protection, en
un même jour, 14 janvier 1551, Didier reçoit
trois bénéfices : la première prébende canoniale
qui sera vacante en la collégiale de Vaudémont,
la chapelle du château de Bouconville et la
Maison-Dieu de Mussey-devant-Bar (77).
Les fonctionnaires, même de rang moyen, font
placer de pareille manière leurs fils et neveux,
et, par là, semble-t-il, le souverain peut
récompenser leurs services sans avoir à
augmenter leur traitement. On voit ainsi pourvus
de canonicats ou de chapellenies les fils de
Claude Vyon, auditeur en la Chambre des comptes
de Nancy, et d'e Jean de Rosières, auditeur en
celle de Bar (78) ; les fils, d'Antoine
Guillaume, gouverneur des salines de
Château-Salins, et de Pierre Vannesson, prévôt
d'Hattonchâtel (79) ; un neveu d'Humbert
Mathieu, sénéchal de La Mothe (80). Dans
l'entourage immédiat du duc obtiennent le même
avantage pour leurs fils d'assez hauts
personnages, comme Poirson de Bourgogne,
contrôleur de la dépense de l'hôtel, et Jean
Beaufort, grand veneur (81), mais même de très
humbles serviteurs, un fauconnier, un jardinier,
un maître-queux (82).
Un népotisme, moins scandaleux que celui qui
sévissait à Rome en ce temps, intervenait aussi
dans le recrutement du clergé : en 1547, Nicole
Richard, chanoine de Darney, obtient du duc la
permission de céder sa prébende, pour en jouir
seulement après sa mort, à son neveu, Claude
Richard (83). En 1550, Claude Laguerre,
protonotaire, reçoit le droit de succéder à son
oncle, Gérard Laguerre, dans la prébende que
celui-ci possède en l'église Saint-Pierre de Bar
(84).
Enfin des prébendes étaient assez facilement
données à de jeunes clercs étudiant à
l'Université de Paris, parce qu'à la date où
nous sommes, la Lorraine n'avait pas encore
d'Université ; et de toutes les raisons qui
faisaient concéder des prébendes, celle-ci est
la meilleure, puisqu'elle montre le souci de
faire entrer dans le clergé des hommes
instruits. Nous voyons ainsi : en 1547, Robert
Blancheverre, à qui est assurée' la première
prébende qui viendra à vaquer en la collégiale
de Vaudémont ; en 1548, Thiébault Apvrillet, qui
obtient la même promesse pour la collégiale de
La Mothe ; en 1549, Jean Lescuyer, qui reçoit la
chapelle de saint Jean-Baptiste en l'église
paroissiale d'Etain, vacante par décès ; Gérard
Le Briseur, fils de Georges Le Briseur, maître
de la monnaie à Nancy, nommé coadjuteur, avec
droit de succession, de son parrain, Gaspard de
Ludres, chanoine et écolâtre de la collégiale
Saint-Georges de Nancy ; Jean de Rosières, fils
d'un auditeur en la Chambre des comptes de Bar,
fait coadjuteur, avec succession éventuelle,
d'un chanoine de Saint-Pierre de Bar ; Louis
Raulin, fils de Pierre Raulin, maître de la
fourrière de l'hôtel ducal, à qui est promise la
première prébende vacante à Saint-Pierre de Bar
(85).
En Lorraine, comme ailleurs, cette intrusion du
pouvoir laïque dans des affaires purement
ecclésiastiques, cette subordination des
intérêts spirituels à des combinaisons
temporelles donnaient des résultats médiocres.
Qu'une dizaine d'années s'écoulent et, en 1563,
le concile de Trente restreindra le droit de
patronage, décidant de plus que l'évêque peut
toujours rejeter les sujets que les patrons lui
présentent pour une prébende, s'il les trouve
incapables (86).
III
Nous avons montré ailleurs la
politique assez contradictoire d'un duc de
Lorraine du XIIe siècle à l'égard de l'église
régulière : très dur et rapace avec l'antique
ordre bénédictin devenu riche et tiède, il est
plein de prévenances et de générosité pour les
ordres nouveaux de Citeaux et de Prémontré, qui
sont pauvres et dans toute la ferveur de leur
origine (87). Chrétienne, elle, ne s'est pas
trouvée dans une situation aussi complexe. Les
nouveaux ordres créés pour lutter contre le
protestantisme ne s'étaient pas encore implantés
en Lorraine quand elle gouvernait ce pays ; les
jésuites ne s'y établiront que dans la seconde
moitié du XVIe siècle, les capucins que dans la
première moitié du xvne. Elle n'est en présence
que d'ordres anciens et souvent bien relâchés,
bien éloignés de la rigueur première de leurs
règles. Le moment n'est pas encore venu où ces
ordres chercheront, et avec succès, à se
réformer, à revenir à leur austérité primitive.
La duchesse n'en a pas moins avec eux des
rapports empreints de bienveillance, d'estime et
de confiance.
Il faut observer du reste que la famille ducale
avait des liens étroits avec un au moins de ces
ordres, et l'un de ceux qui étaient restés le
plus fidèles à leur institution, celui des
religieuses franciscaines de sainte Claire. La
duchesse Philippe de Gueldres, veuve de René II,
mère du duc Antoine, avait fait profession, en
décembre 1519, dans le monastère des clarisses
de Pont-à- Mousson. Jusqu'à la fin de sa vie.,
Antoine eut pour elle beaucoup d'égards, lui
envoyant sans cesse des cadeaux de toute sorte,
et faisant aussi des libéralités à son couvent.
En 1544 encore, donc tout à la fin de sa vie, il
fait charroyer à Pont-à-Mousson douze queues de
vin de Bar, plus de quatre mille litres, de quoi
désaltérer pendant longtemps un grand nombre de
nonnes (88). Les tuteurs suivirent son exemple,
faisant porter, entre autres, des fromages de
Gondreville à Philippe en 1545 et 15416 (89).
Quoiqu'elle eût renoncé aux pompes de ce monde,
on l'appelait toujours la reine de Sicile. Mais
elle déclinait. Elle avait vu mourir son mari,
son fils, son petit-fils, et ces cruelles
épreuves avaient achevé de ruiner sa santé déjà
ébranlée par des mortifications excessives. Dans
le compte du domaine de Pont-à-Mousson pour 1546
se lit le long relevé de la « dépense faicte par
les médicins quy ont estez auprès de la royne
durant les infirmitez de maladie à elle survenue
» (90). Elle mourut le 28 février 1547. Née en
1464, elle avait donc de quatre-vingt-deux à
quatre-vingt-trois ans (91). Bien qu'elle eût
quitté là cour depuis vingt-huit ans déjà, son
trépas ne laissa pas de causer quelque émotion :
elle était la veuve de René II, dont le triomphe
sur le duc de Bourgogne avait donné tant de
gloire à la maison de Lorraine, et elle-même lui
avait apporté l'auréole de la sainteté. Emond Du
Boullay, dans son ouvrage quasi-officiel,
s'étend sur la maladie et les derniers instants
de la reine ; il décrit ses obsèques et
reproduit son épitaphe (92). Quelques jours
après. sa mort, Chrétienne de Danemark et
Nicolas affirmèrent leur volonté de maintenir
les fondations pieuses qu'elle avait faites -et
prièrent l'abbé de Sainte-Marie-aux-Bois de les
prévenir si quelqu'un tentait de s'y opposer
(93). Tous les ans, ils allouaient 150 francs
aux clarisses de Pont-à-Mousson, à cause de leur
pauvreté « et en contemplation de feu la royne
de Secille, en son vivant relligieuse audict
couvent » (94).
Les autres ordres d'hommes et de femmes
bénéficièrent de ces bonnes dispositions des
tuteurs. L'amortissement des biens qu'ils
acquièrent leur est accordé tout aussi
facilement qu'au clergé séculier. Ainsi, en
1548, dom Nicole Loupvent, grand-prieur de
l'abbaye de Saint-Mihiel, achète un terrain dans
cette ville pour y élever une chapelle sur le
modèle du Saint-Sépulcre de Jérusalem qu'il
avait vu et étudié au cours d'un pèlerinage en
Terre-Sainte ; il dote cette chapelle d'un
revenu de 60 francs par an pour y assurer le
service divin (95). Le tout est amorti et cette
chapelle, qui fut démolie vers 1756, a une place
dans l'histoire de l'art : on croit que les
personnages qui composent le fameux Sépulcre de
Ligier Richier avaient été sculptés pour y être
établis (96). En 1551, un gagnage acheté par
l'abbaye de L'Etanche, ordre de Prémontré, et
qui rapporte 500 francs en argent et 35 setiers
de vin, est amorti et, en raison de la pauvreté
de ce monastère, les tuteurs le dispensent de
payer aucune finance (97).
C'est à des religieux que Chrétienne s'adresse
pour leur faire prêcher les sermons de Carême,
soit en sa présence, soit à l'église Saint-Evre
de Nancy, qui est la paroisse de la cour. On
voit ainsi employés un franciscain, un
trinitaire de Metz, et d'autres dont les comptes
ne disent pas à quelle famille religieuse ils
appartiennent. Tous reçoivent des honoraires
assez élevés.
Les dons purs et simples aux couvents d'hommes
et de femmes ne se voient que dans des cas
exceptionnels, par exemple 25 francs en 1547 aux
observantins de Neufchâteau, pour les aider à
payer les stalles du chœur de leur église (98).
Ce qui paraît le plus souvent c'est
l'attribution à ces maisons de redevances
annuelles : les religieuses du couvent de
Lunéville - sans doute les sœurs grises de
sainte Elisabeth - touchent 30 francs par an,
pour faire dire à l'intention du duc trois msses
basses dans leur chapelle (99) ; les
dominicaines de Nancy prétendent avoir droit
tous les ans à dix petits florins sur la ferme
des ventes de Mirecourt et, quoiqu'elle n'ait
pas retrouvé le titre afférent, la Chambre des
comptes est d'avis de les satisfaire (100).
Le duc Antoine a concédé aux sœurs hospitalières
de Château-Salins une certaine quantité de
braise à prendre tous les ans, et comme le
commis qui doit la leur remettre fait quelques
difficultés, la même Chambre le menace d'en
avertir Leurs Excellences (les tuteurs) (101).
Ceux-ci confirment aux dominicaines de Nancy
l'affouage dans la forêt de Haye qui leur a été
octroyé par le duc Charles II et par sa femme,
Marguerite de Bavière (102). Les sœurs
hospitalières installées au faubourg de Nancy,
devant la porte Saint-Nicolas, perçoivent tous
les ans 20 livres sur les moulins de Nancy
(103).
