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La Lorraine commerçante sous le règne nominal de Stanislas (1737-1766)
(Notes renumérotées)


La Lorraine commerçante sous le règne nominal de Stanislas (1737-1766)
Pierre Boyé
Éd. Nancy, Sidot frères, 1899

CHAPITRE PREMIER
La Lorraine, province d'étranger effectif. - Les douanes.

Les provinces de France, au XVIIIe siècle, étaient, quant au système douanier, divisées en trois classes bien distinctes. Pour les provinces des Cinq grosses Fermes les droits de traites étaient reportés aux frontières ; le tarif de Colbert, de 1664, et ceux qui en étaient issus faisaient loi : telle la Champagne. Les provinces réputées étrangères, c'est-à-dire les provinces restées étrangères au tarif, payaient les droits locaux, droits établis pour la plupart avant la réunion : la Franche-Comté, par exemple. Enfin les Trois-Evêchés et l'Alsace - pour ne pas énumérer divers ports francs - étaient provinces dites étrangères ou d'étranger effectif. Une ligne de traites les séparait du reste du Royaume ; elles commerçaient librement avec l'extérieur.
En 1737, après la guerre de la Succession de Pologne et les premières signatures données à Vienne, le ministère français, ne laissant à Stanislas qu'une souveraineté toute nominale, prit en main l'administration effective de la Lorraine et du Barrois. Les Duchés, devenus, dès cette heure, une nouvelle province, s'ajoutèrent aux territoires alsacien et évêchois pour donner quelque homogénéité à ce coin nord-est de la France, soumis à un régime économique spécial. Nous verrons toutefois qu'à rigoureusement parler, les trois provinces étrangères n'étaient point traitées d'une façon \absolument identique.
En sa qualité de province d'étranger effectif, la Lorraine continua donc de connaître, après la perte de son autonomie, tous les anciens avantages et inconvénients qui jusqu'alors avaient facilité ou entravé ses transactions, tant pour l'entrée que pour la sortie des marchandises.
La situation géographique, extrêmement compliquée, qu'au cours des siècles, les nécessités ou les abus de la politique avaient créée aux Duchés, n était pas sans avoir eu un retentissement singulier sur la double enceinte de péages dans laquelle l'intérêt de ses souverains, comme celui de quelques uns de ses nombreux voisins tenaient le petit Etat plus ou moins rigoureusement isolé. L’étude de la barrière fiscale qui enserrait la Lorraine ne va pas sans quelque aridité. Elle est cependant indispensable. C'est l'examen préliminaire qui s'impose à quiconque veut avoir une idée juste de ce qu'était le commerce lorrain vers le milieu du XVIIIe siècle.

I. - DOUANES LORRAINES

A l'exception d'un droit spécial d'entrée sur les cuirs et peaux façonnés ; d'un droit supplémentaire de sortie sur ces produits en vert ; de droits d'entrée sur les fers étrangers et de sortie sur le minerai, majorant les chiffres des tarifs généraux, toutes les traites perçues à la frontière lorraine étaient comprises sous la dénomination générique de Foraine. Les divers péages rentrant dans cette catégorie peuvent être distingués en six espèces : haut-conduit, entrée-foraine, issue-foraine, droit de traverse, impôt sur les toiles et droits d'acquit-à-caution. Nous avons, dans de précédentes recherches, défini chacun de ces droits, examiné en détail leur mode de perception et leur importance respective (1). Jusqu'à 720 bureaux de la Foraine bordèrent, sous Stanislas, les capricieuses limites du pays, renforçant jalousement les pénétrations de territoires et la circonférence de toutes ces enclaves simples ou concentriques dont était marqueté le sol lorrain. Mais, comme à chacun de ces postes de péage les marchandises n'étaient pas uniformément soumises aux différentes taxes de la Foraine, que la Ferme générale ne pouvait exiger partout le payement intégral des tarifs, il y a lieu de noter les adoucissements apportés peu à peu par les traités et les concordats dans les relations journalières de plusieurs régions limitrophes.
Le cordon de la Foraine doit à cet effet être coupé en un certain nombre de sections. Ces sections se rangent d'elles-mêmes sous trois rubriques bien distinctes, suivant qu'elles séparent la Lorraine de l'étranger proprement dit, d'une province française demeurée d'étranger effectif, ou, enfin, de quelque autre partie du Royaume.

A. - FRONTIÈRES DE L'ETRANGER PROPREMENT DIT
a) Principauté de Salm. - Ce qui passait de la province pour le comté de Salin, domaine de Lorraine, n'était naturellement soumis à aucun droit, non plus que ce qui venait de ce territoire. Mais ce qui sortait de Lorraine pour la Principauté, et réciproquement, devait tous les droits. Tant qu'il y eut des régions mi-parties ou indivises, les marchandises furent assujetties à la moitié des tarifs.
b) Baronnie de Fénétrange. - Jusqu'à la convention du 2l décembre 1752, la baronnie de Fénétrange fut considérée comme une terre étrangère. On ne connaissait aucun traité entre les ducs de Lorraine et les princes de Salm concernant la Foraine (2).
c) Comtés de Nassau-Saarwerden et de Nassau-Saarbrück. - Le comté de Nassau-Saarwerden renfermait la ville lorraine de Bouquenom (aujourd'hui Saar-Union) où, par tolérance, il n'avait pas été établi de Bureau de la Foraine ; mais les marchandises, en venant ou y allant, payaient comme pour un territoire étranger. Ce Comté comprenait aussi d'autres villages lorrains dans plusieurs desquels fonctionnaient des Bureaux. Par suite d'un traité du 23 août 1581, ce qui passait d'un Etat à l'autre, pour la cour des princes ou celle de Lunéville, était exempt de tout péage, tandis que les sujets restaient complètement soumis aux droits de la Foraine.
d) Duché de Deux-Ponts. - En vertu d'un traité du 25 avril 1724, il y avait pour les habitants du duché de Deux-Ponts et pour ceux du comté de Bitche franchise réciproque des denrées de leur cru et des marchandises de leurs fabriques, mais pour leur usage seulement. Les provisions destinées aux cours étaient pareillement exemptes. Les péages se percevaient dans tous les autres cas.
e) Comté de Blieskastel. - Depuis un décret de Léopold, du 29 mars 1724, il était défendu de lever des droits sur les marchandises passant des cinq villages étrangers de la mairie de Welferding dans la ville de Sarreguemines et banlieue, ou réciproquement.
f) Comté de Créhange. - Les villages impériaux du comté de Créhange étaient strictement assujettis aux droits de la Foraine.
g) Schambourg. - Les terres de Merzig et du Sargau, indivises entre le duc de Lorraine et l'électeur de Trèves, étaient composées de 21 villages qui ne payaient aucune taxe pour leurs communications avec la Lorraine, mais qui étaient soumis aux droits pour celles qu'ils entretenaient avec l'Electorat.
h) Electorat de Trèves. - L'électeur de Trèves soutenait que ses sujets ne devaient pas payer ceux des droits lorrains qui étaient postérieurs à un traité de 1581. Cette prétention n'avait jamais été instruite à fond. La Ferme générale percevait donc la Foraine sur toutes les marchandises entrant dans l'Electorat ou en venant. Le Grand Chapitre de Trèves, les Jésuites, les religieux de Saint-Mathias jouissaient de quelques privilèges pour les denrées tirées des terres qui leur appartenaient dans les Duchés.
i) Duché de Luxembourg. - La Lorraine percevait tous les droits sur les sujets luxembourgeois, tant à l'entrée qu'à la sortie. Les habitants des enclaves payaient comme ceux de l'intérieur du Duché.

B. - FRONTIÈRES DE L'ALSACE ET DES ÉVÊCHÉS
a) Alsace. - Il n'y avait jamais eu de convention entre la Lorraine et cette province. De ce côté, la Foraine était intégralement exigée.
b) Evêchés. - En considération de l'enchevêtrement du territoire de la Généralité de Metz avec le sol lorrain, quelque tempérament avait été apporté aux exigences de la Foraine. Les habitants de l'ancien domaine de l'évêché de Metz, ceux de Toul et du Pays Toulois (moins étendu que le temporel de l'évêché), ceux de la ville de Verdun, ceux de Longwy, de Marville et dépendances, de Sarrelouis, de Sierck et environs, jouissaient de quelques privilèges particuliers. Ces faveurs, toutefois, étaient bien limitées. Les habitants du temporel de Metz n'étaient exemptés du haut-conduit et des acquits-à-caution que pour les denrées de leurs cru et concru (3), et à charge de certificats et de déclarations dans les Bureaux ; ils devaient les droits pour tout ce qui provenait d'achats. Les gens de la ville de Toul et du Pays Toulois n'étaient dispensés du haut-conduit que pour les choses nécessaires à leur consommation, et dans l'ancien district de Saint-Evre seulement ; ils le payaient dans les quatre autres districts, à moins qu'il ne s'agît de denrées de leurs cru et concru. Ceux de la ville de. Verdun n'étaient exempts du haut-conduit que pour les menues denrées destinées à leur usage ; encore fallait-il qu'ils l'es transportassent eux-mêmes. Ceux de Longwy et de Marville, enfin, n'étaient affranchis du même droit que dans le seul district du Barrois ; ceux de Sarrelouis et de Sierck, dans le district de Château-Salins.
On sait que les Evêchés ne communiquaient directement avec la France que par le Verdunois. Du côté de l'étranger, le Pays Messin correspondait avec le Luxembourg par la grand'route de Thionville et par la navigation de la Moselle. La voie de terre demeurait peu utile, le Luxembourg n'étant pas un pays de commerce. D'ailleurs ce qui y passait n'était pas absolument affranchi de la douane lorraine. Depuis le traité conclu entre Léopold et la cité de Metz, le 17 février 1701, ce qui sortait de cette ville pour l'étranger, après avoir précédemment traversé les Duchés, devait être déclaré à un échevin de Metz et payer tous les droits qui eussent été exigés en Lorraine. Le cours du fleuve était moins libre encore : ce passage laissait les Evêchois assujettis à la Foraine, à cause du Bureau de Nittel, enclave isolée; loin de la frontière lorraine, entre Remich et Trêves (4).

C. - FRONTIÈRE FRANÇAISE PROPREMENT DITE
a) Champagne: - Les complications de la frontière, les enclaves réciproques avaient donné lieu à plusieurs règlements. Les sujets enclavés jouissaient mutuellement de l'exemption de tous les droits pour les denrées de leurs cru et concru et les ouvrages de leur industrie privée.
b) Franche-Comté. - Sur la frontière de la Franche-Comté, les privilèges ne consistaient qu'à pouvoir emprunter librement les territoires respectifs. Il n'en était pas de même pour la prévôté de Conflans-en-Bassigny dont les habitants tiraient de la Comté, sans être assujettis à aucun droit, les choses nécessaires à leur consommation. Ils y apportaient sous la même franchise ce qui provenait de leur cru et de leur industrie ils pouvaient pareillement tirer de Lorraine ce qui leur était indispensable.
Les Francs-Comtois qui introduisaient des marchandises en Lorraine, payaient, dans le temps des foires, le haut-conduit seulement ; et, à toute autre époque, soit qu'ils entrassent ou qu'ils ne fissent que traverser l'enclave, l'ensemble des droits.

II. - DOUANES EXTÉRIEURES

Aux droits perçus, par la Lorraine devaient naturellement répondre des droits réclamés par les souverainetés voisines.
La ceinture de la Foraine était renforcée de l'autre côté de la frontière - tout au moins sur certaines parties de son circuit, - d'un autre cordon douanier, où les droits, fort différents selon les pays qui les exigeaient, étaient, en général, beaucoup plus élevés que les péages lorrains.

A. - FRONTIÈRES DE L'ÉTRANGER PROPREMENT DIT.
Les communications commerciales de la Lorraine avec les différentes principautés étrangères étaient affranchies de tout droit de la part de ces dernières. Du côté du Luxembourg, elles n'étaient pas encore soumises au Tarif impérial qui fut établi plus tard.

B. - FRONTIÈRES DE L'ALSACE ET DES ÉVÊCHÉS
a) Alsace. - A la Foraine, exigée intégralement par la Lorraine, répondait le Tarif d'Alsace, sans adoucissement.
b) Evêchés. - Si les Évêchois ne pouvaient guère se rendre en France ou à l'étranger sans emprunter le territoire lorrain, les Lorrains ne pouvaient parcourir leur propre pays sans traverser souvent la Généralité de Metz. Il est donc juste de comprendre parmi les droits gênant le commerce de la Province, un certain .nombre de ceux exigés dans les Évêchés.
1) Une bande de terre reliant Metz à l'Alsace, large d'une demi-lieue et cédée à la France par le traité de 1661, coupait en deux la Lorraine. La Foraine y était établie avant sa réunion. Le roi l'avait conservée ; on l'y percevait toujours.
2) Dans la prévôté de Sierck, la Foraine continuait également d'être exigée.
3) La prévôté de Thionville avait appartenu à l'Espagne qui y percevait un droit de traite appelé Tonlieu ; ce droit s'y levait encore.
4) Des péages très onéreux étaient exigés sur la Moselle, au profit du roi.
5) La principauté de Sedan était soumise à un droit de traite établi par ses anciens souverains.
6) Celle de Château-Regnault était enfermée dans un tarif qui entravait la navigation de la Meuse.
7) Les Evêchés, enfin, étaient chargés d'un droit uniforme du côté de l'étranger, tant pour l'entrée que la sortie de plusieurs marchandises. La Lorraine payait ces droits pour le commerce qu'elle faisait de ces mêmes marchandises dans cette direction.

C. - FRONTIÈRE FRANÇAISE PROPREMENT DITE
Entre la Lorraine et la France, la barrière douanière extérieure était ininterrompue -, elle se divisait en trois parties :
a) Clermontois. - Le Clermontois avait été cédé à la France par le traité des Pyrénées. La maison de Condé y exerçait les péages qu'elle y avait trouvés établis, c'est-à-dire les divers droits de la Foraine.
b) Franche-Comté. - Le long de la Franche-Comté, le tarif des droits anciens, spéciaux à cette province, était toujours en vigueur.
c) Champagne. - Sur la frontière champenoise, se percevaient les tarifs de 1664 et 1667, avec les modifications qui y avaient été postérieurement apportées.
Mais il y a lieu ici de distinguer soigneusement l'exportation et l'importation La Lorraine tirait tous les produits des manufactures du Royaume, moyennant des acquits-à-caution, sans payer les droits de sortie des tarifs de 1664 et de 1667, ni aucun de ceux réunis depuis aux Cinq grosses Fermes. Elle profitait également du privilège de province étrangère pour avoir les marchandises non prohibées des Indes et des Iles françaises à meilleur compte qu'aucune autre région de la France. Elle recevait par la Champagne, et sans payer de droits, les objets dont l'usage n'était permis dans le Royaume qu'en acquittant des impôts très considérables. Au contraire de la Lorraine, les Evêchés devaient payer les droits de sortie pour tout ce qui leur venait des Indes et des Iles.
Les traites pour l'entrée de Lorraine en France étaient en revanche très élevées, et les chiffres du tarif équivalaient pour la plupart à une véritable prohibition. Le commerce lorrain d'exportation trouvait donc, à l'entrée des Cinq grosses Fermes, un obstacle souvent infranchissable. Ces droits atteignaient 10 % pour les papiers ; 12 à 15 % pour les draps, et jusqu'à 20 % pour les faïences.
Un tel état de choses devait subsister jusqu'à la Révolution. Successivement, sans doute, à partir de 1737, et suivant les besoins du Royaume, parurent divers règlements qui abaissèrent sur plusieurs points cette barrière du tarif. C'est ainsi que bientôt nos bois purent entrer librement en France, où ils étaient très recherchés. Nos grains, par arrêt du 17 septembre 1754, eurent même franchise ; nos bestiaux, depuis le 25 mars 1757. Le Conseil jugea aussi convenable de modérer quelques droits en faveur de différentes manufactures. Certains produits obtinrent à la longue des décharges fréquentes. Les étoffes de laine purent passer librement dans toute la Généralité de Metz, pour ne payer que 10 % à l’entrée du Royaume. Les lards, les beurres, les suifs, destinés aux Iles françaises, les fers convertis en boulets ou autres munitions de guerre sortirent sans entraves.
Mais la règle générale restait toujours le système protecteur à outrance. Nous n'en voulons pour exemple que les droits énormes acquittés par les produits des verreries lorraines avant de pénétrer en France. De 1747 à 1760, les droits pour les verres blancs atteignaient, en comprenant la Foraine, jusqu'à 31 livres de Lorraine, soit 100 %> et au delà, de leur valeur. Un droit de 10 livres tournois par « cent pesant » frappait les bouteilles. Or le quintal ne se vendait à la verrerie qu'environ 5 livres 17 s. de France. Des acquits nous prouvent que, pour passer de Lorraine en Champagne, ces bouteilles devaient payer en droits de Foraine et en traites diverses un ensemble atteignant 230 et 240 % de leur valeur ! A partir de 1760, époque où ces droits furent considérablement modérés, les verres en table payaient encore de 45 à 50 % et les bouteilles au moins 60 % (5).

