La Lorraine
commerçante sous le règne nominal de Stanislas (1737-1766)
Pierre Boyé
Éd. Nancy, Sidot frères, 1899
CHAPITRE PREMIER
La Lorraine, province d'étranger effectif. - Les douanes.
Les provinces de France, au
XVIIIe siècle, étaient, quant au système douanier, divisées en
trois classes bien distinctes. Pour les provinces des Cinq
grosses Fermes les droits de traites étaient reportés aux
frontières ; le tarif de Colbert, de 1664, et ceux qui en
étaient issus faisaient loi : telle la Champagne. Les provinces
réputées étrangères, c'est-à-dire les provinces restées
étrangères au tarif, payaient les droits locaux, droits établis
pour la plupart avant la réunion : la Franche-Comté, par
exemple. Enfin les Trois-Evêchés et l'Alsace - pour ne pas
énumérer divers ports francs - étaient provinces dites
étrangères ou d'étranger effectif. Une ligne de traites les
séparait du reste du Royaume ; elles commerçaient librement avec
l'extérieur.
En 1737, après la guerre de la Succession de Pologne et les
premières signatures données à Vienne, le ministère français, ne
laissant à Stanislas qu'une souveraineté toute nominale, prit en
main l'administration effective de la Lorraine et du Barrois.
Les Duchés, devenus, dès cette heure, une nouvelle province,
s'ajoutèrent aux territoires alsacien et évêchois pour donner
quelque homogénéité à ce coin nord-est de la France, soumis à un
régime économique spécial. Nous verrons toutefois qu'à
rigoureusement parler, les trois provinces étrangères n'étaient
point traitées d'une façon \absolument identique.
En sa qualité de province d'étranger effectif, la Lorraine
continua donc de connaître, après la perte de son autonomie,
tous les anciens avantages et inconvénients qui jusqu'alors
avaient facilité ou entravé ses transactions, tant pour l'entrée
que pour la sortie des marchandises.
La situation géographique, extrêmement compliquée, qu'au cours
des siècles, les nécessités ou les abus de la politique avaient
créée aux Duchés, n était pas sans avoir eu un retentissement
singulier sur la double enceinte de péages dans laquelle
l'intérêt de ses souverains, comme celui de quelques uns de ses
nombreux voisins tenaient le petit Etat plus ou moins
rigoureusement isolé. L’étude de la barrière fiscale qui
enserrait la Lorraine ne va pas sans quelque aridité. Elle est
cependant indispensable. C'est l'examen préliminaire qui
s'impose à quiconque veut avoir une idée juste de ce qu'était le
commerce lorrain vers le milieu du XVIIIe siècle.
I. - DOUANES LORRAINES
A l'exception d'un droit spécial d'entrée sur les cuirs et peaux
façonnés ; d'un droit supplémentaire de sortie sur ces produits
en vert ; de droits d'entrée sur les fers étrangers et de sortie
sur le minerai, majorant les chiffres des tarifs généraux,
toutes les traites perçues à la frontière lorraine étaient
comprises sous la dénomination générique de Foraine. Les divers
péages rentrant dans cette catégorie peuvent être distingués en
six espèces : haut-conduit, entrée-foraine, issue-foraine, droit
de traverse, impôt sur les toiles et droits d'acquit-à-caution.
Nous avons, dans de précédentes recherches, défini chacun de ces
droits, examiné en détail leur mode de perception et leur
importance respective (1). Jusqu'à 720 bureaux de la Foraine
bordèrent, sous Stanislas, les capricieuses limites du pays,
renforçant jalousement les pénétrations de territoires et la
circonférence de toutes ces enclaves simples ou concentriques
dont était marqueté le sol lorrain. Mais, comme à chacun de ces
postes de péage les marchandises n'étaient pas uniformément
soumises aux différentes taxes de la Foraine, que la Ferme
générale ne pouvait exiger partout le payement intégral des
tarifs, il y a lieu de noter les adoucissements apportés peu à
peu par les traités et les concordats dans les relations
journalières de plusieurs régions limitrophes.
Le cordon de la Foraine doit à cet effet être coupé en un
certain nombre de sections. Ces sections se rangent
d'elles-mêmes sous trois rubriques bien distinctes, suivant
qu'elles séparent la Lorraine de l'étranger proprement dit,
d'une province française demeurée d'étranger effectif, ou,
enfin, de quelque autre partie du Royaume.
A. - FRONTIÈRES DE L'ETRANGER PROPREMENT DIT
a) Principauté de Salm. - Ce qui passait de la province pour le
comté de Salin, domaine de Lorraine, n'était naturellement
soumis à aucun droit, non plus que ce qui venait de ce
territoire. Mais ce qui sortait de Lorraine pour la Principauté,
et réciproquement, devait tous les droits. Tant qu'il y eut des
régions mi-parties ou indivises, les marchandises furent
assujetties à la moitié des tarifs.
b) Baronnie de Fénétrange. - Jusqu'à la convention du 2l
décembre 1752, la baronnie de Fénétrange fut considérée comme
une terre étrangère. On ne connaissait aucun traité entre les
ducs de Lorraine et les princes de Salm concernant la Foraine
(2).
c) Comtés de Nassau-Saarwerden et de Nassau-Saarbrück. - Le
comté de Nassau-Saarwerden renfermait la ville lorraine de
Bouquenom (aujourd'hui Saar-Union) où, par tolérance, il n'avait
pas été établi de Bureau de la Foraine ; mais les marchandises,
en venant ou y allant, payaient comme pour un territoire
étranger. Ce Comté comprenait aussi d'autres villages lorrains
dans plusieurs desquels fonctionnaient des Bureaux. Par suite
d'un traité du 23 août 1581, ce qui passait d'un Etat à l'autre,
pour la cour des princes ou celle de Lunéville, était exempt de
tout péage, tandis que les sujets restaient complètement soumis
aux droits de la Foraine.
d) Duché de Deux-Ponts. - En vertu d'un traité du 25 avril 1724,
il y avait pour les habitants du duché de Deux-Ponts et pour
ceux du comté de Bitche franchise réciproque des denrées de leur
cru et des marchandises de leurs fabriques, mais pour leur usage
seulement. Les provisions destinées aux cours étaient
pareillement exemptes. Les péages se percevaient dans tous les
autres cas.
e) Comté de Blieskastel. - Depuis un décret de Léopold, du 29
mars 1724, il était défendu de lever des droits sur les
marchandises passant des cinq villages étrangers de la mairie de
Welferding dans la ville de Sarreguemines et banlieue, ou
réciproquement.
f) Comté de Créhange. - Les villages impériaux du comté de
Créhange étaient strictement assujettis aux droits de la
Foraine.
g) Schambourg. - Les terres de Merzig et du Sargau, indivises
entre le duc de Lorraine et l'électeur de Trèves, étaient
composées de 21 villages qui ne payaient aucune taxe pour leurs
communications avec la Lorraine, mais qui étaient soumis aux
droits pour celles qu'ils entretenaient avec l'Electorat.
h) Electorat de Trèves. - L'électeur de Trèves soutenait que ses
sujets ne devaient pas payer ceux des droits lorrains qui
étaient postérieurs à un traité de 1581. Cette prétention
n'avait jamais été instruite à fond. La Ferme générale percevait
donc la Foraine sur toutes les marchandises entrant dans
l'Electorat ou en venant. Le Grand Chapitre de Trèves, les
Jésuites, les religieux de Saint-Mathias jouissaient de quelques
privilèges pour les denrées tirées des terres qui leur
appartenaient dans les Duchés.
i) Duché de Luxembourg. - La Lorraine percevait tous les droits
sur les sujets luxembourgeois, tant à l'entrée qu'à la sortie.
Les habitants des enclaves payaient comme ceux de l'intérieur du
Duché.
B. - FRONTIÈRES DE L'ALSACE ET DES ÉVÊCHÉS
a) Alsace. - Il n'y avait jamais eu de convention entre la
Lorraine et cette province. De ce côté, la Foraine était
intégralement exigée.
b) Evêchés. - En considération de l'enchevêtrement du territoire
de la Généralité de Metz avec le sol lorrain, quelque
tempérament avait été apporté aux exigences de la Foraine. Les
habitants de l'ancien domaine de l'évêché de Metz, ceux de Toul
et du Pays Toulois (moins étendu que le temporel de l'évêché),
ceux de la ville de Verdun, ceux de Longwy, de Marville et
dépendances, de Sarrelouis, de Sierck et environs, jouissaient
de quelques privilèges particuliers. Ces faveurs, toutefois,
étaient bien limitées. Les habitants du temporel de Metz
n'étaient exemptés du haut-conduit et des acquits-à-caution que
pour les denrées de leurs cru et concru (3), et à charge de
certificats et de déclarations dans les Bureaux ; ils devaient
les droits pour tout ce qui provenait d'achats. Les gens de la
ville de Toul et du Pays Toulois n'étaient dispensés du
haut-conduit que pour les choses nécessaires à leur
consommation, et dans l'ancien district de Saint-Evre seulement
; ils le payaient dans les quatre autres districts, à moins
qu'il ne s'agît de denrées de leurs cru et concru. Ceux de la
ville de. Verdun n'étaient exempts du haut-conduit que pour les
menues denrées destinées à leur usage ; encore fallait-il qu'ils
l'es transportassent eux-mêmes. Ceux de Longwy et de Marville,
enfin, n'étaient affranchis du même droit que dans le seul
district du Barrois ; ceux de Sarrelouis et de Sierck, dans le
district de Château-Salins.
On sait que les Evêchés ne communiquaient directement avec la
France que par le Verdunois. Du côté de l'étranger, le Pays
Messin correspondait avec le Luxembourg par la grand'route de
Thionville et par la navigation de la Moselle. La voie de terre
demeurait peu utile, le Luxembourg n'étant pas un pays de
commerce. D'ailleurs ce qui y passait n'était pas absolument
affranchi de la douane lorraine. Depuis le traité conclu entre
Léopold et la cité de Metz, le 17 février 1701, ce qui sortait
de cette ville pour l'étranger, après avoir précédemment
traversé les Duchés, devait être déclaré à un échevin de Metz et
payer tous les droits qui eussent été exigés en Lorraine. Le
cours du fleuve était moins libre encore : ce passage laissait
les Evêchois assujettis à la Foraine, à cause du Bureau de
Nittel, enclave isolée; loin de la frontière lorraine, entre
Remich et Trêves (4).
C. - FRONTIÈRE FRANÇAISE PROPREMENT DITE
a) Champagne: - Les complications de la frontière, les enclaves
réciproques avaient donné lieu à plusieurs règlements. Les
sujets enclavés jouissaient mutuellement de l'exemption de tous
les droits pour les denrées de leurs cru et concru et les
ouvrages de leur industrie privée.
b) Franche-Comté. - Sur la frontière de la Franche-Comté, les
privilèges ne consistaient qu'à pouvoir emprunter librement les
territoires respectifs. Il n'en était pas de même pour la
prévôté de Conflans-en-Bassigny dont les habitants tiraient de
la Comté, sans être assujettis à aucun droit, les choses
nécessaires à leur consommation. Ils y apportaient sous la même
franchise ce qui provenait de leur cru et de leur industrie ils
pouvaient pareillement tirer de Lorraine ce qui leur était
indispensable.
Les Francs-Comtois qui introduisaient des marchandises en
Lorraine, payaient, dans le temps des foires, le haut-conduit
seulement ; et, à toute autre époque, soit qu'ils entrassent ou
qu'ils ne fissent que traverser l'enclave, l'ensemble des
droits.
II. - DOUANES EXTÉRIEURES
Aux droits perçus, par la Lorraine devaient naturellement
répondre des droits réclamés par les souverainetés voisines.
La ceinture de la Foraine était renforcée de l'autre côté de la
frontière - tout au moins sur certaines parties de son circuit,
- d'un autre cordon douanier, où les droits, fort différents
selon les pays qui les exigeaient, étaient, en général, beaucoup
plus élevés que les péages lorrains.
A. - FRONTIÈRES DE L'ÉTRANGER PROPREMENT DIT.
Les communications commerciales de la Lorraine avec les
différentes principautés étrangères étaient affranchies de tout
droit de la part de ces dernières. Du côté du Luxembourg, elles
n'étaient pas encore soumises au Tarif impérial qui fut établi
plus tard.
B. - FRONTIÈRES DE L'ALSACE ET DES ÉVÊCHÉS
a) Alsace. - A la Foraine, exigée intégralement par la Lorraine,
répondait le Tarif d'Alsace, sans adoucissement.
b) Evêchés. - Si les Évêchois ne pouvaient guère se rendre en
France ou à l'étranger sans emprunter le territoire lorrain, les
Lorrains ne pouvaient parcourir leur propre pays sans traverser
souvent la Généralité de Metz. Il est donc juste de comprendre
parmi les droits gênant le commerce de la Province, un certain
.nombre de ceux exigés dans les Évêchés.
1) Une bande de terre reliant Metz à l'Alsace, large d'une
demi-lieue et cédée à la France par le traité de 1661, coupait
en deux la Lorraine. La Foraine y était établie avant sa
réunion. Le roi l'avait conservée ; on l'y percevait toujours.
2) Dans la prévôté de Sierck, la Foraine continuait également
d'être exigée.
3) La prévôté de Thionville avait appartenu à l'Espagne qui y
percevait un droit de traite appelé Tonlieu ; ce droit s'y
levait encore.
4) Des péages très onéreux étaient exigés sur la Moselle, au
profit du roi.
5) La principauté de Sedan était soumise à un droit de traite
établi par ses anciens souverains.
6) Celle de Château-Regnault était enfermée dans un tarif qui
entravait la navigation de la Meuse.
7) Les Evêchés, enfin, étaient chargés d'un droit uniforme du
côté de l'étranger, tant pour l'entrée que la sortie de
plusieurs marchandises. La Lorraine payait ces droits pour le
commerce qu'elle faisait de ces mêmes marchandises dans cette
direction.
C. - FRONTIÈRE FRANÇAISE PROPREMENT DITE
Entre la Lorraine et la France, la barrière douanière extérieure
était ininterrompue -, elle se divisait en trois parties :
a) Clermontois. - Le Clermontois avait été cédé à la France par
le traité des Pyrénées. La maison de Condé y exerçait les péages
qu'elle y avait trouvés établis, c'est-à-dire les divers droits
de la Foraine.
b) Franche-Comté. - Le long de la Franche-Comté, le tarif des
droits anciens, spéciaux à cette province, était toujours en
vigueur.
c) Champagne. - Sur la frontière champenoise, se percevaient les
tarifs de 1664 et 1667, avec les modifications qui y avaient été
postérieurement apportées.
Mais il y a lieu ici de distinguer soigneusement l'exportation
et l'importation La Lorraine tirait tous les produits des
manufactures du Royaume, moyennant des acquits-à-caution, sans
payer les droits de sortie des tarifs de 1664 et de 1667, ni
aucun de ceux réunis depuis aux Cinq grosses Fermes. Elle
profitait également du privilège de province étrangère pour
avoir les marchandises non prohibées des Indes et des Iles
françaises à meilleur compte qu'aucune autre région de la
France. Elle recevait par la Champagne, et sans payer de droits,
les objets dont l'usage n'était permis dans le Royaume qu'en
acquittant des impôts très considérables. Au contraire de la
Lorraine, les Evêchés devaient payer les droits de sortie pour
tout ce qui leur venait des Indes et des Iles.
Les traites pour l'entrée de Lorraine en France étaient en
revanche très élevées, et les chiffres du tarif équivalaient
pour la plupart à une véritable prohibition. Le commerce lorrain
d'exportation trouvait donc, à l'entrée des Cinq grosses Fermes,
un obstacle souvent infranchissable. Ces droits atteignaient 10
% pour les papiers ; 12 à 15 % pour les draps, et jusqu'à 20 %
pour les faïences.
Un tel état de choses devait subsister jusqu'à la Révolution.
Successivement, sans doute, à partir de 1737, et suivant les
besoins du Royaume, parurent divers règlements qui abaissèrent
sur plusieurs points cette barrière du tarif. C'est ainsi que
bientôt nos bois purent entrer librement en France, où ils
étaient très recherchés. Nos grains, par arrêt du 17 septembre
1754, eurent même franchise ; nos bestiaux, depuis le 25 mars
1757. Le Conseil jugea aussi convenable de modérer quelques
droits en faveur de différentes manufactures. Certains produits
obtinrent à la longue des décharges fréquentes. Les étoffes de
laine purent passer librement dans toute la Généralité de Metz,
pour ne payer que 10 % à l’entrée du Royaume. Les lards, les
beurres, les suifs, destinés aux Iles françaises, les fers
convertis en boulets ou autres munitions de guerre sortirent
sans entraves.
Mais la règle générale restait toujours le système protecteur à
outrance. Nous n'en voulons pour exemple que les droits énormes
acquittés par les produits des verreries lorraines avant de
pénétrer en France. De 1747 à 1760, les droits pour les verres
blancs atteignaient, en comprenant la Foraine, jusqu'à 31 livres
de Lorraine, soit 100 %> et au delà, de leur valeur. Un droit de
10 livres tournois par « cent pesant » frappait les bouteilles.
Or le quintal ne se vendait à la verrerie qu'environ 5 livres 17
s. de France. Des acquits nous prouvent que, pour passer de
Lorraine en Champagne, ces bouteilles devaient payer en droits
de Foraine et en traites diverses un ensemble atteignant 230 et
240 % de leur valeur ! A partir de 1760, époque où ces droits
furent considérablement modérés, les verres en table payaient
encore de 45 à 50 % et les bouteilles au moins 60 % (5).
CHAPITRE II
La question dite du Tarif ou du Reculement des Barrières.
Pour supprimer en tout ou en
partie l'ancien système de péages que nous venons d'exposer, et
pour compléter ainsi la fusion d'intérêts entre la France et sa
nouvelle province, ce ne furent point les projets de réforme qui
firent défaut. Mais tous les efforts successifs devaient être
vains. Les premiers tentés ne rencontrèrent que l'incurie de
l'administration ; les seconds, faits cette fois par le
Gouvernement, se heurtèrent à la résistance locale.
Dès après la cession, la question d'une réorganisation douanière
en Lorraine avait été agitée. Mais, chose singulière, tandis que
les agents français poursuivaient sur tant d'autres points
l'œuvre d'assimilation, ils semblaient ne point comprendre de
quelle utilité eût été pour cette tâche une modification
préalable du régime économique.
L'initiative vint des Fermiers généraux, qui trouvaient la
Foraine d'un trop grand embarras de régie pour le profit qu'elle
rapportait. Ce fut pour la supprimer et la remplacer par un
droit, non moins onéreux aux Lorrains, mais moins dispendieux à
percevoir que les traitants proposèrent, à la fin de 1737,
l'abolition de la barrière fiscale entre la France et la
Lorraine, et le report du Tarif sur les frontières étrangères
(6). Le Fermier général Dupin accorda une attention particulière
à ce projet. On ne lui laissa pas le temps de l'approfondir et
de dresser un plan précis. Entrepris à ce sujet, l'Intendant La
Galaizière donna à peine son avis. Il s'en remettait en tout
point au Contrôleur général, Orry. Or, de son côté, ce dernier
manifestait beaucoup d'indifférence. Sur les entrefaites, le
projet de Dupin transpira dans le public. Les Lorrains
s'émurent. On composa des mémoires contre la réforme, quelle
qu'elle pût être, et on les adressa à M. Masson, premier commis
du Contrôleur général. D'origine lorraine, Masson était à même
de comprendre les inquiétudes de la Province et l'espérance
qu'elle fondait sur lui. Peut-être partageait-il en matière
économique les opinions du pays dont il connaissait tout
particulièrement la situation. Il combattit le projet et, devant
l'insouciance de ses chefs, n'eut pas de peine à le faire
repousser. Les anciens Duchés conservèrent ce qu'ils appelaient
la liberté de leur commerce.