Une libéralité curieuse et assez fréquente est
d'allouer une somme à des religieux ou
religieuses pour les aider à acheter les harengs
dont ils se nourriront pendant l'Avent et le
Carême. Les religieuses hospitali'ères du
faubourg de Nancy, celles de Lunéville, d'Ormes,
de Dieuze, les cordeliers de Raon et de
Mirecourt, les clarisses de Neufchâteau
reçoivent des dons de ce genre (104). Ces
observantins de Neufchâteau, dont le duc a déjà
payé les stalles, reçoivent encore 9 francs pour
les harengs qu'ils mangeront pendant l'Avent et
14 francs pour une tonne entière de ce poisson
qu'ils consommeront pendant le Carême de 1547
(105). Les tuteurs étendent même leur
sollicitude à des moines étrangers à leurs
duchés, aux frères mineurs de Toul, qui
reçoivent des secours analogues en 1546 (106).
On le voit, ces libéralités ducales sont, avec
beaucoup de discernement, réservées aux ordres
pauvres, et surtout aux ordres voués au soin des
malades. Les ordres riches, par exemple ceux de
saint Benoit, de Cîteaux, de Prémontré, sont
laissés à l'écart. Dans le même esprit,
Chrétienne permet deux fois, en 1548 et 1551,
aux trinitaires de. Lamarche de quêter dans les
Etats de son fils pour le rachat des chrétiens
captifs outre-mer (107).
Le droit de patronage qu'avait le duc sur les
monastères comme sur les chapitres lui
permettait quelquefois d'intervenir dans les
abbayes situées hors de ses Etats. Ainsi, les
bénédictines de Saint-Pierre- aux-Nonnains, à
Metz, étaient en lutte avec leur abbesse, Anne
d'Haussonville. Un compromis intervint et le duc
fut prié de le ratifier, « comme estant ledict
monastère des fiefz et fondation des
prédécesseurs de nostredict filz », explique
Chrétienne dans ses lettres patentes du 22 mars
1550, lettres qui ne nous font connaître ni la
nature du différend, ni celle de l'accord (108).
Un autre monastère, d'hommes celui-ci, où le duc
avait le droit de patronage et de présentation,
était l'abbaye bénédictine de
Saint-Martin-devant-Metz. En 1541, le duc
Antoine y avait nommé abbé ce Pierre du
Châtelet, sieur de Sorcy, qui harangua au nom de
la tutrice les Etats généraux de novembre 1545.
Quelques années après, Pierre eut, semble-t-il,
des velléités de renoncer à ce bénéfice, car, en
1551, Chrétienne lui accorda la permission de le
résigner entre les mains du pape en faveur de
telle personne idoine qu'il désignerait (109).
Il ne donna pas suite à ce projet et resta abbé
de Saint-Martin, même quand il fut devenu, en
1565, évêque de Toul.
IV
Antoine est le premier duc de
Lorraine qui eut affaire à la Réforme. Il la
connut sous deux aspects : le soulèvement
anabaptiste, à la fois social et religieux,
qu'il réprima impitoyablement en Alsace et dans
la Lorraine de langue allemande ; la doctrine de
Luther contre laquelle il fit deux ordonnances,
en 1523 et 1539, afin d'empêcher sa diffusion en
Lorraine. Lorsque Chrétienne arriva au pouvoir
en 1545, l'anabaptisme avait disparu, le
luthéranisme était toujours menaçant et une
nouvelle forme religieuse, le calvinisme, venait
de surgir. L'Institution chrétienne de Jean
Calvin a été publiée en latin dès 1535 ou 1536,
en français en 1541. Calvin a habité Strasbourg,
tout près de la Lorraine, de 1538 à 1546, et y a
exercé les fonctions de pasteur et de professeur
de théologie. Son livre et son enseignement ont
certainement été connus dans la Lorraine de
langue française, mais les tuteurs ne s'en
rendirent pas compte, tenant sans doute Calvin
pour un simple disciple de Luther, quand ils
légiférèrent contre les nouvelles croyances.
Chrétienne avait l'exemple de son oncle
Charles-Quint qui traitait avec une extrême
rigueur les réformés des Pays-Bas, qui peut-être
même l'invita à sévir. Dès le 24 septembre 1545,
quelques semaines après leur entrée en charge,
ce qui prouve qu'ils considéraient le péril
comme pressant, Chrétienne et Nicolas publièrent
à Deneuvre une ordonnance qui ne parle que de «
Martin Luther et de ses complices », et qui
renouvelle à peu près les prescriptions
d'Antoine (110).
Par cette ordonnance, il est défendu à toutes
gens, nobles, roturiers et clercs, de prêcher ou
laisser prêcher, en public ou dans des réunions
privées, la doctrine luthérienne et tout dogme
contraire à la commune observance de l'Eglise,
de mettre en vente et d'acheter des livres
luthériens, de faire du prosélytisme pour cette
doctrine, le tout à peine de prison et de
confiscation des biens. Tous ceux qui possèdent
des livres luthériens devront, sous la même
peine, les apporter d'ici à deux mois à l'abbé
de Chaumouzey, ou à l'abbé de
Saint-Martin-devant-Metz (Pierre du Châtelet),
ou à Jean Billequel, prévôt de la collégiale
Saint-Georges de Nancy. Tous les sujets qui
connaîtraient des infractions à cette ordonnance
doivent, sous peine d'amende arbitraire,
signaler les infracteurs à leurs prévôts et
baillis. Comme les tuteurs n'ignorent pas que
certains de ces officiers inclinent vers la
Réforme, ils prescrivent à tous d'exécuter
strictement cette ordonnance ; s'ils s'y
refusent ou agissent avec négligence, ils
perdront leurs offices et la moitié de leurs
biens. Il arrive que des sujets cherchent à
vendre leurs biens pour passer dans d'autres
pays où ils pourront vivre à leur guise ; les
officiers ducaux devront rechercher si ces
vendeurs ne sont pas suspects de luthéranisme
et, dans l'affirmative, confisquer leurs biens ;
si la vente est fictive, le soi-disant acheteur
sera mis à l'amende. Les tuteurs affirment
ensuite qu'ils ne veulent pas empiéter sur le
droit, qui appartient aux évêques, de connaître
du cas d'hérésie ; ils les exhortent à faire
leur devoir avec diligence et ordonnent à leurs
officiers de leur porter en cela aide et
confort. Tous ceux qui ne gardent pas le
dimanche et les fêtes, qui méprisent les images,
qui mangent de la chair aux jours prohibés,
seront punis de confiscation ou d'amende,
suivant l'importance du délit. Même punition
pour les marchands qui vendraient dans les
terres du duc des livres hérétiques et pour les
propriétaires de maisons qui y laisseraient
tenir des conventicules.
Cette ordonnance fut imprimée à Metz par les
soins de Nicole Péra, aumônier du feu duc (111),
et répandue dans tout le pays. On observera
qu'elle n'édicte pas la peine de mort, comme le
fait l'ordonnance d'Antoine en 1539. C'est en
vertu de celle-ci que Jacques Chobard, régent
d'école à Saint-Mihiel, avait été brûlé vif en
1545, à la fin du règne du duc François (112).
Nous ne connaissons pas d'exécution semblable
pendant la régence de Chrétienne. Elle laissa
sans doute dormir la sévère ordonnance de 1539
et se contenta de faire appliquer les peines
plus douces prescrites par son ordonnance de
1545. Elle ne fit pas d'autre ordonnance que
celle-là contre les Réformés. C'est son fils,
Charles III, qui renouvellera et complétera la
législation antiprotestante de la Lorraine.
CHAPITRE VI
LES FINANCES
I. Institutions financières. - II. Les recettes.
- III. Les dépenses. - IV. Balance des recettes
et des dépenses. - V. Les emprunts.
I
Lorsque Chrétienne de
Danemark arriva au pouvoir, elle trouva la
Lorraine munie d'une organisation fiscale assez
complète et qui avait déjà fait ses preuves de
solidité et d'efficacité. Elle y apporta
quelques retouches, y ajouta même quelques
rouages. C'est tout cela qu'il nous faut en
premier lieu examiner et discriminer.
Les plus importants de ces organes, les plus
anciens aussi, car ils dataient au moins du
commencement du XVe siècle, étaient les deux
Chambres des comptes de Nancy et de Bar-le-Duc,
chaque duché possédant la sienne complètement
indépendante de l'autre. Toutes deux avaient du
reste les mêmes attributions que l'historien de
l'une d'elles range sous quatre chefs : vérifier
les comptes envoyés par tous les comptables du
duché, répartir les impôts, administrer le
domaine, y compris les forêts, les mines et les
salines, juger toutes les contestations
relatives aux monnaies (113). A cette liste déjà
bien fournie, il faut ajouter un cinquième chef,
la vérification des aveux et dénombrements
présentés par les vassaux. Si les auditeurs et
les présidents de chaque Chambre arrivaient à
s'assimiler ces matières si diverses, c'est
qu'ils passaient presque toute leur vie dans
leurs fonctions. Tels les deux contemporains de
Chrétienne qui, après avoir fait longuement
leurs preuves dans l'emploi d'auditeur, furent :
Nicolas Mengin, président de la Chambre des
comptes de Lorraine de 1532 à 1552, et René
Boudet, président de la Chambre des comptes de
Bar de 1544 à 1567.
Pour la vérification de leurs comptes, les
receveurs et autres agents de finances doivent
venir dans la capitale du duché et comparaître
devant la Chambre. Celle-ci leur adresse une
Lettre pour les inviter à apporter leurs
écritures à telle date, et le délai qu'elle leur
laisse n'est jamais bien long, une semaine en
général. Si un receveur est malade, il obtient
avec peine que l'opération soit retardée. Si un
autre décède en charge, la Chambre se hâte
d'apurer la situation avec le concours de sa
veuve et assure la transmission à son successeur
des deniers en caisse et des grains provenant de
redevances en nature. Sa vigilance s'étend même
aux comptes des corporations ouvrières : en
1549, le maître des drapiers de Mirecourt est
convoqué pour rendre les comptes de ce métier
(114).
La répartition des impôts se fait toujours en
présence du bailli de la circonscription
intéressée, mais l'accord n'est pas toujours
facile entre ce haut fonctionnaire et la
Chambre. On le vit en 154,6 quand il fallut
répartir une taille sur le comté de Vaudémont.
Le bailli, sans doute pour faire pièce à la
Chambre, refusa d'y venir ; la Chambre expédia
le travail avec l'aide du receveur et du
contrôleur du comté, après leur avoir fait
prêter serment. Puis, sans se fâcher, elle opina
qu'il valait mieux que le bailli ne s'occupât
plus des tailles, qu'il se cantonnât dans les
affaires de justice, son véritable domaine
(115).
