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LA LORRAINE-ARTISTE 5 octobre 1890
 
LE CHATEAU DE PIERRE-PERCÉE
 
Les soirs d'hiver, en nos campagnes lorraines, alors que le vent souffle à 
travers les grands arbres, et que la neige couvre la terre, une histoire, 
vieille de plusieurs siècles, court encore dans les veillées. On se raconte, aux 
environs de Blâmont, de Badonviller et de Raon-l'Etape, le siège héroïque de 
Pierre-Percée et les légendes naïves ou terribles de Damegaule et de la 
Pierre-à-Cheval.
 Bercé par tous ces souvenirs d'antan, j'avais toujours revu avec un secret 
effroi cette montagne si pittoresque qui porte encore les ruines gigantesques du 
vieux castel des princes de Salm.
 Le 15 avril 1888, j'avais vu dans la Lorraine-Artiste une fort belle phototypie, 
représentant un coin de l'antique château, la tour colossale qui a résisté 
depuis plus de six cents ans, et j'avais toujours eu le désir de rappeler en 
quelques mots l'histoire de cette célèbre forteresse féodale. Au cours des 
dernières vacances, j'ai pu enfin prendre une vue panoramique de la montagne et 
de l'humble village qui s'est élevé tout à sa base, et qui porte aujourd'hui le 
nom, si glorieux jadis, de Langstein ou Pierre-Percée.
 Voici, d'après H. Lepage, quelques notes historiques sur Pierre-Percée :
 « Pierre-Percée, appelé d'abord Langstein, ne changea de nom que lorsqu'on eut 
percé la roche à coups de marteaux pour y creuser un puits. Le château, bien 
antérieur au village, fut bâti par les comtes de Salm, sur le rocher de 
Langstein, à l'imitation de tous les châteaux flanqués de tours que les princes 
faisaient construire pour leur sûreté personnelle. Ses fortifications, autant 
que son assiette, le rendaient à peu près imprenable, car Etienne de Bar, évêque 
de Metz, fut obligé, pour le réduire (1163), de le tenir assiégé pendant plus 
d'un an, et de bâtir à l'entour trois forts, d'où il le battait en brèche. Au. 
XIIe siècle, ce château ne portait encore que le nom de Langstein, et, en 1140, 
Agnès de Salm, fondatrice de l'abbaye de Haute-Seille, ne se qualifie que de 
dame de Langstein. En 1258, Jacques de Lorraine, évêque de Metz, acquit le 
château de Pierre-Percée et ses dépendances, et, depuis lors, les comtes de Salm 
en firent hommage aux prélats messins. Le château, l'un des plus forts de la 
contrée, fut détruit, dit-on, au XVIIe siècle, et le puits est en partie 
aujourd'hui comblé par des pierres. Quant au village, il s'est formé peu à peu 
au pied du rocher. A peu de distance de l'ancien château et sur la même ligne de 
montagnes, on trouve encore les faibles restes du château de Damegaule, qui 
était une dépendance de Pierre-Percée. Les ruines de cette dernière forteresse 
ont été dessinées sur les lieux, et peintes, en 1782, par Claudot.
 M. Docteur, membre de l'Académie de Stanislas, a publié, en 1840, un roman 
historique sur Pierre-Percée » (1).
 Le château et le village de Pierre-Percée furent ruinés pendant les guerres du 
XVIIe siècle, ainsi que l'atteste la note suivante des comptes du Domaine de 
Salm : « Le château et le village ont été brûlés par les dernières guerres ; n'y 
résident à présent (1641) que deux pauvres habitants mendiants ». En 1642, il 
n'y avait plus qu'un pauvre habitant.
 Pierre-Percée, qualifié seulement de hameau en 1782, et ne renfermant que 26 
feux, dépendait de la paroisse de Celles. L'église, représentée au premier plan 
de notre phototypie, a été rebâtie en 1758. Le 11 mars 1838, cette petite 