CHAPITRE II
La question dite du Tarif ou du Reculement des Barrières.

Pour supprimer en tout ou en partie l'ancien système de péages que nous venons d'exposer, et pour compléter ainsi la fusion d'intérêts entre la France et sa nouvelle province, ce ne furent point les projets de réforme qui firent défaut. Mais tous les efforts successifs devaient être vains. Les premiers tentés ne rencontrèrent que l'incurie de l'administration ; les seconds, faits cette fois par le Gouvernement, se heurtèrent à la résistance locale.
Dès après la cession, la question d'une réorganisation douanière en Lorraine avait été agitée. Mais, chose singulière, tandis que les agents français poursuivaient sur tant d'autres points l'œuvre d'assimilation, ils semblaient ne point comprendre de quelle utilité eût été pour cette tâche une modification préalable du régime économique.
L'initiative vint des Fermiers généraux, qui trouvaient la Foraine d'un trop grand embarras de régie pour le profit qu'elle rapportait. Ce fut pour la supprimer et la remplacer par un droit, non moins onéreux aux Lorrains, mais moins dispendieux à percevoir que les traitants proposèrent, à la fin de 1737, l'abolition de la barrière fiscale entre la France et la Lorraine, et le report du Tarif sur les frontières étrangères (6). Le Fermier général Dupin accorda une attention particulière à ce projet. On ne lui laissa pas le temps de l'approfondir et de dresser un plan précis. Entrepris à ce sujet, l'Intendant La Galaizière donna à peine son avis. Il s'en remettait en tout point au Contrôleur général, Orry. Or, de son côté, ce dernier manifestait beaucoup d'indifférence. Sur les entrefaites, le projet de Dupin transpira dans le public. Les Lorrains s'émurent. On composa des mémoires contre la réforme, quelle qu'elle pût être, et on les adressa à M. Masson, premier commis du Contrôleur général. D'origine lorraine, Masson était à même de comprendre les inquiétudes de la Province et l'espérance qu'elle fondait sur lui. Peut-être partageait-il en matière économique les opinions du pays dont il connaissait tout particulièrement la situation. Il combattit le projet et, devant l'insouciance de ses chefs, n'eut pas de peine à le faire repousser. Les anciens Duchés conservèrent ce qu'ils appelaient la liberté de leur commerce.
Le projet de 1737 reparut sept ans plus tard, modifié et mûri par Helvétius. Le célèbre philosophe, pendant une de ses tournées comme Fermier général dans la Province, en 1744-1745, fit une minutieuse enquête. Bientôt il résuma, en termes énergiques, la disproportion entre les charges de la Foraine et le bénéfice net de cet impôt (7). Il concluait à la suppression de la Foraine, réforme nécessaire et urgente. Il remplaçait l'ancien système de péages par deux équivalents entre lesquels on pourrait choisir. Ou bien le Gouvernement convertirait les droits de la Foraine en un droit unique d'entrée et de sortie, ou bien il leur substituerait pour partie ce droit, et pour l'autre une élévation du prix du sel (8). Helvétius était d'avis que l'on s'éloignât le moins possible de la constitution primitive de la Foraine. La meilleure combinaison était de renfermer la Lorraine, les Evêchés et les enclaves étrangères, tout cet îlot de territoires impossibles à distinguer par des systèmes différents, dans une ceinture de Bureaux placés sur toutes les routes communiquant soit aux autres provinces de la France, soit aux pays étrangers. Là seraient levés, tant à l'entrée qu'à la sortie, des droits nouveaux, en vertu d'un tarif dressé spécialement et d'une ordonnance inspirée par celle de 1687 et les autres règlements rendus en la matière des Cinq grosses Fermes. Dans ce tarif, les marchandises dont on voudrait plus ou moins favoriser l'importation ou l'exportation seraient progressivement taxées. Le commerce des Evêchés et de la Lorraine se trouverait du coup délivré de tous les obstacles qui l'embarrassaient. On serait en état de le diriger tant à l'avantage des particuliers qu'à l'accroissement du commerce général de la France.
Helvétius avait même pris soin de jalonner le tracé de cette ligne de Bureaux qui devait remplacer avec avantage celle jusqu'alors si compliquée. La Lorraine eût été séparée du côté de la Franche-Comté par les postes de Blondefontaine, Montureux-sur-Saône, Fontenoy, Plombières et Remiremont. Vers l'Alsace, on eût seulement conservé les Bureaux situés sur les grand'routes et aux principaux passages des Vosges : Bussang, Ventron, La Bresse, Plainfaing, Sainte-Marie-aux-Mines, Lièpvre, Provenchères. Pour plus de simplicité, Conflans-en-Bassigny et Saint-Hippolyte eussent été laissés en dehors de la ligne. De même le Schambourg, comme trop mêlé à l'électorat de Trêves ; les postes de péage eussent été placés en deçà de ce pays : à Vaudrevange ou Sarrelouis, Merzig, Vetten et Sierck. Du côté-du Luxembourg, les bureaux de Thionville, Longwy, Longuyon et Montmédy eussent fermé le cercle douanier (9).
Cette combinaison méritait d'être citée, tout autant par l'intérêt que lui prête l'autorité de son auteur que par l'oubli immérité dans lequel elle a été tenue. Elle avait l'avantage, en servant l'intérêt de la Ferme et en soulageant Lorrains et Evêchois des ennuis de leur situation respective, d'épargner autant que possible les susceptibilités des deux provinces. Ce plan était bien plus sage, et assurément bien moins radical, que celui médité par Dupin. Il eût pu être réalisé, non sans résistance, il est vrai, - tout ce qui était proposé à la Lorraine par le nouveau régime n'en rencontrait-il pas ? - mais sans soulever comme le premier projet, et aussi comme un troisième dont nous allons parler, une tempête devant laquelle irrévocablement il fallut céder. Pour arriver à ce résultat, peut-être eût-il été besoin de moins de violences que celles auxquelles M. de La Galaizière père n'hésitait pas à recourir, quand il voulait modifier quelque rouage administratif ou faire accepter quelque grave mesure. Mais au moins elît-il fallu ses encouragements et son aide ; à Paris, quelque bonne volonté. Le souhait d'Helvétius fut plus froidement accueilli encore dans les bureaux du Contrôleur général que ne l'avait été celui de son collègue Dupin. Orry n'y prêta nulle attention. A Lunéville, le mémoire, fort bien rédigé, très savant et accompagné de nombreux documents justificatifs, qu'adressa le financier écrivain, fut à peine lu, puis relégué à jamais dans les cartons de l'Intendance (10).
Une troisième fois la question douanière fut agitée en Lorraine. Elle se posait alors d'une façon plus précise. La suppression de la Foraine, la liberté parfaite du commerce avec les autres provinces de France, la protection du côté de l'étranger n'eussent été que la conséquence d'une vaste réforme étendue à toute la France, et dont le Gouvernement était le promoteur. Il s'agit de cette entreprise qui occupa les principaux ministres, depuis Colbert jusqu'à de Calonne, et qui fut enfin décrétée par l'Assemblée nationale. Le Reculement des Barrières, la substitution du Tarif unique, percevable aux frontières extrêmes, et qui affranchirait d'une multitude de droits la circulation des marchandises dans l'intérieur du Royaume, était une des vues favorites de l'Intendant des finances Trudaine, qui avait fait entreprendre à cet effet de longs travaux. Les provinces d'étranger effectif eussent été assimilées au reste du pays. et enveloppées dans le Tarif.
Le 8 avril 1761, le Contrôleur général, Bertin, adressa en conséquence une lettre circulaire aux Parlements, aux Chambres de commerce et aux Intendants. Le Tarif était présenté appuyé d'une liste alphabétique des objets qui demeureraient assujettis aux droits. Le ministère demandait que l'on examinât si les détails étaient exacts, et si l'état des objets n'offrait rien qui fût à rectifier. Le droit unique, exigible à la frontière, était assez modéré à la sortie, très considérable à l'entrée, et réglé sur la valeur de chaque marchandise.
La circulaire s'efforçait de prévenir les réclamations auxquelles le ministère s'attendait de la part des provinces frontières. Un cri d'effroi, en effet, ne tarda pas à s'élever de ces Généralités ; et, malgré l'appareil imposant dont on avait tenu à entourer le projet, toutes, à la fois, elles le combattirent. Les Evêchois et les Alsaciens formèrent une opposition des plus vives. Mais, dans ce concert de doléances, ce fut la voix de la Lorraine qui bientôt domina et fixa tout particulièrement l'attention.
M. de La Galaizière fils, que les questions économiques attirèrent toujours beaucoup plus que son père, reçut la circulaire avec un certain enthousiasme et promit à ses chefs son concours le plus dévoué pour vaincre la résistance possible de sa province (11). Au mois de mai, par ses ordres, le Corps des marchands et les fabricants s'assemblent. On leur fait part du projet, on leur en explique tous les points. On leur demande leurs observations sur les avantages et les inconvénients du nouveau tarif, relativement à la Lorraine ; leur estimation sur la quotité des droits à imposer sur chaque espèce de marchandises ; des états imprimés leur sont remis pour recevoir leurs annotations.
Les Juges-consuls, représentant en Lorraine la Chambre de commerce, reçurent cette communication avec un mécontentement extrême, qui, de suite, se manifesta par une grande agitation. Ils tinrent plusieurs réunions, puis finalement décidèrent de confier à un écrivain, appartenant une des plus riches maisons de banque de Nancy, le soin de résumer leur opinion et de formuler leurs plaintes. François Coster, qui venait de se signaler par la première étude sur le commerce lorrain, se mit à l'œuvre (12).
La Cour souveraine ne pouvait accueillir favorablement une proposition émanant d'un ministre de Louis XV. Ses magistrats se montrèrent adversaires non moins résolus de la réforme que les Juges-consuls. Toutefois, venant à peine de rédiger de longues remontrances contre l'Edit des cuirs, le Sol pour livre et le Troisième Vingtième, ils ne jugèrent point à propos d'intervenir trop activement dans le débat, et d'affaiblir, en les multipliant, la portée de leurs récriminations. La Cour se contenta d'encourager secrètement les commerçants, de les aider de ses conseils et de préparer adroitement l'opinion publique, ce qui était chose aisée ; la foule, en effet, s'imaginait déjà que le recul des Barrières provoquerait la ruine du commerce et la disparition de l'aisance. On allait répandant le bruit que l'établissement du Tarif, outre ses conséquences désastreuses, serait le signal d'une absorption irrévocable dans le Royaume.
Quelque temps après, on se passait en manuscrit les principaux fragments du travail confié à Coster. Cet écrit était présenté sous forme de 14 lettres, adressées par un citoyen à un magistrat. Voici en résumé les idées que l'auteur y développait : Le libre commerce de la Lorraine était ce qui, peut-être, rendait cette province le plus utile à la France ; une opération qui modifierait l'état de choses serait également nuisible et à la Lorraine et au reste du Royaume. A la Lorraine, en altérant son fonds, sa population, ses relations d'affaires ; à la France, en mettant au niveau de ses régions les plus impuissantes, une zone frontière dans laquelle elle trouvait pendant les guerres d'Allemagne des ressources extraordinaires en deniers, en hommes, en convois, et à laquelle il était juste que le Gouvernement donnât des encouragements pendant la paix. Le projet, tel qu'il se présentait, l'abolition de la Foraine à laquelle serait substitué le Tarif, paraissait un piège tendu par les traitants à l'administration. La Finance cherchait à percevoir 60,000 livres, peut-être, sur des objets qui jusque-là n'en payaient pas 20,000. Quelque onéreux que fussent les droits de la Foraine, ils n'étaient en eux-mêmes ni aussi multipliés, ni aussi gênants pour le commerce qu'on cherchait à le faire croire. En réalité, c'étaient les abus qui, seuls, avaient suscité des plaintes. Jamais la Lorraine ne recevrait avec reconnaissance une surcharge aussi prodigieuse. Le Tarif anéantirait le commerce et désolerait les familles, au profit de la Ferme et au préjudice de l'Etat. Les relations de la Lorraine avec l'étranger étaient particulièrement mises en cause et attaquées ; mais précisément, c'étaient là les seules actives, les seules admettant des échanges. La France, au contraire, tandis qu'elle vendait aux Duchés tout ce qu'elle pouvait, n'y achetait à peu près rien. On avait représenté la Province comme un dépôt de contrebande ; mais cette contrebande ne pouvait être imputée qu'à ceux qui venaient faire leurs achats en Lorraine, pour verser frauduleusement dans le Royaume les objets prohibés. Les Lorrains ne demandaient que ce qu'il était permis de débiter. D'ailleurs, étendrait-on trente fois davantage les limites et le cercle des Bureaux, on aurait toujours des voisins, qui feraient cette spéculation avec d'autant plus de facilité et de profit.
Ces Lettres étaient écrites avec beaucoup d'art et de chaleur, dans un style éloquent quoique un peu emphatique. Si l'auteur s'y laissait aller à quelques périodes déclamatoires, du moins ne manquait-il pas d'apporter des faits et des chiffres. Il avait examiné la cause qui lui était confiée, sous tous ses aspects ; il n'avait omis aucun argument. Le travail de Coster reçut la complète approbation des Juges-consuls et les magistrats y applaudirent. C'était la seule réponse que l'on comptait donner au Gouvernement, sans se mettre en peine d'annoter les états, de peur de paraître les approuver en partie.
Le 15 janvier 1762, au nom des Juges-consuls, des notables du Corps des marchands et des négociants de Nancy, fut remis à l'Intendant un mémoire, dans lequel tous protestaient contre « l'esprit de système et de nouveauté » d'un projet qui les « glaçait d'effroi » (13). Ce n'était là en quelque sorte que la lettre d'envoi du manuscrit de Coster. Au même instant, cet ouvrage, dont la Cour Souveraine ordonnait l'impression par un arrêt solennel, paraissait en un volume de 420 pages, qui fut envoyé à tous les ministres et répandu à profusion sous le titre de Lettres d'un citoyen à un magistrat, sur les raisons qui doivent affranchir le commerce des duchés de Lorraine et de Bar, du Tarif général projeté pour le Royaume de France (14).
Cette publication fit grand bruit dans toute la Province. La réserve qu'avait gardée l'auteur en ne se nommant pas, ne laissait de secret pour personne. Le nom de Citoyen fut même conservé à Coster, par ses compatriotes, comme une marque de leur estime et de leur gratitude. La Cour souveraine ne s'était point abusée en pensant qu'il lui suffirait de patronner l'ouvrage. La valeur du travail, l'importance de ses proportions, l'autorité qu'avait en matière commerciale la famille de son rédacteur, en imposèrent aux partisans même du Tarif, tandis que les Lorrains les plus désintéressés de la question se plaisaient à souligner dans ces Lettres au tour tantôt agressif, tantôt railleur, quelques traits acérés de fine satire.
Auprès du Gouvernement et de l'administration, cet ouvrage fit plus que des remontrances. La meilleure preuve de son retentissement et du poids de plusieurs de ses arguments, fut le mécontentement, nous pourrions dire la colère, qu'il provoqua dans les bureaux de l'Intendance. L'opinion de la Lorraine, si nettement affichée, encourageait la résistance des autres provinces. L'Intendant avait trop présumé d'un succès facile ; il s'était trop avancé dans ses promesses à ses chefs. Blessé de cette opposition, M. de La Galaizière fils, d'habitude plutôt calme et conciliant, donna libre cours à ses sentiments. Le 20 février, il répondait aux Juges-consuls et aux négociants par la lettre suivante : « J'ai reçu, Messieurs, le Mémoire que vous m'avez adressé et qui contient vos observations sur le projet de tarif que le Roi veut établir sur la frontière de ses Etats en y comprenant la Lorraine. Je m'attendais à y trouver des observations dépouillées de tout intérêt personnel, un tableau exact du commerce de la Lorraine et des moyens sûrs et solides de lui rendre sa splendeur, sans qu'ils soient désavantageux au Royaume dont votre province fait éventuellement partie. Je croyais surtout être bien assuré que, pénétrés autant que vous devez l'être des vues de bienfaisance qui ont déterminé le Roi à adopter un projet sur lequel il a eu la bonté de permettre que vous fussiez consultés, vous ne vous exprimeriez qu'avec le respect, la soumission et la sincérité qui doivent guider vos réflexions et qui distinguent partout si honorablement votre profession ; mais je n'ai pas été peu surpris de n'y trouver qu'une critique déplacée du Tarif dont vous supposez que les financiers sont les auteurs, afin de vous donner la liberté d'en parler comme d'une loi bursale surprise par eux et qui, si elle a lieu, anéantira en Lorraine le commerce, les manu factures et l'agriculture. Je ne relèverai point ici les erreurs de fait dans lesquelles vous êtes tombés, la fausseté des principes que vous adoptez, l'oubli ou l'ignorance affectée des vrais principes du commerce ; cette discussion serait inutile dès que vous répondez si mal à la confiance dont le ministère vous avait honorés : il saura bien se procurer par d'autres voies les éclaircissements que vous lui refusez. Ainsi, renvoyez-moi les états imprimés que je vous ai fait remettre ; votre mémoire annonce suffisamment que vous n'êtes pas dans la disposition de remplir les intentions du ministre en proposant les droits d'entrée et de sortie qu'il vous paraîtrait convenable d'établir sur chaque espèce de marchandise, et j'ai besoin de ces états » (15).