La Chambre n'a pas seulement à répartir les
impôts, elle examine jusqu'à quel point les
exigences fiscales sont conciliables avec les
franchises de telle ou teille localité. Elle
accorde des réductions sur l'aide ordinaire -
dite aide Saint-Remy, parce qu'elle se lève vers
le temps de la fête de ce saint (1er octobre) -
si les réclamations des contribuables lui
paraissent justifiées. De même, elle consent des
réductions aux fermiers du domaine, s'il s'est
produit quelque événement qui a diminué leurs
recettes : inondation, incendie, passage de
soldats ennemis, etc.
Toutes ces opérations si variées, et souvent si
minutieuses, nous sont suffisamment connues, au
moins pour le duché de Lorraine, parce qu'à
partir du moment où Chrétienne gouverne, elles
sont consignées dans une collection officielle,
celle des « Rapportz, missives, mandemens et
ordonnances faictz en la Chambre des comptes à
Nancy », qui commence en janvier 1546 (116). Ou
bien Chrétienne de Danemark a pris l'initiative
de cet utile enregistrement des opérations de la
Chambre, ou tout au moins elle a approuvé cette
innovation.
Les tuteurs ne se contentèrent pas de ces deux
Chambres dont chacune était particulière à un
duché ; ils voulurent avoir un organe commun
pour tout leur état et, par une ordonnance de
1549, créèrent une Chambre des finances,
composée d'un petit nombre de personnes, qui
était au-dessus des Chambres des comptes,
jugeait en dernier ressort et devait rechercher
et redresser tous les abus, supprimer les
dépenses inutiles (117). Cette Chambre deviendra
en 1567 le Conseil des finances, ce nouveau
terme la différenciant nettement des deux
Chambres des comptes et la rapprochant au
contraire du Conseil ducal.
A la tête de cette Chambre, les tuteurs
placèrent un personnage appelé Chef des
finances. Longtemps avant, en 1483, on avait vu
Louis Merlin revêtu du titre de Général des
finances, mais comme dans l'intervalle personne
n'avait reçu un titre analogue, c'était un
emploi à peu près nouveau. Sous Antoine, une
partie au moins de ces fonctions étaient
dévolues au grand maître de l'hôtel du prince,
par exemple Jean d'Aguerre, nommé grand maître
en 1541, et dont un acte de 1547 nous apprend
qu'il avait le soin de certifier les mémoires à
régler (118). Le chef des finances de Chrétienne
de Danemark était ce François de Bassompierre,
bailli de Vosges, qui Pavait si vivement
combattue aux Etats de 1545, ce qui montre que
la duchesse n'avait pas de rancune, et peut-être
aussi qu'elle tenait à s'attacher cet adversaire
redoutable. Nous n'avons plus les lettres
patentes qui le nomment et nous ne connaissons
son élévation à ee poste que par une mention du
compte de 1551, disant que les tuteurs lui ont
alloué 100 francs pour avoir vaqué à l'assiette
de l'aide ordinaire (119). Tandis que les autres
officiers de finances, auditeurs des Chambres
des comptes, trésoriers et receveurs généraux,
sont des roturiers, tout au plus des anoblis,
les chefs des finances sont tous pris dans la
meilleure noblesse : après Bassompierre, on
verra Claude d'Aguerre, baron de Vienne, en 1559
; Henri d'Anglure, sieur de Melay, en 1560 ;
Jean de Beauvau, sieur de Pange, en 1576. C'est
le seul poste où des gentilshommes de l'ancienne
chevalerie puissent maniter de l'argent sans
déroger.
Au contraire, le contrôleur général des finances
est un roturier, ou tout au plus un anobli.
D'abord il y en eut un dans chaque duché ; à
dater de 1523, les deux offices se fondent en un
seul et, bien qu'unique, cet agent est assez
maigrement payé : 100 écus valent 171 fr. 10 gr.
de Lorraine en 1545 (120). Le titulaire de ce
poste était alors Jean Beurges, d'une famille du
Barrois anoblie en 1464 ; en 1553, il aura pour
successeur Bertrand Xaubourel. Ses fonctions
sont d'assister aux séances des deux Chambres
des comptes et peut-être d'y tenir l'office de
ministère public ; il semble aussi qu'il fait
des tournées d'inspection dans les diverses
prévôtés pour voir si tout s'y passe
régulièrement (121).
Les Chambres des comptes et la Chambre des
finances étaient des organes de contrôle. Les
organes de gestion étaient le trésorier général
et les deux receveurs généraux. Il y avait un
seul trésorier général pour les deux duchés,
tandis que chaque duché avait un receveur
général. L'origine de ces derniers est fort
ancienne, comme celle des Chambres des comptes,
et ils préexistent certainement à la réunion de
la Lorraine et du Barrois. Le trésorier général,
lui, est une création de René II : en 1481, on
voit ce titre porté par Antoine Gelé. Le vieux
roi de Sicile, René Ier, était mort le 10
juillet 1480 et sa disparition consommait, au
profit de son petit-fils, René Il, la réunion
des deux duchés, d'où la nécessité d'un agent
financier qui leur fût commun. Les trésoriers
généraux contemporains de Chrétienne de Danemark
sont Didier Bertrand, de 1518 à 1544, et
Quiriace Fournier, de 1545 ou 1546 à 1563.
Le trésorier général encaisse les sommes qui lui
sont versées par les deux receveurs généraux,
non pas tous les ans, mais dans, les années où
ils ont un excédent. Ainsi, il reçoit : en 1547,
1.202 fr. du receveur général de Lorraine, rien
du receveur général du Barrois (122) ; en 1548,
rien ni de l'un ni de l'autre (123) ; en 1551,
1.000 fr. du receveur de Lorraine, 14.000 de
celui du Barrois (124). Le trésorier général
manie de bien plus grosses sommes que les
receveurs généraux ; ainsi, en 1546, ses
recettes sont de 251.191 fr., celles du receveur
général de Lorraine de 23.759 fr. seulement
(125). Et cependant, en cette année, les
recettes du trésorier n'occupent que vingt-neuf
feuillets, quand celles de ce receveur en
couvrent cent soixante-sept; c'est que, chez le
premier, on trouve un petit nombre de grosses
recettes, chez le second, un grand nombre de
recettes minimes, produits des prévôtés, des
passages, des terres acensées, avec les noms de
tous les contribuables écrits pour certaines
prévôtés. Pour les dépenses, nous remarquons que
celles de l'armée ne sont pas réunies dans le
même compte : le trésorier général paye la solde
de la garnison de La Mothe (126), et le receveur
général de Lorraine règle les dépenses de
l'artillerie qui ne sont pas très fortes, 1.075
fr. pour le personnel, 3.630 fr. pour le
matériel (127). De même, une partie des gages et
des pensions est assignée sur la caisse du
trésorier général, une autre sur la caisse du
receveur général, sans qu'on voie très bien
d'après quelles règles se faisait cette
répartition.
Au temps de la tutelle, le receveur général de
Lorraine était Humbert Pierrot, qui resta en
place de 1539 à 1553 et eut pour successeur
Laurent Courcol (128) ; le duché de Bar eut pour
receveurs généraux Jean Preudhomme de 1523 à
1547, Wannault Collesson de 1547 à 1565 (129).
Outre ces trois fonctionnaires qui étaient
permanents, le petit état lorrain en eut un
quatrième qui paraît l'avoir été moins. Il
commence à en être question à la fin du règne de
René II, sous le nom bizarre de Chambre aux
deniers, qui s'applique à l'homme même et non à
la caisse dont il a la garde (130). En 1492, il
inscrit 68.384 fr. de recettes, 70.078 fr. de
dépenses, ce qui laisse un déficit de 1.694 fr.
Les recettes proviennent des sommes envoyées par
la duchesse pendant que le duc est à Paris, ou
versées par les receveurs de Lorraine et du
comté de Vaudémont, par les officiers des
salines. Les dépenses sont les menus plaisirs du
duc, les gages de ses officiers et les emplettes
faites par son maître d'hôtel, des achats
d'étoffes, les dépenses de la duchesse, enfin
les sommes versées pour l'achat de Boulay (131).
Ces comptes se continuent sous la même
dénomination pendant une partie des règnes de
René II et d'Antoine, puis ce titre de Chambre
aux deniers est remplacé par celui d'argentier
(132). Il semble bien que c'est le même emploi
sous un nouveau nom. La caisse de l'argentier
est alimentée par les salines, qui lui versent
le produit des quatre derniers mois de l'année
financière, septembre à décembre, par tout ou
partie des bénéfices de la monnaie, par des
prélèvements sur l'aide ordinaire, par les
emprunts que le duc a contractés. Avec ces
ressources, l'argentier paye les dépenses de
l'hôtel du duc, les gages de ses officiers et
des officiers au service de son fils, le duc de
Bar, la solde des archers et des Suisses de sa
garde, les menus plaisirs du prince et les dons
fait par lui, les voyages de la famille ducale
et de divers messagers, des achats de chevaux,
les mémoires des fournisseurs (133).
A l'avènement de Charles III, l'argentier était
ce Quiriace Fournier qui devint trésorier
général de Lorraine en 1545 ou 1546 et le resta
jusqu'en 1563, personnage qui eut la confiance
de Chrétienne de Danemark, car en outre de ces
importantes fonctions, elle le nomma
registrateur des lettres patentes le 1er
décembre 1546 et auditeur en la Chambre des
comptes de Lorraine le 20 novembre 1551 (134).
Il eut pour successeur Nicolas de La Ruelle,
argentier et successeur de Charles III (135).
Voilà une organisation financière assez
compliquée, et bien inutilement, faute
d'unification des caisses. Il est à croire que
le duc s'y reconnaissait, et encore mieux la
Chambre des comptes qui assurait dans ces
services si divers une certaine unité. Un
progrès vers cette unité sera réalisé lorsqu'en
1572 Charles III réunira les fonctions des
trésoriers et des receveurs généraux (136).