commune, qui compte aujourd'hui 350 habitants, a été érigée en succursale, sous 
le patronage de saint Gengoult.
 De Pierre-Percée dépendent les censes et hameaux suivants : le Louvre, la Forge, 
la Basse-Jean-Georges, Devant-la-Côte-du-Moulin, la Menelle, la Scie, 
Xapenamoulin, Chararupt, Voirhagotte, le Neuf- Champ, Pierre-à-Cheval, Jérusalem 
et Xaveur.
 Il nous faut ajouter quelques renseignements sur cet antique manoir, qui fut si 
puissant autrefois. La phototypie que nous en donnons signale exactement l'état 
des ruines en 1890. La Pierre- Percée, le puits d'Agnès de Salm, creusée en 
1130, existe toujours, enfouie sous un amas de décombres. Elle a encore plus de 
dix mètres de profondeur. Quoique percé dans le roc, ce puits est d'une 
sphéricité parfaite ; il a neuf mètres de tour. Il est aussi évasé au fond qu'à 
l'orifice ; la tour carrée qui le surmonte a été reproduite, en 1888, dans la 
Lorraine-Artiste du 15 avril.
 Ce fut en 1087, que les comtes de Salm prirent possession de la montagne 
rocheuse de Pierre-Percée. Là, Hermann Ier, fils de Gislibert, comte de 
Luxembourg et de Salm, lutta presque sans trêve contre le château de Damegaule, 
retraite de bandits féodaux, qui ne disparurent totalement qu'après l'expédition 
guerrière de l'évêque de Metz, Etienne de Bar.
 Vers l'année 1110, Hermann II, qui avait ajouté au titre de comte de Salm, en 
Ardenne, celui de Sire de Langstein, épousa Agnès, dont il eut deux fils, 
Hermann, Henri et Mathilde. Ce prince mourut en 1130, et fut enterré à Senones, 
où devait plus tard finir l'éclat de cette maison princière indépendante.
 A la mort de son mari, Agnès prit en main le gouvernement et fit reconstruire le 
château de Langstein.
 Ce château, qui n'occupait qu'une extrémité du rocher, le couvrit bientôt en 
entier. Long de 150 mètres, ce rocher se dressait à pic : au sommet, Agnès fit 
construire la fameuse tour carrée qui existe encore en partie, pour défendre 
l'entrée de l'édifice.
 Cette entrée n'était autre chose qu'une poterne assez étroite, placée à 
vingt-cinq pieds au-dessus du sol, accessible seulement du côté du pont-levis.
 Du même côté, Agnès, fit creuser un puits de douze pieds de diamètre, et profond 
de mille pieds, lequel fut appelé Pierre-Percée, et fut l'oeuvre de vingt années 
de travail.
 A l'extrémité orientale du rocher, la comtesse de Salm érigea une chapelle, en 
l'honneur de saint Antoine, patron du désert, puis, à trois lieues de Langstein, 
elle fonda l'abbaye de Haute-Seille, qu'elle dota richement, et qui fut 
consacrée par Etienne de Bar en 1145.
 Il y en aurait long à raconter sur le siège de Pierre-Percée, par Etienne de 
Bar, sur les mystères de la Mer, de la Pierre-à- Cheval, et sur les ruines de 
Damegaule; mais a nos lecteurs et amis, que n'effraierait pas une excursion à 
Pierre-Percée et au puits de la comtesse Agnès, nous recommanderons un guide 
excellent, le livre de M. Docteur : Le château de Pierre-Percée, roman 
historique qui redira à tous les visiteurs émus les gloires de ce vieux rocher 
isolé en notre pays de Lorraine, et démantelé par ordre de celui qui fut le 
mauvais génie et le fléau de notre nation, il y a deux cents ans : Armand de 
Richelieu, ministre de Sa Majesté Louis XIII.
 
 A. H.
 
  
(1) Le Château de Pierre-Percée, roman 
historique tiré de l'Histoire des comtes de Salm, dans le XIIe siècle, par J.-C. 
Docteur. Saint-Dié, 1840, 1 vol. in-8*.
 
 
 
LA LORRAINE-ARTISTE 15 avril 1888
 
 
  
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