Pour dissiper l'impression que l'ouvrage de Coster avait causée, pour en affaiblir, aux yeux des autres provinces, la portée singulière, il fallait user des mêmes armes dont venaient de se servir les marchands et les magistrats : défendre le Tarif et réfuter le Citoyen par des écrits rendus publics. Les Fermiers généraux n'étaient pas les derniers à pousser dans ce sens l'Intendant, qui comprenait d'ailleurs que son crédit était en jeu. C'est ainsi que, pour atténuer l'effet produit par les Lettres, qui avaient été adressées à Paris par les soins de la Cour souveraine, il s'empressait de les analyser lui-même à ses chefs et de les apprécier dans des phrases de ce genre : « ... Il y a dans cette assertion avancée avec une confiance et une légèreté familières à l'auteur, de l'absurdité, de la fausseté et, comme dans tout le reste, une puérile exagération... Probablement ces négociants ont vu avec une sorte de honte et d'indignation l'excès où s'est porté, dans presque tout son ouvrage, contre de fort honnêtes gens auxquels ils ont les plus grandes obligations, le fanatique et ridicule auteur des Lettres » (16).
Parmi les partisans du Tarif se trouvait un certain nombre de fabricants, de maîtres de forges, surtout, qui entrevoyaient derrière le Reculement des Barrières de nouveaux débouchés pour leurs produits. Travailler cette minorité, en exagérer l'importance, la faire finalement passer pour la majorité, l'engager à soutenir ses propres intérêts, tout au moins lui faire tolérer qu'ion parlât en son nom, c'est ce à quoi, dès qu'il eut reçu la réponse des Jugés-consuls, l'Intendant s'occupa par tous les moyens. Quantité de mémoires manuscrits, protestant contre les allégations de Coster, et rédigés autant que possible dans une forme analogue, pour en être une antithèse plus saisissante, furent réunis dans les bureaux, puis adressés à Paris. Dès le 28 janvier 1762, on opposait aux Juges-consuls et à leur coryphée les Lettres d'un fabriquant de laine de la Province à un fabriquant de Nancy (17). Et, quelques jours plus tard, circulaient dans la capitale des Duchés les Observations sur les quatorze lettres d'un citoyen contre le projet d'établir un tarif général sur les frontières du Royaume en y comprenant la Lorraine.
De ces écrits, dont plusieurs parurent imprimés, les uns étaient donnés au nom de la Province qui ne put que les désavouer (18). D'autres, établissaient, au nom des Fermiers généraux, que leur zèle pour le Tarif était un sacrifice offert par leur patriotisme, et non le vœu de leur cupidité Certains tendaient à prouver que la liberté du commerce avec l'étranger était pour la Lorraine un obstacle constant à l'établissement des manufactures. Tel auteur voulait bien reconnaître que le style de Coster était « beau, séduisant et captieux », et se contentait de déclarer ses principes faux et insoutenables. D'autres l'appelaient ironiquement « le citoyen de Lorraine ». « Paré du nom de citoyen, il ne rougissait pas de se livrer aux déclamations les plus indécentes.... » Mais dans tous ces écrits apparaissaient des tendances exclusivement françaises. Tout allait être dit. Selon l'expression d'un contemporain : « on épuisa les possibles ».
Le baron de Cormeré fit paraître ses Questions sur le Reculement des Barrières répandues par un citoyen désintéressé (19). Le contrôleur des finances Doyen confia à la presse ses Lettres à M.M..., sur le commerce de Lorraine et sur le projet d'un nouveau tarif (20). Bien qu'assez faible, cet ouvrage fut loin de passer inaperçu. Point par point, l'auteur suivait Coster et saisissait chaque occasion de louanger le ministère. Les volumes furent épuisés en quelques mois ; Doyen eut la satisfaction d'une seconde édition (21).
Le Mémoire des fabriquants de Lorraine et de Bar, présenté à l'Intendant au nom de tous les industriels des Duchés, se répandit à son tour, qui éveilla fort la curiosité (22). L'auteur ne se nommait point, et l'anonymat, s'il provoqua bien des commentaires, ne fut point divulgé. Durival, lui-même, semble encore, en 1778, n'en point soupçonner le rédacteur. C'était l'œuvre de l'abbé Morellet. « Comme », nous dit ce dernier, en faisant allusion au projet de Trudaine, « comme les grandes difficultés s'élevaient de la part des provinces frontières, qui craignaient d'être enfermées dans la nouvelle enceinte, je fis, au nom des fabricants de la Lorraine et du Barrois, un mémoire qu'ils adoptèrent et où je combattis celui des marchands de cette province, rédigé, si je ne me trompe, par Coster, que nous avons vu depuis fort employé par les notables et par M. Necker, et dont les principes n'ont jamais été bons sur l'article de la liberté du commerce (23). » L'abbé Morellet nous initie ainsi à l'origine de cet ouvrage dont l'administration s'efforça d'attribuer le ton de polémique à l'indignation spontanée de tous les fabricants du pays. Qu'il nous soit permis de compléter, par une hypothèse, cette petite révélation. Rien d'étonnant que Morellet, ami de Trudaine, qui l'avait intéressé à la question du Tarif, Morellet, dont déjà on savait le goût pour les questions économiques, et qu'avait fait avantageusement connaître un travail sur la fabrication et l'usage des toiles peintes,- paru quelques mois auparavant (24), - ait été choisi pour servir les vues du ministère. Mais il est très probable que cette désignation fut aussi fortement motivée, par les relations qui rapprochaient l'abbé des La Galaizière. Pendant près de dix ans, Morellet avait été précepteur d'un fils du Chancelier, du futur évêque de Saint-Dié. Il venait à peine de quitter son élève ; il était de l'âge de l'Intendant et s'était lié avec lui durant son séjour à Lunéville.
En songeant ainsi au précepteur de son frère, La Galaizière eût du reste été bien inspiré. Morellet, dans son Mémoire, fut âpre et incisif à son habitude. Il reprochait au Citoyen d'avoir mis en cause les fabricants dont il prétendait être lui-même le porte-parole. Il comptait éviter la diffusion à laquelle le représentant des marchands s'était livré, ses sophismes, ses contradictions continuelles : et il traçait en commençant ce programme : « Nous serons courts, simples, vrais et plus citoyens que lui ». Mais en réalité, si l'abbé Morellet rerelevait et à juste titre, certaines erreurs de Coster, les chiffres qu'il lui opposait et qui lui avaient été fournis de Lunéville pour besoins de la cause, étaient presque tous inexacts. Plusieurs de ses allégations sont formellement contredites par les archives mêmes de l'Intendance. Pour soutenir sa thèse, le futur académicien se sert, enfin, d'artifices de calcul trop ingénieux, de détours uniquement subtils.
C’était faire sa cour à l'Intendant que de vanter le Tarif et de réfuter Coster. Darney, sous une propagande active, était devenu un centre d'assimilateurs. Le subdélégué Bresson y répétait que c'était folie de s'entêter aux vieux usages des correspondances avec l'Allemagne ; le temps était venu d'entretenir des rapports suivis avec la France. « Gardera-t-on à jamais dans l'intérieur du pays cette vermine qui nous désole et que la Foraine fait chaque jour pulluler parmi nous », écrivaient, sous sa dictée, à M. de La Galaizière, les officiers de l'hôtel de ville (25). En même temps Bresson lui-même s'occupait de composer un mémoire, où il réclamait la liberté du commerce français dans la Province. En août 1762, le manuscrit était terminé. L'auteur, en l'adressant à Lunéville, souhaitait que cet ouvrage méritât les suffrages du chef (26). Inutile de dire qu'il fut bien accueilli et que l'impression, sous le titre de Réponse d'un citoyen à un citoyen, en fut aussitôt décidée (27). Le subdélégué prenait ses précautions ; il déclarait n'être ni Français, ni Allemand, ni commerçant, ni fabricant, ni financier, ni partisan de la finance, ni le frondeur du ministère, ni son flatteur, mais simplement « un enfant de la patrie ». Lui aussi était caustique et savait mordre. Il se montrait instruit et grave. Avec une malice patiente, page par page, il harcelait son adversaire.
La Cour et les Juges-consuls ne jugèrent point àpropos de donner la réplique à ces différents écrits. Lorsque, à la fin de 1762, l'ouvrage de Bresson se répandit dans le public (28), il ne semblait déjà plus possible, à Paris, de comprendre la Lorraine dans la réforme du système-douanier. Tandis que la guerre de plume se poursuivait encore dans la Province, un esprit distingué, dans les bureaux duquel s'agitait la grande affaire du Tarif, n'hésitait plus à écrire, dans un rapport publié au nom de l'administration, ces lignes caractéristiques : « Ces provinces (d'étranger effectif) sont placées dans un coin qu'il est très possible de séparer du reste du Royaume par une barrière dans la formation de laquelle il est aisé d'aplanir les difficultés des enclaves. Dans cet état, elles peuvent rester dans la situation où elles sont, sujettes aux droits locaux et au tarif de la barrière qui les sépare du reste du Royaume, ainsi qu'aux droits uniformes et aux prohibitions qui peuvent y être établis, et qu'il est juste de maintenir pour le bien de l'Etat... (29) ».
Ainsi, par l'organe de M. de Montaran, voyant qu'il lui fallait céder sur ce point s'il voulait l'emporter sur le reste, le Gouvernement en revenait à la sage conception d'Helvétius, à ce plan qu'il avait autrefois accueilli avec une indifférence presque dédaigneuse.
Mais il fat bientôt visible que de la vaste réforme rien n'aboutirait. « L'affaire ne fut point jugée », conclut l'abbé Morellet. « M. Trudaine est mort sans avoir cette satisfaction qu'il méritait si bien. La Révolution a depuis triomphé des obstacles, mais c'est en renversant tout sur ses pas ; et cet avantage a trop coûté (30), »
Auparavant, toutefois, une dernière tentative devait être faite. C'est celle de 1778. Necker, au début de son administration, ressuscitera, en le modifiant quelque peu, le projet qu'on avait dû si piteusement enterrer, sous Bertin. Le procédé sera le même ; Necker essaiera de la persuasion. Grâce à lui, les vues de son prédécesseur sembleront devenir fécondes. Il en sortira un ensemble d'idées auxquelles le nom seul du ministre donne déjà un caractère imposant. Mais la Bretagne, les Evêchés n'ont pas renoncé à la résistance. La Lorraine continue à estimer que le moindre changement en matière de péages entraînerait la perte du seul privilège qui lui reste. L'opposition entre commerçants et fabricants reparaît : moins marquée peut-être. Des écrits se répandent, plus nombreux même que durant les années 1761 et 1162 ; plaidoyers éloquents, protestations indignées (31). Détail piquant : ce même Coster que nous ayons vu rédiger avec tant de conviction les Lettres à un magistrat, est alors premier commis au Contrôle général des finances, et les circulaires, multipliées en faveur du Reculement des Barrières, doivent précisément sortir des bureaux du Citoyen (32). Cette guerre de plume durait encore au moment où, la Commission intermédiaire de l'Assemblée provinciale (33) agitant la brûlante question, les récriminations s'élevèrent plus véhémentes et plus désespérées que jamais.
Mais récriminations suprêmes, cette fois, et inutiles. Les événements se précipitent, détournent l'attention de ces préoccupations mesquines. Par son décret du 5 novembre 1790, l'Assemblée constituante abolit toutes les douanes particulières ; elle ordonne un tarif uniforme et met ainsi un terme au long et fastidieux débat.
On ne saurait méconnaître que dans tout ce qui fut dit ou écrit en Lorraine, pour ou contre le Reculement des Barrières, il y ait eu, des deux côtés, beaucoup d'exagération et de partialité. Dans aucun mémoire, les intérêts que la question douanière mettait en cause, ne furent également pesés. L'intérêt de la classe de beaucoup la plus nombreuse, celle des consommateurs, n'arrêta pas un seul instant l'attention. Tour à tour on multiplie les vices ou les avantages des deux systèmes. La Foraine est presque déclarée un bienfait, et les acquits-à-caution « moins des droits et des impositions que des gages d'affranchissement et de liberté ». Dans le camp des novateurs, au contraire, on s'écriait que cette même Foraine imprimait au front de la Province un caractère étranger « qu'elle eût dû rougir de n'avoir pas hâte d'effacer ». L'abbé Morellet juge, et avec raison, que c'est « vraiment une chose risible de voir la Foraine devenir une loi infiniment respectable, précisément parce qu'il est question d'y substituer le nouveau Tarif... » Lui-même, cependant, et ceux qui avec lui répondent à Coster, grossissent outre mesure les faveurs du Tarif ; ils n'hésitent point à représenter leurs adversaires comme « une poignée de contrebandiers ».
Tout, dans cette ardente controverse, semble s'être réuni pour égarer l'opinion des contemporains ; plus tard, celle de l'historien. La très grande majorité des Lorrains, c'est chose indiscutable, était des plus hostiles à l'adoption du Tarif. Les Cours, le peuple, les petits commerçants et industriels qui eussent été plus ou moins immédiatement intéressés par la réforme, accueillirent avec humeur, tout au moins avec défiance, le projet de Trudaine. Le titre d'étranger effectif avait pour eux son prestige. Il sonnait agréablement à leur oreille. C'était l'illusion du nom. On connaissait la Foraine. Il y avait là une vieille habitude. On s'effrayait de ce nouveau Tarif, qui devait être quelque mal pire encore. Les sympathies, d'ailleurs, restaient tournées du côté de l'étranger ; les dures années d'administration française n'avaient guère été pour les porter vers le Gouvernement de Louis XV.
Tous les intéressés, cependant, n'intervinrent point dans le débat. Ce ne sont ni les grands Commerçants, ni les principaux Industriels qui entrent en lice et se battent qui coups d'arguments. Les titres des ouvrages publiés sont trompeurs. Les Juges-consuls et le Corps des marchands de Nancy réclament le maintien du statu quo parce que leur propre prospérité est menacée. Mais ceux-là ont des intérêts très spéciaux. A côté sont d'autres commerçants qui, à plus juste titre, pourraient porter ce nom dans son sens habituel, et que les premiers ne représentent pas. Ils verraient sans déplaisir le libre accès du Royaume donner de l'extension a leurs affaires. D'autre part, si tous les fabricants lorrains,
au nom desquels parurent tant de mémoires, n'étaient pas uniquement représentés, comme on le prétendit alors, par une troupe auxiliaire à la solde des promoteurs du projet, en tout cas, ce qui fut écrit en leur nom avait été dicté par l'Intendance ou le. ministère, et seulement adopté par plusieurs d'entre eux. La grande majorité des industriels n'agit point alors, ne se montra pas. L'antagonisme qui, à première vue, semblait exister, si marqué, entre l'industrie et le commerce, s'efface de plus en plus à l'examen.
Mais pour bien saisir cette singularité, il faut se demander ce qu'étaient au juste ce commerce et cette industrie. Il est d'autant plus nécessaire de le rechercher, que les seuls tableaux qui nous en sont connus, sont ceux qu'ont tracés, avec l'unique souci d'en défigurer les principaux traits, les défenseurs ou les adversaires du Tarif.