Grâce à ce contrôle de la Chambre, tous les
comptes qui nous ont été laissés par ces divers
comptables ont des caractères communs : ils sont
tenus avec grand soin et les dépenses, même les
moindres, sont justifiées et expliquées
longuement, de sorte que ces comptes fournissent
des détails très utiles sur la vie politique,
religieuse, intellectuelle, économique des
duchés. Les registres qu'ils remplissent sont
faits d'un très beau et solide papier vergé avec
filigrane, tous à peu près du même format grand
in-quarto ; l'écriture en est posée et en
général facile à lire. Ils notent les sommes en
francs barrois, gros et deniers, c'est-à-dire
dans la monnaie officielle du pays ; quelquefois
en livres de France, quand ils relatent un
voyage fait dans le royaume. A cette époque,
l'année, en Lorraine et dans la plus grande
partie du Barrois, commençait au 25 mars,
c'est-à-dire à la fête de l'Annonciation ; mais
on avait une année financière distincte de
l'année civile, qui s'ouvrait au 1er janvier et
finissait au 31 décembre, de sorte que chaque
compte s'étendait sur partie de deux années
civiles consécutives. Il en était de même en
France sous François Ier (137), et comme, au XVe
et au XVIe siècles, les institutions de la
Lorraine s'inspirent volontiers de celles du
royaume voisin, il est fort probable que cette
année financière est un emprunt de la Lorraine à
la France. Il est fort probable aussi que cette
année partant du 1er janvier a acheminé à la
réforme du calendrier que réalisera dans les
deux duchés une ordonnance du 15 novembre 1579
prescrivant de se servir exclusivement du style
du 1er janvier en toutes écritures publiques et
privées.
Dans cette année financière ainsi délimitée, les
payements se font en deux termes, saint
Jean-Baptiste et Noël, qui la divisent en deux
parties égales, à un jour près.
Les documents financiers du temps de la tutelle
ne se composent que de registres de comptes ;
les pièces justificatives de ces comptes, qui
sont souvent d'un si grand intérêt, n'ont pas
été conservées. C'est seulement à la fin du XVIe
siècle qu'on trouve à peu près constamment les
liasses de pièces à l'appui des comptes jointes
aux registres.
L'un de ces registres de comptabilité vaut qu'on
s'y arrête. Il a pour titre : « Extraictz des
comptes généraulx et particuliers des receptes
du duché de Lorraine, renduz depuis l'année 1545
jusques à l'année 1552 inclusivement », titre
beaucoup trop modeste, car en réalité ce
registre présente également les comptes du duché
de Bar, et il inscrit les dépenses aussi bien
que les recettes (138). Son contenu correspond
exactement aux fonctions de Chrétienne comme
tutrice, sauf que les années 1545 et 1552, où
elle n'a gouverné que six et quatre mois, y.
figurent tout entières, un exercice ne pouvant
pas commodément être divisé. Il est donc très
probable que ces « Extraictz » ont été opérés
sur l'ordre de Chrétienne de Danemark, qui a
voulu laisser un tableau complet de son
administration, nouvelle preuve de l'attention
qu'elle portait aux questions de finances.
Un dernier aspect de l'organisation financière
est la frappe des monnaies. Où se
pratiquait-elle ? Au XIVe siècle, le duché de
Lorraine avait eu jusqu'à quatre ateliers
monétaires, à Nancy, Neufchâteau, Prény et
Sierck (139). Le duché de Bar, de son côté,
avait à Saint-Mihiel un atelier qui disparut
après la réunion des deux duchés (140). Bien que
le duc Antoine, dans une ordonnance monétaire,
parle à plusieurs reprises de « battre en nos
monnoies... » (141), il semble probable qu'au
XVIe siècle, un seul de ces ateliers subsistait,
celui de Nancy. Du moins n'avons-nous trouvé
mention d'aucun autre. De 1531 à 1552, le maître
de la monnaie de Nancy fut Georges Briseur
(142). Dans cet atelier - on n'ose pas encore
employer le terme pompeux d'Hôtel des monnaies -
des pièces furent frappées à l'effigie du jeune
Charles III. Il y en a deux types : l'un, sans
date, émis sans doute en 1547 ou 1548, le figure
tout enfant, sans aucun attribut princier ;
l'autre type, daté de 1550, représente un enfant
beaucoup plus grand, portant cuirasse et
couronne (143). Aucune pièce de monnaie n'est à
l'effigie des tuteurs, mais des jetons de la
Chambre des comptes de Lorraine les représentent
en face l'un de l'autre. Quand la crise de 1552
eut dépossédé Chrétienne et laissé tout le
pouvoir au seul Nicolas, celui-ci, pour bien
affirmer sa récente élévation, et peut-être
aussi pour triompher de sa belle-sœur, émettra,
en 1552, à son effigie une monnaie dont la
frappe ne fut pas considérable, car elle est
aujourd'hui très rare (144).
Si, du point de vue de la numismatique pure,
nous passons au point de vue économique, nous
voyons que la frappe des monnaies fut, pendant
la minorité de Charles III, l'occasion de
bénéfices appréciables. En voici le chiffre fort
variable pour les diverses années de la tutelle
à deux : 1545, 7.926 fr. ; 1546, 6.958 fr. ;
1547, 3.525 fr. ; 1548, 4.535 fr. ; 1549, 7.094
fr. ; 1550, 5.373 fr. ; 1551, 31.339 fr. ; 1552,
19.684 fr. (145).
II
Pour donner un aperçu de la
nature des recettes des deux duchés, nous
résumons ici celles du compte du trésorier
général pour 1546 (146). Ces recettes y sont
marquées en francs barrois, gros et deniers ; en
vue de simplifier, nous laisserons de côté gros
et deniers, de sorte que l'addition finale ne
sera plus tout à fait exacte. Elle l'était dans
le compte original qui était soumis au contrôle
sévère de la Chambre des comptes; à la fin du
registre, on lit que ce compte de 1546. a été
clos et approuvé en la Chambre des comptes de
Nancy le 20 juillet 1547.
Reliquat de l'an précédent 4.103 fr.
Saline de Château-Salins 10.799 fr.
» Salone 19.821 fr.
» Moyenvic 47.195 fr.
» Marsal 26.200 fr.
» Dieuze 21.321 fr.
Monnaie de Nancy 6.958 fr.
Passage de Raon 2.661 fr.
» Bruyères 363 fr.
Comté de Vaudémont 4.620 fr.
Yerre de Blâmont, néant, parce qu'elle
appartient à Madame (147).
Terre de Boulay 506 fr.
Pêche de l'étang de Lindre 6.500 fr.
Aide ordinaire de la châtellenie de Dieuze. 967
fr.
Prévôté de Guemunde (Sarreguemines).. 359 fr.
Pêche de l'étang de Biécourt, néant, parce que
compte en est tenu par le receveur de
Neufchâteau.
Prévôté de Sierck 1.000 fr.
» Hattonchâtel 2.216 fr.
» Schaumbourg 887 fr.
Aide ordinaire du bailliage de Nancy 11.380 fr.
» Vosges 15.173 fr.
Les receveurs généraux de la Lorraine et du
Barrois n'ont rien versé cette année.
Aide ordinaire de Pont-à-Mousson 300 fr
Part qui revient au duc dans l'aide ordinaire et
triennale de l'évêché de Metz. 2.139 fr.
Reliquat, versé par le greffier de la Chambre
des comptes, de la décime accordée en 1542
contre le Turc 1.000 fr.
Achat par Nicolas Mangeterre de l'office de
boutavant des salines de Dieuze... 800 fr.
Grains vendus dans le duché de Lorraine. 11.465
fr.
» Bar 35.736 fr.
Total des recettes 251.191 fr.
Quelques articles de ce compte de recettes
demandent explication. Il relate les recettes de
deux passages seulement, ceux de Raon-l'Etape et
de Bruyères, et nous avons constaté l'existence
d'une vingtaine de passages, au milieu du XVIe
siècle, dans le seul duché de Lorraine. C'est
que les recettes d'autres passages figurent dans
le compte du receveur général de Lorraine ;
d'autres encore sont à la suite des prévôtés
dont ils dépendent (148). Il en est de même du
produit de la pêche des étangs, qui formait une
ressource appréciable : un seul de ces étangs,
celui de Lindre, figure dans le compte du
trésorier général, mais une vingtaine d'autres
sont inscrits dans le compte du receveur général
pour la même année (149), et d'autres encore, de
moindre étendue sans doute, doivent être
cherchés, comme celui de Biécourt, dans les
comptes des prévôtés.
Nous n'avons pu découvrir ce qu'est cette aide
levée tous les trois ans sur le temporel de Metz
et dont une part revenait au duc de Lorraine.
Etait-ce une forme du droit de garde ? De 2.139
fr. en 1546, elle monte à 2.683 fr. en 1549.
Etant triennale, elle devrait reparaître en
1552, mais le trésorier général écrit dans son
compte de cette année : « Néant receu, par refus
de l'évêque, et en soit faicte la poursuyte »
(150).
Quant aux aides payées par les duchés de
Lorraine et de Bar, elles étaient de deux sortes
: l'aide ordinaire, ou aide Saint-Remy, qui, de
toute ancienneté, était levée chaque année sur
les sujets directs du duc seulement ; l'aide
générale qui atteignait tous les habitants des
deux duchés, et qui ne pouvait être répartie et
perçue qu'avec l'autorisation des Etats
généraux. Comme il n'y eut pas de session
d'Etats autre que celle de 1545 pendant la
tutelle de Chrétienne et de Nicolas, nous
n'avons pas à nous occuper de l'aide générale,
dont le produit était très variable selon que
l'assemblée avait plus ou moins accordé. Au
contraire, l'aide ordinaire variait peu :
pendant les années qui nous occupent, son
produit a oscillé pour le bailliage de Nancy
entre 10.037 et 12.023 francs, pour le bailliage
de Vosges entre 14.535 et 16.772 francs (151).
Ce qui contribuait à donner à cette aide un
caractère de fixité, c'est que le souverain
consentait assez facilement à aborner certaines
communautés et certains particuliers,
c'est-à-dire à les faire payer à forfait. Ainsi,
en mai 1550, le curé de Vagney, dans la prévôté
d'Arches, remontre que les mainmortables qui lui
appartiennent en ce lieu sont taxés d'une
manière si excessive que beaucoup passent sur
d'autres terres, et pour retenir ces pauvres
gens, les tuteurs les abornent à 18 gros par
ménage (152). Mais alors, en septembre de la
même année, c'est toute la communauté de Vagney
qui se plaint que son ban est fort stérile, et
que les habitants ont beaucoup de mal à payer
l'aide, et elle obtient un abornement encore
plus avantageux, 16 gros par ménage ordinaire, 8
gros par ménage de veuve (153). En 1551, les
gens de Goherey, dans la prévôté de Dompaire,
sont abornés à deux francs par conduit (ou
ménage), parce que, le nombre des conduits du
lieu ayant diminué, chaque conduit subsistant
paye trop quand l'impôt se répartit (154). Ceux
des gens de Corcieux, dans la prévôté de
Bruyères, dont le duc est le seigneur immédiat,
sont également si fort surtaxés que beaucoup
passent sur les terres d'autres seigneurs du
même ban, ce qui augmente la cote de ceux qui
restent ; ils sont abornés à 30 gros par conduit
ordinaire, à 15 par conduit de veuve (155).