Le projet de 1737 reparut sept ans plus tard, modifié et mûri
par Helvétius. Le célèbre philosophe, pendant une de ses
tournées comme Fermier général dans la Province, en 1744-1745,
fit une minutieuse enquête. Bientôt il résuma, en termes
énergiques, la disproportion entre les charges de la Foraine et
le bénéfice net de cet impôt (7). Il concluait à la suppression
de la Foraine, réforme nécessaire et urgente. Il remplaçait
l'ancien système de péages par deux équivalents entre lesquels
on pourrait choisir. Ou bien le Gouvernement convertirait les
droits de la Foraine en un droit unique d'entrée et de sortie,
ou bien il leur substituerait pour partie ce droit, et pour
l'autre une élévation du prix du sel (8). Helvétius était d'avis
que l'on s'éloignât le moins possible de la constitution
primitive de la Foraine. La meilleure combinaison était de
renfermer la Lorraine, les Evêchés et les enclaves étrangères,
tout cet îlot de territoires impossibles à distinguer par des
systèmes différents, dans une ceinture de Bureaux placés sur
toutes les routes communiquant soit aux autres provinces de la
France, soit aux pays étrangers. Là seraient levés, tant à
l'entrée qu'à la sortie, des droits nouveaux, en vertu d'un
tarif dressé spécialement et d'une ordonnance inspirée par celle
de 1687 et les autres règlements rendus en la matière des Cinq
grosses Fermes. Dans ce tarif, les marchandises dont on voudrait
plus ou moins favoriser l'importation ou l'exportation seraient
progressivement taxées. Le commerce des Evêchés et de la
Lorraine se trouverait du coup délivré de tous les obstacles qui
l'embarrassaient. On serait en état de le diriger tant à
l'avantage des particuliers qu'à l'accroissement du commerce
général de la France.
Helvétius avait même pris soin de jalonner le tracé de cette
ligne de Bureaux qui devait remplacer avec avantage celle
jusqu'alors si compliquée. La Lorraine eût été séparée du côté
de la Franche-Comté par les postes de Blondefontaine,
Montureux-sur-Saône, Fontenoy, Plombières et Remiremont. Vers
l'Alsace, on eût seulement conservé les Bureaux situés sur les
grand'routes et aux principaux passages des Vosges : Bussang,
Ventron, La Bresse, Plainfaing, Sainte-Marie-aux-Mines, Lièpvre,
Provenchères. Pour plus de simplicité, Conflans-en-Bassigny et
Saint-Hippolyte eussent été laissés en dehors de la ligne. De
même le Schambourg, comme trop mêlé à l'électorat de Trêves ;
les postes de péage eussent été placés en deçà de ce pays : à
Vaudrevange ou Sarrelouis, Merzig, Vetten et Sierck. Du côté-du
Luxembourg, les bureaux de Thionville, Longwy, Longuyon et
Montmédy eussent fermé le cercle douanier (9).
Cette combinaison méritait d'être citée, tout autant par
l'intérêt que lui prête l'autorité de son auteur que par l'oubli
immérité dans lequel elle a été tenue. Elle avait l'avantage, en
servant l'intérêt de la Ferme et en soulageant Lorrains et
Evêchois des ennuis de leur situation respective, d'épargner
autant que possible les susceptibilités des deux provinces. Ce
plan était bien plus sage, et assurément bien moins radical, que
celui médité par Dupin. Il eût pu être réalisé, non sans
résistance, il est vrai, - tout ce qui était proposé à la
Lorraine par le nouveau régime n'en rencontrait-il pas ? - mais
sans soulever comme le premier projet, et aussi comme un
troisième dont nous allons parler, une tempête devant laquelle
irrévocablement il fallut céder. Pour arriver à ce résultat,
peut-être eût-il été besoin de moins de violences que celles
auxquelles M. de La Galaizière père n'hésitait pas à recourir,
quand il voulait modifier quelque rouage administratif ou faire
accepter quelque grave mesure. Mais au moins elît-il fallu ses
encouragements et son aide ; à Paris, quelque bonne volonté. Le
souhait d'Helvétius fut plus froidement accueilli encore dans
les bureaux du Contrôleur général que ne l'avait été celui de
son collègue Dupin. Orry n'y prêta nulle attention. A Lunéville,
le mémoire, fort bien rédigé, très savant et accompagné de
nombreux documents justificatifs, qu'adressa le financier
écrivain, fut à peine lu, puis relégué à jamais dans les cartons
de l'Intendance (10).
Une troisième fois la question douanière fut agitée en Lorraine.
Elle se posait alors d'une façon plus précise. La suppression de
la Foraine, la liberté parfaite du commerce avec les autres
provinces de France, la protection du côté de l'étranger
n'eussent été que la conséquence d'une vaste réforme étendue à
toute la France, et dont le Gouvernement était le promoteur. Il
s'agit de cette entreprise qui occupa les principaux ministres,
depuis Colbert jusqu'à de Calonne, et qui fut enfin décrétée par
l'Assemblée nationale. Le Reculement des Barrières, la
substitution du Tarif unique, percevable aux frontières
extrêmes, et qui affranchirait d'une multitude de droits la
circulation des marchandises dans l'intérieur du Royaume, était
une des vues favorites de l'Intendant des finances Trudaine, qui
avait fait entreprendre à cet effet de longs travaux. Les
provinces d'étranger effectif eussent été assimilées au reste du
pays. et enveloppées dans le Tarif.
Le 8 avril 1761, le Contrôleur général, Bertin, adressa en
conséquence une lettre circulaire aux Parlements, aux Chambres
de commerce et aux Intendants. Le Tarif était présenté appuyé
d'une liste alphabétique des objets qui demeureraient assujettis
aux droits. Le ministère demandait que l'on examinât si les
détails étaient exacts, et si l'état des objets n'offrait rien
qui fût à rectifier. Le droit unique, exigible à la frontière,
était assez modéré à la sortie, très considérable à l'entrée, et
réglé sur la valeur de chaque marchandise.
La circulaire s'efforçait de prévenir les réclamations
auxquelles le ministère s'attendait de la part des provinces
frontières. Un cri d'effroi, en effet, ne tarda pas à s'élever
de ces Généralités ; et, malgré l'appareil imposant dont on
avait tenu à entourer le projet, toutes, à la fois, elles le
combattirent. Les Evêchois et les Alsaciens formèrent une
opposition des plus vives. Mais, dans ce concert de doléances,
ce fut la voix de la Lorraine qui bientôt domina et fixa tout
particulièrement l'attention.
M. de La Galaizière fils, que les questions économiques
attirèrent toujours beaucoup plus que son père, reçut la
circulaire avec un certain enthousiasme et promit à ses chefs
son concours le plus dévoué pour vaincre la résistance possible
de sa province (11). Au mois de mai, par ses ordres, le Corps
des marchands et les fabricants s'assemblent. On leur fait part
du projet, on leur en explique tous les points. On leur demande
leurs observations sur les avantages et les inconvénients du
nouveau tarif, relativement à la Lorraine ; leur estimation sur
la quotité des droits à imposer sur chaque espèce de
marchandises ; des états imprimés leur sont remis pour recevoir
leurs annotations.
Les Juges-consuls, représentant en Lorraine la Chambre de
commerce, reçurent cette communication avec un mécontentement
extrême, qui, de suite, se manifesta par une grande agitation.
Ils tinrent plusieurs réunions, puis finalement décidèrent de
confier à un écrivain, appartenant une des plus riches maisons
de banque de Nancy, le soin de résumer leur opinion et de
formuler leurs plaintes. François Coster, qui venait de se
signaler par la première étude sur le commerce lorrain, se mit à
l'œuvre (12).
La Cour souveraine ne pouvait accueillir favorablement une
proposition émanant d'un ministre de Louis XV. Ses magistrats se
montrèrent adversaires non moins résolus de la réforme que les
Juges-consuls. Toutefois, venant à peine de rédiger de longues
remontrances contre l'Edit des cuirs, le Sol pour livre et le
Troisième Vingtième, ils ne jugèrent point à propos d'intervenir
trop activement dans le débat, et d'affaiblir, en les
multipliant, la portée de leurs récriminations. La Cour se
contenta d'encourager secrètement les commerçants, de les aider
de ses conseils et de préparer adroitement l'opinion publique,
ce qui était chose aisée ; la foule, en effet, s'imaginait déjà
que le recul des Barrières provoquerait la ruine du commerce et
la disparition de l'aisance. On allait répandant le bruit que
l'établissement du Tarif, outre ses conséquences désastreuses,
serait le signal d'une absorption irrévocable dans le Royaume.
Quelque temps après, on se passait en manuscrit les principaux
fragments du travail confié à Coster. Cet écrit était présenté
sous forme de 14 lettres, adressées par un citoyen à un
magistrat. Voici en résumé les idées que l'auteur y développait
: Le libre commerce de la Lorraine était ce qui, peut-être,
rendait cette province le plus utile à la France ; une opération
qui modifierait l'état de choses serait également nuisible et à
la Lorraine et au reste du Royaume. A la Lorraine, en altérant
son fonds, sa population, ses relations d'affaires ; à la
France, en mettant au niveau de ses régions les plus
impuissantes, une zone frontière dans laquelle elle trouvait
pendant les guerres d'Allemagne des ressources extraordinaires
en deniers, en hommes, en convois, et à laquelle il était juste
que le Gouvernement donnât des encouragements pendant la paix.
Le projet, tel qu'il se présentait, l'abolition de la Foraine à
laquelle serait substitué le Tarif, paraissait un piège tendu
par les traitants à l'administration. La Finance cherchait à
percevoir 60,000 livres, peut-être, sur des objets qui jusque-là
n'en payaient pas 20,000. Quelque onéreux que fussent les droits
de la Foraine, ils n'étaient en eux-mêmes ni aussi multipliés,
ni aussi gênants pour le commerce qu'on cherchait à le faire
croire. En réalité, c'étaient les abus qui, seuls, avaient
suscité des plaintes. Jamais la Lorraine ne recevrait avec
reconnaissance une surcharge aussi prodigieuse. Le Tarif
anéantirait le commerce et désolerait les familles, au profit de
la Ferme et au préjudice de l'Etat. Les relations de la Lorraine
avec l'étranger étaient particulièrement mises en cause et
attaquées ; mais précisément, c'étaient là les seules actives,
les seules admettant des échanges. La France, au contraire,
tandis qu'elle vendait aux Duchés tout ce qu'elle pouvait, n'y
achetait à peu près rien. On avait représenté la Province comme
un dépôt de contrebande ; mais cette contrebande ne pouvait être
imputée qu'à ceux qui venaient faire leurs achats en Lorraine,
pour verser frauduleusement dans le Royaume les objets prohibés.
Les Lorrains ne demandaient que ce qu'il était permis de
débiter. D'ailleurs, étendrait-on trente fois davantage les
limites et le cercle des Bureaux, on aurait toujours des
voisins, qui feraient cette spéculation avec d'autant plus de
facilité et de profit.
Ces Lettres étaient écrites avec beaucoup d'art et de chaleur,
dans un style éloquent quoique un peu emphatique. Si l'auteur
s'y laissait aller à quelques périodes déclamatoires, du moins
ne manquait-il pas d'apporter des faits et des chiffres. Il
avait examiné la cause qui lui était confiée, sous tous ses
aspects ; il n'avait omis aucun argument. Le travail de Coster
reçut la complète approbation des Juges-consuls et les
magistrats y applaudirent. C'était la seule réponse que l'on
comptait donner au Gouvernement, sans se mettre en peine
d'annoter les états, de peur de paraître les approuver en
partie.
Le 15 janvier 1762, au nom des Juges-consuls, des notables du
Corps des marchands et des négociants de Nancy, fut remis à
l'Intendant un mémoire, dans lequel tous protestaient contre «
l'esprit de système et de nouveauté » d'un projet qui les «
glaçait d'effroi » (13). Ce n'était là en quelque sorte que la
lettre d'envoi du manuscrit de Coster. Au même instant, cet
ouvrage, dont la Cour Souveraine ordonnait l'impression par un
arrêt solennel, paraissait en un volume de 420 pages, qui fut
envoyé à tous les ministres et répandu à profusion sous le titre
de Lettres d'un citoyen à un magistrat, sur les raisons qui
doivent affranchir le commerce des duchés de Lorraine et de Bar,
du Tarif général projeté pour le Royaume de France (14).
Cette publication fit grand bruit dans toute la Province. La
réserve qu'avait gardée l'auteur en ne se nommant pas, ne
laissait de secret pour personne. Le nom de Citoyen fut même
conservé à Coster, par ses compatriotes, comme une marque de
leur estime et de leur gratitude. La Cour souveraine ne s'était
point abusée en pensant qu'il lui suffirait de patronner
l'ouvrage. La valeur du travail, l'importance de ses
proportions, l'autorité qu'avait en matière commerciale la
famille de son rédacteur, en imposèrent aux partisans même du
Tarif, tandis que les Lorrains les plus désintéressés de la
question se plaisaient à souligner dans ces Lettres au tour
tantôt agressif, tantôt railleur, quelques traits acérés de fine
satire.
Auprès du Gouvernement et de l'administration, cet ouvrage fit
plus que des remontrances. La meilleure preuve de son
retentissement et du poids de plusieurs de ses arguments, fut le
mécontentement, nous pourrions dire la colère, qu'il provoqua
dans les bureaux de l'Intendance. L'opinion de la Lorraine, si
nettement affichée, encourageait la résistance des autres
provinces. L'Intendant avait trop présumé d'un succès facile ;
il s'était trop avancé dans ses promesses à ses chefs. Blessé de
cette opposition, M. de La Galaizière fils, d'habitude plutôt
calme et conciliant, donna libre cours à ses sentiments. Le 20
février, il répondait aux Juges-consuls et aux négociants par la
lettre suivante : « J'ai reçu, Messieurs, le Mémoire que vous
m'avez adressé et qui contient vos observations sur le projet de
tarif que le Roi veut établir sur la frontière de ses Etats en y
comprenant la Lorraine. Je m'attendais à y trouver des
observations dépouillées de tout intérêt personnel, un tableau
exact du commerce de la Lorraine et des moyens sûrs et solides
de lui rendre sa splendeur, sans qu'ils soient désavantageux au
Royaume dont votre province fait éventuellement partie. Je
croyais surtout être bien assuré que, pénétrés autant que vous
devez l'être des vues de bienfaisance qui ont déterminé le Roi à
adopter un projet sur lequel il a eu la bonté de permettre que
vous fussiez consultés, vous ne vous exprimeriez qu'avec le
respect, la soumission et la sincérité qui doivent guider vos
réflexions et qui distinguent partout si honorablement votre
profession ; mais je n'ai pas été peu surpris de n'y trouver
qu'une critique déplacée du Tarif dont vous supposez que les
financiers sont les auteurs, afin de vous donner la liberté d'en
parler comme d'une loi bursale surprise par eux et qui, si elle
a lieu, anéantira en Lorraine le commerce, les manu factures et
l'agriculture. Je ne relèverai point ici les erreurs de fait
dans lesquelles vous êtes tombés, la fausseté des principes que
vous adoptez, l'oubli ou l'ignorance affectée des vrais
principes du commerce ; cette discussion serait inutile dès que
vous répondez si mal à la confiance dont le ministère vous avait
honorés : il saura bien se procurer par d'autres voies les
éclaircissements que vous lui refusez. Ainsi, renvoyez-moi les
états imprimés que je vous ai fait remettre ; votre mémoire
annonce suffisamment que vous n'êtes pas dans la disposition de
remplir les intentions du ministre en proposant les droits
d'entrée et de sortie qu'il vous paraîtrait convenable d'établir
sur chaque espèce de marchandise, et j'ai besoin de ces états »
(15).
Pour dissiper l'impression que l'ouvrage de Coster avait causée,
pour en affaiblir, aux yeux des autres provinces, la portée
singulière, il fallait user des mêmes armes dont venaient de se
servir les marchands et les magistrats : défendre le Tarif et
réfuter le Citoyen par des écrits rendus publics. Les Fermiers
généraux n'étaient pas les derniers à pousser dans ce sens
l'Intendant, qui comprenait d'ailleurs que son crédit était en
jeu. C'est ainsi que, pour atténuer l'effet produit par les
Lettres, qui avaient été adressées à Paris par les soins de la
Cour souveraine, il s'empressait de les analyser lui-même à ses
chefs et de les apprécier dans des phrases de ce genre : « ...
Il y a dans cette assertion avancée avec une confiance et une
légèreté familières à l'auteur, de l'absurdité, de la fausseté
et, comme dans tout le reste, une puérile exagération...
Probablement ces négociants ont vu avec une sorte de honte et
d'indignation l'excès où s'est porté, dans presque tout son
ouvrage, contre de fort honnêtes gens auxquels ils ont les plus
grandes obligations, le fanatique et ridicule auteur des Lettres
» (16).
Parmi les partisans du Tarif se trouvait un certain nombre de
fabricants, de maîtres de forges, surtout, qui entrevoyaient
derrière le Reculement des Barrières de nouveaux débouchés pour
leurs produits. Travailler cette minorité, en exagérer
l'importance, la faire finalement passer pour la majorité,
l'engager à soutenir ses propres intérêts, tout au moins lui
faire tolérer qu'ion parlât en son nom, c'est ce à quoi, dès
qu'il eut reçu la réponse des Jugés-consuls, l'Intendant
s'occupa par tous les moyens. Quantité de mémoires manuscrits,
protestant contre les allégations de Coster, et rédigés autant
que possible dans une forme analogue, pour en être une antithèse
plus saisissante, furent réunis dans les bureaux, puis adressés
à Paris. Dès le 28 janvier 1762, on opposait aux Juges-consuls
et à leur coryphée les Lettres d'un fabriquant de laine de la
Province à un fabriquant de Nancy (17). Et, quelques jours plus
tard, circulaient dans la capitale des Duchés les Observations
sur les quatorze lettres d'un citoyen contre le projet d'établir
un tarif général sur les frontières du Royaume en y comprenant
la Lorraine.
De ces écrits, dont plusieurs parurent imprimés, les uns étaient
donnés au nom de la Province qui ne put que les désavouer (18).
D'autres, établissaient, au nom des Fermiers généraux, que leur
zèle pour le Tarif était un sacrifice offert par leur
patriotisme, et non le vœu de leur cupidité Certains tendaient à
prouver que la liberté du commerce avec l'étranger était pour la
Lorraine un obstacle constant à l'établissement des
manufactures. Tel auteur voulait bien reconnaître que le style
de Coster était « beau, séduisant et captieux », et se
contentait de déclarer ses principes faux et insoutenables.
D'autres l'appelaient ironiquement « le citoyen de Lorraine ». «
Paré du nom de citoyen, il ne rougissait pas de se livrer aux
déclamations les plus indécentes.... » Mais dans tous ces écrits
apparaissaient des tendances exclusivement françaises. Tout
allait être dit. Selon l'expression d'un contemporain : « on
épuisa les possibles ».
Le baron de Cormeré fit paraître ses Questions sur le Reculement
des Barrières répandues par un citoyen désintéressé (19). Le
contrôleur des finances Doyen confia à la presse ses Lettres à
M.M..., sur le commerce de Lorraine et sur le projet d'un
nouveau tarif (20). Bien qu'assez faible, cet ouvrage fut loin
de passer inaperçu. Point par point, l'auteur suivait Coster et
saisissait chaque occasion de louanger le ministère. Les volumes
furent épuisés en quelques mois ; Doyen eut la satisfaction
d'une seconde édition (21).
Le Mémoire des fabriquants de Lorraine et de Bar, présenté à
l'Intendant au nom de tous les industriels des Duchés, se
répandit à son tour, qui éveilla fort la curiosité (22).
L'auteur ne se nommait point, et l'anonymat, s'il provoqua bien
des commentaires, ne fut point divulgé. Durival, lui-même,
semble encore, en 1778, n'en point soupçonner le rédacteur.
C'était l'œuvre de l'abbé Morellet. « Comme », nous dit ce
dernier, en faisant allusion au projet de Trudaine, « comme les
grandes difficultés s'élevaient de la part des provinces
frontières, qui craignaient d'être enfermées dans la nouvelle
enceinte, je fis, au nom des fabricants de la Lorraine et du
Barrois, un mémoire qu'ils adoptèrent et où je combattis celui
des marchands de cette province, rédigé, si je ne me trompe, par
Coster, que nous avons vu depuis fort employé par les notables
et par M. Necker, et dont les principes n'ont jamais été bons
sur l'article de la liberté du commerce (23). » L'abbé Morellet
nous initie ainsi à l'origine de cet ouvrage dont
l'administration s'efforça d'attribuer le ton de polémique à
l'indignation spontanée de tous les fabricants du pays. Qu'il
nous soit permis de compléter, par une hypothèse, cette petite
révélation. Rien d'étonnant que Morellet, ami de Trudaine, qui
l'avait intéressé à la question du Tarif, Morellet, dont déjà on
savait le goût pour les questions économiques, et qu'avait fait
avantageusement connaître un travail sur la fabrication et
l'usage des toiles peintes,- paru quelques mois auparavant (24),
- ait été choisi pour servir les vues du ministère. Mais il est
très probable que cette désignation fut aussi fortement motivée,
par les relations qui rapprochaient l'abbé des La Galaizière.