CHAPITRE III
L'exportation et l'importation vers 1737.

Sa situation géographique, tout d'abord, et le régime douanier auquel elle était soumise, puis, en seconde ligne, des habitudes chères à ses négociants réglaient, en 1737, le commerce de la Lorraine.
Les produits de son sol et de son industrie devaient surtout passer à l'étranger, puisque, pour y parvenir, ils payaient uniquement les droits de la Foraine, tandis que, du côté du Royaume, ils trouvaient cette Foraine augmentée de traites qui, pour beaucoup d'entre eux, étaient un obstacle infranchissable.
Pour l'importation, la France avait été pendant longtemps le principal marché de la Province. Mais, vers l'année 1714, des diminutions et des variations fréquentes dans les monnaies avaient déterminé les Lorrains à se porter du côté de l'Allemagne et de la Suisse. Ils y avaient trouvé des marchandises à peu près semblables à celles du Royaume, et une constance dans le numéraire qui fixa leur commerce dans cette direction. Les négociants, dont les affaires prospéraient, attribuèrent cet état avantageux à ces circonstances ; le peuple y vit la cause de l'augmentation des biens fonds et de la fortune des particuliers. Sans doute, on demandait encore beaucoup à la France, mais c'était par nécessité ; le plus souvent à contre-cœur (34).
A l'arrivée de l'Intendant, le pli était pris. On était désormais convaincu que cet état de choses était commandé par la position même du pays. Cette idée que l'on trouve développée avec complaisance chez la plupart des auteurs de l'époque, est en particulier résumée dans une sorte de prosopopée que nous empruntons à l'un d'eux. « J'ai donné, dit la Nature, des rivières à la Lorraine ; toutes coulent vers la Hollande et vont mourir dans le Rhin : nul point de contact entre elles et la France, si l'on excepte les Evêchés ; elle n'est enclavée qu'à demi ; je lui ai ouvert des débouchés et ménagé des rapports avec les principautés de Nassau et de Deux-Ponts, les électorats de Trêves et de Cologne, le Luxembourg et la Flandre autrichienne. »
Les relations commerciales étaient surtout fréquentes avec la Suisse et l'Allemagne, et les produits allemands étaient particulièrement recherchés des populations des campagnes. Voici, d'après les chiffres fournis par les marchands eux-mêmes, et relevés sur les registres consulaires, ce que ces nations envoyaient année commune à la Lorraine, au début du règne de Stanislas :
Livr. de Lorr.
Draperies et serges 500,000
Toiles et coutils 300,000
Merceries et « ferrailles » 50,000
Flanelles, camelots et autres 50.000
Bas, bonnets de laine, fils et cotons 50,000
Drogues, épicerie et autres 100,000
Traite faite par les villes lorraines voisines de l'Allemagne et de la Suisse, en gros. 200,000
Total : 1,250,000 (35)
Parmi ces marchandises, sont comprises celles d'origine anglaise que la Province ne tirait pas directement, mais qu'elle se procurait par Francfort et quelquefois par les Pays-Bas. Chaque année, à Pâques et en septembre, les principaux marchands lorrains se rendaient à la foire de Francfort ; ils y faisaient leurs achats et soldaient ceux de l'année précédente. Cet ancien usage s'était généralisé depuis vingt-cinq ans. Les foires de Bâle, de Zurzach et de Leipzig étaient aussi très fréquentées par eux.
En échange, la Lorraine fournissait les marchés allemands d'huile de navette, d'eaux-de-vie, de liqueurs et de chandelles qui y étaient estimées ; de confitures, de faïences, de dentelles et de quelques teintures.
A la Suisse, elle adressait des grains, quand l'exportation n'en était point prohibée; des eaux-de-vie ; des laines, si le cours en était bas ; de l'huile et quelques suifs.
Le duché de Deux-Ponts et la principauté de Salm lui demandaient des denrées et marchandises de toute espèce.
C'était par l'entremise de la Hollande que la Province recevait les produits des Indes ou des Iles françaises dont l'introduction était interdite dans le Royaume. Cette nation lui adressait de même la plus grande partie des objets autorisés, qu'elle exportait des ports de France, en exemption de tout droit de consommation. Par le Rhin, la Moselle et la Meurthe, arrivaient ainsi jusqu'au Crône ou port de Nancy, l'indigo, les épices, les fourrures. Des documents tirés des mêmes archives que celles que nous consultions tout à l'heure, nous permettent de donner le tableau suivant de ce que les Lorrains demandaient aux Hollandais :
Livr. de Lorr.
Poivre et autres épices 100,000
Girofle, cannelle, muscade 20,000
Sucres 300,000
Teintures et drogues 50,000
Etain 60,000
Plomb 40,000
Thés et cafés 10,000
Baleines et roussi (cuirs de Russie) 10,000
Mousselines 60,000
Toiles peintes 100,000
Mouchoirs 50,000
Harengs et morues 60,000
Total : 860,000
En retour, on expédiait à la Hollande : des fers, des aciers, des bois de sciage, de construction et de marine; quelquefois de la navette dont elle extrayait de l'huile pour ses vaisseaux et pour la fabrication de ses draps.
Le pays de Liège et le Luxembourg' tiraient de la Lorraine des fers-blancs, du papier, des vins de Bar et de Thiaucourt, dont il y avait un entrepôt à Liège, du millet. Les Lorrains n'en recevaient que quelques aluns, un peu de sucre et surtout des vins ; soit un total de 140,000 livres.
L'importation, faite par l'étranger en Lorraine, pouvait donc s'évaluer en gros à 2,250,000 livres.
La France adressait des marchandises à sa nouvelle province pour une somme à peu près égale ; mais, si l'on excepte les fontes que les forges voisines de la Franche-Comté y achetaient, quelques produits de Provence, des objets de luxe et des articles de mode, le reste était destiné au négoce d'entrepôt.
L'habitant des Duchés consommait relativement peu de marchandises françaises, ainsi que le prouve le détail suivant :
Livr. de Lorr.
Fontes 100,000
Vins (Bourgogne, Champagne, Toulois, Pays Messin) 50,000
Huiles d'olive 60,000
Savons de Marseille 60,000
Fruits, amandes, olives, etc 30,000
Eaux-de-vie (Provence, Languedoc, Orléans) 30,000
Draperies et soieries de Lyon 600,000
Merceries, dorures (galons d'or, d'argent, etc.) 200,000
Toiles de différentes sortes 200,000
Marchandises de Lille 100,000 Meubles, « galanteries, choses de Paris » 70,000
Traite faite par les villes lorraines voisines du Royaume, en gros 800,000
Total : 2,300,000
Toutefois, ce que les Duchés envoyaient à la France était médiocre, en comparaison de ce qu'ils en recevaient. Sans doute les Evêchois en tiraient des denrées pour leur subsistance : du beurre, du fromage, des volailles, du gros bétail des Vosges - qui passait aussi en Alsace avec des fils de fer et des tôles. Mais les autres provinces ne recherchaient guère que les produits des usines métallurgiques lorraines les plus rapprochées de la frontière ; quelque bétail, aussi ; quelques verres et faïences, des papiers. Les planches de chêne et de sapin étaient journellement prises en contre-voiture par les charretiers français et conduites à Paris, par la route de Saint-Dizier.
Les produits du sol et des manufactures de Lorraine, exportés tant à l'étranger qu'en France, peuvent approximativement s'évaluer ainsi :
Livr. de Lorr.
Blés et avoines 1,000,000
Vins et eaux-de-vie 1,000,000
Bois pour le bâtiment et pour la marine 500,000
Laines non fabriquées 300,000
Draperies de laine du pays 300,000
Huile de navette 50,000
Bestiaux 150,000
Beurres et fromages 50,000
Fers de plusieurs sortes 500,000
Fers blancs 100,000
Fils de fer et autres ouvrages 50,000
Dentelles et fils de Mirecourt 100,000
Toiles de ménage 30,000
Produits des verreries 100,000
Papiers et « peaux sauvagines » 30,000
Menues denrées, liqueurs, etc 40,000
Total : 4,300,000
Soit donc, d'une part, une importation en Lorraine d'environ 4,550,000 livres, et, de l'autre, une exportation faite par la Province de 4,300,000 livres. En se servant des mêmes chiffres, les agents français et les Fermiers généraux arrivaient a un résultat différent ; ils trouvaient que la sortie l'emportait sur l'entrée de 750.000 livres. Mais cet écart de 1,000,000 livres s'explique ; c'est le montant de la vente étrangère des sels que les traitants ajoutaient à l'exportation, et que la logique interdit de regarder comme un objet du commerce actif de la Province, puisque cette vente était en totalité entre les mains de la Ferme (36).
Ce n'est point à dire que la Lorraine ne pût avec ses propres ressources, soit par consommation, soit par échange, faire face à tous ses besoins. Loin de là ; au chapitre des entrées sont comprises de nombreuses marchandises que les négociants lorrains faisaient venir dans l'unique but de les revendre à d'autres nations, après avoir prélevé un notable bénéfice. Or les listes officielles n'indiquent pas cette opération, puisqu'elles ne mentionnent, au côté de la sortie, que les produits du pays.

CHAPITRE IV
Caractère, évolution et déclin du commerce lorrain de 1737 à 1766.

Le commerce lorrain passa, sous Stanislas, par trois phases qui ont chacune leur caractéristique assez nette, et qui peuvent être délimitées presque rigoureusement. La première période s'étend de la prise de possession des Duchés, par l'administration française, à la fin de la guerre de la Succession d'Autriche. La seconde embrasse l'espace des dix années suivantes. La troisième se prolonge jusqu'après la mort du roi de Pologne.

I. - DE 1737 A 1748

Les commerçants ne furent point longtemps sons ressentir le contre-coup des exigences du nouveau régime. Déjà, dans ses remontrances du 17 novembre 1740, la Chambre des Comptes de Nancy s'étendait longuement sur ce sujet. « Avant que la Providence nous eût soumis à la domination de Votre Majesté » disait le rédacteur. M. Bagard, « on a reconnu par des combinaisons exactes de notre commerce d'importation, que la supériorité de la balance était toute de notre côté et que l'entrée (du numéraire) gagnait sur la sortie.... Ce serait, Sire, trahir les vues sages et favorables de Votre Majesté par une dissimulation indigne de la sincérité que nous lui devons, si nous lui cachions la perte d'un avantage aussi considérable. Bien loin, Sire, que nous l'ayons conservé cet avantage, il n'est que trop public qu'il s'est tourné contre nous et que la sortie (du numéraire) l'emporte aujourd'hui sur l'entrée au moins dans la même proportion que l'entrée l'emportait sur la sortie il y a trois ou quatre années... Nous serions prêts d'entrer là-dessus en preuves si Votre Majesté nous l'ordonnait (37). »
Pour bien exagérée que soit une telle assertion, du moins devons-nous en conclure à l'apparition d'une certaine langueur dans les affaires. Les événements en suspendirent toutefois la marche inquiétante. Les guerres d'Allemagne n'avaient jamais été défavorables aux relations commerciales de la Lorraine. Il était même reconnu que le chiffre de l'exportation montait alors beaucoup plus haut, à cause de l'augmentation des prix que provoquait une plus grande consommation. Les moyennes officielles, dressées de la même façon que celles du chapitre précédent, nous fournissent pour 1746 les résultats suivants : une exportation de 3,990,000; une importation de 4,900,000 livres.