On a vu que le produit du domaine et celui des
salines, celui-ci surtout, entrent pour une
forte part dans l'ensemble des recettes. Un
document, qui dépasse les limites de la tutelle
à deux, nous apprend que, de 1545 inclus à 1557
inclus, soit en treize ans, les recettes du
domaine du seul duché de Lorraine se sont
accrues de 32.330 francs, celles des salines de
47.428 francs (156). Pour le domaine proprement
dit, cette augmentation s'explique en, partie
par le fait que les tuteurs ont racheté divers
biens qui avaient été aliénés ou engagés : en
1547, la terre de Norroy-le-Sec, près de Briey,
pour 13.449 frs. ; en 1550, certaines mines du
Val de Liepvre pour 22.800 fr. ; en 1551, la
terre de Grand pour 1.200 fr. (157).
On a vu également, à la fin du tableau des
recettes que la vente des grains produisait de
fortes sommes, surtout dans le duché de Bar. Une
portion des impôts était en effet payée en
nature et des grains s'amoncelaient ainsi dans
les diverses prévôtés. En général, on vendait
aux enchères ou le tout, ou la moitié de ces
grains, blé, seigle, avoine, le reste devant
servir à la consommation de l'hôtel ducal ou à
d'autres emplois, par exemple, en 1545, aux
réquisitions faites par l'armée impériale (158)
; de plus, les gages de divers fonctionnaires
étaient payés en blé, et enfin, à diverses
dates, de grandes quantités de grains furent
stockées dans la forteresse de La Mothe en
prévision d'un siège.
Un autre mode de payement en nature des impôts
était de remettre de la cire et du miel aux
agents du prince ; l'élevage des abeilles a
toujours été très pratiqué et très productif en
Lorraine (159). Le miel remplaçait le sucre,
alors inconnu ou très rare ; la cire servait à
éclairer les résidences ducales, à faire des
dons aux églises pour leur luminaire ordinaire
et surtout pour les obits des ducs ou pour leurs
obsèques (160), enfin à compléter le traitement
de certains fonctionnaires (161).
III
Voici le tableau des dépenses
de ce même compte du trésorier général en 1546
(162) dont nous avons donné plus haut les
recettes :
Dépense ordinaire de l'hôtel ducal 71.680 fr.
Dépense faite par la cour à Condé (163) de la
fin d'août au début de novembre 1.172 fr.
Gages des gentilshommes du duc 45.091 fr.
Sommes payées par mandements 9.967 fr.
A Sébastien Boucquet, médecin du duc, premier
versement des 2.000 fr. que les tuteurs lui
allouent pour ses longs services 666 fr.
Aux héritiers de Louise de Beauvau, jadis
gouvernante de la princesse d'Orange (164) 300
fr.
Gages de la garde du corps 6.500 fr.
Gratification à cette garde 525 fr.
Gages de la garde suisse 1.335 fr.
Entretien des chevaux du duc 1.200 fr.
Dépense de frère Augustin et des civettes dont
il a la garde (165) 213 fr.
Indemnité à Georges d'Altdorff 600 fr.
A Henri de Lenoncourt, jadis lieutenant du duc
Antoine en sa compagnie d'ordonnance 1.500 fr.
Dons en deniers à divers 6.341 fr. Parties
extraordinaires et menus plaisirs de Madame et
de Mgr de Metz 1.965 fr.
A la princesse d'Orange, en déduction de ce qui
lui est dû pour sa dot 16.750 fr.
A la reine d'Ecosse, pour dernier payement de ce
que le duc Antoine lui avait assigné en dot à
son premier mariage (166) 9.000 fr.
A Mgr de Metz, moitié de ce qui lui est versé
tous les ans pour sa part d'héritage (167)
12.000 fr.
Au cardinal, Jean de Lorraine, deux versements
de 1.000 écus chacun 6.750 fr.
Remboursement aux quatre gouverneurs d'Epinal de
ce qu'ils ont prêté en 1543 au duc Antoine 4.000
fr.
Remboursement à l'abbé de Sainte-Marie-au-Bois
de ce qu'il a prêté au même en 1541 500 fr.
Remboursement à Chardin Serrière, bourgeois de
Pont-à-Mousson, d'un prêt fait au même en 1543
1.066 fr.
A Hanus Bermant, marchand à Saint-Nicolas, pour
harnais d'armes fournis au duc François 580 fr.
Remboursement à Sébastien Boucquet, médecin, du
prêt fait au même duc 1.500 fr.
A Jean Dolu, marchand à Paris, pour fournitures
au même duc 869 fr.
Voyages et ambassades 7.716 fr.
A Humbert Pierrot, receveur général de Lorraine,
pour subvenir aux charges de son office 2.000 fr.
Remboursement au receveur de Gondreville d'un
excès de perception de l'aide 92 fr.
Au comte Guillaume de Wied et Mœurs pour
l'appointement de Boulay (168) 2.175 fr.
Au change de Strasbourg pour la censive qui lui
est due 225 fr.
Achat de chevaux 2.194 fr.
Achat de faucons 45 fr.
Au sieur Ambroise (169), ingénieur des
fortifications du comté de Bourgogne, pour
visite de places lorraines 1.003 fr.
Aux mortes payes (170) de La Mothe 562 fr.
Obsèques des ducs Antoine et François et de la
reine Philippe de Gueldre 3.630 fr.
Parties de selliers 135 fr.
» cordonniers 58 fr.
» éperonniers 10 fr.
» armuriers 115 fr.
» orfèvres 115 fr.
» pelletiers 179 fr.
» apothicaires, y compris les drogues fournies à
Philippe de Gueldre de 1544 à 1546 1.054 fr.
» tapissiers et brodeurs 161 fr.
Draps noirs de laine et de soie et luminaire
pour les obsèques des ducs Antoine et François
24.360 fr.
Etoffes et linge, y compris les habits des
archers et des Suisses de la garde 5.700 fr.
Pour construction de la halle de Dieuze 1.082 fr.
Total des dépenses, 254.683 fr., ce qui laisse
un excédent de dépenses de 3.491 fr.
On a remarqué le chiffre élevé des dépenses de
la maison ducale : 71.680 fr. sur un total de
254.683 fr., c'est une forte proportion. Et les
Lorrains de ce temps le pensaient également,
puisque, on l'a vu, aux Etats de 1545, ils
avaient demandé que ces dépenses fussent réglées
par un certain nombre de gentilshommes qui
n'auraient pas manqué de les réduire (171). Le
compte du trésorier général inscrit ces dépenses
de la cour mois par mois, et leur chiffre, en
1546, varie fort d'un mois à l'autre : 3.253 fr.
en mai, 11.197 fr. en décembre (172).
Une dépense analogue est celle qui se fait pour
les menus plaisirs des deux tuteurs, Chrétienne
et Nicolas : 1.965 fr. A cette date de 1546, le
jeune duc n'a que trois ans, et dans cette
distribution d'argent, il n'est encore question
ni de lui ni de ses sœurs. Mais dès 1548,
Chrétienne s'avise qu'il est temps de lui
établir un budget personnel et elle prescrit de
verser tous les ans au sieur de Montbardon, son
gouverneur, 600 écus d'or - 2.025 fr. de
Lorraine - pour les menus plaisirs de Charles
(173). Cette somme est inscrite dans tous les
comptes suivants.
De grosses dépenses, mais tout à fait
exceptionnelles, sont celles qu'entraînent les
obsèques des ducs Antoine et François et de la
vieille duchesse, Philippe de Gueldre, qui est
morte le 28 février 1547, et dont pourtant les
frais funéraires sont inscrits dans ce même
compte de 1546, sans doute parce qu'une partie
des objets acquis ont servi pour les trois
cérémonies. 3.630 francs d'une part, 24.360 de
l'autre, cela fait un total imposant de 27.990
francs, et il est possible que les habillements
des archers et des Suisses de la garde aient été
renouvelés en vue de ces cérémonies. Puis, ce
n'est pas tout de faire aux défunts des obsèques
grandioses, il faut leur assurer une sépulture
digne d'eux : dès 1547, la duchesse verse 500
francs pour ce tombeau de la reine de Sicile,
œuvre de Ligier Richier, qui aujourd'hui encore
fait notre admiration ; en 1548, nouveau
sersement de 80 francs (174).
Au regard des dépenses de la cour, cette année
1546 paraît une année normale. Les événements
des années suivantes détruiront cet équilibre.
Ainsi, dans l'hiver de 1547-1548, les tuteurs
sont allés retrouver Charles-Quint à Augsbourg
où il préside une diète. Il faut tenir son rang
et montrer à tous les princes de l'Empire que le
duc de Lorraine ne leur est pas inférieur, d'où
des largesses onéreuses: Chrétienne et Nicolas
dépensent 12:698 francs en novembre et décembre
1547 (175), 13.807 francs en janvier et février
1548 (176), au total 26.505 francs. Il en coûte
d'assister à une diète et de contempler cette
moitié de Dieu qu'est l'empereur ! Il est vrai
que, les tuteurs étant à Augsbourg, les dépenses
de la cour nancéienne sont réduites d'autant :
1.955 francs en janvier et 1.996 en février,
tandis qu'après le retour de Chrétienne et de
Nicolas, la dépense mensuelle oscillera entre
3.000 et 4.000 francs.
En 1552, d'autres événements, que nous
exposerons plus loin, ont aussi une répercussion
financière. Lorsqu'au mois d'avril, le roi Henri
II arrive à Nancy, il y trouve non seulement
Charles III, ses sœurs, sa mère et son oncle,
mais aussi la duchesse d'Aerschot, fille du duc
Antoine, dont nous ne savons pas au juste quand
elle est venue rejoindre les siens ; la dépense
s'est élevée à 5.995 francs en janvier, 4.917 en
février, 6.211 en mars, dernier mois normal.
Mais en avril, la duchesse d'Aerschot retourne à
Bruxelles, Charles III est envoyé à Paris ;
puis, en mai, Chrétienne et ses filles sont
obligées de quitter la Lorraine. Avant de se
séparer de son beau-frère, elle arrête avec lui
un « abut », c'est-à-dire une convention en
vertu de laquelle le trésorier général verse
pour le reste de l'année : à la duchesse et à
ses filles, 12.840 francs, à raison de 60 francs
par jour pendant 214 jours ; à Nicolas, 6.420
francs, à raison de 30 francs par jour pendant
le même laps de temps (177).