Pendant près de dix ans, Morellet avait été précepteur d'un fils
du Chancelier, du futur évêque de Saint-Dié. Il venait à peine
de quitter son élève ; il était de l'âge de l'Intendant et
s'était lié avec lui durant son séjour à Lunéville.
En songeant ainsi au précepteur de son frère, La Galaizière eût
du reste été bien inspiré. Morellet, dans son Mémoire, fut âpre
et incisif à son habitude. Il reprochait au Citoyen d'avoir mis
en cause les fabricants dont il prétendait être lui-même le
porte-parole. Il comptait éviter la diffusion à laquelle le
représentant des marchands s'était livré, ses sophismes, ses
contradictions continuelles : et il traçait en commençant ce
programme : « Nous serons courts, simples, vrais et plus
citoyens que lui ». Mais en réalité, si l'abbé Morellet
rerelevait et à juste titre, certaines erreurs de Coster, les
chiffres qu'il lui opposait et qui lui avaient été fournis de
Lunéville pour besoins de la cause, étaient presque tous
inexacts. Plusieurs de ses allégations sont formellement
contredites par les archives mêmes de l'Intendance. Pour
soutenir sa thèse, le futur académicien se sert, enfin,
d'artifices de calcul trop ingénieux, de détours uniquement
subtils.
C’était faire sa cour à l'Intendant que de vanter le Tarif et de
réfuter Coster. Darney, sous une propagande active, était devenu
un centre d'assimilateurs. Le subdélégué Bresson y répétait que
c'était folie de s'entêter aux vieux usages des correspondances
avec l'Allemagne ; le temps était venu d'entretenir des rapports
suivis avec la France. « Gardera-t-on à jamais dans l'intérieur
du pays cette vermine qui nous désole et que la Foraine fait
chaque jour pulluler parmi nous », écrivaient, sous sa dictée, à
M. de La Galaizière, les officiers de l'hôtel de ville (25). En
même temps Bresson lui-même s'occupait de composer un mémoire,
où il réclamait la liberté du commerce français dans la
Province. En août 1762, le manuscrit était terminé. L'auteur, en
l'adressant à Lunéville, souhaitait que cet ouvrage méritât les
suffrages du chef (26). Inutile de dire qu'il fut bien accueilli
et que l'impression, sous le titre de Réponse d'un citoyen à un
citoyen, en fut aussitôt décidée (27). Le subdélégué prenait ses
précautions ; il déclarait n'être ni Français, ni Allemand, ni
commerçant, ni fabricant, ni financier, ni partisan de la
finance, ni le frondeur du ministère, ni son flatteur, mais
simplement « un enfant de la patrie ». Lui aussi était caustique
et savait mordre. Il se montrait instruit et grave. Avec une
malice patiente, page par page, il harcelait son adversaire.
La Cour et les Juges-consuls ne jugèrent point àpropos de donner
la réplique à ces différents écrits. Lorsque, à la fin de 1762,
l'ouvrage de Bresson se répandit dans le public (28), il ne
semblait déjà plus possible, à Paris, de comprendre la Lorraine
dans la réforme du système-douanier. Tandis que la guerre de
plume se poursuivait encore dans la Province, un esprit
distingué, dans les bureaux duquel s'agitait la grande affaire
du Tarif, n'hésitait plus à écrire, dans un rapport publié au
nom de l'administration, ces lignes caractéristiques : « Ces
provinces (d'étranger effectif) sont placées dans un coin qu'il
est très possible de séparer du reste du Royaume par une
barrière dans la formation de laquelle il est aisé d'aplanir les
difficultés des enclaves. Dans cet état, elles peuvent rester
dans la situation où elles sont, sujettes aux droits locaux et
au tarif de la barrière qui les sépare du reste du Royaume,
ainsi qu'aux droits uniformes et aux prohibitions qui peuvent y
être établis, et qu'il est juste de maintenir pour le bien de
l'Etat... (29) ».
Ainsi, par l'organe de M. de Montaran, voyant qu'il lui fallait
céder sur ce point s'il voulait l'emporter sur le reste, le
Gouvernement en revenait à la sage conception d'Helvétius, à ce
plan qu'il avait autrefois accueilli avec une indifférence
presque dédaigneuse.
Mais il fat bientôt visible que de la vaste réforme rien
n'aboutirait. « L'affaire ne fut point jugée », conclut l'abbé
Morellet. « M. Trudaine est mort sans avoir cette satisfaction
qu'il méritait si bien. La Révolution a depuis triomphé des
obstacles, mais c'est en renversant tout sur ses pas ; et cet
avantage a trop coûté (30), »
Auparavant, toutefois, une dernière tentative devait être faite.
C'est celle de 1778. Necker, au début de son administration,
ressuscitera, en le modifiant quelque peu, le projet qu'on avait
dû si piteusement enterrer, sous Bertin. Le procédé sera le même
; Necker essaiera de la persuasion. Grâce à lui, les vues de son
prédécesseur sembleront devenir fécondes. Il en sortira un
ensemble d'idées auxquelles le nom seul du ministre donne déjà
un caractère imposant. Mais la Bretagne, les Evêchés n'ont pas
renoncé à la résistance. La Lorraine continue à estimer que le
moindre changement en matière de péages entraînerait la perte du
seul privilège qui lui reste. L'opposition entre commerçants et
fabricants reparaît : moins marquée peut-être. Des écrits se
répandent, plus nombreux même que durant les années 1761 et 1162
; plaidoyers éloquents, protestations indignées (31). Détail
piquant : ce même Coster que nous ayons vu rédiger avec tant de
conviction les Lettres à un magistrat, est alors premier commis
au Contrôle général des finances, et les circulaires,
multipliées en faveur du Reculement des Barrières, doivent
précisément sortir des bureaux du Citoyen (32). Cette guerre de
plume durait encore au moment où, la Commission intermédiaire de
l'Assemblée provinciale (33) agitant la brûlante question, les
récriminations s'élevèrent plus véhémentes et plus désespérées
que jamais.
Mais récriminations suprêmes, cette fois, et inutiles. Les
événements se précipitent, détournent l'attention de ces
préoccupations mesquines. Par son décret du 5 novembre 1790,
l'Assemblée constituante abolit toutes les douanes particulières
; elle ordonne un tarif uniforme et met ainsi un terme au long
et fastidieux débat.
On ne saurait méconnaître que dans tout ce qui fut dit ou écrit
en Lorraine, pour ou contre le Reculement des Barrières, il y
ait eu, des deux côtés, beaucoup d'exagération et de partialité.
Dans aucun mémoire, les intérêts que la question douanière
mettait en cause, ne furent également pesés. L'intérêt de la
classe de beaucoup la plus nombreuse, celle des consommateurs,
n'arrêta pas un seul instant l'attention. Tour à tour on
multiplie les vices ou les avantages des deux systèmes. La
Foraine est presque déclarée un bienfait, et les
acquits-à-caution « moins des droits et des impositions que des
gages d'affranchissement et de liberté ». Dans le camp des
novateurs, au contraire, on s'écriait que cette même Foraine
imprimait au front de la Province un caractère étranger «
qu'elle eût dû rougir de n'avoir pas hâte d'effacer ». L'abbé
Morellet juge, et avec raison, que c'est « vraiment une chose
risible de voir la Foraine devenir une loi infiniment
respectable, précisément parce qu'il est question d'y substituer
le nouveau Tarif... » Lui-même, cependant, et ceux qui avec lui
répondent à Coster, grossissent outre mesure les faveurs du
Tarif ; ils n'hésitent point à représenter leurs adversaires
comme « une poignée de contrebandiers ».
Tout, dans cette ardente controverse, semble s'être réuni pour
égarer l'opinion des contemporains ; plus tard, celle de
l'historien. La très grande majorité des Lorrains, c'est chose
indiscutable, était des plus hostiles à l'adoption du Tarif. Les
Cours, le peuple, les petits commerçants et industriels qui
eussent été plus ou moins immédiatement intéressés par la
réforme, accueillirent avec humeur, tout au moins avec défiance,
le projet de Trudaine. Le titre d'étranger effectif avait pour
eux son prestige. Il sonnait agréablement à leur oreille.
C'était l'illusion du nom. On connaissait la Foraine. Il y avait
là une vieille habitude. On s'effrayait de ce nouveau Tarif, qui
devait être quelque mal pire encore. Les sympathies, d'ailleurs,
restaient tournées du côté de l'étranger ; les dures années
d'administration française n'avaient guère été pour les porter
vers le Gouvernement de Louis XV.
Tous les intéressés, cependant, n'intervinrent point dans le
débat. Ce ne sont ni les grands Commerçants, ni les principaux
Industriels qui entrent en lice et se battent qui coups
d'arguments. Les titres des ouvrages publiés sont trompeurs. Les
Juges-consuls et le Corps des marchands de Nancy réclament le
maintien du statu quo parce que leur propre prospérité est
menacée. Mais ceux-là ont des intérêts très spéciaux. A côté
sont d'autres commerçants qui, à plus juste titre, pourraient
porter ce nom dans son sens habituel, et que les premiers ne
représentent pas. Ils verraient sans déplaisir le libre accès du
Royaume donner de l'extension a leurs affaires. D'autre part, si
tous les fabricants lorrains,
au nom desquels parurent tant de mémoires, n'étaient pas
uniquement représentés, comme on le prétendit alors, par une
troupe auxiliaire à la solde des promoteurs du projet, en tout
cas, ce qui fut écrit en leur nom avait été dicté par
l'Intendance ou le. ministère, et seulement adopté par plusieurs
d'entre eux. La grande majorité des industriels n'agit point
alors, ne se montra pas. L'antagonisme qui, à première vue,
semblait exister, si marqué, entre l'industrie et le commerce,
s'efface de plus en plus à l'examen.
Mais pour bien saisir cette singularité, il faut se demander ce
qu'étaient au juste ce commerce et cette industrie. Il est
d'autant plus nécessaire de le rechercher, que les seuls
tableaux qui nous en sont connus, sont ceux qu'ont tracés, avec
l'unique souci d'en défigurer les principaux traits, les
défenseurs ou les adversaires du Tarif.
CHAPITRE III
L'exportation et l'importation vers 1737.
Sa situation géographique,
tout d'abord, et le régime douanier auquel elle était soumise,
puis, en seconde ligne, des habitudes chères à ses négociants
réglaient, en 1737, le commerce de la Lorraine.
Les produits de son sol et de son industrie devaient surtout
passer à l'étranger, puisque, pour y parvenir, ils payaient
uniquement les droits de la Foraine, tandis que, du côté du
Royaume, ils trouvaient cette Foraine augmentée de traites qui,
pour beaucoup d'entre eux, étaient un obstacle infranchissable.
Pour l'importation, la France avait été pendant longtemps le
principal marché de la Province. Mais, vers l'année 1714, des
diminutions et des variations fréquentes dans les monnaies
avaient déterminé les Lorrains à se porter du côté de
l'Allemagne et de la Suisse. Ils y avaient trouvé des
marchandises à peu près semblables à celles du Royaume, et une
constance dans le numéraire qui fixa leur commerce dans cette
direction. Les négociants, dont les affaires prospéraient,
attribuèrent cet état avantageux à ces circonstances ; le peuple
y vit la cause de l'augmentation des biens fonds et de la
fortune des particuliers. Sans doute, on demandait encore
beaucoup à la France, mais c'était par nécessité ; le plus
souvent à contre-cœur (34).
A l'arrivée de l'Intendant, le pli était pris. On était
désormais convaincu que cet état de choses était commandé par la
position même du pays. Cette idée que l'on trouve développée
avec complaisance chez la plupart des auteurs de l'époque, est
en particulier résumée dans une sorte de prosopopée que nous
empruntons à l'un d'eux. « J'ai donné, dit la Nature, des
rivières à la Lorraine ; toutes coulent vers la Hollande et vont
mourir dans le Rhin : nul point de contact entre elles et la
France, si l'on excepte les Evêchés ; elle n'est enclavée qu'à
demi ; je lui ai ouvert des débouchés et ménagé des rapports
avec les principautés de Nassau et de Deux-Ponts, les électorats
de Trêves et de Cologne, le Luxembourg et la Flandre
autrichienne. »
Les relations commerciales étaient surtout fréquentes avec la
Suisse et l'Allemagne, et les produits allemands étaient
particulièrement recherchés des populations des campagnes.
Voici, d'après les chiffres fournis par les marchands eux-mêmes,
et relevés sur les registres consulaires, ce que ces nations
envoyaient année commune à la Lorraine, au début du règne de
Stanislas :
Livr. de Lorr.
Draperies et serges 500,000
Toiles et coutils 300,000
Merceries et « ferrailles » 50,000
Flanelles, camelots et autres 50.000
Bas, bonnets de laine, fils et cotons 50,000
Drogues, épicerie et autres 100,000
Traite faite par les villes lorraines voisines de l'Allemagne et
de la Suisse, en gros. 200,000
Total : 1,250,000 (35)
Parmi ces marchandises, sont comprises celles d'origine anglaise
que la Province ne tirait pas directement, mais qu'elle se
procurait par Francfort et quelquefois par les Pays-Bas. Chaque
année, à Pâques et en septembre, les principaux marchands
lorrains se rendaient à la foire de Francfort ; ils y faisaient
leurs achats et soldaient ceux de l'année précédente. Cet ancien
usage s'était généralisé depuis vingt-cinq ans. Les foires de
Bâle, de Zurzach et de Leipzig étaient aussi très fréquentées
par eux.
En échange, la Lorraine fournissait les marchés allemands
d'huile de navette, d'eaux-de-vie, de liqueurs et de chandelles
qui y étaient estimées ; de confitures, de faïences, de
dentelles et de quelques teintures.
A la Suisse, elle adressait des grains, quand l'exportation n'en
était point prohibée; des eaux-de-vie ; des laines, si le cours
en était bas ; de l'huile et quelques suifs.
Le duché de Deux-Ponts et la principauté de Salm lui demandaient
des denrées et marchandises de toute espèce.
C'était par l'entremise de la Hollande que la Province recevait
les produits des Indes ou des Iles françaises dont
l'introduction était interdite dans le Royaume. Cette nation lui
adressait de même la plus grande partie des objets autorisés,
qu'elle exportait des ports de France, en exemption de tout
droit de consommation. Par le Rhin, la Moselle et la Meurthe,
arrivaient ainsi jusqu'au Crône ou port de Nancy, l'indigo, les
épices, les fourrures. Des documents tirés des mêmes archives
que celles que nous consultions tout à l'heure, nous permettent
de donner le tableau suivant de ce que les Lorrains demandaient
aux Hollandais :
Livr. de Lorr.
Poivre et autres épices 100,000
Girofle, cannelle, muscade 20,000
Sucres 300,000
Teintures et drogues 50,000
Etain 60,000
Plomb 40,000
Thés et cafés 10,000
Baleines et roussi (cuirs de Russie) 10,000
Mousselines 60,000
Toiles peintes 100,000
Mouchoirs 50,000
Harengs et morues 60,000
Total : 860,000
En retour, on expédiait à la Hollande : des fers, des aciers,
des bois de sciage, de construction et de marine; quelquefois de
la navette dont elle extrayait de l'huile pour ses vaisseaux et
pour la fabrication de ses draps.
Le pays de Liège et le Luxembourg' tiraient de la Lorraine des
fers-blancs, du papier, des vins de Bar et de Thiaucourt, dont
il y avait un entrepôt à Liège, du millet. Les Lorrains n'en
recevaient que quelques aluns, un peu de sucre et surtout des
vins ; soit un total de 140,000 livres.
L'importation, faite par l'étranger en Lorraine, pouvait donc
s'évaluer en gros à 2,250,000 livres.
La France adressait des marchandises à sa nouvelle province pour
une somme à peu près égale ; mais, si l'on excepte les fontes
que les forges voisines de la Franche-Comté y achetaient,
quelques produits de Provence, des objets de luxe et des
articles de mode, le reste était destiné au négoce d'entrepôt.
L'habitant des Duchés consommait relativement peu de
marchandises françaises, ainsi que le prouve le détail suivant :
Livr. de Lorr.
Fontes 100,000
Vins (Bourgogne, Champagne, Toulois, Pays Messin) 50,000
Huiles d'olive 60,000
Savons de Marseille 60,000
Fruits, amandes, olives, etc 30,000
Eaux-de-vie (Provence, Languedoc, Orléans) 30,000
Draperies et soieries de Lyon 600,000
Merceries, dorures (galons d'or, d'argent, etc.) 200,000
Toiles de différentes sortes 200,000
Marchandises de Lille 100,000 Meubles, « galanteries, choses de
Paris » 70,000
Traite faite par les villes lorraines voisines du Royaume, en
gros 800,000
Total : 2,300,000
Toutefois, ce que les Duchés envoyaient à la France était
médiocre, en comparaison de ce qu'ils en recevaient. Sans doute
les Evêchois en tiraient des denrées pour leur subsistance : du
beurre, du fromage, des volailles, du gros bétail des Vosges -
qui passait aussi en Alsace avec des fils de fer et des tôles.
Mais les autres provinces ne recherchaient guère que les
produits des usines métallurgiques lorraines les plus
rapprochées de la frontière ; quelque bétail, aussi ; quelques
verres et faïences, des papiers. Les planches de chêne et de
sapin étaient journellement prises en contre-voiture par les
charretiers français et conduites à Paris, par la route de
Saint-Dizier.
Les produits du sol et des manufactures de Lorraine, exportés
tant à l'étranger qu'en France, peuvent approximativement
s'évaluer ainsi :
Livr. de Lorr.
Blés et avoines 1,000,000
Vins et eaux-de-vie 1,000,000
Bois pour le bâtiment et pour la marine 500,000
Laines non fabriquées 300,000
Draperies de laine du pays 300,000
Huile de navette 50,000
Bestiaux 150,000
Beurres et fromages 50,000
Fers de plusieurs sortes 500,000
Fers blancs 100,000
Fils de fer et autres ouvrages 50,000
Dentelles et fils de Mirecourt 100,000
Toiles de ménage 30,000
Produits des verreries 100,000
Papiers et « peaux sauvagines » 30,000
Menues denrées, liqueurs, etc 40,000
Total : 4,300,000
Soit donc, d'une part, une importation en Lorraine d'environ
4,550,000 livres, et, de l'autre, une exportation faite par la
Province de 4,300,000 livres. En se servant des mêmes chiffres,
les agents français et les Fermiers généraux arrivaient a un
résultat différent ; ils trouvaient que la sortie l'emportait
sur l'entrée de 750.000 livres. Mais cet écart de 1,000,000
livres s'explique ; c'est le montant de la vente étrangère des
sels que les traitants ajoutaient à l'exportation, et que la
logique interdit de regarder comme un objet du commerce actif de
la Province, puisque cette vente était en totalité entre les
mains de la Ferme (36).
Ce n'est point à dire que la Lorraine ne pût avec ses propres
ressources, soit par consommation, soit par échange, faire face
à tous ses besoins. Loin de là ; au chapitre des entrées sont
comprises de nombreuses marchandises que les négociants lorrains
faisaient venir dans l'unique but de les revendre à d'autres
nations, après avoir prélevé un notable bénéfice. Or les listes
officielles n'indiquent pas cette opération, puisqu'elles ne
mentionnent, au côté de la sortie, que les produits du pays.
CHAPITRE IV
Caractère, évolution et déclin du commerce lorrain de 1737 à
1766.
Le commerce lorrain passa,
sous Stanislas, par trois phases qui ont chacune leur
caractéristique assez nette, et qui peuvent être délimitées
presque rigoureusement. La première période s'étend de la prise
de possession des Duchés, par l'administration française, à la
fin de la guerre de la Succession d'Autriche. La seconde
embrasse l'espace des dix années suivantes. La troisième se
prolonge jusqu'après la mort du roi de Pologne.