II. - DE 1748 A 1759

Les facultés des habitants des anciens Duchés diminuent chaque jour, dans le malaise devenu général. Le commerce intérieur périclite. Les gens du peuple ont réduit leurs dépenses ; beaucoup doivent les abaisser au-dessous du nécessaire. Les marchandises dont les commerçants s'étaient approvisionnés, comme d'habitude, sont restées dans les boutiques. On a dû en payer le prix sans en avoir le débit ; il a fallu en conséquence recourir à des emprunts. On a versé de gros intérêts ; la ruine est venue. Les archives consulaires nous offrent des pièces significatives. De 1747 à 1758, il y eut 85 faillites Le détail des bilans déposés au greffe nous initie à leur histoire. Ces faillites ne sont point le résultat de spéculations hasardeuses ou d'événements imprévus ; elles se sont produites peu à peu, fatalement. C’a été la mort lente, par inanition. Dans un même intervalle de dix années, à la fin du régime ducal, il n'y avait eu que 36 faillites.
Mais voici qui est plus grave. Non seulement il y a une augmentation considérable du nombre des catastrophes, mais les chiffres des passifs sont-de beaucoup plus importants. Avant 1737, les faillites les plus fortes ne dépassaient pas 50,000 livres ; elles sont maintenant de 100,000, 150,000 et 200,000 livres. Une des dernières atteint la somme, énorme pour l'époque, de 550,000 livres (38). « Les banqueroutes survenues depuis peu en Lorraine, » constate, en 1758, la Cour souveraine, « ont tellement discrédité nos marchands qu'ils ne peuvent plus aller à l'emplette sans payer argent comptant, ce qui les force de transporter en pays étranger tout l'argent clair qui circule dans leur commerce..., ce qui entraîne la ruine de ce qu'il y avait dans la Province de plus accrédité parmi les banquiers et les marchands, celle d'une infinité de fortunes particulières qui en sont les branches (39). »
Emu de cette situation, Stanislas fonde, en 1749, une bourse de 100,000 livres, cours de France, pour le Corps des marchands de Nancy. Cette somme, suivant les intentions du roi de Pologne, devait être prêtée à des négociants et fabricants momentanément gênés, par différentes portions dont, néanmoins, les plus petites ne pouvaient être moindres de 3,000 1., et les plus fortes supérieures à 10,000 1. La durée du prêt n'excédait pas 3 années ; et l'intérêt était fixé à 2 %. Oeuvre louable, certes, et qui sauva plus d'un marchand de la ruine. Mais, d'une part, la somme était loin d'être proportionnée à la détresse financière ; de l'autre, la fondation eût davantage porté, si le Duc-roi l'avait appliquée aux négociants étrangers à Nancy, les plus intéressants, les plus éprouvés (40).
Le numéraire sorti ne rentre pas. En 1738, on estimait qu'il y avait environ pour cinq millions d'espèces clans le pays (41). En mai 1759, un fonctionnaire, l'Inspecteur des manufactures, déclare a l'Intendant qu'on ne saurait prendre trop de précautions envers une province : « où l'argent est fort rare » (42).
Pourtant l'importation des marchandises étrangères s'accroît de plus en plus : l'abbé Morellet va jusqu'à avancer, - avec une certaine exagération, assurément, - que, vers 1759, époque où elle atteignit son maximum, cette importation pouvait s'évaluer a dix ou douze millions (43). Mais ces chiffres ne doivent pas nous abuser sur la situation critique. Ils ne sont pas en contradiction avec les données précédentes. Leur détail précise, au contraire, l'état de choses. Du côté de la France, par exemple, la traite que faisaient les villes et contrées frontières a baissé de 800,000 à 300,000 livres. Des produits utiles, dont la consommation avait lieu en Lorraine, au temps d'une plus grande aisance, ne sont plus demandés aux autres nations. Ce que ces dernières envoient encore, ce qui seul augmente les totaux, ce sont au contraire des denrées rares, des objets de luxe. Naguère on recevait de France pour 600,000 livres de draps fins et de soieries ; maintenant c'est pour plus d'un million. Les tissus des Indes, les vins généreux, les savons, les épices arrivent en quantité dans les magasins de Nancy. C'est pour le commerce d'entrepôt. Tandis que les vraies relations commerciales, celles qui marquent la vitalité d'un peuple, déclinent, l'entrepôt, qui est en dehors de la crise, qui se contente d'emprunter à la Lorraine l'avantage de sa situation géographique, prend chaque jour une extension nouvelle.
« J'ai voulu », faisait-on dire aussi à la Nature, dans un morceau que nous citions naguère, « j'ai voulu que la Lorraine fût le passage presque nécessaire de tout ce qui sortirait du Luxembourg, du pays de Liège, de la Flandre et de la Hollande, de l'Angleterre par Ostende, pour la Suisse, le Piémont et partie de l'Allemagne. J'ai voulu que toutes ces nations fussent conduites à emprunter ses routes et les rivières qui l'arrosent du midi au nord : ainsi j'ai ordonné mon plan... » Et, en effet, la plupart des communications directes entre la Hollande et la Basse-Allemagne, la Suisse et la Haute-Allemagne, empruntaient le territoire lorrain. De là était né le commerce d'entrepôt avec toutes ses variétés. Les commerçants de la Province envoyaient des marchandises d'Angleterre, de Flandre, d'Allemagne, de Hollande, à la Suisse, au Piémont et à l'Italie. Ils vendaient à leurs voisins, non seulement les denrées et les produits lorrains, mais encore des plombs, des morues, des épices, des mousselines peintes. Ils se chargeaient d'alimenter des marchandises les plus diverses les boutiques des Deux-Ponts, de Nassau et-de toutes les villes étrangères limitrophes ou enclavées. C'est ce négoce qui donnait la plus grande activité au commerce, augmentait le chiffre des affaires et faisait, en fin de compte, entrer dans le pays une bien plus grande quantité d'argent qu'il n'en sortait.
Sous la dénomination, un peu vague alors, de commerce d'entrepôt, nous distinguerons trois sortes d'opérations, auxquelles se livrent d'habitude les mêmes spéculateurs : l'entrepôt proprement dit ou négoce d'économie ; la commission ; et le commerce interlope.
a) Négoce d'économie. - Sous l'impulsion d'un certain nombre de négociants habiles, les principales villes de la Province sont devenues des lieux d'entrepôt pour toutes les marchandises du Royaume que peut exiger l'étranger, ou pour les marchandises étrangères destinées à d'autres pays. Entrons chez ces grands commerçants : nous n'y trouvons que des objets pour la vente extérieure. Celui-ci tient des marchandises de Reims, d'Amiens, etc., qu'il écoule presque uniquement dans les régions allemandes limitrophes, ou à Francfort, à Leipzig, en Suisse. Celui-là n'a qu'un fonds consistant en eaux-de-vie du Languedoc et en fruits du Midi ; il fait des expéditions jusqu'en Russie. Cet autre fournit les mêmes pays de vins de Bourgogne et de Champagne. C'est ce qui explique que, tandis que les petits boutiquiers se voient de moins en moins achalandés, ces magasins sont mieux fournis et leurs affaires plus brillantes. Marchands en gros, leurs propriétaires tiennent tous produits nationaux ou étrangers. Un auteur qui les touche de près, écrit : « J'en connais où vous trouveriez à votre choix des draps de tous pays, des merceries de toutes espèces, des épiceries, des drogueries, des teintures, des quincailleries, rassemblées, multipliées, assorties avec une variété qui vous surprendra... Ils connaissent avec précision les lieux où croissent et se fabriquent les denrées et les marchandises nécessaires à tout genre de consommation, et ont des correspondances directes avec toutes les places de l'Europe... » (44).
b) Commission. - Le commerce de commission était particulièrement actif et fructueux avec les Evêchés. Nous avons déjà signalé le traitement différent imposé, au point de vue commercial, à la Lorraine et à la Généralité de Metz. Pour toutes les marchandises non prohibées, celles des Indes ou des Iles françaises, les Lorrains avaient complète franchise, tandis que les Evêchois étaient obligés d'acquitter les droits de sortie (45). Afin d'éviter cette mesure, les marchands évêchois empruntaient, pour tirer les produits du Royaume, le nom et le domicile d'un collègue lorrain. Les grandes maisons de Nancy avaient, à Bar notamment, des représentants qui servaient de prête-nom. Les marchandises de Paris ou de Lyon étaient adressées à ces commissionnaires, qui les réexpédiaient aussitôt aux véritables acquéreurs. Ce détour, très utile aux gens de la Généralité de Metz, n'avait lieu que moyennant une rémunération avantageuse.
c) Commerce interlope. - Cette troisième sorte de spéculation n'était pas la moins profitable. La Lorraine recevait, par la Hollande ou par Francfort, les marchandises dont l'introduction et l'usage étaient absolument interdits dans le Royaume, où, toutefois, elles étaient fort recherchées. Dans les magasins des entrepositaires, venaient s'entasser les satins et les damas des Indes, les toiles et mousselines peintes, le tout destiné à être frauduleusement versé en France. Des malheureux, poussés par la misère, n'avaient d'autre métier que de faire incessamment cette contrebande. La plus grande partie des produits prohibés, consommés par les Français, provenait des entrepôts lorrains.
Ce vaste commerce, tout en se développant chaque jour, se concentrait dans un nombre plus restreint de maisons. Quelques uns des entrepositaires ont réussi à accaparer la plupart des affaires. Un double phénomène se produit : le négoce d'entrepôt disparaît des diverses localités où nous le trouvions encore tout à l'heure, pour avoir presque exclusivement son siège à Nancy\ ou ses représentants en cumulent toutes les variétés. La capitale est le rendez-vous de tous les voituriers entre la France et l'Allemagne. D'autre part, les petits commerçants, qui autrefois allaient se fournir directement sur les marchés étrangers, ne le peuvent plus, en raison de l'état précaire de leur fortune. Ils sont tombés à la merci des entrepositaires. C'est à Nancy, seulement, qu'ils trouvent encore quelque crédit et qu'ils peuvent s'approvisionner, quoique beaucoup en soient plus éloignés que de Reims, de Troyes, de Besançon, de Metz ou de Strasbourg.
En 1759, ce commerce d'entrepôt atteint son apogée. C'est le règne de quelques hommes intelligents, presque tous étrangers à la Lorraine, où les avaient attirés, aux beaux jours de Léopold, les avantages considérables que leur offrait le Duc. Plusieurs sont des Savoyards, tels les premiers d'entre eux : les Coster, les Villiez, les Puton et les Hugard. Alliés et associés, les Coster et les Villiez méritent une mention spéciale ; ils personnifient, à un haut degré, ce grand négoce d'alors. Actifs et probes, de simples boutiquiers ils sont devenus marchands en gros. Leur société a des fonds considérables et s'est ménagé des correspondants sur toutes les places du continent. Rien n'est étranger à leur domaine ; toutes les branches de commerce leur sont bonnes. A l'entrepôt, à la commission et, il faut l'ajouter, à la direction du commerce interlope, ils joignent les opérations de banque. La réputation de Coster aîné et de son frère Claude, de J.-B. Villiez et de son fils J.-François, s'est conservée jusqu'aujourd'hui. Au moment où nous sommes, J.-F. Villiez donne à la maison de son père, qui continue d'ailleurs à la surveiller, une nouvelle activité. Il est en train de réaliser une fortune de plusieurs millions (46). Durival l'appellera plus tard: « célèbre négociant, génie actif et pénétrant », et devra reconnaître qu'il « rendit de grands services au public et au commerce ». Il faisait, ajoute encore cet historien, « un commerce étendu dans toutes les contrées de la terre » (47). Deux exemples suffisent à attester le renom et le crédit de ces entrepositaires-banquiers. J.-F. Villiez était, paraît-il, si connu, qu'une lettre avec la seule suscription : M. Villiez en lorraine, lui parvenait directement (48).
Les frères Coster étaient les correspondants du banquier Pâris de Montmartel. Lors de la guerre de la Succession d'Autriche, quand l'Etat avait un besoin pressant de 500,000 à 600,000 livres, Montmartel les donnait à prendre à vue dans leur maison. Ceux-ci réunissaient facilement cette somme, ayant au besoin recours à la Caisse du commerce. Ils prêtaient l'argent pour trois mois, contre des lettres de change sur Paris, à l'intérêt de 1/4, 1/2 au plus, pour cent et par mois. Ces opérations importantes se renouvelaient une dizaine de fois par an. Durant toutes les hostilités, cette ressource ne fit pas défaut un seul jour (49).
Maintenant c'étaient seules ces grandes maisons qui faisaient encore connaître et respecter le commerce de la Province ; c'est par elles seules qu'il avait encore quelque crédit. Dans toutes les circonstances difficiles, les petits marchands n'hésitent pas à consulter ou à solliciter leurs chefs. C'est aussi ce commerce d'entrepôt qui - on le comprend maintenant- a un intérêt si considérable au maintien du statu quo douanier. Il ne veut pas de protection; ce serait sa perte. Les entrepositaires vont donc, lorsqu'il s'agira du reculement des Barrières, lutter énergiquement et conclure, d'après leur propre exemple, à une prospérité générale. C'est ce grand négoce de Nancy qui, par la plume de François Coster, rédige les Lettres d'un citoyen.

III. - DE 1759 A 1766

A ce moment, toutefois, sans qu'ils voulussent encore l'avouer, les commerçants en gros commençaient à éprouver quelque déception.
Tout d'abord, ils voyaient disparaître une des causes de leurs plus grands bénéfices. L'importation des toiles peintes et l'usage de ces tissus étaient sévèrement prohibés en France. Ces étoffes n'en étaient que plus recherchées ; elles étaient devenues des objets de luxe très à la mode. En vain essayait-on, pour les proscrire, des mesures les plus énergiques. « On inquiétait les citoyens », écrit un témoin oculaire, « surtout en province et jusque dans la capitale, par des visites domiciliaires ; on dépouillait les femmes à l'entrée des villes ; on envoyait nombre d'hommes aux galères pour une pièce de toile ; enfin toutes les tyrannies financières et commerçantes étaient employées (50). » Sans doute, ajoute un autre contemporain, « attaquer le consommateur plus coupable que le contrebandier c'était un acte de justice ; mais un duc et pair, un ministre, un fermier général pouvaient-ils résister longtemps à la passion de leurs dames pour une robe de Perse ? La loi pouvait-elle porter le fer et le feu dans le sein des plus grandes maisons, pour un crime de cette espèce ? » (51). Et de fait, sur les frontières de Champagne, il se faisait sans interruption des versements considérables de ces toiles. Les grands entrepositaires lorrains subvenaient à toutes les demandes du Royaume. En 1737, les commerçants de la Province faisaient venir, dans ce but, de Hollande et de Francfort, des toiles, mousselines et mouchoirs peints pour une somme qu'ils estimaient à un peu plus de 200,000 livres. A ce moment, la Ferme générale s'était émue. Par l'organe de Dupin, elle avait tout tenté pour que le Gouvernement défendît cette introduction dans les anciens Duchés (52). Plusieurs volumineux mémoires avaient été remis à l'Intendant, puis aux ministres (53). Dès 1746, les négociants lorrains avouaient une importation de toiles peintes d'une valeur de 300,000 livres. Le chiffre fut encore augmenté par la suite. Mais, les multiples inconvénients de la prohibition se faisant de plus en plus sentir en France, finalement la question fut portée au Conseil. Trudaine chargea l'abbé Morellet de la traiter, contradictoirement avec les intéressés au maintien du régime actuel. En mars 1758, l'écrivain publiait ses Réflexions (54), qui eurent polir conséquence un arrêt établissant la liberté qu'il réclamait. Tout changea dès lors ; les Français allèrent acheter directement en Suisse et en Hollande des produits qu'auparavant la Lorraine, seule, était en mesure de leur fournir, frauduleusement.
Au mois de janvier 1742, M. de La Galaizière avait écrit aux Juges-consuls de Nancy, pour remettre en vigueur une ordonnance de Léopold qui, à peine édictée, était tombée en désuétude. Tout sujet lorrain, commerçant avec les pays étrangers, devrait prendre, pour les marchandises qu'il en tirerait, des passeports signés de l'Intendant. Ces passeports seraient fournis sur déclaration et au vu des lettres de facture. Défense était faite aux commis des bureaux de laisser passer aucun paquet sans que cette formalité eût été remplie. La mesure, dont le but était, cette fois, de détourner les relations avec l'étranger et de prévenir les abus de l'entrepôt, avait eu également peu d'effet. Bientôt le Chancelier s'en était désintéressé. Mais son fils, après la lutte de 1761-1762, et fort probablement par représailles, tint à sa stricte exécution. Cela lui permit de refuser de nombreux passeports et d'atteindre profondément le négoce d'économie (55).
Les commerçants en gros, enfin, étaient de plus en plus fatigués par les exigences des Fermiers. Ce n'était pas tant la quotité des droits qui les gênait, que les formalités incessantes auxquelles ils étaient assujettis et les révélations qu'il leur fallait faire. Ils voyaient avec une invincible répugnance le secret de leur trafic entre les mains des financiers. En 1752, le fermier de la Caphouse (56) de Nancy a obtenu un arrêt du Conseil qui lui attribue le droit de percevoir le soixantième denier sur toutes les laines, fils et lins se vendant dans cette ville. La taxe n'est point considérable ; et pourtant, affirme Coster, « vingt procès entre le Fermier et les marchands ont porté le trouble et la confusion dans cette partie ; elle y a à la fin succombé ; et je pose en fait qu'il se faisait à Nancy, avant 1752, un commerce extérieur et interlope de plus de cent mille écus en toiles, fils et lins, outre la consommation de la ville, et qu'aujourd'hui il ne s'en fait pas pour vingt mille livres (57) ».
La Chambre des Comptes, elle-même, s'exprimait ainsi, en 1761 : « Nous jouissions autrefois de l'avantage d'être entrepôt entre tous les Etats voisins et la France ; les sujets de Votre Majesté faisaient un commerce dont le bénéfice leur restait... Tout a conspiré pour nous le ravir... Une multitude d'acquits, de droits nouveaux de caphouse ont obstrué une circulation dont la liberté est l'unique ressort. Les étrangers ont ouvert les yeux ; pour dégager leurs marchandises du bénéfice et des frais, dont nous les surchargions à leur passage, il ne fallait que vouloir ; pouvaient-ils différer longtemps à nous en priver ? Cette branche de commerce est aujourd'hui perdue pour les Etats de Votre Majesté. Chacun va à la source, on tire de la première main, et nos négociants restent dans la langueur et le désœuvrement... (58) ». On constate que, désormais, les lettres sur Paris perdent à Nancy de 15 à 16 % par an, et que le commerce n'en prend plus pour 30,000 liv. par mois.
A ce moment, la capitale lorraine comptait 223 marchands ; Bar et Lunéville en contenaient ensemble à peu près autant. Tous les autres villes et bourgs de la Province n'en avaient pas plus de 500. Sur ces 1000 négociants, 100 environ faisaient le commerce en gros, et 25 au plus voyaient leurs affaires prospérer. On parle désormais de la ruine du petit commerce comme d'une chose accomplie. En vingt ans, 400 boutiquiers ont dû renoncer à se maintenir. Fait significatif, vers 1763, les Coster, eux-mêmes, ne furent pas exempts, durant quelques mois, de sérieux embarras financiers. La Chambre des Comptes résume ainsi la situation du négoce intérieur : « il s'est ressenti le premier des accroissements des impositions : chaque édit bursal en a arrêté le progrès ; tout parait concourir à en précipiter la chute, tout en présage l'anéantissement absolu... Le mal est extrême et peut-être n'en avons-nous pas sondé toute la profondeur... (59) ».
L'évidence de ce déclin était telle, que l'administration elle-même finit par s'en préoccuper. Les marchés lorrains étaient souvent déserts. Le 6 mai 1760, les anciennes ordonnances en faveur de la ville de Saint-Nicolas, où les foires ne se tenaient plus depuis le pillage de cette localité, en 1635, furent confirmées; on essaya de donner par là quelque vie aux transactions commerciales. Des affiches et des lettres circulaires furent adressées à toutes les places de l'Europe, pour faire connaître cette mesure. Le 20 juin, les foires franches recommencèrent dans la vieille cité. Mais ce fut sans succès : le remède était insuffisant : de plus il venait trop tard. En vain accorda-t-on, dans le même esprit, en avril 1762, à la ville de la Marche-en-Bassigny, de tenir quatre foires franches tous les ans et marché franc chaque semaine (60). Durival écrit en 1767 à l'Intendant : « Il y a à la Saint-Georges, et pendant huit jours, une foire de babioles à la Primatiale, c'est la seule à Nancy (61). »
C'est donc à tort que, pour conserver le vieux système douanier, les adversaires du Tarif nous avaient montré le commerce des anciens Duchés en tout point florissant. Une enquête analogue sur l'industrie lorraine nous prouvera, par la suite, que leurs contradicteurs, impatients de voir s'opérer la réforme désirée, n'étaient pas plus sincères. Ils avaient dépeint, à plaisir, une situation très précaire dans laquelle étaient loin, pourtant, de languir les usines de la Province.