La dépense de 1546 pour achat de chevaux, 2.194
francs, et de faucons, 45 francs, parait avoir
été exceptionnelle, car en 1547, elle n'est plus
que de 563 francs pour les chevaux, en 1548 de
590 francs pour les chevaux, de 20 francs pour
les faucons.
Nous ne songeons pas à confronter ainsi, année
par année, toutes les dépenses, grosses ou
menues, inscrites sur les registres du trésorier
général de Lorraines. Nous retenons seulement un
article d'un intérêt particulier, celui des
médecins et chirurgiens. Le compte de, 1546 ne
nomme qu'un seul médecin du duc, Sébastien
Boucquet. Dans le compte de 1548, il est deux
fois question de ce personnel : d'abord, les
médecins en service, Antoine Lepois avec 1600
francs de gages, Antoine Champier 600, Jean
Malomont 400 et le chirurgien, maître Philippe,
300 (178) ; puis les médecins qui ont soigné le
duc François, M. de Morley (179), Sébastien
Boucquet, Jean Malomont, Antoine Lepois, Antoine
Champier, qui touchent collectivement 400 francs
(180).
Ces énumérations de dépenses publiques sont fort
intéressantes et instructives. Elles apprennent
bien des faits politiques et économiques, font
connaître bien des institutions qu'autrement on
ignorerait tout à fait. Mais elles nous causent
aussi quelques déceptions. Trop souvent, la
façon plus que discrète dont sont expliquées des
dépenses assez élevées satisfait mal notre
curiosité. En 1548, par exemple, 1.000 francs
sont payés au bailli de Vosges « pour certaines
causes » et 600 au sieur de Saint-Martin « en
considération de dépenses qu'il a faites pour le
service du duc » (181). Il y a des débours
énigmatiques, comme ces 200 écus d'or, valant
675 francs, versés au sieur de Saint-Denis,
homme d'affaires du cardinal Jean de Lorraine
(182). Aucune explication n'est donnée de ce
payement. S'agissait-il d'acheter la conscience
de cet agent ? Ailleurs on voit que des
courriers sont partis de Nancy pour Paris, pour
Bruxelles, pour une ville d'Allemagne. A qui
sont destinées les dépêches qu'ils portent et
que disent ces dépêches ? Nous ne le savons
nullement, et sans doute le trésorier général
qui inscrivait le salaire de ces courriers n'en
savait pas davantage.
IV
Comment s'équilibrent les
recettes et les dépenses, et en premier lieu, y
avait-il une prévision des unes et des autres,
autrement dit un budget ? Le .mot est récent
puisqu'il a été emprunté à l'anglais au XIXe
siècle, mais la pratique qu'il désigne est très
ancienne en France. Là, une ordonnance de 1314
prescrivit de noter à l'avance « par estimacion
» et en chiffres ronds les diverses recettes et
dépenses du royaume (183). Au XVe et au XVIe
siècles, ce tableau annuel s'appelle l'« Etat
général des finances » et une ordonnance de 1523
prescrit sa rédaction en trois exemplaires,
destinés au roi, au chancelier, au trésorier de
l'épargne (184). Comme, à la fin du Moyen Age et
encore plus au XVIe siècle, les institutions de
la Lorraine s'inspirent largement des
institutions françaises, il paraît très probable
qu'on avait dans les duchés quelque chose
d'analogue à ce qui se faisait dans le royaume
voisin. Mais nous n'avons retrouvé aucun de ces
« Etats généraux ». Il est à supposer que,
chaque exercice étant clos, on les aura détruits
comme pièces de peu d'importance, alors qu'on
gardait soigneusement les comptes (185).
Les registres du trésorier général nous donnent
les totaux des recettes et des dépenses relevés
avec la dernière précision et l'indication du
reliquat ou du déficit de chaque année, et au
dessous l'approbation de la Chambre des comptes
conférée quelques mois après la clôture de
l'exercice. Voici ces totaux, en francs
seulement, pour les années du gouvernement de
Chrétienne de Danemark.
|
|
|
EXCÉDENT |
ANNÉE |
RECETTES |
DÉPENSES |
des recettes |
des dépenses |
1545 |
222.619 |
218.515 |
4.103 |
1546 |
251.191 |
254.683 |
|
3.491 |
1547 |
244.230 |
269.429 |
|
25.199 |
1548 |
254.337 |
286.415 |
|
32.077 |
1549 |
319.184 |
248.363 |
70.821 |
1550 |
421.444 |
330.582 |
90.862 |
1551 |
346.345 |
280.383 |
65.962 |
1552 |
490.415 |
440.911 |
49.503 |
Ainsi, la première année
inscrit un léger reliquat, les trois suivantes
sont déficitaires et le déficit s'aggrave d'une
année à l'autre, les quatre dernières présentent
de sérieux reliquats. Ces variations
s'expliquent par deux sortes de causes.
D'abord, comme le compte de dépenses de 1546
nous l'a fait voir, les tuteurs ont, cette
année-là, unie dépense extraordinaire, près de
28.0,00 francs, pour les obsèques ducales. De
plus, en 1546 et années suivantes, ils font un
gros effort - sur lequel nous reviendrons plus
loin - pour payer les dettes des deux derniers
ducs, Antoine et François.
D'autre part, la duchesse s'est trouvée, au
début de sa tutelle, dans une situation
difficile ; ne voulant plus convoquer d'Etats
généraux, de peur d'y rencontrer une opposition
véhémente comme en novembre 1545, elle ne peut
donc solliciter le vote d'aides générales ;
essayer de lever ces aides sans l'autorisation
des Etats serait une entreprise des plus
téméraires qui l'exposerait à une révolution. Il
lui faut donc se contenter des ressources
ordinaires qui ne suffisent pas à payer les
dépenses, d'où ce déficit toujours croissant.
C'est alors qu'elle se décide à puiser dans une
caisse qui était réservée sans doute aux cas
d'extrême péril. Pour protéger les frontières de
la Lorraine et maintenir la neutralité, les
Etats avaient accordé, en mai 1535, une aide de
3 francs par conduit à prendre une fois pour
toutes ; en avril 1544, une aide 9 gros par feu
et par mois à lever pendant les mois de mai,
juin, juillet et août (186). Les sommes
produites par ces impôts n'avaient pas été
entièrement dépensées sur le moment, et ce qui
en restait avait été réservé pour le cas de
nouvelles alertes. C'est là que les tuteurs
puisent des sommes toujours plus fortes, et ces
prélèvements sont inscrits dans les comptes sous
la rubrique « Deniers extraordinaires pris au
coffre des deniers de l'ayde général accordé par
les Estatz à feu Monseigneur le duc Antoine ».
Ils y prennent : en 1548, 3.905 francs ; en
1549, 14.694 francs ; en 1550, 13.346 francs ;
en 1551, rien ; en 1552, année où, par suite de
l'expédition d'Henri II, la guerre menace de
nouveau, 50.000 francs (187). Ainsi
s'expliquent, au moins en partie, les excédents
de recettes des dernières années de la tutelle.
V
Les précédents ducs, François
Ier, Antoine et même René II, avaient laissé des
dettes assez importantes que les tuteurs eurent
soin d'éteindre dès les premières années de leur
gestion. Si, comme nous le croyons, l'initiative
de ces remboursements revient surtout à
Chrétienne, nous y voyons la preuve qu'en
matière d'argent, elle aime les situations
nettes. Nous n'avons pas trouvé trace d'emprunts
faits. par elle et elle veut en finir avec les
emprunts de ses prédécesseurs.
Quand le taux de ces emprunts est spécifié, ce
qui ne se voit que rarement, c'est toujours le
taux de cinq pour cent. Ceci confirmerait le
fait que le duc Antoine aurait établi ce taux
par une ordonnance du 1er avril 1535 (188). Cet
intérêt raisonnable parait s'être maintenu
pendant la minorité de Charles III. Mais quand,
un peu plus tard, la Lorraine sera menacée à la
fois par les huguenots français et par leurs
auxiliaires allemands, il sera bien vite dépassé
: en 1570, au plus fort de ces incursions,
Charles III sera réduit à emprunter à huit pour
cent (189). L'année suivante, il fixera
l'intérêt à sept pour cent (190) et c'est à ce
taux qu'il empruntera, même dans cette année
1587 où la Lorraine courut les plus grands
périls, et où, pour lever et payer une armée, le
duc dut contracter tant de dettes.
Quant aux prêteurs, ils appartiennent à toutes
les classes de la société et il ne semble pas
qu'il y ait eu alors en Lorraine, comme en
France, une catégorie spéciale des gens de
finances (191). Prêtait qui avait de l'argent
liquide, par exemple des membres de la haute
noblesse, comme Ferry de Lignivillie, seigneur
de Tantonville, qui a fourni 2.000 francs à René
II, et Jean d'Haussonville, qui en a avancé
5.000 au duc François (192), Jean, comte de
Salm, seigneur de Viviers, maréchal de Lorraine,
qui a prêté au duc François 2.000 écus d'or au
solleil valant 6.750 francs de Lorraine (193).
On voit aussi, parmi les créanciers du duc, des
fonctionnaires de tout rang, par exemple un
bailli d'Allemagne, dont le nom manque, qui a
prêté 6.000 francs (194), Nicolas Mengin,
président de la Chambre des comptes de Lorraine,
à qui sont dus 7.687 francs (195), Louis de
Lescut, lieutenant du bailli de Nancy, qui a
prêté 4.000. francs au duc Antoine (196), Jean
Beurges, contrôleur général de Lorraine, qui en
a versé 6.000 au duc François (197), un prévôt
de Blâmont qui a avancé 4.000 francs au même
(198).
Les prêteurs sont moins nombreux dans la
bourgeoisie qui n'était sans doute pas très
riche. On voit cependant un bourgeois de
Pont-à-Mousson, Chardin Serrières, qui a prêté
1.066 francs au duc Antoine en 1543, et ce
médecin dont il a été question dans le tableau
des dépenses, Sébastien Boucquet, qui a fourni
1.500 francs au duc François (199). D'autre
part, les quatre gouverneurs d'Epinal, agissant
au nom de leur ville, qui est prospère, ont
prêté 4.000 francs au duc Antoine en cette même
année 1543 où il lui fallait armer pour défendre
sa neutralité (200).