I. - DE 1737 A 1748
Les commerçants ne furent point longtemps sons ressentir le
contre-coup des exigences du nouveau régime. Déjà, dans ses
remontrances du 17 novembre 1740, la Chambre des Comptes de
Nancy s'étendait longuement sur ce sujet. « Avant que la
Providence nous eût soumis à la domination de Votre Majesté »
disait le rédacteur. M. Bagard, « on a reconnu par des
combinaisons exactes de notre commerce d'importation, que la
supériorité de la balance était toute de notre côté et que
l'entrée (du numéraire) gagnait sur la sortie.... Ce serait,
Sire, trahir les vues sages et favorables de Votre Majesté par
une dissimulation indigne de la sincérité que nous lui devons,
si nous lui cachions la perte d'un avantage aussi considérable.
Bien loin, Sire, que nous l'ayons conservé cet avantage, il
n'est que trop public qu'il s'est tourné contre nous et que la
sortie (du numéraire) l'emporte aujourd'hui sur l'entrée au
moins dans la même proportion que l'entrée l'emportait sur la
sortie il y a trois ou quatre années... Nous serions prêts
d'entrer là-dessus en preuves si Votre Majesté nous l'ordonnait
(37). »
Pour bien exagérée que soit une telle assertion, du moins
devons-nous en conclure à l'apparition d'une certaine langueur
dans les affaires. Les événements en suspendirent toutefois la
marche inquiétante. Les guerres d'Allemagne n'avaient jamais été
défavorables aux relations commerciales de la Lorraine. Il était
même reconnu que le chiffre de l'exportation montait alors
beaucoup plus haut, à cause de l'augmentation des prix que
provoquait une plus grande consommation. Les moyennes
officielles, dressées de la même façon que celles du chapitre
précédent, nous fournissent pour 1746 les résultats suivants :
une exportation de 3,990,000; une importation de 4,900,000
livres.
II. - DE 1748 A 1759
Les facultés des habitants des anciens Duchés diminuent chaque
jour, dans le malaise devenu général. Le commerce intérieur
périclite. Les gens du peuple ont réduit leurs dépenses ;
beaucoup doivent les abaisser au-dessous du nécessaire. Les
marchandises dont les commerçants s'étaient approvisionnés,
comme d'habitude, sont restées dans les boutiques. On a dû en
payer le prix sans en avoir le débit ; il a fallu en conséquence
recourir à des emprunts. On a versé de gros intérêts ; la ruine
est venue. Les archives consulaires nous offrent des pièces
significatives. De 1747 à 1758, il y eut 85 faillites Le détail
des bilans déposés au greffe nous initie à leur histoire. Ces
faillites ne sont point le résultat de spéculations hasardeuses
ou d'événements imprévus ; elles se sont produites peu à peu,
fatalement. C’a été la mort lente, par inanition. Dans un même
intervalle de dix années, à la fin du régime ducal, il n'y avait
eu que 36 faillites.
Mais voici qui est plus grave. Non seulement il y a une
augmentation considérable du nombre des catastrophes, mais les
chiffres des passifs sont-de beaucoup plus importants. Avant
1737, les faillites les plus fortes ne dépassaient pas 50,000
livres ; elles sont maintenant de 100,000, 150,000 et 200,000
livres. Une des dernières atteint la somme, énorme pour
l'époque, de 550,000 livres (38). « Les banqueroutes survenues
depuis peu en Lorraine, » constate, en 1758, la Cour souveraine,
« ont tellement discrédité nos marchands qu'ils ne peuvent plus
aller à l'emplette sans payer argent comptant, ce qui les force
de transporter en pays étranger tout l'argent clair qui circule
dans leur commerce..., ce qui entraîne la ruine de ce qu'il y
avait dans la Province de plus accrédité parmi les banquiers et
les marchands, celle d'une infinité de fortunes particulières
qui en sont les branches (39). »
Emu de cette situation, Stanislas fonde, en 1749, une bourse de
100,000 livres, cours de France, pour le Corps des marchands de
Nancy. Cette somme, suivant les intentions du roi de Pologne,
devait être prêtée à des négociants et fabricants momentanément
gênés, par différentes portions dont, néanmoins, les plus
petites ne pouvaient être moindres de 3,000 1., et les plus
fortes supérieures à 10,000 1. La durée du prêt n'excédait pas 3
années ; et l'intérêt était fixé à 2 %. Oeuvre louable, certes,
et qui sauva plus d'un marchand de la ruine. Mais, d'une part,
la somme était loin d'être proportionnée à la détresse
financière ; de l'autre, la fondation eût davantage porté, si le
Duc-roi l'avait appliquée aux négociants étrangers à Nancy, les
plus intéressants, les plus éprouvés (40).
Le numéraire sorti ne rentre pas. En 1738, on estimait qu'il y
avait environ pour cinq millions d'espèces clans le pays (41).
En mai 1759, un fonctionnaire, l'Inspecteur des manufactures,
déclare a l'Intendant qu'on ne saurait prendre trop de
précautions envers une province : « où l'argent est fort rare »
(42).
Pourtant l'importation des marchandises étrangères s'accroît de
plus en plus : l'abbé Morellet va jusqu'à avancer, - avec une
certaine exagération, assurément, - que, vers 1759, époque où
elle atteignit son maximum, cette importation pouvait s'évaluer
a dix ou douze millions (43). Mais ces chiffres ne doivent pas
nous abuser sur la situation critique. Ils ne sont pas en
contradiction avec les données précédentes. Leur détail précise,
au contraire, l'état de choses. Du côté de la France, par
exemple, la traite que faisaient les villes et contrées
frontières a baissé de 800,000 à 300,000 livres. Des produits
utiles, dont la consommation avait lieu en Lorraine, au temps
d'une plus grande aisance, ne sont plus demandés aux autres
nations. Ce que ces dernières envoient encore, ce qui seul
augmente les totaux, ce sont au contraire des denrées rares, des
objets de luxe. Naguère on recevait de France pour 600,000
livres de draps fins et de soieries ; maintenant c'est pour plus
d'un million. Les tissus des Indes, les vins généreux, les
savons, les épices arrivent en quantité dans les magasins de
Nancy. C'est pour le commerce d'entrepôt. Tandis que les vraies
relations commerciales, celles qui marquent la vitalité d'un
peuple, déclinent, l'entrepôt, qui est en dehors de la crise,
qui se contente d'emprunter à la Lorraine l'avantage de sa
situation géographique, prend chaque jour une extension
nouvelle.
« J'ai voulu », faisait-on dire aussi à la Nature, dans un
morceau que nous citions naguère, « j'ai voulu que la Lorraine
fût le passage presque nécessaire de tout ce qui sortirait du
Luxembourg, du pays de Liège, de la Flandre et de la Hollande,
de l'Angleterre par Ostende, pour la Suisse, le Piémont et
partie de l'Allemagne. J'ai voulu que toutes ces nations fussent
conduites à emprunter ses routes et les rivières qui l'arrosent
du midi au nord : ainsi j'ai ordonné mon plan... » Et, en effet,
la plupart des communications directes entre la Hollande et la
Basse-Allemagne, la Suisse et la Haute-Allemagne, empruntaient
le territoire lorrain. De là était né le commerce d'entrepôt
avec toutes ses variétés. Les commerçants de la Province
envoyaient des marchandises d'Angleterre, de Flandre,
d'Allemagne, de Hollande, à la Suisse, au Piémont et à l'Italie.
Ils vendaient à leurs voisins, non seulement les denrées et les
produits lorrains, mais encore des plombs, des morues, des
épices, des mousselines peintes. Ils se chargeaient d'alimenter
des marchandises les plus diverses les boutiques des Deux-Ponts,
de Nassau et-de toutes les villes étrangères limitrophes ou
enclavées. C'est ce négoce qui donnait la plus grande activité
au commerce, augmentait le chiffre des affaires et faisait, en
fin de compte, entrer dans le pays une bien plus grande quantité
d'argent qu'il n'en sortait.
Sous la dénomination, un peu vague alors, de commerce
d'entrepôt, nous distinguerons trois sortes d'opérations,
auxquelles se livrent d'habitude les mêmes spéculateurs :
l'entrepôt proprement dit ou négoce d'économie ; la commission ;
et le commerce interlope.
a) Négoce d'économie. - Sous l'impulsion d'un certain nombre de
négociants habiles, les principales villes de la Province sont
devenues des lieux d'entrepôt pour toutes les marchandises du
Royaume que peut exiger l'étranger, ou pour les marchandises
étrangères destinées à d'autres pays. Entrons chez ces grands
commerçants : nous n'y trouvons que des objets pour la vente
extérieure. Celui-ci tient des marchandises de Reims, d'Amiens,
etc., qu'il écoule presque uniquement dans les régions
allemandes limitrophes, ou à Francfort, à Leipzig, en Suisse.
Celui-là n'a qu'un fonds consistant en eaux-de-vie du Languedoc
et en fruits du Midi ; il fait des expéditions jusqu'en Russie.
Cet autre fournit les mêmes pays de vins de Bourgogne et de
Champagne. C'est ce qui explique que, tandis que les petits
boutiquiers se voient de moins en moins achalandés, ces magasins
sont mieux fournis et leurs affaires plus brillantes. Marchands
en gros, leurs propriétaires tiennent tous produits nationaux ou
étrangers. Un auteur qui les touche de près, écrit : « J'en
connais où vous trouveriez à votre choix des draps de tous pays,
des merceries de toutes espèces, des épiceries, des drogueries,
des teintures, des quincailleries, rassemblées, multipliées,
assorties avec une variété qui vous surprendra... Ils
connaissent avec précision les lieux où croissent et se
fabriquent les denrées et les marchandises nécessaires à tout
genre de consommation, et ont des correspondances directes avec
toutes les places de l'Europe... » (44).
b) Commission. - Le commerce de commission était
particulièrement actif et fructueux avec les Evêchés. Nous avons
déjà signalé le traitement différent imposé, au point de vue
commercial, à la Lorraine et à la Généralité de Metz. Pour
toutes les marchandises non prohibées, celles des Indes ou des
Iles françaises, les Lorrains avaient complète franchise, tandis
que les Evêchois étaient obligés d'acquitter les droits de
sortie (45). Afin d'éviter cette mesure, les marchands évêchois
empruntaient, pour tirer les produits du Royaume, le nom et le
domicile d'un collègue lorrain. Les grandes maisons de Nancy
avaient, à Bar notamment, des représentants qui servaient de
prête-nom. Les marchandises de Paris ou de Lyon étaient
adressées à ces commissionnaires, qui les réexpédiaient aussitôt
aux véritables acquéreurs. Ce détour, très utile aux gens de la
Généralité de Metz, n'avait lieu que moyennant une rémunération
avantageuse.
c) Commerce interlope. - Cette troisième sorte de spéculation
n'était pas la moins profitable. La Lorraine recevait, par la
Hollande ou par Francfort, les marchandises dont l'introduction
et l'usage étaient absolument interdits dans le Royaume, où,
toutefois, elles étaient fort recherchées. Dans les magasins des
entrepositaires, venaient s'entasser les satins et les damas des
Indes, les toiles et mousselines peintes, le tout destiné à être
frauduleusement versé en France. Des malheureux, poussés par la
misère, n'avaient d'autre métier que de faire incessamment cette
contrebande. La plus grande partie des produits prohibés,
consommés par les Français, provenait des entrepôts lorrains.
Ce vaste commerce, tout en se développant chaque jour, se
concentrait dans un nombre plus restreint de maisons. Quelques
uns des entrepositaires ont réussi à accaparer la plupart des
affaires. Un double phénomène se produit : le négoce d'entrepôt
disparaît des diverses localités où nous le trouvions encore
tout à l'heure, pour avoir presque exclusivement son siège à
Nancy\ ou ses représentants en cumulent toutes les variétés. La
capitale est le rendez-vous de tous les voituriers entre la
France et l'Allemagne. D'autre part, les petits commerçants, qui
autrefois allaient se fournir directement sur les marchés
étrangers, ne le peuvent plus, en raison de l'état précaire de
leur fortune. Ils sont tombés à la merci des entrepositaires.
C'est à Nancy, seulement, qu'ils trouvent encore quelque crédit
et qu'ils peuvent s'approvisionner, quoique beaucoup en soient
plus éloignés que de Reims, de Troyes, de Besançon, de Metz ou
de Strasbourg.
En 1759, ce commerce d'entrepôt atteint son apogée. C'est le
règne de quelques hommes intelligents, presque tous étrangers à
la Lorraine, où les avaient attirés, aux beaux jours de Léopold,
les avantages considérables que leur offrait le Duc. Plusieurs
sont des Savoyards, tels les premiers d'entre eux : les Coster,
les Villiez, les Puton et les Hugard. Alliés et associés, les
Coster et les Villiez méritent une mention spéciale ; ils
personnifient, à un haut degré, ce grand négoce d'alors. Actifs
et probes, de simples boutiquiers ils sont devenus marchands en
gros. Leur société a des fonds considérables et s'est ménagé des
correspondants sur toutes les places du continent. Rien n'est
étranger à leur domaine ; toutes les branches de commerce leur
sont bonnes. A l'entrepôt, à la commission et, il faut
l'ajouter, à la direction du commerce interlope, ils joignent
les opérations de banque. La réputation de Coster aîné et de son
frère Claude, de J.-B. Villiez et de son fils J.-François, s'est
conservée jusqu'aujourd'hui. Au moment où nous sommes, J.-F.
Villiez donne à la maison de son père, qui continue d'ailleurs à
la surveiller, une nouvelle activité. Il est en train de
réaliser une fortune de plusieurs millions (46). Durival
l'appellera plus tard: « célèbre négociant, génie actif et
pénétrant », et devra reconnaître qu'il « rendit de grands
services au public et au commerce ». Il faisait, ajoute encore
cet historien, « un commerce étendu dans toutes les contrées de
la terre » (47). Deux exemples suffisent à attester le renom et
le crédit de ces entrepositaires-banquiers. J.-F. Villiez était,
paraît-il, si connu, qu'une lettre avec la seule suscription :
M. Villiez en lorraine, lui parvenait directement (48).
Les frères Coster étaient les correspondants du banquier Pâris
de Montmartel. Lors de la guerre de la Succession d'Autriche,
quand l'Etat avait un besoin pressant de 500,000 à 600,000
livres, Montmartel les donnait à prendre à vue dans leur maison.
Ceux-ci réunissaient facilement cette somme, ayant au besoin
recours à la Caisse du commerce. Ils prêtaient l'argent pour
trois mois, contre des lettres de change sur Paris, à l'intérêt
de 1/4, 1/2 au plus, pour cent et par mois. Ces opérations
importantes se renouvelaient une dizaine de fois par an. Durant
toutes les hostilités, cette ressource ne fit pas défaut un seul
jour (49).
Maintenant c'étaient seules ces grandes maisons qui faisaient
encore connaître et respecter le commerce de la Province ; c'est
par elles seules qu'il avait encore quelque crédit. Dans toutes
les circonstances difficiles, les petits marchands n'hésitent
pas à consulter ou à solliciter leurs chefs. C'est aussi ce
commerce d'entrepôt qui - on le comprend maintenant- a un
intérêt si considérable au maintien du statu quo douanier. Il ne
veut pas de protection; ce serait sa perte. Les entrepositaires
vont donc, lorsqu'il s'agira du reculement des Barrières, lutter
énergiquement et conclure, d'après leur propre exemple, à une
prospérité générale. C'est ce grand négoce de Nancy qui, par la
plume de François Coster, rédige les Lettres d'un citoyen.
III. - DE 1759 A 1766
A ce moment, toutefois, sans qu'ils voulussent encore l'avouer,
les commerçants en gros commençaient à éprouver quelque
déception.
Tout d'abord, ils voyaient disparaître une des causes de leurs
plus grands bénéfices. L'importation des toiles peintes et
l'usage de ces tissus étaient sévèrement prohibés en France. Ces
étoffes n'en étaient que plus recherchées ; elles étaient
devenues des objets de luxe très à la mode. En vain essayait-on,
pour les proscrire, des mesures les plus énergiques. « On
inquiétait les citoyens », écrit un témoin oculaire, « surtout
en province et jusque dans la capitale, par des visites
domiciliaires ; on dépouillait les femmes à l'entrée des villes
; on envoyait nombre d'hommes aux galères pour une pièce de
toile ; enfin toutes les tyrannies financières et commerçantes
étaient employées (50). » Sans doute, ajoute un autre
contemporain, « attaquer le consommateur plus coupable que le
contrebandier c'était un acte de justice ; mais un duc et pair,
un ministre, un fermier général pouvaient-ils résister longtemps
à la passion de leurs dames pour une robe de Perse ? La loi
pouvait-elle porter le fer et le feu dans le sein des plus
grandes maisons, pour un crime de cette espèce ? » (51). Et de
fait, sur les frontières de Champagne, il se faisait sans
interruption des versements considérables de ces toiles. Les
grands entrepositaires lorrains subvenaient à toutes les
demandes du Royaume. En 1737, les commerçants de la Province
faisaient venir, dans ce but, de Hollande et de Francfort, des
toiles, mousselines et mouchoirs peints pour une somme qu'ils
estimaient à un peu plus de 200,000 livres. A ce moment, la
Ferme générale s'était émue. Par l'organe de Dupin, elle avait
tout tenté pour que le Gouvernement défendît cette introduction
dans les anciens Duchés (52). Plusieurs volumineux mémoires
avaient été remis à l'Intendant, puis aux ministres (53). Dès
1746, les négociants lorrains avouaient une importation de
toiles peintes d'une valeur de 300,000 livres. Le chiffre fut
encore augmenté par la suite. Mais, les multiples inconvénients
de la prohibition se faisant de plus en plus sentir en France,
finalement la question fut portée au Conseil. Trudaine chargea
l'abbé Morellet de la traiter, contradictoirement avec les
intéressés au maintien du régime actuel. En mars 1758,
l'écrivain publiait ses Réflexions (54), qui eurent polir
conséquence un arrêt établissant la liberté qu'il réclamait.
Tout changea dès lors ; les Français allèrent acheter
directement en Suisse et en Hollande des produits qu'auparavant
la Lorraine, seule, était en mesure de leur fournir,
frauduleusement.
Au mois de janvier 1742, M. de La Galaizière avait écrit aux
Juges-consuls de Nancy, pour remettre en vigueur une ordonnance
de Léopold qui, à peine édictée, était tombée en désuétude. Tout
sujet lorrain, commerçant avec les pays étrangers, devrait
prendre, pour les marchandises qu'il en tirerait, des passeports
signés de l'Intendant. Ces passeports seraient fournis sur
déclaration et au vu des lettres de facture. Défense était faite
aux commis des bureaux de laisser passer aucun paquet sans que
cette formalité eût été remplie. La mesure, dont le but était,
cette fois, de détourner les relations avec l'étranger et de
prévenir les abus de l'entrepôt, avait eu également peu d'effet.
Bientôt le Chancelier s'en était désintéressé. Mais son fils,
après la lutte de 1761-1762, et fort probablement par
représailles, tint à sa stricte exécution. Cela lui permit de
refuser de nombreux passeports et d'atteindre profondément le
négoce d'économie (55).
Les commerçants en gros, enfin, étaient de plus en plus fatigués
par les exigences des Fermiers. Ce n'était pas tant la quotité
des droits qui les gênait, que les formalités incessantes
auxquelles ils étaient assujettis et les révélations qu'il leur
fallait faire. Ils voyaient avec une invincible répugnance le
secret de leur trafic entre les mains des financiers. En 1752,
le fermier de la Caphouse (56) de Nancy a obtenu un arrêt du
Conseil qui lui attribue le droit de percevoir le soixantième
denier sur toutes les laines, fils et lins se vendant dans cette
ville. La taxe n'est point considérable ; et pourtant, affirme
Coster, « vingt procès entre le Fermier et les marchands ont
porté le trouble et la confusion dans cette partie ; elle y a à
la fin succombé ; et je pose en fait qu'il se faisait à Nancy,
avant 1752, un commerce extérieur et interlope de plus de cent
mille écus en toiles, fils et lins, outre la consommation de la
ville, et qu'aujourd'hui il ne s'en fait pas pour vingt mille
livres (57) ».