CHAPITRE V
Le système monétaire.

« Il n'y a point d'exemple de la bizarrerie qui se trouve aujourd'hui dans le cours des monnaies de Lorraine et Barrois », s'écriait La Galaizière père dès son arrivée à Lunéville ! et, devant cette complication du système monétaire, l'agent français avait résolu d'opérer, au plus vite, une réforme qu'il jugeait indispensable.
Les études préparatoires étaient ardues. Peu de matières de la compétence de l'Intendant exigeaient des recherches aussi difficiles. Sans compter l'examen détaillé d'un recueil in-4° de 302 pages, où se trouvent réunis les édits et ordonnances rendus au sujet des monnaies sous le règne de Léopold (62), il fallait approfondir nombre de déclarations postérieures, rassembler de multiples pièces éparses et de dates plus ou moins reculées. Labeur ingrat, dont les matériaux, conservés aux Archives nationales, nous ont révélé toute la minutie. Toutefois, M. de La Galaizière tint à le poursuivre avec tant de zèle que, le 31 mai 1737, il se trouvait déjà à même d'adresser à son beau-frère, le Contrôleur général Orry, la lettre suivante : « L'article du cours des monnaies de cette province étant une des parties les plus importantes de mon administration et à laquelle il est nécessaire de pourvoir plus promptement, j'ai rassemblé tout ce que j'ai pu de mémoires et d'instructions de toutes sortes de personnes sur cette matière. Je les ai examinés avec toute l'attention possible et j'en ai formé le précis que j'ai l'honneur de vous adresser... Ce travail m'a coûté beaucoup de temps par la difficulté que j'ai eu d'entendre ce que chacun s'efforçait à me dire en termes fort peu intelligibles... Je souhaite que vous approuviez le parti que je propose : après avoir mûrement réfléchi, il m'a paru le plus simple (63). »
Voici, en quelques mots, les idées que développait l'Intendant. Louis XV devait une somme considérable à la Maison de Lorraine, en raison des maux que les Duchés avaient souffert, pendant la dernière guerre. De son côté, François III avait laissé dans la Province de nombreuses dettes. La liquidation de.ces créances allait être faite par des commissaires. Or, l'espèce de Lorraine étant beaucoup plus élevée que celle de France, si elle était remise immédiatement à un taux plus bas, il en résulterait une perte considérable pour le Roi et pour le Duc, qui se trouvaient respectivement débiteurs. D'autre part, il était raisonnablement impossible de conserver le régime en vigueur. Un moyen terme s'imposait ; et celui-ci semblait le plus simple : permettre dès l'instant la stipulation en espèces de France, soit dans les contrats, soit dans les relations commerciales ; puis, par degrés, porter cet arrangement jusqu'à autoriser les juges à prononcer les condamnations en livres tournois. Sans doute, il ne serait point encore interdit de stipuler selon l'ancien mode. Mais, comme les Lorrains ignoreraient l'époque où leur valeur nationale serait supprimée, chacun d'eux prendrait ses précautions pour n'être point victime d'un événement peut être imminent; et, bientôt, en pratique, les valeurs françaises seraient les seules employées. Lorsque le Gouvernement n'aurait plus d'intérêt à tenir l'espèce plus haute dans la Province que dans le reste du Royaume, lorsque les circonstances sembleraient favorables, il suffirait enfin de supprimer officiellement l'emploi des espèces lorraines. Sans risque de révolution, on aboutirait ainsi à l'uniformité monétaire si désirable (64).
Le plan du Chancelier-intendant était sage. On y trouve à l'égard du pays une sorte de modération dont M. de La Galaizière n'était guère prodigue. La combinaison que proposa le Fermier général Dupin se trouvait être, malgré quelques ménagements, beaucoup plus catégorique. Le financier avait, lui aussi, étudié à fond la question. Au nom de sa Compagnie, il avait résumé son opinion dans un mémoire. Il conseillait au ministère d'annoncer, avant la fin de l'année 1738, l'interdiction de toutes spéculations autres que celles formulées en espèces au cours de France, et l'abaissement prochain du taux des monnaies lorraines. Cette opération commencerait le 1er octobre 1740 et se continuerait jusqu'à pareil jour de 1744. Les diminutions auraient lieu de six mois en six mois; les sept premières seraient de quatre sols par écu, et la dernière de sept sols, ce qui effacerait la différence de trente-cinq sols entre la valeur de l'écu lorrain et celle de l'écu de France. Ce délai présentait l'avantage de conduire jusqu'à l'expiration du bail de la Ferme.
Nous ne suivrons point Dupin dans ses longues et savantes considérations d'ordre technique (65). En diminuant le taux de l'espèce, on devait naturellement réduire à proportion les impositions et les taxes. Mais ici l'esprit fiscal reparaissait. Dupin supputait que la Ferme n'éprouverait aucune perte dans ce changement ; bien au contraire ; car on aurait soin de ne point diminuer le prix du sel, afin d'obtenir une augmentation de 350,000 livres sur la vente intérieure. Le pays, disait-il, aurait mauvaise grâce à se plaindre de cette surcharge. Le Fermier en donnait pour preuve ce spécieux argument : « Si l'augmentation de l'espèce a procuré quelque bénéfice aux sujets, ils n'ont pu le regarder que comme un accessoire et un événement passager dont la cause cessant les remet à leur ancien état, sans leur avoir attribué aucun droit; et par conséquent sans qu'ils puissent faire à cet égard aucune demande ni plainte légitimes et fondées. » Les traitants entrevoyaient aussi dans cette réforme un moyen de ralentir les versements sur la gabelle de France, puisqu'il y aurait moins de gain il. les faire. Ils calculaient le profit que leur procurerait l'élévation du produit des droits de contrôle, de formules, de procédure, de péages forains, résultant de cette circulation plus active qui précède d'ordinaire les réductions d'espèces, annoncées suffisamment à l'avance (66).
Avec l'Intendant et les Fermiers généraux, tout le personnel administratif était convaincu de l'urgence de la mesure. Ce n'était pas seulement le bien du Royaume, l'intérêt de la Compagnie et, par conséquent, celui du Trésor, mais aussi, - sans parler des considérations d'ordre politique - la commodité des différents services et la facilité du commerce qui réclamaient l'unification. Et cependant les ministres ne prirent point le soin de peser ces divers considérants. Le travail de La Galaizière devait rester stérile. « Son Eminence, lui répondit Orry, trouve bon que toutes choses demeurent à cet égard dans l'état où nous les avons trouvées, jusqu'à ce que l'on puisse statuer avec toutes les connaissances nécessaires pour prévenir, s'il est possible, les inconvénients qu'un changement dans le cours des monnaies pourrait occasionner et sur lesquels vous avez fait des observations très judicieuses (67). » Singulière réponse, assurément, après les rapports si explicites adressés par l'Intendant !
Le cardinal de Fleury avait à cœur, il est vrai, de ménager les susceptibilités de la Province que son génie, croyait-il, avait assurée à la France. Mais, ici, cette pusillanimité ne saurait être qualifiée que parfaite insouciance. Peut-être, par esprit de réaction, la Lorraine eût-elle, en effet, à ce moment, reproché au nouveau régime la suppression de ses valeurs nationales ; nombre d'habitants, sans doute, imbus de l'esprit de routine, auraient cru voir là une atteinte, non seulement à l'autonomie des anciens Duchés, mais aussi à leurs intérêts. Quand un paysan lorrain avait été vendre dans les Evêchés un sac de blé 6 livres, argent de France, ne se figurait-il pas avoir gagné 35 sols, parce que ces 6 livres valaient 7 livres 15 sols chez lui ! Il ne réfléchissait pas qu'il avait été obligé de se déplacer et qu'avec ces 7 livres 15 sols, il n’aurait jamais que pour 6 livres d'autres denrées ; que cet écu, réduit de 7 livres 15 sols à 6 livres, il serait aussi riche qu'auparavant. L'expérience, toutefois, eût bien vite démontré l'inanité de ce préjugé.
La situation de la Lorraine, enclavée entre la France, l'Allemagne, le Luxembourg et quantité de principautés souveraines, avait seule exigé, jusqu'alors, que ses princes, en permettant le cours de toutes sortes d'espèces, les tinssent sur un pied plus haut, sans quoi les grandes puissances eussent épuisé le pays. La démonstration en avait été concluante toutes les fois que la Lorraine avait eu ses espèces au dessous ou même au niveau de celles de ses voisins, et particulièrement en 1714 et en 1722. Un change désavantageux avec l'étranger devait ruiner le commerce lorrain, parce que ce commerce n'était pas en état de donner la loi au change. Il était obligé de se régler sur celui des principales nations.
En 1737, au contraire, c'était une excellente protection à accorder à la Province que de la faire marcher de compagnie avec le reste du Royaume, puisque le change du Royaume pouvait se soutenir par ses propres forces. Le maintien de l'état de choses, devenu sans raison, allait causer une gêne de plus en plus lourde dans les relations commerciales entre la Lorraine et la France ; il allait compliquer le fonctionnement de tous les rouages administratifs et occasionner de fréquents malentendus.
On continua donc, sous l'administration française, à compter en Lorraine d'après l'ancien système monétaire. Les valeurs s'exprimaient, comme en France, par livres, sous et deniers. Comme la livre française, la livre lorraine se divisait en 20 sous, le sou en 12 deniers; mais 31 livres de Lorraine ne faisaient que 24 livres, cours du Royaume. De ce rapport, définitivement adopté en 1737, il résulte que la livre Lorraine valait 24/31 de livre tournois, soit exactement 15 sols 5 deniers 25/31 tournois; et le sol lorrain: 9 deniers tournois (68). C'était, comme on peut en juger, une proportion fort incommode pour les conversions en monnaie française.
L'inconvénient s'accentuera bientôt d'autant plus que ces conversions seront obligatoires pour tout compte. On ne frappe plus, en effet, de monnaies lorraines, et le Gouvernement prend soin de réunir peu à peu les pièces à l'effigie des Ducs, pour les faire refondre. Dès les premières années du règne de Stanislas, la livre de Lorraine n'est plus qu'une valeur fictive, simple monnaie de compte, spéciale au pays. En 1753, un contemporain observe qu'on ne trouve presque plus de monnaies des Ducs, à l'exception des pièces de 9 sols 3 deniers appelées massons (69), et des pièces de 2 sous ; il reste peu de sous et de liards (70). Or, de l'aveu que fera plus tard le Conseil d'Etat, il était impossible d'évaluer ces massons en argent de France, cc sans employer des fractions, d'un usage impraticable (71) ». Et, pourtant, ces pièces, qui n'avaient aucune valeur en France, qui auraient du n'être plus qu'un souvenir, revenaient continuellement dans les calculs.
On arrive encore facilement à convertir l'argent de France en argent de Lorraine : on prend le quart du chiffre, puis le sixième ; on additionne le tout, et on a le résultat cherché. Mais l'opération inverse, celle qui, pourtant, s'impose le plus fréquemment, ne présente point de méthode abrégée. Il faut passer par les lenteurs d'une règle de trois. Cette difficulté de calcul se complique encore d'anomalies singulières. L'écu neuf, fixé par arrêt du 30 mai 1726 à 4 l. 4 s. 4 d. seulement, avait insensiblement monté jusqu'à 7 1. 15 s., d'abord dans le commerce, ensuite dans la comptabilité du prince. Or à Bitche, et dans divers lieux de la frontière, il valait 8 1. dans les transactions commerciales. « Par une bizarrerie de l'usage », explique le secrétaire de l'Intendance, « lorsqu'on donne en pièces de 2 sous de France un écu de 6 livres, celui qui le reçoit ainsi ne trouve que 7 livres 10 sous de Lorraine, au lieu de 7 livres 15 sous, parce que la pièce de 2 sous de France se prend pour 2 sous 6 deniers de Lorraine : et si, dans le comté de Bitche, on fait un paiement en pièces de 2 sous de Lorraine, au lieu de le faire en écus neufs, on ne trouve plus que 7 livres 15 sous de Lorraine, au lieu de 8 livres (72). »
« Notre monnaie commence ici à augmenter de beaucoup », écrit, en 1753, un voyageur arrivant de Franche-Comté à Neufchâteau. « Un de nos louis y vaut près de 32 livres; on se croit d'abord fort riche ; tout bien examiné, cela revient à peu de chose près au même. Quand les Lorrains nous vendent quelque marchandise, ils ont toujours grand soin de dire argent de France : il y a cependant à gagner aux auberges (73). »