Le clergé également figure parmi les créanciers
des ducs, mais pour des sommes modestes. Dans le
clergé séculier, Gilles de Trèves, doyen de la
collégiale Saint- Maxe de Bar, et fondateur dans
cette ville d'un collège qui portait son nom, a
prêté 2.800 francs au duc François (201). Dans
le clergé régulier, on voit mentionnées l'abbaye
de Belchamps pour 500 francs, celle de Sainte-
Marie-au-Bois pour la même somme, et celle de
Saint- Sauveur en Vosges pour 1.012 francs
(202).
On aimerait savoir, mais on ignore jusqu'à quel
point ces prêts ont été librement consentis.
Plus tard, dans des jours d'urgente nécessité,
le duc Charles III sera obligé de recourir à des
sortes d'emprunts forcés. Et il y avait eu
également des circonstances critiques et des
périls pressants sous les règnes d'Antoine et de
François Ier.
(A
suivre.)
(1) LEPAGE et
GERMAIN, Complément au nobiliaire, p. 256 et ss.
(2) ROGÉVILLE, Dictionn., t. I, p. 482-484. -
SOUHESMES, Etude sur la criminalité, p. 106,
croit que cette mesure de Chrétienne est
inspirée par les canons du concile de Trente
contre le duel ; mais c'est en 1563 seulement
que ce concile a condamné le duel (SARPI, t. II,
p. 743). Il s'est ouvert le 13 décembre 1545,
quelques jours avant que Chrétienne fît son
mandement, et il eut tout d'abord à s'organiser,
à régler des questions de procédure et de
préséances, avant de songer à légiférer.
(3) Arch. M.-et-M., B 23, fol. 59 v°.
(4) Ibid., fol. 85 v°.
(5) lbid., fol. 71.
(6) lbid., fol. 10 v° : B 26. fol. 166 v°.
(7) Arch. M.-et-M., B 10.357, fol. 27 v°.
(8) Ibid., B 10.356, fol. 17.
(9) ROGÉVILLE, Dictionn., t. II, p. 351.
(10) Peut-être Villers-devant-Orval, province
belge de Luxembourg, arrond. Virton, cant.
Florenville.
(11) Arrêt du 1er septembre 1547 (Arch.
M.-et-M., B 24, fol. 102).
(12) Arch. M.-et-M., B 23, fol. 204 v°. -
Batilly, cant Briey ; Récicourt, cant.
Clermont-en-Argonne.
(13) Ibid., B 26, fol. 177 v°. - Lisle-en-Barrois,
cant. Vaubecourt ; Seraucourt, cant. Triaucourt.
(14) Tout ce litige est relaté dans les lettres
patentes du 29 décembre 1548 (Arch. M.-et-M., B
23, fol. 195-200). Dans le même registre, fol.
360 v°, est une commission au bailli d'Epinal
pour exécuter la sentence.
(15) Arch. M.-et-M., B 23, fol. 355 v°.
(16) Par M. Gaston ZELLER dans. l'Annuaire de la
Société d'archéologie de Metz, 1928, p. 571-578
; il est aussi question de oe litige dans la
Gallia christiana, t. XIII, col. 910.
(17) Chef-lieu cant. de l'arrond. Mirecourt.
(18) SOUHESMES, La criminalité, p. 143.
(19) B. N., Coll. lorr., 259 bis, fol. 1.
(20) Arch. M.-et-M., B 416, fol. 357 V.
(21) Ibid., B 28, fol. 8.
(22) POIRIER, Metz, Documents généalogiques, p.
313 ; Mém. Acad. Stanislas, 1883, p. 189 ; LA
CHENAYE-DESBOIS, Dict. de la noblesse, t. X, p.
272.
(23) LEPAGE, Comm. Meurthe, 1.1, p. 261. -
Condé, aujourd'hui Custines, cant. Nancy-Est.
(24) Arch. M.-et-M., B 1071, fol. 231 v° ; B
1076, fol. 220 v°, 223.
(25) Invent. des ducs de Lorr., p. VIII-XII ;
Mém. Acad. de Stanislas, 1880, p. 323.
(26) Arch. M.-et-M., B 622, nos 49-51. Sur ce
procès, cf. DUMONT, Justice criminelle, t. II,
p. 147 ; Louis LALLEMENT, dans J.S.A.L., 1858,
p. 122-134 ; Dr DONNADIEU, L'hérédité, p. 99.
(27) Arch. M.-et-M., B 8633.
(28) Ibid., B 1076. fol. 268 ; B. 2460, fol.
108.
(29) Arch. M.-et-M., B 23, fol. 101.
(30) Ibid., B 26, fol. 232.
(31) Ibid., B 23, fol. 334 v°.
(32) Arch. M.-et-M., B 26, fol. 171 v°. - Parroy,
canton Lunéville-Sud.
(33) Ibid., B 23, fol. 5, v°. - Salmagne, arr.
Bar-le-Duc, cant. Ligny.
(34) Ibid., B 23, fol. 120. - Sommerviller,
cant. Lunéville-Nord.
(35) Ibid., B 23, fol. 165 v°.
(36) Ibid., B 26, fol. 169. - Ceintrey, cant.
Haroué.
(37) Arch. M.-et-M., B 26, fol. 62.
(38) Ibid., B 23, fol. 226 v° ; B 26, fol. 271.
(39) Ibid., B 23, fol. 221.
(40) Ibid., B 26, fol. 64.
(41) Arch. M.-et-M., B 23, fol. 289.
(42) Ibid., B 26, fol. 75 v°. - Brainville,
Haute-Marne, cant. Bourmont.
(43) Ibid., B 26, fol. 137.
(44) Ibid., B 23, fol. 101.
(45) Arch. M.-et-M., B 26, fol. 89.
(46) Ibid., B 23, fol. 72. - Bouzonville,
chef-lieu cant. de l'arr. Thionville.
(47) lbid., B 2108, fol. 74.
(48) Arch. M.-et-M., B 23, fol. 74, rémission
citée par Souhesmes, p. 230. - Dommartin-sous-Amance,
cant. Nancy-Est.
(49) Mgr BONNARD, p. 32.
(50) B. N., Coll. lorr., 222, fol. 29.
(51) Biblioth. de l'Institut. Collect. Godefroy,
ms. 338, fol. 1&4.
(52) B. PICART, Hist. de Toul, p. 634-635 ;
PIMODAN, p. 11 ; Eug. MARTIN, Hist. des
diocèses, t. I, p. 594.
(53) Arch. M.-et-M., B 23, fol. 61.
(54) Eug. MARTÍN, op. cit., t. I, p. 596.
(55) Arch. M.-et-M., B 1076, fol. 178.
(56) Lettres patentes du 16 février 1552, n. st.
(Arch. M.-et-M., p, 27, fol. 27 v°).
(57) Arch. M.-et-M., B 23, fol. 319. -
Fontenoy-en-Vosges est dans le canton de Bains,
Thicourt dans le canton de Faulquemont.
(58) Ibid., B 23, fol. 171 v°. - Dagonville,
cant. Commercy.
(59) Ibid., B 26, fol. 77.
(60) Arch. M.-et-M., B 26, fol. 77.
(61) Ibid., B 26, fol. 66.
(62) Ibid., B 26, fol. 5 v°. -
Chaumont-sur-Aire, cant. Vaubecourt.
(63) Arch. M.-et-M., B 23, fol. 63. - Auzéville,
cant. Clermont-en-Argonne.
(64) Ibid., B 23, fol. 56 v°. - Bouconville,
cant. Saint-Mihiel.
(65) Arch. M.-et-M., B 23, fol. 64 v°.
(66) Ibid., B 23, fol. 133 v°.
(67) lbid., B 23, fol). 340. - Vaudémont, cant.
Vézelisie.
(68) Ibid., B 23, fol. 267.
(69) lbid., B 23, fol. 204 v°.
(70) Ibid., B 26, fol. 83 v°. - Mélignry-le-Grand,
cant. Void.
(71) Ibid., B 26, fol. 267.
(72) lbid., B 27, fol. 33 v°. - Hattonchâtel,
cant. Vigneulles.
(73) Arch. M.-et-M., B 27, fol. 204.
(74) Ibid., B 26, fol. 234.
(75) Ibid., B 26, fol. 106, 175 v°. -
Herbéviller, cant. Blâmont.
(76) Ibid., B 23, fol. 14 v°, 359.
(77) Ibid., B 26, fol. 7-9. - Bouconville, cant.
Saint-Mihiel.
(78) Ibid., B 23, fol. 15 v°, 255 V.
(79) Ibid., B 23, fol. 134 v, ; B 27, fol. 152
v°.
(80) Ibid., B 23, fol. 106.
(81) Ibid., B 23, fol. 100 ; B 26, fol. 261.
(82) Ibid., B 23, fol. 31, 93 v° ; B 27. fol.
208.
(83) Ibid., B 23, fol. 55 v°.
(84) Ibid., B 26, fol. 113.
(85) Ibid., B 23, fol. 64, 155 v°, 279 v°, 329
v°, 311 v°, 178.
(86) SARPI, t. II, p. 740.
(87) Mathieu Ier, chap. III.
(88) Arch. Meuse, B 548, fol. 186.
(89) Arch. M.-et-M., B 6174, fol. 40 v° ; B
6175, fol. 41 v°.
(90) Ibid., B 8140, fol. 144-145.
(91) D'ordinaire, on la vieillit en mettant sa
naissance en 1462 ; il paraît certain que ses
parents se sont mariés en décembre 1463.
(92) La vie et trespas, fol. Q 9, 3-5.
(93) Lettre du 17 mars 1547 dans J.S.A.L., 1870,
p. 159-160.
(94) Arch. M.-et-M., B 8141, fol. 140 v°.
(95) Ibid., B 23. fol. 274 v°.
(96) Paul DENIS, Ligier Richier, p. 312.
(97) Arch. M.-et-M., B 26, fol. 198. -
L'Etanche, comm. de Deuxnouds-aux-Bois, cant.
Vigneulles.
(98) Ibid., B 4436.
(99) Ibid., B 1076, fol. 176 v°.
(100) Ibid., B 10.356, fol. 16 v°.
(101) Ibid., B 10.357, fol. 31 v°.
(102) Ibid., B 23, fol. 20 v°.
(103) Ibid., B 1076, fol. 18 v°.
(104) Ibid., B 1082, 4436, 5277 (fol. 67 v°),
9819.
(105) Ibid., B 4436.
(106) Ibid., B 6175.
(107) Ibid., B 23, fol. 146 v° ; B 26, fol. 241
v°.
(108) Ibid., B 26. fol. 146 v°.
(109) Ibid., B 26, fol. 255 v° ; H. LEPAGE,
L'abbaye de Saint-Martin, dans M.S.A.L. 1878, p.
165 ; dom CALMET, Hist. maison du Châtelet, p.
192-195.