La Chambre des Comptes, elle-même, s'exprimait ainsi, en 1761 :
« Nous jouissions autrefois de l'avantage d'être entrepôt entre
tous les Etats voisins et la France ; les sujets de Votre
Majesté faisaient un commerce dont le bénéfice leur restait...
Tout a conspiré pour nous le ravir... Une multitude d'acquits,
de droits nouveaux de caphouse ont obstrué une circulation dont
la liberté est l'unique ressort. Les étrangers ont ouvert les
yeux ; pour dégager leurs marchandises du bénéfice et des frais,
dont nous les surchargions à leur passage, il ne fallait que
vouloir ; pouvaient-ils différer longtemps à nous en priver ?
Cette branche de commerce est aujourd'hui perdue pour les Etats
de Votre Majesté. Chacun va à la source, on tire de la première
main, et nos négociants restent dans la langueur et le
désœuvrement... (58) ». On constate que, désormais, les lettres
sur Paris perdent à Nancy de 15 à 16 % par an, et que le
commerce n'en prend plus pour 30,000 liv. par mois.
A ce moment, la capitale lorraine comptait 223 marchands ; Bar
et Lunéville en contenaient ensemble à peu près autant. Tous les
autres villes et bourgs de la Province n'en avaient pas plus de
500. Sur ces 1000 négociants, 100 environ faisaient le commerce
en gros, et 25 au plus voyaient leurs affaires prospérer. On
parle désormais de la ruine du petit commerce comme d'une chose
accomplie. En vingt ans, 400 boutiquiers ont dû renoncer à se
maintenir. Fait significatif, vers 1763, les Coster, eux-mêmes,
ne furent pas exempts, durant quelques mois, de sérieux embarras
financiers. La Chambre des Comptes résume ainsi la situation du
négoce intérieur : « il s'est ressenti le premier des
accroissements des impositions : chaque édit bursal en a arrêté
le progrès ; tout parait concourir à en précipiter la chute,
tout en présage l'anéantissement absolu... Le mal est extrême et
peut-être n'en avons-nous pas sondé toute la profondeur... (59)
».
L'évidence de ce déclin était telle, que l'administration
elle-même finit par s'en préoccuper. Les marchés lorrains
étaient souvent déserts. Le 6 mai 1760, les anciennes
ordonnances en faveur de la ville de Saint-Nicolas, où les
foires ne se tenaient plus depuis le pillage de cette localité,
en 1635, furent confirmées; on essaya de donner par là quelque
vie aux transactions commerciales. Des affiches et des lettres
circulaires furent adressées à toutes les places de l'Europe,
pour faire connaître cette mesure. Le 20 juin, les foires
franches recommencèrent dans la vieille cité. Mais ce fut sans
succès : le remède était insuffisant : de plus il venait trop
tard. En vain accorda-t-on, dans le même esprit, en avril 1762,
à la ville de la Marche-en-Bassigny, de tenir quatre foires
franches tous les ans et marché franc chaque semaine (60).
Durival écrit en 1767 à l'Intendant : « Il y a à la
Saint-Georges, et pendant huit jours, une foire de babioles à la
Primatiale, c'est la seule à Nancy (61). »
C'est donc à tort que, pour conserver le vieux système douanier,
les adversaires du Tarif nous avaient montré le commerce des
anciens Duchés en tout point florissant. Une enquête analogue
sur l'industrie lorraine nous prouvera, par la suite, que leurs
contradicteurs, impatients de voir s'opérer la réforme désirée,
n'étaient pas plus sincères. Ils avaient dépeint, à plaisir, une
situation très précaire dans laquelle étaient loin, pourtant, de
languir les usines de la Province.
CHAPITRE V
Le système monétaire.
« Il n'y a point d'exemple de
la bizarrerie qui se trouve aujourd'hui dans le cours des
monnaies de Lorraine et Barrois », s'écriait La Galaizière père
dès son arrivée à Lunéville ! et, devant cette complication du
système monétaire, l'agent français avait résolu d'opérer, au
plus vite, une réforme qu'il jugeait indispensable.
Les études préparatoires étaient ardues. Peu de matières de la
compétence de l'Intendant exigeaient des recherches aussi
difficiles. Sans compter l'examen détaillé d'un recueil in-4° de
302 pages, où se trouvent réunis les édits et ordonnances rendus
au sujet des monnaies sous le règne de Léopold (62), il fallait
approfondir nombre de déclarations postérieures, rassembler de
multiples pièces éparses et de dates plus ou moins reculées.
Labeur ingrat, dont les matériaux, conservés aux Archives
nationales, nous ont révélé toute la minutie. Toutefois, M. de
La Galaizière tint à le poursuivre avec tant de zèle que, le 31
mai 1737, il se trouvait déjà à même d'adresser à son
beau-frère, le Contrôleur général Orry, la lettre suivante : «
L'article du cours des monnaies de cette province étant une des
parties les plus importantes de mon administration et à laquelle
il est nécessaire de pourvoir plus promptement, j'ai rassemblé
tout ce que j'ai pu de mémoires et d'instructions de toutes
sortes de personnes sur cette matière. Je les ai examinés avec
toute l'attention possible et j'en ai formé le précis que j'ai
l'honneur de vous adresser... Ce travail m'a coûté beaucoup de
temps par la difficulté que j'ai eu d'entendre ce que chacun
s'efforçait à me dire en termes fort peu intelligibles... Je
souhaite que vous approuviez le parti que je propose : après
avoir mûrement réfléchi, il m'a paru le plus simple (63). »
Voici, en quelques mots, les idées que développait l'Intendant.
Louis XV devait une somme considérable à la Maison de Lorraine,
en raison des maux que les Duchés avaient souffert, pendant la
dernière guerre. De son côté, François III avait laissé dans la
Province de nombreuses dettes. La liquidation de.ces créances
allait être faite par des commissaires. Or, l'espèce de Lorraine
étant beaucoup plus élevée que celle de France, si elle était
remise immédiatement à un taux plus bas, il en résulterait une
perte considérable pour le Roi et pour le Duc, qui se trouvaient
respectivement débiteurs. D'autre part, il était raisonnablement
impossible de conserver le régime en vigueur. Un moyen terme
s'imposait ; et celui-ci semblait le plus simple : permettre dès
l'instant la stipulation en espèces de France, soit dans les
contrats, soit dans les relations commerciales ; puis, par
degrés, porter cet arrangement jusqu'à autoriser les juges à
prononcer les condamnations en livres tournois. Sans doute, il
ne serait point encore interdit de stipuler selon l'ancien mode.
Mais, comme les Lorrains ignoreraient l'époque où leur valeur
nationale serait supprimée, chacun d'eux prendrait ses
précautions pour n'être point victime d'un événement peut être
imminent; et, bientôt, en pratique, les valeurs françaises
seraient les seules employées. Lorsque le Gouvernement n'aurait
plus d'intérêt à tenir l'espèce plus haute dans la Province que
dans le reste du Royaume, lorsque les circonstances sembleraient
favorables, il suffirait enfin de supprimer officiellement
l'emploi des espèces lorraines. Sans risque de révolution, on
aboutirait ainsi à l'uniformité monétaire si désirable (64).
Le plan du Chancelier-intendant était sage. On y trouve à
l'égard du pays une sorte de modération dont M. de La Galaizière
n'était guère prodigue. La combinaison que proposa le Fermier
général Dupin se trouvait être, malgré quelques ménagements,
beaucoup plus catégorique. Le financier avait, lui aussi, étudié
à fond la question. Au nom de sa Compagnie, il avait résumé son
opinion dans un mémoire. Il conseillait au ministère d'annoncer,
avant la fin de l'année 1738, l'interdiction de toutes
spéculations autres que celles formulées en espèces au cours de
France, et l'abaissement prochain du taux des monnaies
lorraines. Cette opération commencerait le 1er octobre 1740 et
se continuerait jusqu'à pareil jour de 1744. Les diminutions
auraient lieu de six mois en six mois; les sept premières
seraient de quatre sols par écu, et la dernière de sept sols, ce
qui effacerait la différence de trente-cinq sols entre la valeur
de l'écu lorrain et celle de l'écu de France. Ce délai
présentait l'avantage de conduire jusqu'à l'expiration du bail
de la Ferme.
Nous ne suivrons point Dupin dans ses longues et savantes
considérations d'ordre technique (65). En diminuant le taux de
l'espèce, on devait naturellement réduire à proportion les
impositions et les taxes. Mais ici l'esprit fiscal reparaissait.
Dupin supputait que la Ferme n'éprouverait aucune perte dans ce
changement ; bien au contraire ; car on aurait soin de ne point
diminuer le prix du sel, afin d'obtenir une augmentation de
350,000 livres sur la vente intérieure. Le pays, disait-il,
aurait mauvaise grâce à se plaindre de cette surcharge. Le
Fermier en donnait pour preuve ce spécieux argument : « Si
l'augmentation de l'espèce a procuré quelque bénéfice aux
sujets, ils n'ont pu le regarder que comme un accessoire et un
événement passager dont la cause cessant les remet à leur ancien
état, sans leur avoir attribué aucun droit; et par conséquent
sans qu'ils puissent faire à cet égard aucune demande ni plainte
légitimes et fondées. » Les traitants entrevoyaient aussi dans
cette réforme un moyen de ralentir les versements sur la gabelle
de France, puisqu'il y aurait moins de gain il. les faire. Ils
calculaient le profit que leur procurerait l'élévation du
produit des droits de contrôle, de formules, de procédure, de
péages forains, résultant de cette circulation plus active qui
précède d'ordinaire les réductions d'espèces, annoncées
suffisamment à l'avance (66).
Avec l'Intendant et les Fermiers généraux, tout le personnel
administratif était convaincu de l'urgence de la mesure. Ce
n'était pas seulement le bien du Royaume, l'intérêt de la
Compagnie et, par conséquent, celui du Trésor, mais aussi, -
sans parler des considérations d'ordre politique - la commodité
des différents services et la facilité du commerce qui
réclamaient l'unification. Et cependant les ministres ne prirent
point le soin de peser ces divers considérants. Le travail de La
Galaizière devait rester stérile. « Son Eminence, lui répondit
Orry, trouve bon que toutes choses demeurent à cet égard dans
l'état où nous les avons trouvées, jusqu'à ce que l'on puisse
statuer avec toutes les connaissances nécessaires pour prévenir,
s'il est possible, les inconvénients qu'un changement dans le
cours des monnaies pourrait occasionner et sur lesquels vous
avez fait des observations très judicieuses (67). » Singulière
réponse, assurément, après les rapports si explicites adressés
par l'Intendant !
Le cardinal de Fleury avait à cœur, il est vrai, de ménager les
susceptibilités de la Province que son génie, croyait-il, avait
assurée à la France. Mais, ici, cette pusillanimité ne saurait
être qualifiée que parfaite insouciance. Peut-être, par esprit
de réaction, la Lorraine eût-elle, en effet, à ce moment,
reproché au nouveau régime la suppression de ses valeurs
nationales ; nombre d'habitants, sans doute, imbus de l'esprit
de routine, auraient cru voir là une atteinte, non seulement à
l'autonomie des anciens Duchés, mais aussi à leurs intérêts.
Quand un paysan lorrain avait été vendre dans les Evêchés un sac
de blé 6 livres, argent de France, ne se figurait-il pas avoir
gagné 35 sols, parce que ces 6 livres valaient 7 livres 15 sols
chez lui ! Il ne réfléchissait pas qu'il avait été obligé de se
déplacer et qu'avec ces 7 livres 15 sols, il n’aurait jamais que
pour 6 livres d'autres denrées ; que cet écu, réduit de 7 livres
15 sols à 6 livres, il serait aussi riche qu'auparavant.
L'expérience, toutefois, eût bien vite démontré l'inanité de ce
préjugé.
La situation de la Lorraine, enclavée entre la France,
l'Allemagne, le Luxembourg et quantité de principautés
souveraines, avait seule exigé, jusqu'alors, que ses princes, en
permettant le cours de toutes sortes d'espèces, les tinssent sur
un pied plus haut, sans quoi les grandes puissances eussent
épuisé le pays. La démonstration en avait été concluante toutes
les fois que la Lorraine avait eu ses espèces au dessous ou même
au niveau de celles de ses voisins, et particulièrement en 1714
et en 1722. Un change désavantageux avec l'étranger devait
ruiner le commerce lorrain, parce que ce commerce n'était pas en
état de donner la loi au change. Il était obligé de se régler
sur celui des principales nations.
En 1737, au contraire, c'était une excellente protection à
accorder à la Province que de la faire marcher de compagnie avec
le reste du Royaume, puisque le change du Royaume pouvait se
soutenir par ses propres forces. Le maintien de l'état de
choses, devenu sans raison, allait causer une gêne de plus en
plus lourde dans les relations commerciales entre la Lorraine et
la France ; il allait compliquer le fonctionnement de tous les
rouages administratifs et occasionner de fréquents malentendus.
On continua donc, sous l'administration française, à compter en
Lorraine d'après l'ancien système monétaire. Les valeurs
s'exprimaient, comme en France, par livres, sous et deniers.
Comme la livre française, la livre lorraine se divisait en 20
sous, le sou en 12 deniers; mais 31 livres de Lorraine ne
faisaient que 24 livres, cours du Royaume. De ce rapport,
définitivement adopté en 1737, il résulte que la livre Lorraine
valait 24/31 de livre tournois, soit exactement 15 sols 5
deniers 25/31 tournois; et le sol lorrain: 9 deniers tournois
(68). C'était, comme on peut en juger, une proportion fort
incommode pour les conversions en monnaie française.
L'inconvénient s'accentuera bientôt d'autant plus que ces
conversions seront obligatoires pour tout compte. On ne frappe
plus, en effet, de monnaies lorraines, et le Gouvernement prend
soin de réunir peu à peu les pièces à l'effigie des Ducs, pour
les faire refondre. Dès les premières années du règne de
Stanislas, la livre de Lorraine n'est plus qu'une valeur
fictive, simple monnaie de compte, spéciale au pays. En 1753, un
contemporain observe qu'on ne trouve presque plus de monnaies
des Ducs, à l'exception des pièces de 9 sols 3 deniers appelées
massons (69), et des pièces de 2 sous ; il reste peu de sous et
de liards (70). Or, de l'aveu que fera plus tard le Conseil
d'Etat, il était impossible d'évaluer ces massons en argent de
France, cc sans employer des fractions, d'un usage impraticable
(71) ». Et, pourtant, ces pièces, qui n'avaient aucune valeur en
France, qui auraient du n'être plus qu'un souvenir, revenaient
continuellement dans les calculs.
On arrive encore facilement à convertir l'argent de France en
argent de Lorraine : on prend le quart du chiffre, puis le
sixième ; on additionne le tout, et on a le résultat cherché.
Mais l'opération inverse, celle qui, pourtant, s'impose le plus
fréquemment, ne présente point de méthode abrégée. Il faut
passer par les lenteurs d'une règle de trois. Cette difficulté
de calcul se complique encore d'anomalies singulières. L'écu
neuf, fixé par arrêt du 30 mai 1726 à 4 l. 4 s. 4 d. seulement,
avait insensiblement monté jusqu'à 7 1. 15 s., d'abord dans le
commerce, ensuite dans la comptabilité du prince. Or à Bitche,
et dans divers lieux de la frontière, il valait 8 1. dans les
transactions commerciales. « Par une bizarrerie de l'usage »,
explique le secrétaire de l'Intendance, « lorsqu'on donne en
pièces de 2 sous de France un écu de 6 livres, celui qui le
reçoit ainsi ne trouve que 7 livres 10 sous de Lorraine, au lieu
de 7 livres 15 sous, parce que la pièce de 2 sous de France se
prend pour 2 sous 6 deniers de Lorraine : et si, dans le comté
de Bitche, on fait un paiement en pièces de 2 sous de Lorraine,
au lieu de le faire en écus neufs, on ne trouve plus que 7
livres 15 sous de Lorraine, au lieu de 8 livres (72). »
« Notre monnaie commence ici à augmenter de beaucoup », écrit,
en 1753, un voyageur arrivant de Franche-Comté à Neufchâteau. «
Un de nos louis y vaut près de 32 livres; on se croit d'abord
fort riche ; tout bien examiné, cela revient à peu de chose près
au même. Quand les Lorrains nous vendent quelque marchandise,
ils ont toujours grand soin de dire argent de France : il y a
cependant à gagner aux auberges (73). »
Qu'on le remarque bien, l'habitude de se servir de la livre
lorraine ne persista pas simplement dans les relations entre
particuliers ; l'administration française adopta ce système
compliqué. On trouvera dans certains comptes de bâtiments des
devis exprimés en livre tournois, avec l'indication cc cours de
France »; mais ceci se borne à des cas assez rares. Tous les
chiffres des pièces administratives ayant trait à la Lorraine,
dressées soit à Nancy, soit à Paris, perceptions d'impôts,
décisions judiciaires et autres, représentent des espèces au
cours de Lorraine. Les comptes des trésoriers généraux,
eux-mêmes, sont rédigés de cette façon ; ce n'est qu'à la
récapitulation des chapitres qu'il est tout au plus mentionné
combien le total fait de livres tournois. A ces règles,
toutefois, il est des exceptions inattendues, qu'aucun indice ne
révèle; seules, des confrontations de documents nous ont fait
reconnaître ce caprice des comptables, caprice bien fait pour
devenir aujourd'hui une source de graves erreurs, lors de
recherches dans leurs registres.
Une autre monnaie, celle-là plus fictive encore, ajoutait
considérablement à tous ces embarras. Il s'agit du franc (74),
ou mieux du franc barrais, avec ses subdivisions. Matériellement
supprimées depuis 1700, époque où Léopold leur avait substitué
la livre, ces espèces étaient, sans doute, vers 1737, de moins
en moins employées pour les comptes privés. Mais, le
Gouvernement français en conserva la mention dans toutes les
pièces officielles où elle figurait encore. L'ancienne unité
monétaire fut maintenue pour les tarifs administratifs et
judiciaires. Non seulement les droits seigneuriaux, mais les
redevances domaniales, les amendes, les droits d'officiers, les
frais de justice, les péages forains s'évaluent toujours en
monnaie barroise. Ce n'est que dans les ordonnances et arrêts
postérieurs à 1754, que la fixation des nouvelles peines
pécuniaires est faite en livres de Lorraine. Le franc revient
ainsi à chaque instant dans les calculs nécessités par les
relations du paysan lorrain avec ses seigneurs, du commerçant
avec les juges, les hommes d'affaires, les mille employés de la
Ferme. Or cette monnaie fictive, dont on parle sans cesse, n'a
que très peu de rapport avec la livre lorraine : 7 francs
barrois font exactement 3 livres (75) ; aucun, avec les espèces
du Royaume, puisque le franc barrois vaut 3/7 de 24/31 ou
0,33179 de livre tournois ! S'agit-il d'opérer la conversion ?
Il faut d'abord réduire les francs en livres de Lorraine; on
divise, par 7, ce qui donne des écus de 3 livres que l'on
multiplie par 3 pour avoir des unités ; ce produit doit être
encore réduit en argent tournois par la règle que nous avons
indiquée. Et ce cas est le plus simple. D'habitude les sommes
comprennent les subdivisions du franc : or le franc vaut 12
gros, le gros 4 blancs et le blanc 4 deniers barrois ! On voit
combien la moindre conversion multiplie les fractions et rend
les comptes pénibles (76).
C'est d'ailleurs le cri que poussent tous les auteurs de
l'époque. Comment veut-on, dès lors qu'un campagnard peu
instruit, qu'un étranger franchissant la frontière, arrive à se
reconnaître dans de tels calculs et ne soit point à la merci des
gens de la Ferme, par exemple, qui lui montreront un tarif
incompréhensible ? Les tables de concordances ne sont point à la
disposition de chacun. On n'en trouve guère que des fragments
insuffisants dans les almanachs royaux, peu ou point répandus,
du reste, parmi le peuple. Le premier ouvrage vraiment utile et
comprenant les six réductions que pouvait nécessiter la
complication des valeurs lorraines, ne paraîtra qu'en 1768 (77).
Aussi, ce sont des vols ; des duperies continuelles. Les
employés de la Ferme, surtout, ne s'en font point faute.