Qu'on le remarque bien, l'habitude de se servir de la livre lorraine ne persista pas simplement dans les relations entre particuliers ; l'administration française adopta ce système compliqué. On trouvera dans certains comptes de bâtiments des devis exprimés en livre tournois, avec l'indication cc cours de France »; mais ceci se borne à des cas assez rares. Tous les chiffres des pièces administratives ayant trait à la Lorraine, dressées soit à Nancy, soit à Paris, perceptions d'impôts, décisions judiciaires et autres, représentent des espèces au cours de Lorraine. Les comptes des trésoriers généraux, eux-mêmes, sont rédigés de cette façon ; ce n'est qu'à la récapitulation des chapitres qu'il est tout au plus mentionné combien le total fait de livres tournois. A ces règles, toutefois, il est des exceptions inattendues, qu'aucun indice ne révèle; seules, des confrontations de documents nous ont fait reconnaître ce caprice des comptables, caprice bien fait pour devenir aujourd'hui une source de graves erreurs, lors de recherches dans leurs registres.
Une autre monnaie, celle-là plus fictive encore, ajoutait considérablement à tous ces embarras. Il s'agit du franc (74), ou mieux du franc barrais, avec ses subdivisions. Matériellement supprimées depuis 1700, époque où Léopold leur avait substitué la livre, ces espèces étaient, sans doute, vers 1737, de moins en moins employées pour les comptes privés. Mais, le Gouvernement français en conserva la mention dans toutes les pièces officielles où elle figurait encore. L'ancienne unité monétaire fut maintenue pour les tarifs administratifs et judiciaires. Non seulement les droits seigneuriaux, mais les redevances domaniales, les amendes, les droits d'officiers, les frais de justice, les péages forains s'évaluent toujours en monnaie barroise. Ce n'est que dans les ordonnances et arrêts postérieurs à 1754, que la fixation des nouvelles peines pécuniaires est faite en livres de Lorraine. Le franc revient ainsi à chaque instant dans les calculs nécessités par les relations du paysan lorrain avec ses seigneurs, du commerçant avec les juges, les hommes d'affaires, les mille employés de la Ferme. Or cette monnaie fictive, dont on parle sans cesse, n'a que très peu de rapport avec la livre lorraine : 7 francs barrois font exactement 3 livres (75) ; aucun, avec les espèces du Royaume, puisque le franc barrois vaut 3/7 de 24/31 ou 0,33179 de livre tournois ! S'agit-il d'opérer la conversion ? Il faut d'abord réduire les francs en livres de Lorraine; on divise, par 7, ce qui donne des écus de 3 livres que l'on multiplie par 3 pour avoir des unités ; ce produit doit être encore réduit en argent tournois par la règle que nous avons indiquée. Et ce cas est le plus simple. D'habitude les sommes comprennent les subdivisions du franc : or le franc vaut 12 gros, le gros 4 blancs et le blanc 4 deniers barrois ! On voit combien la moindre conversion multiplie les fractions et rend les comptes pénibles (76).
C'est d'ailleurs le cri que poussent tous les auteurs de l'époque. Comment veut-on, dès lors qu'un campagnard peu instruit, qu'un étranger franchissant la frontière, arrive à se reconnaître dans de tels calculs et ne soit point à la merci des gens de la Ferme, par exemple, qui lui montreront un tarif incompréhensible ? Les tables de concordances ne sont point à la disposition de chacun. On n'en trouve guère que des fragments insuffisants dans les almanachs royaux, peu ou point répandus, du reste, parmi le peuple. Le premier ouvrage vraiment utile et comprenant les six réductions que pouvait nécessiter la complication des valeurs lorraines, ne paraîtra qu'en 1768 (77). Aussi, ce sont des vols ; des duperies continuelles. Les employés de la Ferme, surtout, ne s'en font point faute. Helvétius lui-même, tout en atténuant les faits, se voit forcé, après son enquête, de le reconnaître. Les préposés, nous explique-t-il, « peuvent tromper les redevables parce que les droits d'entrée, étant tarifés sous les noms de francs, gros et deniers, monnaies qui depuis longtemps n'ont aucun cours en Lorraine, et y ayant pour le haut-conduit autant de tarifs que de districts, il n'est pas difficile à un receveur lorrain, dans la conversion de ces valeurs en monnaies du cours actuel, de taxer arbitrairement un voiturier étranger. Or, s'ils peuvent commettre impunément toutes ces fraudes, on doit conclure qu'ils les commettent effectivement (78). »
Pour le payement des frais de justice, l'inconvénient était non moins grand. Une déclaration du 21 janvier 1752 accorda aux officiers des bailliages et prévôtés nouvellement créés par l'édit de juin précédent, le droit d'exiger 10 sols tournois par franc alloué dans les tarifs, tandis que pour le public ce franc ne valait que 6 sols 7 deniers (79). Jaloux de cette faveur, les avocats avaient émis pareille prétention, mais une circulaire du procureur général leur répondit, le 22 août 1758, par un refus catégorique. Ce n'était donc ni les gens de justice, ni, encore moins, les employés subalternes de la Ferme, qui rêvaient la suppression de l'emploi du franc barrois. Mais les classes les plus intéressantes du pays, les habitants des campagnes, les petits commerçants, s'associaient maintenant au désir formulé naguère par l'Intendant .
A la confusion et aux fraudes, venait s'ajouter, en effet, pour la surcharge des contribuables, sans aucun avantage pour le Trésor, et au profit des seuls préposés, ce que l'on appelait le fort-denier. « Le liard de Lorraine », nous explique la Chambre des Comptes, « vaut quatre deniers barrois ; c'est la plus basse espèce coursable, c'est la monnaie du fort-denier ; il se nourrit de fractions, il absorbe les deniers ; pour un denier, pour la moindre fraction, il faut donner un liard au commis de la régie et perception des droits, pour arriver au sol pour livre, soit des droits mêmes, soit du vingtième du prix du droit ; répétition continuelle et ruineuse au peuple (80). » Les agents français, à leur tour, avouaient « l'exaction publique du fort-denier ». Pour la faire cesser, il eût fallu une révision des tarifs surannés et une évaluation des droits plus en rapport avec les monnaies réelles.
Dans les Evêchés, la confusion des valeurs monétaires n'avait pas été jadis moindre qu'en Lorraine. Il suffit, pour s'en convaincre, d'ouvrir le Traité de la monnoye de Metz, d'Eustache Le Noble, ouvrage où le trop célèbre procureur général facilite, par des tables de concordance, la conversion des diverses espèces en monnaie de France (81). Louis XIV, par la déclaration du 5 mai 1693, avait fait définitivement cesser cette complexité. Mais nous ne sommes plus au temps du grand Roi ! D'ailleurs, blessé de la manière dont avaient été accueillies ses premières tentatives de réforme, M. de La Galaizière ne renouvela pas ses démarches auprès des ministres. Son fils va imiter son silence. Les Contrôleurs se succéderont, indifférents à la grave question. A la mort de Stanislas, il ne se sera produit aucun changement, sinon que, chaque année, les désagréments de l'état de choses seront apparus plus évidents. Dans le long espace de trente années, aucun acte officiel n'aura trait à la matière des monnaies, à l'exception d'un arrêt du Conseil des Finances, du 7 juin 1759, portant décri des espèces d'or nommées Augustus de Saxe, et ayant pour but de prévenir l'introduction dans la Province de nombreuses pièces fausses que l'on répandait alors sous cette marque (82).
Les quelques mesures prises après 1766 furent, elles-mêmes, bien insuffisantes. La principale est un arrêt du Conseil d'Etat, du 21 juillet 1768, qui décrie de tout cours pour l'avenir les espèces de haut-billon, dites massons, à cause de l'embarras qu'elles occasionnaient dans le commerce et de leur frai considérable. Quatre mois furent accordés pour la remise de ces pièces aux bureaux de recette. Les massons étaient repris par le Trésor pour leur valeur intégrale. Sa Majesté disait vouloir ainsi épargner à ses sujets lorrains la perte que le frai de ce billon eût dû leur occasionner ; elle faisait le sacrifice entier de son droit de seigneuriage sur les espèces qui en seraient fabriquées à son effigie (83). Par acte du 16 mars 1772, enfin, le Roi prescrira de convertir en livres tournois les anciennes redevances, sur le pied d'une livre par 3 francs barrois, et annoncera son intention de supprimer toutes les monnaies spéciales à la Province. Ce projet, tout théorique, ne fut suivi d'aucune réforme. Nous trouvons encore un règlement du 8 mars 1776, qui emploie le franc barrois pour une fixation d'amende (84). Ce n'est qu'en l777, que le port des lettres en Lorraine commence à être payé en argent de France (85). Et, jusqu'en 1789, les comptes des agents des finances restent uniquement établis d'après l'ancien "système (86).
Les espèces qui avaient le plus cours dans la Province, après la perte de l'autonomie, étaient le louis d'or, l'écu neuf et ses éléments, puis les massons. Les marchés lorrains étaient aussi envahis par de petites pièces de cuivre, ou mitraille, sans poids ni forme fixes, n'ayant pas chacune la valeur d'un demi-liard. Cette menue monnaie n'était point reçue dans les bureaux ; elle provenait en grande partie des Etats limitrophes. C'était surtout les juifs et les usuriers qui les introduisaient dans le pays. En 1761, il y en avait encore une si grande quantité que la Chambre des Comptes se plaignait « qu'il ne se faisait pas un appoint dans les marchés publics et dans les ventes en détail, où les honnêtes gens qui en avaient reçu ne les plaçassent à leur tour (87) ». En vain cette Compagnie, à plusieurs reprises, en défendit-elle l'usage, sous peine de confiscation et de 100 livres d'amende, dont moitié au profit du dénonciateur (88). Le peuple tenait à cette mitraille qui facilitait les petits payements, permettait les fractions ; il avait toujours l'espoir de pouvoir, grâce à elle, se soustraire au fort-denier.
Ce fut presque uniquement dans des arrêts prohibitifs de ce genre que la Chambre des Comptes de Lorraine eut encore l'occasion, après 1737, de se qualifier Cour des Monnaies. Là se borna désormais pour elle, en cette matière, un rôle autrefois fort considérable. Au moment de la cession, la Maison de Lorraine avait à Nancy un Hôtel des Monnaies (89), muni des divers instruments nécessaires à la fabrication, et où logeait tout un personnel d'officiers et d'artistes immédiatement soumis à la juridiction de la Chambre. Cette Cour avait rendu, le 8 juin 1734, pour la police de l'Hôtel et au sujet de la frappe des espèces, un long arrêt, en forme dérèglement, comprenant 71 articles et le rappel des nombreuses prescriptions antérieures.
Sans doute, le Gouvernement français conserva dans l'Hôtel des Monnaies les principaux officiers ou graveurs qui y étaient logés, tel Ferdinand de Saint-Urbain, qui s'y éteignit à 85 ans, le 10 janvier 1738 (90) ; puis Nicole, qui y habitait encore après la mort du roi de Pologne (91). Ces artistes étaient toujours autorisés à employer le balancier pour la fabrication des médailles et des jetons de leur composition. Lorsqu'il s'agissait d'une opération de ce genre, la Chambre des Comptes, Cour des monnaies, nommait, à la réquisition du procureur général, un commissaire, en présence duquel devait se faire la frappe, et qui dressait un minutieux procès-verbal (92). Mais ce fut tout; on n'y battit pas d'espèces à l'effigie de Stanislas ou de Louis XV.
Le successeur de François III avait bien témoigné le désir qu'il parût des monnaies à son coin, pour marquer sa souveraineté ; et M. de La Galaizière avait pensé que cela pourrait se faire sans inconvénient. Il avait proposé aux ministres d'émettre, au nom du beau-père du roi de France, un certain nombre de pièces d'or et d'argent, du même poids que les louis et sous ayant cours dans le Royaume. Plus tard, il eût suffi de refrapper ces pièces, pour en permettre l'usage en France. Mais, sur l'ordre de Fleury, le Contrôleur général répondit que « Sa Majesté Très-Chrétienne n'entendait point que le droit de seigneuriage ou bénéfice de la fabrication tournât au profit du roi de Pologne ; que ce droit faisait partie des revenus qui avaient été abandonnés au Roi par M. le duc de Lorraine... (93) » L'Intendant comprit que c'était là un refus déguisé, et il avait abandonné l'idée chère à Stanislas. A partir de 1737, aucune monnaie ne devait plus sortir d'un établissement dont les voûtes avaient jadis résonné du bruit de plusieurs opérations fameuses (94).