(110) ROGÉVILLE, Dictionn., t. I, p. 565-569.
(111) Arch. M.-et-M., B 1077, fol. 107 yo.
(112) H. DANNREUTHER, dans Mém. de la Soc. des
lettres de Bar- le-Duc, 1883, p. 95-96.
(113) A. DE MAHUET, Biographie de la Chambre des
comptes de Lorraine, p. VI.
(114) Arch. M.-et-M., B 10.357, fol. 49.
(115) Arch. M.-et-M., B 10.356, fol. 8.
(116) Ibid., B 10.356 et ss. On lit sur le
premier registre : 1545, mais comme dès les
premières lignes il est question des tuteurs,
nous avons la preuve qu'il faut entendre 1546 de
notre calendrier. - Il n'y a pas de collection
analogue pour la Chambre des comptes de Bar.
(117) Cette ordonnance, dont les dates de mois
et de jour sont restées en blanc, est analysée
par Henri LEPAGE dans M.S.A.L. 1869, p. 195-197,
d'après l'original sur parchemin (Arch.
M.-et-M., B 844, n° 43). Elle compte de 70 à 80
articles non numérotés. Lepage constate qu'elle
est en grande partie illisible et qu'on n'en
peut déchiffrer que quelques passages. Il va
sans dire qu'elle est encore plus illisible en
1936 qu'en 1869.
(118) Arch. M.-et-M., B 10.356, fol. 21.
(119) Ibid., B 1088, fol. 102.
(120) Arch. M.-et-M., B 1076, fol. 195.
(121) M.S.A.L., 1869, p. 213-214.
(122) Arch. M.-et-M., B 1082, fol. 13. 14.
(123) Ibid., B 1084, fol. 13, 14.
(124) Ibid., B 1088, fol. 15, 17.
(125) lbid., B 1078, 1080.
(126) Ibid., B 1079, fol. 132.
(127) Arch. M.-et-M., B 1080, fol. 229-245.
(128) Les comptes de ces receveurs sont aux
Archives de Meurthe-et-Moselle, mêlés dans
l'ordre chronologique aux comptes du trésorier
général et d'autres agents.
(129) Leurs comptes sont aux Archives de la
Meuse, B 539 et ss.
(130) « Papier et compte des, receptes et
despences faictes par Jehan d'Amance, chambre
aux deniers de Mgr le duc. » (Arch. M.-et-M., B
989.) Ce compte, qui s'applique à l'exercice
1491-92, est le deuxième présenté par Jean d'Amance
; le premier manque. Les comptes suivants
donnent toujours au comptable ce même titre de «
Chambre aux deniers », et dans, celui de 1494-95
(B 993), on voit que Jehan d'Amance est en
réalité Jehan Gerlet, d'Amance.
(131) Arch. M.-et-M., B 989.
(132) Henri LEPAGE qui donne quelques
indications sur les receveurs et trésorier dans
ses Offices des duchés de Lorraine et de Bar (M.S.A.L.,
1869, p. 208-9), ne dit rien de l'argentier.
(133) Compte de 1544 (B 1073).
(134) Arch. M.-et-M., B 24, fol. 15 v° ; B 26,
fol. 233 v°. On ignore à quelle date exacte il
devint trésorier général, les lettres patentes
de 1544 et 1545 n'existant plus.
(135) Le plus ancien compte qui nous reste de ce
La Ruelle est de 1557 (B 1114), mais il est
intitulé « Compte sixiesme ». Dès 1548, il est
qualifié argentier du duc, avec 200 fr. de
gages. (Ibid., B 1084. fol. 45)
(136) M.S.A.L., 1869, p. 209.
(137) Voir le compte de 1523 publié par DOUCET
dans le Bull. histor. du Comité des travaux
histor., 1920, p. 32.
(138) Arch. M.-et-M., B 1091, in-4° de 282
feuillet. - Les archives possèdent deux autres
registres récapitulatifs analogues, B 1051 pour
les années 1524 à 1532, B 1113 pour les années
1545 à 1557.
(139) Henri LEPAGE dans M.S.A.L.. 1875. D. 8.
(140) MAXE-WERLY, Recherches sur les monnayeurs,
p. 82-95.
(141) Ordonn. du 20 déc. 1511, dans ROGÉVILLE,
Dict., t. II, p. 95-96.
(142) H. LEPAGE, op. cit., p. 48-49.
(143) L. WIÉNEE dans M.S.A.L., 1900, p. 108-114.
(144) WIÉNER, op. cit., et DE SAULCY, Recherches
sur les monnaies, p. 129-130.
(145) Arch. M.-et-M., B 1091, fol. 92-93.
(146) Ibid., B 1079, fol. 1-29.
(147) Chrétienne de Danemark, à qui elle avait
été donnée en douaire.
(148) Par exemple les recettes du passage de
Nancy., Arch. de M.-et-M., B 7549-7685.
(149) Ibid., B 1080, fol. 151-157.
(150) Arch. M.-et-M., B 1092, fol. 14 v°.
(151) Ibid., B 1091, fol. 9, 12, 21.
(152) Arch. M.-et-M., B 26, fol. 103 v°.
(153) Ibid., B 26, fol. 111.
(154) Ibid., fol 28.
(155) Ibid., fol. 246. - Dans tous ces
abornements, il ne s'agit que de l'aide
ordinaire ou aide Saint-Remy.
(156) Ibid., B 1113, fol. 49.
(157) Arch. M.-et-M., fol. 32.
(158) Ibid., B 1077, fol. 123 ; B 10.356, fol.
19.
(159) Cf. Pierre BOYÉ, Les abeilles, la cire et
le miel en Lorraine, dans M.S.A.L., 1906, p.
5-108.
(160) La cire ne coûtant rien, on en faisait une
consommation énorme à l'enterrement des membres
de la maison ducale : pour Antoine, on met 650
cierges rien que sur le catafalque ; quand le
corps du duc François arrive à Saint-Nicolas,
les bourgeois et écoliers qui vont le recevoir
portent un millier de cierges ; quoique Philippe
de Gueldre ait des obsèques bien simplifiées,
puisqu'elle a renoncé au monde, on envoie à
Pont-à-Mousson 157 livres de cire pour faire le
luminaire ; il y a plus de 2.000 cierges à
l'enterrement de la duchesse Claude en 1575 (P.
MAROT, Recherches sur les pompes funèbres, p.
29, 30, 38, 40).
(161) Voici deux exemples de gages partie en
argent, partie en nature : Humbert de Donoourt,
capitaine de Châtenois, reçoit par an 60 fr., 30
résaux de blé, 40 résaux d'avoine ; Philippe des
Sales, capitaine de Neufchâteau, reçoit par an
200 fr., un muid de sel, douze chars de foin,
six livres de cire, plus un cent de poissons sur
un étang des Vosges chaque fois qu'il est péché.
(Arch. M.-et- M., B 1076, fol. 198, 200.)
(162) Arch. M.-et-M., B 1079, fol. 32 à 164.
(163) Condé-sur-Moselle, aujourd'hui Custines,
cant. Nancy-Est.
(164) Anne de Lorraine, fille du duc Antoine,
avait épousé en août 1540, René de Châlon,
prince d'Orange.
(165) Cf. J.S.A.L., 1898, p. 89.
(166) Marie de Lorraine, fille de Claude,
premier duc de Guise, nièce d'Antoine. Née en
1515, elle épousa, en 1534, Louis d'Orléans, duc
de Longueville, qui mourut peu après, et se
remaria en 1538 à Jacques V, roi d'Ecosse.
(167) L'autre moitié lui est payée par le
receveur général du duché de Bar. Il s'agit de
Nicolas de Lorraine, évêque de Metz, l'un des
tuteurs.
(168) En 1528, le duc Antoine avait acheté à ce
comte moitié de la ville de Boulay.
(169) Ambrosio Precipiano, ingénieur italien.
(170) Soldats de seconde catégorie qui tiennent
garnison dans les forteresses et s'opposent aux
soldats qui font campagne.
(171) Cf. plus haut, p. 125.
(172) Arch. M.-et-M., B 1078, fol. 32.
(173) Arch. M.-et-M., B 1084, fol. 86.
(174) lbid., B 1082. fol. 94 : B 1084. fol. 8fl.
(175) Ibid., B 1082, fol. 28-29.
(176) Arch. M.-et-M., B 1084, fol. 30-31.
(177) Ibid., B 1092, fol. 53, 54.
(178) Arch. M.-et-M., B 1084, fol. 46. - On
trouve ailleurs le nom complet du chirurgien,
Philippe Dautreppe.
(179) Bartolomeo Castel San-Nazar, seigneur de
Morley, né à Côme, devenu vers 1520 médecin du
duo Antoine. Cf. M.S.A.L.,. 1887, p. 5-35.
(180) Arch. M.-et-M., B 1084, fol. 79 v°.
(181) Ibid., B 1084, fol. 85 v°.
(182) Ibid., même fol.
(183) BOUSTRIC dans les Notices et extraits des
manuscrits, t. XX, 21 partie, 1862, p. 209-213.
(184) Voir les travaux de MM. JACQUETON,
Documents relatifs à l'administration financière
; MEYNIAL, dans la Revue histor. de droit,
1920-1921 ; Roger DOUCET, dans le Bull. histor.
du Comité, 1920.
(185) De même aujourd'hui, dans les Archives
départementales, les budgets des communes. sont
supprimés après quelques années, tandis que
leurs comptes sont gardés perpétuellement.
(186) Voir nos Etats généraux de Lorraine. D.
218. 454.
(187) Arch. M.-et-M., B 1091, fol. 9-22.
(188) ROGÉVILLE, Dictionn., t. II, p. 644,
signale cette ordonnance, mais ajoute qu'il ne
la publie point parce qu'elle lui paraît
suspecte. Nous n'avons pu en découvrir le texte.
(189) Arch. M.-et-M., B 539, n° 18.
(190) ROGÉVILLE, Dictionn., t. II, p. 644.
(191) Voir l'ouvrage de SPONT sur Semblançay.
(192) Arch. M.-et-M., B 1076, fol. 175 v°, 190V.
(193) Ibid., B 1077, fol. 89.
(194) Ibid., B 9379.
(195) Ibid., B 1082, fol. 115.
(196) Ibid., B 1076, fol. 185.
(197) Ibid., B 1084, fol. 112.
(198) Ibid., B 1088, fol. 133.
(199) Ibid., B 1078, fol. 106, 108.
(200) Arch. M.-et-M., fol. 104.
(201) Ibid., B 1082, fol. 115.
(202) Ibid., B 1078, fol. 115 ; B 1086, fol. 96.
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