Helvétius lui-même, tout en atténuant les faits, se voit forcé,
après son enquête, de le reconnaître. Les préposés, nous
explique-t-il, « peuvent tromper les redevables parce que les
droits d'entrée, étant tarifés sous les noms de francs, gros et
deniers, monnaies qui depuis longtemps n'ont aucun cours en
Lorraine, et y ayant pour le haut-conduit autant de tarifs que
de districts, il n'est pas difficile à un receveur lorrain, dans
la conversion de ces valeurs en monnaies du cours actuel, de
taxer arbitrairement un voiturier étranger. Or, s'ils peuvent
commettre impunément toutes ces fraudes, on doit conclure qu'ils
les commettent effectivement (78). »
Pour le payement des frais de justice, l'inconvénient était non
moins grand. Une déclaration du 21 janvier 1752 accorda aux
officiers des bailliages et prévôtés nouvellement créés par
l'édit de juin précédent, le droit d'exiger 10 sols tournois par
franc alloué dans les tarifs, tandis que pour le public ce franc
ne valait que 6 sols 7 deniers (79). Jaloux de cette faveur, les
avocats avaient émis pareille prétention, mais une circulaire du
procureur général leur répondit, le 22 août 1758, par un refus
catégorique. Ce n'était donc ni les gens de justice, ni, encore
moins, les employés subalternes de la Ferme, qui rêvaient la
suppression de l'emploi du franc barrois. Mais les classes les
plus intéressantes du pays, les habitants des campagnes, les
petits commerçants, s'associaient maintenant au désir formulé
naguère par l'Intendant .
A la confusion et aux fraudes, venait s'ajouter, en effet, pour
la surcharge des contribuables, sans aucun avantage pour le
Trésor, et au profit des seuls préposés, ce que l'on appelait le
fort-denier. « Le liard de Lorraine », nous explique la Chambre
des Comptes, « vaut quatre deniers barrois ; c'est la plus basse
espèce coursable, c'est la monnaie du fort-denier ; il se
nourrit de fractions, il absorbe les deniers ; pour un denier,
pour la moindre fraction, il faut donner un liard au commis de
la régie et perception des droits, pour arriver au sol pour
livre, soit des droits mêmes, soit du vingtième du prix du droit
; répétition continuelle et ruineuse au peuple (80). » Les
agents français, à leur tour, avouaient « l'exaction publique du
fort-denier ». Pour la faire cesser, il eût fallu une révision
des tarifs surannés et une évaluation des droits plus en rapport
avec les monnaies réelles.
Dans les Evêchés, la confusion des valeurs monétaires n'avait
pas été jadis moindre qu'en Lorraine. Il suffit, pour s'en
convaincre, d'ouvrir le Traité de la monnoye de Metz, d'Eustache
Le Noble, ouvrage où le trop célèbre procureur général facilite,
par des tables de concordance, la conversion des diverses
espèces en monnaie de France (81). Louis XIV, par la déclaration
du 5 mai 1693, avait fait définitivement cesser cette
complexité. Mais nous ne sommes plus au temps du grand Roi !
D'ailleurs, blessé de la manière dont avaient été accueillies
ses premières tentatives de réforme, M. de La Galaizière ne
renouvela pas ses démarches auprès des ministres. Son fils va
imiter son silence. Les Contrôleurs se succéderont, indifférents
à la grave question. A la mort de Stanislas, il ne se sera
produit aucun changement, sinon que, chaque année, les
désagréments de l'état de choses seront apparus plus évidents.
Dans le long espace de trente années, aucun acte officiel n'aura
trait à la matière des monnaies, à l'exception d'un arrêt du
Conseil des Finances, du 7 juin 1759, portant décri des espèces
d'or nommées Augustus de Saxe, et ayant pour but de prévenir
l'introduction dans la Province de nombreuses pièces fausses que
l'on répandait alors sous cette marque (82).
Les quelques mesures prises après 1766 furent, elles-mêmes, bien
insuffisantes. La principale est un arrêt du Conseil d'Etat, du
21 juillet 1768, qui décrie de tout cours pour l'avenir les
espèces de haut-billon, dites massons, à cause de l'embarras
qu'elles occasionnaient dans le commerce et de leur frai
considérable. Quatre mois furent accordés pour la remise de ces
pièces aux bureaux de recette. Les massons étaient repris par le
Trésor pour leur valeur intégrale. Sa Majesté disait vouloir
ainsi épargner à ses sujets lorrains la perte que le frai de ce
billon eût dû leur occasionner ; elle faisait le sacrifice
entier de son droit de seigneuriage sur les espèces qui en
seraient fabriquées à son effigie (83). Par acte du 16 mars
1772, enfin, le Roi prescrira de convertir en livres tournois
les anciennes redevances, sur le pied d'une livre par 3 francs
barrois, et annoncera son intention de supprimer toutes les
monnaies spéciales à la Province. Ce projet, tout théorique, ne
fut suivi d'aucune réforme. Nous trouvons encore un règlement du
8 mars 1776, qui emploie le franc barrois pour une fixation
d'amende (84). Ce n'est qu'en l777, que le port des lettres en
Lorraine commence à être payé en argent de France (85). Et,
jusqu'en 1789, les comptes des agents des finances restent
uniquement établis d'après l'ancien "système (86).
Les espèces qui avaient le plus cours dans la Province, après la
perte de l'autonomie, étaient le louis d'or, l'écu neuf et ses
éléments, puis les massons. Les marchés lorrains étaient aussi
envahis par de petites pièces de cuivre, ou mitraille, sans
poids ni forme fixes, n'ayant pas chacune la valeur d'un
demi-liard. Cette menue monnaie n'était point reçue dans les
bureaux ; elle provenait en grande partie des Etats limitrophes.
C'était surtout les juifs et les usuriers qui les introduisaient
dans le pays. En 1761, il y en avait encore une si grande
quantité que la Chambre des Comptes se plaignait « qu'il ne se
faisait pas un appoint dans les marchés publics et dans les
ventes en détail, où les honnêtes gens qui en avaient reçu ne
les plaçassent à leur tour (87) ». En vain cette Compagnie, à
plusieurs reprises, en défendit-elle l'usage, sous peine de
confiscation et de 100 livres d'amende, dont moitié au profit du
dénonciateur (88). Le peuple tenait à cette mitraille qui
facilitait les petits payements, permettait les fractions ; il
avait toujours l'espoir de pouvoir, grâce à elle, se soustraire
au fort-denier.
Ce fut presque uniquement dans des arrêts prohibitifs de ce
genre que la Chambre des Comptes de Lorraine eut encore
l'occasion, après 1737, de se qualifier Cour des Monnaies. Là se
borna désormais pour elle, en cette matière, un rôle autrefois
fort considérable. Au moment de la cession, la Maison de
Lorraine avait à Nancy un Hôtel des Monnaies (89), muni des
divers instruments nécessaires à la fabrication, et où logeait
tout un personnel d'officiers et d'artistes immédiatement soumis
à la juridiction de la Chambre. Cette Cour avait rendu, le 8
juin 1734, pour la police de l'Hôtel et au sujet de la frappe
des espèces, un long arrêt, en forme dérèglement, comprenant 71
articles et le rappel des nombreuses prescriptions antérieures.
Sans doute, le Gouvernement français conserva dans l'Hôtel des
Monnaies les principaux officiers ou graveurs qui y étaient
logés, tel Ferdinand de Saint-Urbain, qui s'y éteignit à 85 ans,
le 10 janvier 1738 (90) ; puis Nicole, qui y habitait encore
après la mort du roi de Pologne (91). Ces artistes étaient
toujours autorisés à employer le balancier pour la fabrication
des médailles et des jetons de leur composition. Lorsqu'il
s'agissait d'une opération de ce genre, la Chambre des Comptes,
Cour des monnaies, nommait, à la réquisition du procureur
général, un commissaire, en présence duquel devait se faire la
frappe, et qui dressait un minutieux procès-verbal (92). Mais ce
fut tout; on n'y battit pas d'espèces à l'effigie de Stanislas
ou de Louis XV.
Le successeur de François III avait bien témoigné le désir qu'il
parût des monnaies à son coin, pour marquer sa souveraineté ; et
M. de La Galaizière avait pensé que cela pourrait se faire sans
inconvénient. Il avait proposé aux ministres d'émettre, au nom
du beau-père du roi de France, un certain nombre de pièces d'or
et d'argent, du même poids que les louis et sous ayant cours
dans le Royaume. Plus tard, il eût suffi de refrapper ces
pièces, pour en permettre l'usage en France. Mais, sur l'ordre
de Fleury, le Contrôleur général répondit que « Sa Majesté
Très-Chrétienne n'entendait point que le droit de seigneuriage
ou bénéfice de la fabrication tournât au profit du roi de
Pologne ; que ce droit faisait partie des revenus qui avaient
été abandonnés au Roi par M. le duc de Lorraine... (93) »
L'Intendant comprit que c'était là un refus déguisé, et il avait
abandonné l'idée chère à Stanislas. A partir de 1737, aucune
monnaie ne devait plus sortir d'un établissement dont les voûtes
avaient jadis résonné du bruit de plusieurs opérations fameuses
(94).
CHAPITRE VI
Les poids et mesures.
Des nombreuses mesures
employées en Lorraine au XVIIIe siècle, résultait une
complication plus grande encore que celle des valeurs
monétaires. A peine une étude de plusieurs années eût-elle
permis de ne point s'égarer dans ce dédale. Il n'y avait aucune
relation entre les mesures des Duchés et les mesures de France.
Aucune uniformité non plus dans les mesures des diverses
contrées de la Province, si ce n'est pour celles de poids, dont
l'unité était, depuis le XIe siècle, la livre poids-de-marc ou
livre de Troyes, usitée aussi, avec son multiple le quintal et
ses subdivisions, à Paris et dans le nord-est du Royaume.
Dès qu'il s'agit des mesures linéaires, cette harmonie
disparaît. En Lorraine, comme en France, on mesure par toises et
par aunes ; la toise s'employant pour l'usage général et l'aune
pour les étoffes. Mais les rapports sont loin d'être simples
entre les toises ou les aunes de la Province et celles du
Royaume. Il faut une aune 7/8 de Lorraine pour faire l'aune de
Paris ; la toise de Lorraine contient 8 pieds, 9 pouces, 7
lignes, 6 parties, mesure de Roi ; 192 de ses pieds n'équivalent
qu'à 169 pieds de Roi (95). Et ces chiffres ne sont exacts que
pour la toise et l'aune lorraines typiques, auxquelles un a
recours le plus souvent dans le centre du pays, mais qui ne sont
point les seules usitées et dont, plus on s'éloigne de Nancy ou
de Lunéville, diffèrent davantage celles du reste du pays.
C'est ainsi qu'il y a la toise de Bar, servant dans le Barrois
pour les bâtiments, et qu'il faut se garder de confondre avec
une autre toise de Bar, appelée encore vergeon, et réservée pour
l'arpentage. De même la Lorraine allemande a sa toise spéciale
qui vaut 0m443 de plus que celle de la Lorraine centrale ;
l'écart est moins grand pour la toise de Mirecourt. Sous le
Gouvernement français, le pied de Roi sera progressivement
préféré, surtout pour les travaux d'architecture, aux diverses
toises locales, qui ne serviront plus guère que pour
l'expression des mesures agraires.
Quant à l'aune, aucune amélioration de ce genre n'est à
signaler, et l'emploi plus fréquent et souvent imprévu de celle
de Paris ne fera qu'embrouiller davantage l'état des choses, car
la mesure française ne parviendra point à remplacer entièrement
les aunes de Lorraine, surtout parmi le peuple et pour le
commerce des grains. L'aune de Bar, qui a 24 pouces de Roi,
devrait rigoureusement être distinguée en aune pour les étoffes
et en aune pour les toiles. L'aune de Lorraine valait 0m 639 ;
celle d'Epinal 0m 658 ; celle de Sarralbe vaut 0m 681; celle de
Bruyères, utilisée par les tisserands, atteint jusqu'à 0m 785.
et celle de Provins, que l'on emploie à Neufchâteau, 0m 826 ;
mais toutes sont inférieures à celle de Paris qui. comme l'on
sait, équivaut à 1m 188. Il est à noter que les régions où ces
diverses mesures sont en usage, ne sont nullement délimitées, ce
qui est matière à de fréquentes discussions.
L'unité des mesures agraires se nomme d'habitude jour, pour les
terres et vignes ; fauchée, pour les prés, et arpent, s'il
s'agit des bois. Elle varie, non seulement comme tout à l'heure
suivant les localités, mais aussi selon les confins d'un même
village, c'est-à-dire suivant les diverses parties du ban d'une
même commune. Aussi trouve-t-on souvent des fauchées ou des
jours qui n'ont que les trois quarts ou lep quatre cinquièmes de
la contenance de ceux qui les touchent immédiatement. La variété
est incroyable ; on peut la restreindre à ces principaux étalons
: le jour de Lorraine, qui est de 250 toises ; celui de la
Lorraine allemande, de 343 toises ; celui de Bar, qui monte à
400 toises ; celui de Vergaville, qui descend à 100 toises
seulement. Mais, entre ces chiffres, se place toute une
gradation dont chaque terme, pour ainsi dire, correspond à
quelque mesure usitée. Les exceptions sont du reste aussi
fréquentes que la règle; Sarralbe emploie l'unité de la Lorraine
centrale ; il y a des fauchées qui atteignent 500 toises.
Nous ne dirons rien des diverses cordes pour cuber les bois de
chauffage : elles, aussi, varient selon les localités, et
d'après l'espèce de toise adoptée. Rappelons seulement qu'outre
la corde de la Lorraine propre, qui vaudrait 2 stères 992, il y
a la corde pour les bois des salines, qui est de 3 stères 365 ;
et celle des bois d'affouage, qui va jusqu'à 4 stères 487. Mais
la corde courante de Pont-à-Mousson correspond presque à cette
dernière (4 stères 387), car elle est évaluée en pieds de
France. Les habitants des Vosges distinguent, de plus, une corde
de commerce, une corde pour le charbonnage et une autre cor de
d'affouage, avec un écart de près de deux stères.
Pour les mesures de capacité destinées aux liquides, les
inconvénients s'aggravent encore. L'unité est la pinte, qui se
subdivise en demi-pinte ou chopine ; deux pintes font un pot ;
18 pots une mesure, et 7 mesures un virli ; 84 pots barrois - ce
qui est chose différente du pot ordinaire, - donnent une pièce,
et il faut deux pièces pour faire une queue. La pièce de Ligny
et la pièce de Saint-Mihiel se partagent le Barrois. Signalons
aussi, au hasard, la hotte de Pont-à-Mousson, qui vaut 32 pintes
de Lorraine ; celle de Sarreguemines, qui contient encore 6
litres de plus. Dans les Vosges, le vin se vend à la mesure et
se détaille au pot ; mais il faut s'inquiéter si l'on parle du
pot de Rambervillers, de ceux de Bruyères ou de Gondrecourt.
Dans le bailliage de Nancy, la mesure de vin contient 18 pots de
4 chopines; mais, tout à côté, dans celui de Rosières, à Bayon,
la mesure est dite grande, et 12 pots et demi suffisent à
remplir la mesure de Nancy.
Quand on arrive, enfin, aux mesures pour les grains, il faut
absolument renoncer à donner un exact aperçu de la complexité
des systèmes. Toutes, à la rigueur, devraient se rapporter à la
pinte, leur unité, qui contient 1 litre 22 en Lorraine et 1
litre 07 dans le Barrois. Mais il est impossible de retrouver
ces proportions. Dans la Lorraine propre, on est censé compter
par résal (l20 litres environ); aux environs de Pont-à-Mousson
par quarte (92 litres en moyenne) ; dans le Barrois par
boisseau, c'est-à-dire par 18 ou 20 litres seulement; la
Lorraine allemande se sert du malder, qui va jusqu'à 320 litres.
Mais que de divergences ! Pour le résal entre autres. Celui de
Nancy vaut 117 litres et celui de La Marche 188 Le premier se
divise en 4 bichets, le bichet en 12 pots, le pot en 2 pintes,
la pinte en 2 chopines, la chopine en 2 setiers, le setier en 3
verres. Le résal de Lunéville vaut, en principe, celui de la
capitale ; mais, dans l'étendue du bailliage, il pèse 180 livres
à Rambervillers et 200 livres à Badonviller. A Neufchâteau ou à
Saint-Dié, la division se fait en 8 zettes ou imaux, que l'on
appelle mines à Bruyères ; en 6 boisseaux à Lixheim, ce qui se
nomme des fourreaux à Rambervillers. En résumé, je compte
jusqu'à 23 grandes variétés de ce résal !
La quarte vaut 4 bichets et le bichet 4 fourreaux: telle est la
règle dans le bailliage de Sarreguemines ; cependant la quarte
de Puttelange est moins forte d'un 32e, et celle de Forbach d'un
16e. Le boisseau comprend 2 demis ; le malder 8 faces, la face 3
zestres, le zestre 4 firlins : à Bitehe par exemple.
Mais il faut s'entendre ; tout ce que nous venons de dire ne
s'applique qu'aux mesures pour le blé. Ces chiffres seraient
inexacts s'il s'agissait d'avoine. Le résal de blé est à Nancy
de 117 litres, mais celui d'avoine vaut 168 litres. Bar mesure
le froment par boisseaux de 17 litres, mais l'avoine par
minottes de 34 litres; etc.
La diversité des types ne semblait pas encore suffisante pour
encourager les fraudes : la façon de mesurer est aussi variable
que l'instrument. Le blé et le seigle sont d'habitude livrés
ras, c'est à-dire que l'on passe préalablement une règle sur le
bord du vase ; l'avoine, au contraire, se mesure comble : on
remplit le bichet de manière à former un cône aussi haut qu'il
se peut, ce qui donne un volume supplémentaire équivalant
parfois à la moitié du principal ; tout est alors affaire de
précautions, d'habileté de main, de siccité des grains. Au
bailliage de Nancy, le méteil, le seigle, les pois, les haricots
et les lentilles se mesurent ras; mais l'orge, l'avoine, les
petites fèves, le millet, la navette se mesurent comble. A
Saint-Mihiel, le froment se mesure ras, selon la règle ; mais
seulement sur le grenier, car au marché on ne doit pas manquer
d'ajouter un huitième comble. Dans les calculs nécessités par la
répartition des Vingtièmes, on dut distinguer soigneusement le
résal d'orge comble, estimé à 5 livres, et le résal d'orge
raclé, estimé à 4 livres 10 sols (mesure de Nancy).
Et encore, dans cette courte mais déjà fastidieuse nomenclature,
avons-nous fait abstraction des mesures en usage dans le
Toulois, le Pays Messin, le Verdunois, aussi nombreuses, aussi
variées; et qui pénétraient en Lorraine, surtout dans les zones
limitrophes. C'était encore les vieilles mesures d'Alsace, du
Luxembourg, de la Franche-Comté, qui étaient employées
simultanément avec les mesures locales, sur les frontières et
dans les enclaves. Ajoutez à cela l'absence de rapport
mathématique précis entre ces mille mesures et avec celles de
Paris, la différence du cours des monnaies, la prédominance des
valeurs fictives, la singulière topographie de la Province et la
multiplicité des codes : vous pourrez en déduire les ennuis qui
devaient résulter d'une telle situation pour les moindres actes
de la vie de chaque jour !
Rien ne fut tenté, cependant, après 1737, non pour arriver à une
uniformisation - à laquelle on ne songeait guère, du reste, dans
les autres Généralités, - mais tout au moins pour simplifier un
système de mesures qui se distinguait entre tous par la plus
étrange confusion.
Sans interdire à la Lorraine l'emploi de ses mesures nationales,
le Gouvernement n'eût-il pas dû essayer de ramener ces dernières
à quelques types principaux d'ou elles dérivaient toutes. Elles
ne s'étaient écartées de ces étalons primitifs que dans la
succession des siècles, et grâce à l'absence de contrôle du
pouvoir central. Pas une fois, sous Stanislas, la question ne
fut mise à l'étude par l'Intendant ou les ministres ; on ne
tenta pas le moindre essai. Les Ducs, du moins, si leur
intervention ne fut pas toujours très efficace, avaient rendu
plusieurs ordonnances à ce sujet. Rogéville nous apprend que
déjà, en 1144, Mathieu Ier avait déterminé la longueur des
mesures et la gravité des poids, et ordonné qu'ils fussent
uniformes (96). Ferri IV, en 1323, renouvelait cette
prescription. C'est aussi Charles III qui, en 1598, défend de se
servir, dans les foires et marchés de Lorraine, d'autres mesures
que de celles de Nancy ; en conséquence, toutes les mesures à
grains du Duché sont réduites à ces types. L'ordonnance du 8
avril 1600 fixait, à son tour, les mesures des vins, les toises,
les aunes et les poids. Les habitants du Barrois durent, en
vertu de celle du 2 avril 1601, se reporter de même aux mesures
de leur capitale. Avec l'administration française commence, au
contraire, une période de complexité plus grande que jamais ;
bien que ce fût dans cet ordre de choses que la fusion des
intérêts eût été et la plus facile, et, peut-être, la plus
salutaire.
Nous n'avons, à partir de 1737, aucune déclaration concernant
les mesures locales, jusqu'à celle du 16 mai 1766. « Quoiqu'il
soit fort désirable pour le commerce, lit-on dans cette pièce,
que l'uniformité des poids et mesures établisse entre l'acheteur
et le vendeur une bonne foi qui sera toujours l'âme la plus
active du commerce, les tentatives inutiles, qui ont été faites
en plusieurs endroits pour y parvenir, peuvent faire douter du
succès des nouveaux efforts que l'on ferait à cet égard (97) ».
Pour veiller, toutefois, autant que possible, à la sincérité et
à la facilité des opérations commerciales, le. Gouvernement
présentait « un tarif, exécuté avec précision, dans lequel on
pût trouver les rapports et proportions de tous les poids et
mesures d'usage dans les différentes villes et lieux du Royaume
». Il émettait le vœu que l'once et la livre, la toise de six
pieds de Roi et l'aune de Paris fussent préférées comme bases de
ce tarif. Mais cette pièce marquait trop visiblement le
découragement avant l'action, et c'était le moyen de s'assurer
l'insuccès. Toute la réforme consista dans l'envoi à chaque
bailliage d'étalons, mesure de Paris, afin d'établir, d'une
manière fixe, leur rapport avec les mesures en usage dans les
diverses localités, et de servir à la vérification des mesures
du même type. Inconséquence notoire : dans l'instruction à
l'Intendant, on s'étendait longuement sur la livre,
universellement adoptée pourtant dans la Province, et on ne
s'occupait en rien des mesures de capacité au milieu desquelles
il était le plus difficile de se reconnaître. L'année suivante,
seulement, on songea à ces dernières. Le Contrôleur général
voulut être instruit d'une manière précise du poids et des
dimensions des mesures à grains, pour en faire dresser un
rapport mathématique avec celles de Paris, et les étudier avec
plus de certitude que ne le permettaient les expériences
antérieures. L'Intendant adressa à cet effet des avis et des
questionnaires détaillés aux subdélégués, qui eurent à en
remplir les colonnes. Travail inutile : les choses en restèrent
là (98).
Toutes les anciennes mesures, en usage au début du XVIIIe
siècle, seront encore généralement employées en Lorraine, au
moment où la loi du 19 frimaire an VIII (2 novembre 1801)
prescrira l'adoption exclusive du système métrique (99). Les
tables officielles que fournissent les almanachs de la Province
pour 1781 et les années suivantes indiquent encore quarante-deux
mesures locales destinées aux grains ; et les mémoires des
commissions départementales, nommées pour établir les bases de
la conversion de ces mêmes mesures, doivent porter ce total à un
chiffre plus considérable encore.
L'ajustement et la marque des poids et mesures avaient lieu par
l'initiative et sous le contrôle de la Chambre des Comptes qui
donnait périodiquement à bail le privilège de ces fonctions. Le
célèbre maître-serrurier Jean Lamour, par exemple, eut
longtemps, moyennant un canon annuel de 10 livres : « la ferme
et permission de faire marquer et adjuster les bichets et
demi-bichets pour livrer les grains (100) ». Nous allons voir
que la vérification s'en faisait par les soins de la Juridiction
consulaire.
CHAPITRE VII
La Juridiction consulaire.
La connaissance des
différends entre marchands, et en général de tous ceux résultant
du fait de négoce, la haute surveillance des intérêts
commerciaux en Lorraine, appartenaient à un Corps élu, dont les
membres constituaient la Juridiction consulaire.
C'était là une institution très ancienne, dont la première
ébauche date de 1341. Des créations analogues ne se manifestent
dans les villes françaises qu'aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
Elle semble même avoir précédé la fameuse Conservation de Lyon.
Cette Justice, qui passa par des phases diverses (101), était
très solidement organisée, surtout depuis que l'édit du 28
novembre 1715 avait substitué aux règlements imparfaits,
jusqu'alors en vigueur, un véritable monument législatif (102).
Le Tribunal consulaire siégeait à Nancy. Il se composait d'un
Maître, marchand de cette ville, assisté de quatre de ses
collègues. Le Maître, qui avait pris tout d'abord la
qualification de roi des marchands et premier des juges-consuls,
était plus généralement appelé, à partir de 1737, premier
juge-consul (103). Le premier de ses assesseurs avait le titre
de lieutenant. Les trois autres adoptèrent successivement les
dénominations de premier, deuxième et troisième échevins, de
juges-consuls, et enfin de consuls. Ces juges étaient renouvelés
de trois ans en trois ans. A l'expiration du mandat, le premier
juge-consul sortant soumettait aux marchands une liste de trois
candidats, agréés par l'Intendant, sur laquelle, à la pluralité
des voix, ils élisaient un nouveau Maître. La cérémonie avait
lieu le lendemain de la Saint-Michel, à la Collégiale
Saint-Georges, siège de la Confrérie des marchands et devant le
Chapitre assemblé. Une fois élu, le premier juge choisissait ses
quatre assesseurs. Tous cinq, après avoir reçu l'approbation de
l'administration, prêtaient serment par devant la Cour
souveraine. Les fonctions de ces juges étaient gratuites. Le
Corps consulaire était complété par un greffier et quatre
huissiers.
Les attributions des Consuls peuvent se ramener à quatre. Tout
d'abord, et c'était là leur principale fonction, ils exerçaient
le pouvoir judiciaire. Ils vérifiaient les poids et mesures ;
ils entretenaient une haute surveillance sur les divers Corps de
marchands de la Province ; ils délivraient les lettres de han
(104) exigées pour être reçu dans la corporation.
1° - Pouvoir judiciaire. - La juridiction du Tribunal consulaire
s'étendait dans tout le ressort de la Cour souveraine. Les
Juges-consuls connaissaient de toutes les difficultés, nées et à
naître, entre marchands, ou entre particuliers et marchands ;
mais pour faits de commerce seulement. C'est ainsi que tout
particulier pouvait actionner un marchand par devant eux, pour
billets de commerce, lettres de change, etc. Les juges
ordinaires étaient tenus de leur renvoyer ces affaires. Ils
intervenaient dans les banqueroutes et les faillites, les bilans
étant déposés à leur greffe. Ils s'occupaient des atermoiements,
même si des particuliers y avaient intérêt, à condition que ces
derniers ne fussent point créanciers hypothécaires ; et ils en
décidaient « par expédients et tempéraments équitables ». Ils
connaissaient des gages, salaires, pensions des
commissionnaires, facteurs au service des marchands, pour le
fait de trafic seulement ; du commerce fait pendant les foires ;
de l'exécution des lettres patentes lorsqu'elles étaient
incidentes aux affaires de leur compétence, et pourvu qu'il ne
s'agît point de l'état et qualité des personnes. Les gens
d'église, gentilshommes, bourgeois, laboureurs et vignerons
pouvaient faire assigner devant les Jugesconsuls pour ventes de
blés, vins ou bestiaux provenant de leur cru, ou par devant les
juges ordinaires, si ces ventes avaient été faites à des gens
faisant profession de revendre.
La justice était sommaire et gratuite. Le greffier consulaire
devait tenir bon et fidèle registre de la procédure et des
jugements ; il délivrait aux parties les jugements
interlocutoires sur papier timbré et les sentences définitives
sur parchemin ; il percevait les mêmes droits que les greffiers
bailliagers. Les ordonnances et jugements rendus par les
Juges-consuls pouvaient être mis à exécution, dans toute
l'étendue du pays, par le ministère du premier huissier requis,
sans que cet officier fût tenu de prendre visa ni pareatis. Les
Juges-consuls pouvaient connaître en dernier ressort jusqu'à 500
livres ; au-dessus, l'appel était porté à la Cour souveraine
(105).
2° - Vérification des poids et mesures (106). - L'opération que
l'on appelait « vérification des aulnes, poids, balances et
mesures », commençait - sans parler des descentes
extraordinaires - par les visites que périodiquement les
Juges-consuls faisaient, selon la formule consacrée, chez « les
marchands tenans boutique ou magasin, chandeliers, beurriers,
fromagiers, charcutiers, revendeurs, vendeurs de cerises et
autres, trouvés vendans et débitans dans lesdits magasins,
manufactures, boutiques, étops (échoppes) et autres lieux
accoutumés ». Les instruments douteux étaient saisis; plus tard,
en Chambre consulaire et en présence des propriétaires, dûment
appelés, on procédait à leur examen. Les Juges prononçaient
alors les amendes et confiscations, s'il y avait lieu. Pour les
irrégularités de peu d'importance, résultant de l'usure des
poids et mesures, le Tribunal se contentait d'infliger une très
faible amende, généralement quelques gros, et de faire ajuster
les appareils aux frais des commerçants négligents.
Les Consuls effectuaient eux-mêmes ces visites à Nancy et dans
la banlieue ; mais, pour le reste de la Province, ils étaient
suppléés dans cette tâche par un nombre variable de préposés,
qu'ils choisissaient et établissaient dans les principaux
centres commerçants, et qui recevaient le nom de lieutenants des
marchands. C'est ainsi que, sans sortir de la Lorraine centrale,
nous trouvons de ces représentants de la Chambre consulaire à
Pont-à-Mousson, à Lunéville, à Châtel, à Saint-Dié, à Bruyères,
à Mirecourt, etc.
L'édit de création des lieutenants n'avait été enregistré par la
Cour souveraine qu'à la condition que le droit de vérification
dont ils jouiraient, n'exclurait point celui des officiers
locaux, qui devaient continuer de punir les contraventions
(107). Cette réserve semble avoir considérablement influé sur
l'autorité des lieutenants en la matière. Pour opérer les
visites, le lieutenant doit au préalable se faire assister de
deux adjoints, d'un greffier et d'un doyen. Mais, malgré la
forme imposante dont il entoure ses opérations, il lui est
rarement fait, dans les boutiques, un accueil convenable. On lui
dénie un droit que l'on reconnaît, au contraire, aux officiers
de police. Les rapports adressés par les lieutenants aux
Juges-consuls nous ont montré combien fréquemment ils étaient
empêchés de poursuivre leurs visites. On leur refuse l'examen
des balances ; on leur arrache les poids des mains ; heureux,
encore, quand ils ne sont point injuriés grossièrement ou
maltraités. Les lieutenants n'avaient, d'ailleurs, aucune
sentence à rendre à la suite de leurs constatations. Ils se
contentaient d'établir les procès-verbaux de leurs tournées,
d'envoyer ces pièces au greffe de la Justice consulaire, et
c'est le Tribunal qui statuait.
3° - Surveillance sur les Corps de marchands de la Province. -
Les historiens lorrains n'ont guère vu jusqu'ici dans les
lieutenants des marchands que de simples vérificateurs des poids
et mesures. C'est, il est vrai, la seule attribution que
mentionne l'édit autorisant les Juges-consuls à se les
adjoindre. Toutefois ce rôle est loin d'être le principal.
Voici où les attributions des lieutenants deviennent bien
autrement importantes. C'est grâce à eux que les Juges-consuls,
chefs de droit du Corps des marchands de Nancy, auquel ils
appartenaient, pouvaient exercer une surveillance très sérieuse
sur les autres Corps similaires du pays, et y entretenir leur
influence.
Le premier juge-consul est en communication suivie avec chaque
lieutenant, par l'intermédiaire d'un agent subalterne ou
sergent. Une fois désigné par les Juges-consuls, le lieutenant
doit s'assurer le concours d'adjoints, en nombre plus ou moins
grand, suivant l'importance du Corps. Puis, de concert avec eux,
il nomme plusieurs marchands, représentant, autant que possible,
les différentes branches du commerce, pour être notables durant
son propre exercice, après qu'ils auront prêté devant lui
serment de bien et fidèlement soutenir les intérêts de la
Corporation et ceux de la Juridiction consulaire. Ce sont ces
notables qui, sous la direction du lieutenant et des adjoints,
sont seuls aptes à délibérer pour le bien et l'utilité du Corps,
et à faire, en son nom, tous prêts et emprunts nécessaires.
Il n'existait point, avant ou après 1737, de règlements fixes en
matière commerciale. A maintes reprises, nous voyons la Chambre
consulaire exprimer, dans ses délibérations, le vœu « qu'il plût
à Sa Majesté de donner des règles certaines pour le commerce de
ses Etats ». De même les statuts particuliers des divers Corps
de marchands ou merciers de Lorraine étaient, pour la plupart,
incomplets et défectueux. Parfois même ils faisaient
complètement défaut, ce qui donnait lieu à des interprétations
multiples et occasionnait de violents démêlés. Il appartenait
alors aux Juges-consuls d'intervenir. Dans les cas graves, ils
mandaient par devant eux le roi élu de la Confrérie pour leur
rendre compte des faits. Souvent des conflits se produisaient
entre le lieutenant lui-même, les adjoints et les notables. Ces
difficultés étaient pareillement tranchées par le Tribunal.
A titre officieux, les Juges-consuls rédigeaient aussi, quand
besoin en était, des règlements pour les confréries religieuses,
arrêtant alors dans les moindres détails la question des messes,
des adorations, du luminaire, et fixant le taux des amendes.
C'est ce qu'ils firent, entre autres, en octobre 1737, pour tous
les marchands de Lunéville. Si leurs propositions officieuses
sont approuvées, ils homologuent le règlement, en tant que
magistrats, et le font enregistrer au greffe. Ces statuts sont
dès lors des lois, exécutoires sous les peines portées, et que
devront appliquer les marchands jurés, sauf opposition devant
les Consuls eux-mêmes.
A sa sortie de charge, le lieutenant rendait compte au Corps, en
présence de son successeur, des adjoints et des notables, de
toutes ses recettes et dépenses, de la part qui revenait à la
maîtrise dans les amendes ou les droits de réception. L'autre
partie du montant des lettres de han avait été adressée, par ses
soins, à la Chambre consulaire ; c'est à elle, en effet,
qu'était réservé le pouvoir de les délivrer.
4° - Délivrance des lettres de han. - Pour être or reçu et hanté
marchand », on devait comparaître devant les Juges-consuls ou
leurs lieutenants, et leur être présenté par un marchand qui
certifiait que le candidat était de la religion catholique,
apostolique et romaine, de bonne vie et mœurs, en un mot « sans
reproche ». L'aspirant marchand remettait son brevet, justifiant
de trois années d'apprentissage. Puis il jurait d'observer dans
sa profession les règles de la bonne foi et les statuts du Corps
dans lequel il allait entrer ; de payer les droits de réception,
d'acquitter exactement les redevances annuelles, de « ne tenir
qu'une seule et même boutique, de n'envoyer aucun colporteur
vendre et débiter ses marchandises par la ville, aux halles et
places publiques », de ne se pourvoir « pour faits de son
commerce, injures et débats », ailleurs qu'auprès des
Juges-consuls, à peine de privation du bénéfice des lettres de
han. Alors il était « hanté, reçu et agréé marchand du duché de
Lorraine », et, en cette qualité, il lui était permis de tenir
boutique ouverte et de faire tel négoce de marchandises licites
quebon lui semblerait.
Très fière de ses privilèges, qu'elle conserva intégralement
sous l'administration française et
dont la Cour souveraine semble avoir pris souvent et un peu
puérilement ombrage (108), la Juridiction consulaire n'eut
point, tout d'abord, à intervenir dans les luttes successives
que les anciens Corps constitués de la Province engagèrent
contre l'administration de Louis XV. A la suppression du
Chapitre de Saint-Georges, en 1742, les élections des Consuls se
firent devant celui de la Primatiale, héritier des prérogatives
du premier. Puis, quittant sa salle d'audience de l'Hôtel de
ville, la Chambre s'installa, en 1753, dans un palais somptueux,
sur la Carrière, en cet Hôtel de la Bourse où siège encore
aujourd'hui le Tribunal de commerce, qui en est le continuateur.
Plus fortement établie que jamais, cette Justice voit dès lors
son prestige comme rehaussé. A sa tête et dans son sein, se
trouvent des hommes connus et vraiment supérieurs, grands
industriels, riches entrepositaires et banquiers : les Coster,
les Villiez, les Bloucatte, pour n'en nommer que quelques uns.
Claude Coster le jeune, par une exception flatteuse, exerce même
l'office de premier juge pendant six années consécutives (109).
Aussi, lorsqu'en 1761 la question du Reculement des Barrières
soulève l'opinion et que les Consuls entrent en scène, le
Contrôleur général et l'Intendant ne peuvent méconnaître avec
quels puissants adversaires ils ont, soudain, à se mesurer, et
le ministère voit, non sans humeur, combien le mot d'ordre donné
par le Tribunal des marchands est, sinon généralement approuvé,
tout au moins fidèlement observé par tous les négociants
lorrains.
PIERRE BOYÉ.
(1) V. Le Budget de la province de Lorraine et
Barrois sous le règne nominal de Stanislas (1737-1766)). Nancy,
1896, in-8. Quatrième partie, chapitre VI ; les traites ; la
Foraine.
(2) Arrêt du Conseil royal des finances et commerce qui ordonne
la perception des droits des Fermes dans la baronnie de
Fénétrange et les parties de la principauté de Salm réunies par
échange. Du 31 mars 1753. (Recueil des ordonnances de Lorraine,
IX, 48.)
Pour tout ce qui suit : Archives de Meurthe-et-Moselle, passim
et plus particulièrement la série C. - Archives du Tribunal de
commerce de Nancy, passim. - Manuscrits n° 30 et (Fonds Montbret)
de la Bibliothèque publique de Rouen - Etc.
(3) Par cru, on entendait les fruits d'héritages situés sous la
domination dont relevait le propriétaire; par concru, les fruits
d'héritages possédés sous une domination étrangère,
(4) Ajoutons que, si les habitants du Pays Messin communiquaient
directement avec l'Alsace par la route de Phalsbourg, il fallait
toutefois qu'ils passent par Sarrebourg. Or Sarrebourg était un
ancien démembrement de la Lorraine. Depuis la cession de cette
ville à la France, la Foraine continuait d'y, être exigée. On
l'y percevait au profit de l'engagiste de ce domaine.
(5) Arrêts du Conseil d'Etat des 21 août et 30 octobre 1759,
fixant les droits d'entrée dans le Royaume sur les bouteilles et
ouvrages provenant des verreries de Lorraine et des autres
provinces, soit étrangères, soit réputées telles.
(6) Commerce de la Lorraine en 1758 (Manuscrit n° 129 de la
Bibliothèque de Rouen, j. cit.).- Archives de
Meurthe-et-Moselle, C. 311.
(7) La Foraine rapportait, alors, annuellement, 135,000 1. Les
frais de régie atteignant 55,000 1., le bénéfice net des
Fermiers n'était plus que de 80.000 1.
(8) A cette époque, il se consommait, année commune, en Lorraine
: 9,748 muids de sol, du poids de 650 livres. Le prix de la
livre de sel eût été augmenté de 8 deniers.
(9) Ibid. - Mémoire tendant et la suppression des péages de
Lorraine connus sous le nom de haut-conduit, foraine, etc.,
envoyé le 23 septembre 1745 par M. Helvétius, fermier général.
(Archives de Meurthe-et-Moselle, loc. cit.)
(10) C'est à propos de ce projet que Durival déclare
qu'Helvétius « voyait tout en homme de génie » et qu'il tient il
la Lorraine autant « par le bien qu'il voulait y faire » que par
son mariage avec Mlle de. Ligniville. - Cf. Description de la
Lorraine et du Barrois, I, 189.
(11) Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 311.
(12) Fils d'un grand marchand-banquier, dont nous aurons
l'occasion de parler plus loin, Joseph-François Coster était né
à Nancy en 1729. Sans négliger d'abord les affaires de son père,
il avait cultivé les lettres avec quelque bonheur et publié le
discours qui lui avait fait obtenir, en 1759, le prix de
l'Académie de Nancy : La Lorraine commerçante (Nancy, 1760,
in-8°). Voici comment, dans son nouveau travail, Coster apprécie
ce premier essai : « Nous n'avons vu jusqu'ici qu'un ouvrage sur
le commerce; encore est-il peut-être plus littéraire qu'utile,
son auteur paraissant avoir voulu ménager la délicatesse de la
nation, même en frondant ses préjuges. » On a encore de lui dans
le même ordre d'idées : Memoire sur différens moyens de donner
la plus grande activité au commerce et aux manufactures des
villes de Nancy, Metz et de leurs alentours. Nancy, 1791, in-8°.
Protégé du prince de Beauvau, successivement secrétaire des
Etats du Languedoc, premier commis du Contrôle des finances,
professeur d'histoire A Nancy (1796), proviseur du collège royal
de Lyon (1804), Coster mourut en 1813.
Pour plus de détails sur la vie de J.-F. Coster, voir Blau,
Eloge de M. Coster. Nancy, 1838, br. in-8°.
(13) Mémoire des Juges-consuls de Lorraine et de Bar, et du
Corps des marchands de Nancy, présenté le 15 janvier 1762, à
Monseigneur l'Intendant de la Province, sur les raisons qui
doivent affranchir le commerce des Duchés de Lorraine et de Bar,
du Tarif général projetté (sic) pour le Royaume de France.
Nancy, s. n., 1762, in-12 de 52 p. - Le texte est suivi des
signatures, avec l'observation qu'il ne manque que celles de
quelques négociants, absents de Nancy lors de la rédaction du
Mémoire.
(14) S. L, n. n., 1762, in-8°. Le manuscrit était primitivement
intitulé : Lettres sur le projet d'établir un tarif sur la
frontière qui sépare la Lorraine de l'étranger, en supprimant la
Foraine. (Archives de Meurthe-et-Moselle, loc. cit.)
(15) Archives de Meurthe-et-Moselle, loc. cit.
(16) Ibid.
(17) L'auteur de ce travail était le sieur Nicolas Lebel,
directeur d'une importante manufacture de bonneterie de Nancy. A
la date du 4 mars 1762, Durival consigne dans son Journal : « Le
Bel a fait une très bonne réfutation des Lettres de Coster, qui
lui a dit d'y prendre garde, que c'était l'ouvrage de la Cour
souveraine ».
(18) V., par contre : Réponse de M. G... R... E... à M. H...
L... N..., sur le projet d'un nouveau tarif. Nancy, Thomas,
1762, 4 p. in-8°.
(19) On a également de cet auteur: Mémoire sur l'intérêt de la
Lorraine et des Evêchés à, l'adoption du plan d'uniformité pour
la suppression des droits de traites. - Cf. Réfutation d'un
mémoire répandu en Lorraine, et attribué à M. de Cormeré, sur
les avantages qui selon lui résulteraient pour la Lorraine et
les Evêchés, du projet de les comprendre dans le Reculement des
Barrières. S. 1., n. n., n. d., in-8° de 36 p.
(20) Lettres de Monsieur D... à Monsieur M..., sur le commerce
de la Lorraine et sur le projet d'un nouveau tarif. Amsterdam,
s. n., 1762, in-8° de 104 p.
(21) Lettres de M. D..., à M. M..., sur le commerce, etc. Nancy,
Thomas, 1763, in-8° de 99 p.
(22) Mémoire des fabriquant de Lorraine et de Bar, présenté a
Monseigneur l'Intendant de la province, concernant le projet
d'un nouveau tarif et servant de réponse à un ouvrage intitulé :
« Lettres d'un citoyen à un magistrat ». Nancy, s. n., 1762,
in-8° de 75 p.
(23) Abbé Morellet, Mémoires sur le XVIIIe siècle et sur la
Révolution ; édit. de 1821, I, ch. VJI.
(24) Réflexions sur les avantages de la libre fabrication et de
l'usage des toiles peintes en France, 1758.
(25) Lettre du 16 mai 1762 (Archives de Meurthe-et-Moselle. loc.
cit.).
(26) Lettre du 19 août 1762 (Ibid.).
(27) Réponse d'un citoyen à un citoyen. Nancy, Thomas, 1762 ;
in-So de 132 p. - Barbier (Dictionnaire des anonymes) donne, il
tort, la date de 1761, et comme nom d'auteur celui de Busson. -
Le manuscrit original, communiqué par Bresson à l'Intendant,
avait pour titre: Réponse aux « Lettres d'un citoyen à un
magistrat » ; pour la défense du projet de la liberté du
commerce français dans les duchés de Lorraine et de Bar.
(28) Vers le 2 novembre.
(29) (De Montaran), Mémoire sur les tarifs des droits de traites
en général, et en particulier sur le nouveau projet de tarif
unique et uniforme. Paris, 1762, in-8°.
(30) Mémoires sur le XVIIIe siècle et sur la Révolution, loc.
cit.
(31) Voyez entre autres : Mémoire du commerce de la Lorraine. S.
1., n. n., n. d. (1778), in-8°. - Mémoire pour la ville de
Nancy, sur le dommage immense qui lui résulteroit du. Reculement
des Barrières. S. 1., n. n., n. d. (1786), in-8°. - (Prugnon),
Aperçu des motifs qui s'opposent à ce que les duchés de Lorraine
et de Bar soient compris dans le projet de Reculement des
Barrières. S. 1., n. n., n. d. (1786), in-8°. - Réflexions d'un
solitaire sur le projet de priver la province de Lorraine de la
liberté de commerce avec l'étranger pour l'assimiler aux
provinces de France dites des « Cinq grosses Fermes ». S. l, n.
n., n. d. (1786), in-8°. - Etc.
(32) Coster occupa cet emploi, non moins lucratif qu'honorable,
de 1770 à la Révolution.
(33) Cf. Roedcrcr, Questions proposées par la Commission
intermédiaire de l'Assemblée provinciale de Lorraine, concernant
le Reculement des Barrières, et observations pour servir de
réponse à ces questions. S. 1., n. n., 1787, in-8°. - Id.,
Réflexions sur le rapport fait à l'Assemblée provinciale de
Metz, au sujet du Reculement des Barrières au-delà des provinces
dites étrangères. S. 1., n. n., 1788. - (D'Auvergne, directeur
des Fermes à Nancy), les intérêts de la Lorraine défendus contre
ses marchands. S. 1., (Nancy), n. n., 1787, in-8°. - les
intérêts de la Lorraine confondus avec ceux des négociants
lorrains qui ne sont point les MARCHANDS DE LEUR PATRIE ;
réponse à un libelle intitulé: « Les intérêts de la Lorraine
défendus contre ses marchands ». S. I., n. n., 1787, in-8°. -
Etc.
(34) Manuscrit n° 129 de la Bibliothèque de Rouen, j. cit.
(35) Pour ce tableau et les suivants, cf. Archives du Tribunal
de commerce de Nancy, passim. - Archives nationales, K. 1184. -
Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 311. - Ms. n° 129 de la
Bibliothèque de Rouen, j. cit.
(36) Dans son Mémoire sur le Duché de Lorraine, composé vers
1732 (Ms. n° 133 de la Bibliothèque de Nancy), d’Audiflret
prétendait que le commerce lorrain d'exportation pouvait
s'évaluer à un peu plus de 8 millions, et que l’importation
atteignait également, année courante, cette même somme. La vente
des sels est naturellement comprise dans ces chiffres.
(37) Manuscrit n° 484 de 1,1 Bibliothèque de Nancy.
(38) Arch. du Trib. de comm. de Nancy, passim. - Mem. servant d'éclaircissemens
et de supplément aux remontrances de la, Cour souver. du 27 juin
1758; 3 août 1758.
(39) Ibid.
(40) Cf. Recueil des fondations et établissemens faits par le
roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar. Lunéville, 1762,
in-fol.; pp. 102 et sq.
(41) Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 311.
(42) Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 307.
(43) Mémoire des fabriquants de Lorraine et de Bar... j. cit.
(44) Lettres d'un citoyen à un magistrat... j. cit.
(45) C’était la matière à des doléances incessantes de la part
des habitants de la Généralité de Metz.
(46) J.-B. Villiez, originaire de Savoie, s'était établi à Nancy
vers 1716. Il y avait épousé Elisabeth Coster, fille d'un
marchand déjà fort connu, son compatriote. Il s'était associé
ses deux beaux-frères, Coster aîné et Claude Coster. En 1733, il
fonda avec eux la manufacture de fer-blanc de Bains. Il mourut
en 1789, âgé de 99 ans. Deux de ses fils prirent une part active
aux affaires de son importante maison : Laurent, et surtout son
frère aîné, Jean-François (1722-1774), qui devait remplir
successivement les fonctions de lieutenant, de juge-consul
(1763-1766) et, enfin, de premier juge-consul. J.-F. Villiez
était aussi un naturaliste des plus distingués.
Quant il Coster aîné, il eut, comme son frère Claude et comme
J.F. Villiez, une nombreuse postérité. Parmi ses descendants, il
faut retenir les noms de Joseph-François Coster, l'auteur des
Lettres d'un citoyen; de Jean-Louis Coster, célèbre jésuite ; et
de Sigisbert-Etienne Coster, théologien et prédicateur
remarquable, plus tard député à l'Assemblée nationale qui, en
1790, 1e choisira pour l'un de ses secrétaires.
Sur les Villiez, v. J. Renauld, Le commerce lorrain an XVIIIe
siècle. I, J.-B. Villiez ; II, J.-F. Villiez. Nancy (1877), br.
in 8° de 18 p.
(47) Description de la Lorraine et du Barrois, I, 304 et IV, 50.
(48) J. Renauld, op. cit.
(49) Ces faits sont attestés par Coster lui-même, dans les
Lettres d'un citoyen.
(50) Abbé Morellet, Mémoires sur le XVIIIe siècle et sur la
Révolution, I, ch. II.
(51) Lettre d'un citoyen à un magistrat, p. 167.
(52) Manuscrit n° 129 de la Bibliothèque de Rouen, j. cit.
(53) Dupin proposait encore que l'on tirât des Indes, de Chypre,
etc., la matière brute des toiles de coton ; ces toiles eussent
été fabriquées en France et en Lorraine, et eussent été peintes
à la façon de celles des Indes.
(54) Réflexion sur les avantages de la libre fabrication et de
l'usage des toiles peintes en France.
(55) Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 311 ; etc.
(56) La Caphouse, Kaphouse ou Kauffouse de Nancy (de l'allemand
Kauf-Haus), était à la fois le bureau de la douane et un magasin
d'entrepôt et de consignation pour les marchandises.
(57) Lettres d'un citoyen à un magistrat, j. cit., p. 223. - Cf.
Mémoire pour les Juges-consuls et Corps des marchands de Nancy,
contre le fermier de la Caphouse de la même ville. Nancy, 1760,
30 p. in-fol.
(58) Très-humbles et très-respectueuses remontrances que
présentent au Roy… les gens tenans sa Chambre des Comptes de
Lorraine. 21 janvier 1761.
(59) Ibid.
(60) Cf. Manuscrit n° 79 de la Bibliothèque de la Société
d'archéologie lorraine. - Coster, op. cit. - Durival, op. cit.
I, 235, etc.
(61) Lettre du 19 août 1767 (Archives de Meurthe-et-Moselle,
loc. cit.).
(62) Recueil des édits, ordonnances, déclarations et arrêts dit
règne de Léopold Ier... concernant les monnayes. Nancy, 1734.
(63) Archives nationales, K. 1184 et 1192.
(64) Archives nationales, loc. cit.
(65) V. ms, n° 129 de la Bibliothèque de Rouen, j. cit.
(66) Ibid. - Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 311.
(67) Archives nationales, K. 1192.
(68) Soit, en valeur actuelle, 0 fr. 80 de 1737 à 1785. Cf. De
Riocour, Les Monnaies lorraines (Mémoires de la Société
d'archéologie lorraine, années 1884 et 1885). - Macé de
Richebourg, Essai sur la qualité des monnaies étrangères et sur
leurs différents rapports avec les monnaies de France. Paris,
1764, in-fol.
(69) Ces pièces, vulgairement appelles massons, et composées
mi-partie d'argent, mi-partie de cuivre, avaient été fabriquées
en 1723. Elles devaient leur nom au sieur Masson, préposé par
les frères Paris pour surveiller des opérations de banque en
Lorraine.
(70) Cf. Durival, Mémoire sur la Lorraine et le Barrois, p. 10.
- En 1778, le même auteur écrira : « De tant de pièces
fabriquées en Lorraine, il n'y en a plus que le peu que les
curieux en conservent dans leurs cabinets, avec des pièces de
deux sous, presque effacées. » (Description de la Lorraine et du
Barrois, I, 328).
(71) Arrêt du Conseil d'Etat, du 21 juillet 1768. (Recueil des
ordonnances de Lorraine, XI, 389.)
(72) Durival, Mémoire sur la Lorraine et le Barrois, loc. cit.
(73) Voyage de Dijon à Nancy. (Manuscrit n° 783 de la
Bibliothèque de Nancy.)
(74) Il ne faut pas confondre ce franc avec la livre tournois,
encore désignée en France, dans le langage Ordinaire, sous cette
dénomination. Toutes les fois que dans cette étude nous
emploierons le mot franc, il s'agira du franc barrois.
(75) C'était la base du rapport pris en 1700, lors de la
conversion de l'ancienne unité monétaire nationale,
(76) Pour convertir, au contraire, l'argent de Lorraine en
francs barrois, on double la somme, puis on ajoute le tiers.
(77) Briey, Réductions complettes de l'argent de Lorraine en
argent de France ; et celles de l'argent de France en argent de
Lorraine ; des frans, deniers et gros barrois en argent de
Lorraine, etc. Nancy, Thomas, s. d. (1768), 2 vol.in-12 de 190
et 108 p. - Cf. Tarif de la réduction des monnoyes de France et
de Lorraine. Nancy, Chariot, 1764, in-32 de 50 p. - Tarif de la
réduction des monnoyes de France et de Lorraine. Nancy, Midon,
s. d., pet. in-8° de 33 p.
(78) Helvétius, Mémoire tendant à la suppression des péages en
Lorraine, j. cit.
(79) Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, VIII, 333.
(80) Très humbles et très respectueuses remontrances que
présentent au Roy… les gens tenans sa Chambre des Comptes de
Lorraine, Cour des aides et des monnoyes. Du 21 janvier 1761.
(81) Traité de la monnoye de Metz. Avec un tarif de sa réduction
en monnaye de France. Paris, 1675, in-12 de 165 p.
(82) Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, X, 13.
(83) Ibid., XI, 389.
(84) lbid., XIII, 511.
(85) Cf. Durival, Descript. de la Lorr. et du Barr., 1,353.
(86) Arch. nation., loc. cit. - Arch. de M.-et-M., ibid.
(87) Arrêt de la Chambre des Comptes, Cour des monnoyes, contre
ceux qui introduisent de petites pièces de cuivre en forme de
liards. Du 2 mars 1761 (Recueil des ordonnances de Lorraine, X,
118).
(88) Ibid., et VIII, 154.
(89) Cet Hôtel de la Monnaie avait été construit, de 1721 à
1725, par Léopold. Affecté aujourd'hui aux Archives
départementales, il est encore désigné sous son nom primitif.
Pour plus de détails sur l'histoire et les transformations de ce
bâtiment, voir H. Lepage, L'Hôtel de la Monnaie à Nancy.
(Mémoires de la Société d'archéologie lorraine, année 1887.)
(90) Sur Ferdinand de Saint-Urbain, voyez : Lepage et Beaupré,
Ferdinand de Saint-Urbain ; avec un catalogue descriptif de
l'œuvre de cet artiste. Nancy, 1867, in-8° ; et les curieux
détails donnés par M. Baumont (Etudes sur le règne de Léopold,
pp. 546 et sq.).
(91) Cet Hôtel servit aussi de logement à divers autres
officiers. L'ingénieur en chef des ponts et chaussées, Baligand,
y obtint un appartement considérable, que sa veuve occupait
encore en 1770.
(92) Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 250. - Etc.
(93) Archives nationales, K. 1192.
(94) Cf. Baumont, loc. cit.
(95) La toise de Lorraine valait alors 2m859, et l'aune de
Lorraine 0m639. - Pour tout ce qui suit cf. Archives île
Meurthe-et-Moselle, passim. - Durival, Mémoire sur la Lorraine
et le Barrois, j. cit. - Id., Description de la Lorraine et dit
Barrois, j. cit. - De Riocour, op. cit. - Réduction des mesures
à grain des duchez de Lorraine et de Bar, et autres lieux
voisins, à mesure de Nancy._ S. 1., n. n., n. d., petit in-8°. -
MoreI, Tarif de réduction des mesures anciennes en nouvelles et
des nouvelles en anciennes, employées dans le département de la
Meurthe. Lunéville, 1830, in-4°. - Bédel, Table de comparaison
entre les mesures anciennes en usage dans le département des
Vosges et celles qui les remplacent, etc. Epinal, an X, in-8°. -
Guibal, Système métrique et comparaison des mesures locales des
quatre départements de la Meurthe, de la Meuse, de la Moselle et
des Vosges. Nancy, 1837, in-12. - Etc.
(96) Cf. Dictionnaire historique des ordonnances et des
tribunaux de lorraine et Barrois, II, 48-70.
(97) Recueil des ordonnances de Lorraine, XI, 53.
(98) Juin 1707. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 432.)
(99) On sait que, par un décret du 12 février 1812, l'emploi de
ces mesures dut être de nouveau autorisé, tant était grande la
résistance des populations, fidèles à leurs anciens usages. Ces
mesures furent toutefois légèrement modifiées, de façon a
présenter un rapport simple avec les mesures métriques. Ce fut
seulement la loi du 4 juillet 1837 qui prescrivit une seconde
fois l'emploi obligatoire du système métrique. - Instruction sur
les nouvelles mesures, publiée par ordre du ministre de
l'intérieur, en exécution de l'arrêté des consuls du 15 Brumaire
an II. Nancy, an IX, in-8°. - Arrêté du préfet du département de
la Meurthe, relatif à l'exécution du décret impérial du 12
février 1812, concernant les mesures usuelles ; du 27 décembre
1812. Nancy, s. d., in-8°.
(100) Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 250.
(101) Sur son histoire, consulter H. Lepage, La Juridiction
consulaire de Lorraine et Barrois et la Confrérie des marchands
de Nancy (Mém. de la Société d'arch. lorr., année 1868).
(102) Edit concernant la Juridiction consulaire (Recueil des
ordonnances de Lorraine, II, pp. 80 et sq.).
(103) En 1724, il est encore désigné sous le nom de roi des
marchands ; et en 1739, pour la dernière fois, nous le voyons de
nouveau décoré du titre de roi.
(104) Han est un mot d'origine allemande, qui a le sens de
troupe, compagnie. C'est le terme très spécial sous lequel on
distinguait en Lorraine ce que nous appelons aujourd'hui des
corporations. Cf. Pfister, Histoire de Nancy, ch. VIII, pp. 127
et sq.
(105) Cf. Manuscrit n° 735 de la Bibliothèque de Nancy. -
Moucherel, Traité élémentaire et pratique sur l'administration
de la justice consulaire de lorraine et Barrois. Nancy, 1788,
in-8°.
(106) Tous les détails qui suivent proviennent de nos recherches
dans les Archives du Tribunal de commerce de Nancy.
(107) Recueil des ordonnances de Lorraine, loc. cit. - La Cour
n'enregistra l'édit que le 2 avril 1716.
(108) Cf. Ordonnances, statuts, privilèges et règlemens accordez
par les ducs de Lorraine aux marchands Juges-consuls dudit
Duché. Nancy, 1743, petit in-8° de 100 p.
(109) A partir de 1751. Tous ces noms sont gravés sur une lame
de cuivre, conservée, encore aujourd'hui, au Tribunal de
commerce de Nancy. |