CHAPITRE VI
Les poids et mesures.

Des nombreuses mesures employées en Lorraine au XVIIIe siècle, résultait une complication plus grande encore que celle des valeurs monétaires. A peine une étude de plusieurs années eût-elle permis de ne point s'égarer dans ce dédale. Il n'y avait aucune relation entre les mesures des Duchés et les mesures de France. Aucune uniformité non plus dans les mesures des diverses contrées de la Province, si ce n'est pour celles de poids, dont l'unité était, depuis le XIe siècle, la livre poids-de-marc ou livre de Troyes, usitée aussi, avec son multiple le quintal et ses subdivisions, à Paris et dans le nord-est du Royaume.
Dès qu'il s'agit des mesures linéaires, cette harmonie disparaît. En Lorraine, comme en France, on mesure par toises et par aunes ; la toise s'employant pour l'usage général et l'aune pour les étoffes. Mais les rapports sont loin d'être simples entre les toises ou les aunes de la Province et celles du Royaume. Il faut une aune 7/8 de Lorraine pour faire l'aune de Paris ; la toise de Lorraine contient 8 pieds, 9 pouces, 7 lignes, 6 parties, mesure de Roi ; 192 de ses pieds n'équivalent qu'à 169 pieds de Roi (95). Et ces chiffres ne sont exacts que pour la toise et l'aune lorraines typiques, auxquelles un a recours le plus souvent dans le centre du pays, mais qui ne sont point les seules usitées et dont, plus on s'éloigne de Nancy ou de Lunéville, diffèrent davantage celles du reste du pays.
C'est ainsi qu'il y a la toise de Bar, servant dans le Barrois pour les bâtiments, et qu'il faut se garder de confondre avec une autre toise de Bar, appelée encore vergeon, et réservée pour l'arpentage. De même la Lorraine allemande a sa toise spéciale qui vaut 0m443 de plus que celle de la Lorraine centrale ; l'écart est moins grand pour la toise de Mirecourt. Sous le Gouvernement français, le pied de Roi sera progressivement préféré, surtout pour les travaux d'architecture, aux diverses toises locales, qui ne serviront plus guère que pour l'expression des mesures agraires.
Quant à l'aune, aucune amélioration de ce genre n'est à signaler, et l'emploi plus fréquent et souvent imprévu de celle de Paris ne fera qu'embrouiller davantage l'état des choses, car la mesure française ne parviendra point à remplacer entièrement les aunes de Lorraine, surtout parmi le peuple et pour le commerce des grains. L'aune de Bar, qui a 24 pouces de Roi, devrait rigoureusement être distinguée en aune pour les étoffes et en aune pour les toiles. L'aune de Lorraine valait 0m 639 ; celle d'Epinal 0m 658 ; celle de Sarralbe vaut 0m 681; celle de Bruyères, utilisée par les tisserands, atteint jusqu'à 0m 785. et celle de Provins, que l'on emploie à Neufchâteau, 0m 826 ; mais toutes sont inférieures à celle de Paris qui. comme l'on sait, équivaut à 1m 188. Il est à noter que les régions où ces diverses mesures sont en usage, ne sont nullement délimitées, ce qui est matière à de fréquentes discussions.
L'unité des mesures agraires se nomme d'habitude jour, pour les terres et vignes ; fauchée, pour les prés, et arpent, s'il s'agit des bois. Elle varie, non seulement comme tout à l'heure suivant les localités, mais aussi selon les confins d'un même village, c'est-à-dire suivant les diverses parties du ban d'une même commune. Aussi trouve-t-on souvent des fauchées ou des jours qui n'ont que les trois quarts ou lep quatre cinquièmes de la contenance de ceux qui les touchent immédiatement. La variété est incroyable ; on peut la restreindre à ces principaux étalons : le jour de Lorraine, qui est de 250 toises ; celui de la Lorraine allemande, de 343 toises ; celui de Bar, qui monte à 400 toises ; celui de Vergaville, qui descend à 100 toises seulement. Mais, entre ces chiffres, se place toute une gradation dont chaque terme, pour ainsi dire, correspond à quelque mesure usitée. Les exceptions sont du reste aussi fréquentes que la règle; Sarralbe emploie l'unité de la Lorraine centrale ; il y a des fauchées qui atteignent 500 toises.
Nous ne dirons rien des diverses cordes pour cuber les bois de chauffage : elles, aussi, varient selon les localités, et d'après l'espèce de toise adoptée. Rappelons seulement qu'outre la corde de la Lorraine propre, qui vaudrait 2 stères 992, il y a la corde pour les bois des salines, qui est de 3 stères 365 ; et celle des bois d'affouage, qui va jusqu'à 4 stères 487. Mais la corde courante de Pont-à-Mousson correspond presque à cette dernière (4 stères 387), car elle est évaluée en pieds de France. Les habitants des Vosges distinguent, de plus, une corde de commerce, une corde pour le charbonnage et une autre cor de d'affouage, avec un écart de près de deux stères.
Pour les mesures de capacité destinées aux liquides, les inconvénients s'aggravent encore. L'unité est la pinte, qui se subdivise en demi-pinte ou chopine ; deux pintes font un pot ; 18 pots une mesure, et 7 mesures un virli ; 84 pots barrois - ce qui est chose différente du pot ordinaire, - donnent une pièce, et il faut deux pièces pour faire une queue. La pièce de Ligny et la pièce de Saint-Mihiel se partagent le Barrois. Signalons aussi, au hasard, la hotte de Pont-à-Mousson, qui vaut 32 pintes de Lorraine ; celle de Sarreguemines, qui contient encore 6 litres de plus. Dans les Vosges, le vin se vend à la mesure et se détaille au pot ; mais il faut s'inquiéter si l'on parle du pot de Rambervillers, de ceux de Bruyères ou de Gondrecourt. Dans le bailliage de Nancy, la mesure de vin contient 18 pots de 4 chopines; mais, tout à côté, dans celui de Rosières, à Bayon, la mesure est dite grande, et 12 pots et demi suffisent à remplir la mesure de Nancy.
Quand on arrive, enfin, aux mesures pour les grains, il faut absolument renoncer à donner un exact aperçu de la complexité des systèmes. Toutes, à la rigueur, devraient se rapporter à la pinte, leur unité, qui contient 1 litre 22 en Lorraine et 1 litre 07 dans le Barrois. Mais il est impossible de retrouver ces proportions. Dans la Lorraine propre, on est censé compter par résal (l20 litres environ); aux environs de Pont-à-Mousson par quarte (92 litres en moyenne) ; dans le Barrois par boisseau, c'est-à-dire par 18 ou 20 litres seulement; la Lorraine allemande se sert du malder, qui va jusqu'à 320 litres. Mais que de divergences ! Pour le résal entre autres. Celui de Nancy vaut 117 litres et celui de La Marche 188 Le premier se divise en 4 bichets, le bichet en 12 pots, le pot en 2 pintes, la pinte en 2 chopines, la chopine en 2 setiers, le setier en 3 verres. Le résal de Lunéville vaut, en principe, celui de la capitale ; mais, dans l'étendue du bailliage, il pèse 180 livres à Rambervillers et 200 livres à Badonviller. A Neufchâteau ou à Saint-Dié, la division se fait en 8 zettes ou imaux, que l'on appelle mines à Bruyères ; en 6 boisseaux à Lixheim, ce qui se nomme des fourreaux à Rambervillers. En résumé, je compte jusqu'à 23 grandes variétés de ce résal !
La quarte vaut 4 bichets et le bichet 4 fourreaux: telle est la règle dans le bailliage de Sarreguemines ; cependant la quarte de Puttelange est moins forte d'un 32e, et celle de Forbach d'un 16e. Le boisseau comprend 2 demis ; le malder 8 faces, la face 3 zestres, le zestre 4 firlins : à Bitehe par exemple.
Mais il faut s'entendre ; tout ce que nous venons de dire ne s'applique qu'aux mesures pour le blé. Ces chiffres seraient inexacts s'il s'agissait d'avoine. Le résal de blé est à Nancy de 117 litres, mais celui d'avoine vaut 168 litres. Bar mesure le froment par boisseaux de 17 litres, mais l'avoine par minottes de 34 litres; etc.
La diversité des types ne semblait pas encore suffisante pour encourager les fraudes : la façon de mesurer est aussi variable que l'instrument. Le blé et le seigle sont d'habitude livrés ras, c'est à-dire que l'on passe préalablement une règle sur le bord du vase ; l'avoine, au contraire, se mesure comble : on remplit le bichet de manière à former un cône aussi haut qu'il se peut, ce qui donne un volume supplémentaire équivalant parfois à la moitié du principal ; tout est alors affaire de précautions, d'habileté de main, de siccité des grains. Au bailliage de Nancy, le méteil, le seigle, les pois, les haricots et les lentilles se mesurent ras; mais l'orge, l'avoine, les petites fèves, le millet, la navette se mesurent comble. A Saint-Mihiel, le froment se mesure ras, selon la règle ; mais seulement sur le grenier, car au marché on ne doit pas manquer d'ajouter un huitième comble. Dans les calculs nécessités par la répartition des Vingtièmes, on dut distinguer soigneusement le résal d'orge comble, estimé à 5 livres, et le résal d'orge raclé, estimé à 4 livres 10 sols (mesure de Nancy).
Et encore, dans cette courte mais déjà fastidieuse nomenclature, avons-nous fait abstraction des mesures en usage dans le Toulois, le Pays Messin, le Verdunois, aussi nombreuses, aussi variées; et qui pénétraient en Lorraine, surtout dans les zones limitrophes. C'était encore les vieilles mesures d'Alsace, du Luxembourg, de la Franche-Comté, qui étaient employées simultanément avec les mesures locales, sur les frontières et dans les enclaves. Ajoutez à cela l'absence de rapport mathématique précis entre ces mille mesures et avec celles de Paris, la différence du cours des monnaies, la prédominance des valeurs fictives, la singulière topographie de la Province et la multiplicité des codes : vous pourrez en déduire les ennuis qui devaient résulter d'une telle situation pour les moindres actes de la vie de chaque jour !
Rien ne fut tenté, cependant, après 1737, non pour arriver à une uniformisation - à laquelle on ne songeait guère, du reste, dans les autres Généralités, - mais tout au moins pour simplifier un système de mesures qui se distinguait entre tous par la plus étrange confusion.
Sans interdire à la Lorraine l'emploi de ses mesures nationales, le Gouvernement n'eût-il pas dû essayer de ramener ces dernières à quelques types principaux d'ou elles dérivaient toutes. Elles ne s'étaient écartées de ces étalons primitifs que dans la succession des siècles, et grâce à l'absence de contrôle du pouvoir central. Pas une fois, sous Stanislas, la question ne fut mise à l'étude par l'Intendant ou les ministres ; on ne tenta pas le moindre essai. Les Ducs, du moins, si leur intervention ne fut pas toujours très efficace, avaient rendu plusieurs ordonnances à ce sujet. Rogéville nous apprend que déjà, en 1144, Mathieu Ier avait déterminé la longueur des mesures et la gravité des poids, et ordonné qu'ils fussent uniformes (96). Ferri IV, en 1323, renouvelait cette prescription. C'est aussi Charles III qui, en 1598, défend de se servir, dans les foires et marchés de Lorraine, d'autres mesures que de celles de Nancy ; en conséquence, toutes les mesures à grains du Duché sont réduites à ces types. L'ordonnance du 8 avril 1600 fixait, à son tour, les mesures des vins, les toises, les aunes et les poids. Les habitants du Barrois durent, en vertu de celle du 2 avril 1601, se reporter de même aux mesures de leur capitale. Avec l'administration française commence, au contraire, une période de complexité plus grande que jamais ; bien que ce fût dans cet ordre de choses que la fusion des intérêts eût été et la plus facile, et, peut-être, la plus salutaire.
Nous n'avons, à partir de 1737, aucune déclaration concernant les mesures locales, jusqu'à celle du 16 mai 1766. « Quoiqu'il soit fort désirable pour le commerce, lit-on dans cette pièce, que l'uniformité des poids et mesures établisse entre l'acheteur et le vendeur une bonne foi qui sera toujours l'âme la plus active du commerce, les tentatives inutiles, qui ont été faites en plusieurs endroits pour y parvenir, peuvent faire douter du succès des nouveaux efforts que l'on ferait à cet égard (97) ». Pour veiller, toutefois, autant que possible, à la sincérité et à la facilité des opérations commerciales, le. Gouvernement présentait « un tarif, exécuté avec précision, dans lequel on pût trouver les rapports et proportions de tous les poids et mesures d'usage dans les différentes villes et lieux du Royaume ». Il émettait le vœu que l'once et la livre, la toise de six pieds de Roi et l'aune de Paris fussent préférées comme bases de ce tarif. Mais cette pièce marquait trop visiblement le découragement avant l'action, et c'était le moyen de s'assurer l'insuccès. Toute la réforme consista dans l'envoi à chaque bailliage d'étalons, mesure de Paris, afin d'établir, d'une manière fixe, leur rapport avec les mesures en usage dans les diverses localités, et de servir à la vérification des mesures du même type. Inconséquence notoire : dans l'instruction à l'Intendant, on s'étendait longuement sur la livre, universellement adoptée pourtant dans la Province, et on ne s'occupait en rien des mesures de capacité au milieu desquelles il était le plus difficile de se reconnaître. L'année suivante, seulement, on songea à ces dernières. Le Contrôleur général voulut être instruit d'une manière précise du poids et des dimensions des mesures à grains, pour en faire dresser un rapport mathématique avec celles de Paris, et les étudier avec plus de certitude que ne le permettaient les expériences antérieures. L'Intendant adressa à cet effet des avis et des questionnaires détaillés aux subdélégués, qui eurent à en remplir les colonnes. Travail inutile : les choses en restèrent là (98).
Toutes les anciennes mesures, en usage au début du XVIIIe siècle, seront encore généralement employées en Lorraine, au moment où la loi du 19 frimaire an VIII (2 novembre 1801) prescrira l'adoption exclusive du système métrique (99). Les tables officielles que fournissent les almanachs de la Province pour 1781 et les années suivantes indiquent encore quarante-deux mesures locales destinées aux grains ; et les mémoires des commissions départementales, nommées pour établir les bases de la conversion de ces mêmes mesures, doivent porter ce total à un chiffre plus considérable encore.
L'ajustement et la marque des poids et mesures avaient lieu par l'initiative et sous le contrôle de la Chambre des Comptes qui donnait périodiquement à bail le privilège de ces fonctions. Le célèbre maître-serrurier Jean Lamour, par exemple, eut longtemps, moyennant un canon annuel de 10 livres : « la ferme et permission de faire marquer et adjuster les bichets et demi-bichets pour livrer les grains (100) ». Nous allons voir que la vérification s'en faisait par les soins de la Juridiction consulaire.

CHAPITRE VII
La Juridiction consulaire.

La connaissance des différends entre marchands, et en général de tous ceux résultant du fait de négoce, la haute surveillance des intérêts commerciaux en Lorraine, appartenaient à un Corps élu, dont les membres constituaient la Juridiction consulaire.
C'était là une institution très ancienne, dont la première ébauche date de 1341. Des créations analogues ne se manifestent dans les villes françaises qu'aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Elle semble même avoir précédé la fameuse Conservation de Lyon. Cette Justice, qui passa par des phases diverses (101), était très solidement organisée, surtout depuis que l'édit du 28 novembre 1715 avait substitué aux règlements imparfaits, jusqu'alors en vigueur, un véritable monument législatif (102).
Le Tribunal consulaire siégeait à Nancy. Il se composait d'un Maître, marchand de cette ville, assisté de quatre de ses collègues. Le Maître, qui avait pris tout d'abord la qualification de roi des marchands et premier des juges-consuls, était plus généralement appelé, à partir de 1737, premier juge-consul (103). Le premier de ses assesseurs avait le titre de lieutenant. Les trois autres adoptèrent successivement les dénominations de premier, deuxième et troisième échevins, de juges-consuls, et enfin de consuls. Ces juges étaient renouvelés de trois ans en trois ans. A l'expiration du mandat, le premier juge-consul sortant soumettait aux marchands une liste de trois candidats, agréés par l'Intendant, sur laquelle, à la pluralité des voix, ils élisaient un nouveau Maître. La cérémonie avait lieu le lendemain de la Saint-Michel, à la Collégiale Saint-Georges, siège de la Confrérie des marchands et devant le Chapitre assemblé. Une fois élu, le premier juge choisissait ses quatre assesseurs. Tous cinq, après avoir reçu l'approbation de l'administration, prêtaient serment par devant la Cour souveraine. Les fonctions de ces juges étaient gratuites. Le Corps consulaire était complété par un greffier et quatre huissiers.
Les attributions des Consuls peuvent se ramener à quatre. Tout d'abord, et c'était là leur principale fonction, ils exerçaient le pouvoir judiciaire. Ils vérifiaient les poids et mesures ; ils entretenaient une haute surveillance sur les divers Corps de marchands de la Province ; ils délivraient les lettres de han (104) exigées pour être reçu dans la corporation.
1° - Pouvoir judiciaire. - La juridiction du Tribunal consulaire s'étendait dans tout le ressort de la Cour souveraine. Les Juges-consuls connaissaient de toutes les difficultés, nées et à naître, entre marchands, ou entre particuliers et marchands ; mais pour faits de commerce seulement. C'est ainsi que tout particulier pouvait actionner un marchand par devant eux, pour billets de commerce, lettres de change, etc. Les juges ordinaires étaient tenus de leur renvoyer ces affaires. Ils intervenaient dans les banqueroutes et les faillites, les bilans étant déposés à leur greffe. Ils s'occupaient des atermoiements, même si des particuliers y avaient intérêt, à condition que ces derniers ne fussent point créanciers hypothécaires ; et ils en décidaient « par expédients et tempéraments équitables ». Ils connaissaient des gages, salaires, pensions des commissionnaires, facteurs au service des marchands, pour le fait de trafic seulement ; du commerce fait pendant les foires ; de l'exécution des lettres patentes lorsqu'elles étaient incidentes aux affaires de leur compétence, et pourvu qu'il ne s'agît point de l'état et qualité des personnes. Les gens d'église, gentilshommes, bourgeois, laboureurs et vignerons pouvaient faire assigner devant les Jugesconsuls pour ventes de blés, vins ou bestiaux provenant de leur cru, ou par devant les juges ordinaires, si ces ventes avaient été faites à des gens faisant profession de revendre.
La justice était sommaire et gratuite. Le greffier consulaire devait tenir bon et fidèle registre de la procédure et des jugements ; il délivrait aux parties les jugements interlocutoires sur papier timbré et les sentences définitives sur parchemin ; il percevait les mêmes droits que les greffiers bailliagers. Les ordonnances et jugements rendus par les Juges-consuls pouvaient être mis à exécution, dans toute l'étendue du pays, par le ministère du premier huissier requis, sans que cet officier fût tenu de prendre visa ni pareatis. Les Juges-consuls pouvaient connaître en dernier ressort jusqu'à 500 livres ; au-dessus, l'appel était porté à la Cour souveraine (105).
2° - Vérification des poids et mesures (106). - L'opération que l'on appelait « vérification des aulnes, poids, balances et mesures », commençait - sans parler des descentes extraordinaires - par les visites que périodiquement les Juges-consuls faisaient, selon la formule consacrée, chez « les marchands tenans boutique ou magasin, chandeliers, beurriers, fromagiers, charcutiers, revendeurs, vendeurs de cerises et autres, trouvés vendans et débitans dans lesdits magasins, manufactures, boutiques, étops (échoppes) et autres lieux accoutumés ». Les instruments douteux étaient saisis; plus tard, en Chambre consulaire et en présence des propriétaires, dûment appelés, on procédait à leur examen. Les Juges prononçaient alors les amendes et confiscations, s'il y avait lieu. Pour les irrégularités de peu d'importance, résultant de l'usure des poids et mesures, le Tribunal se contentait d'infliger une très faible amende, généralement quelques gros, et de faire ajuster les appareils aux frais des commerçants négligents.
Les Consuls effectuaient eux-mêmes ces visites à Nancy et dans la banlieue ; mais, pour le reste de la Province, ils étaient suppléés dans cette tâche par un nombre variable de préposés, qu'ils choisissaient et établissaient dans les principaux centres commerçants, et qui recevaient le nom de lieutenants des marchands. C'est ainsi que, sans sortir de la Lorraine centrale, nous trouvons de ces représentants de la Chambre consulaire à Pont-à-Mousson, à Lunéville, à Châtel, à Saint-Dié, à Bruyères, à Mirecourt, etc.
L'édit de création des lieutenants n'avait été enregistré par la Cour souveraine qu'à la condition que le droit de vérification dont ils jouiraient, n'exclurait point celui des officiers locaux, qui devaient continuer de punir les contraventions (107). Cette réserve semble avoir considérablement influé sur l'autorité des lieutenants en la matière. Pour opérer les visites, le lieutenant doit au préalable se faire assister de deux adjoints, d'un greffier et d'un doyen. Mais, malgré la forme imposante dont il entoure ses opérations, il lui est rarement fait, dans les boutiques, un accueil convenable. On lui dénie un droit que l'on reconnaît, au contraire, aux officiers de police. Les rapports adressés par les lieutenants aux Juges-consuls nous ont montré combien fréquemment ils étaient empêchés de poursuivre leurs visites. On leur refuse l'examen des balances ; on leur arrache les poids des mains ; heureux, encore, quand ils ne sont point injuriés grossièrement ou maltraités. Les lieutenants n'avaient, d'ailleurs, aucune sentence à rendre à la suite de leurs constatations. Ils se contentaient d'établir les procès-verbaux de leurs tournées, d'envoyer ces pièces au greffe de la Justice consulaire, et c'est le Tribunal qui statuait.
3° - Surveillance sur les Corps de marchands de la Province. - Les historiens lorrains n'ont guère vu jusqu'ici dans les lieutenants des marchands que de simples vérificateurs des poids et mesures. C'est, il est vrai, la seule attribution que mentionne l'édit autorisant les Juges-consuls à se les adjoindre. Toutefois ce rôle est loin d'être le principal.
Voici où les attributions des lieutenants deviennent bien autrement importantes. C'est grâce à eux que les Juges-consuls, chefs de droit du Corps des marchands de Nancy, auquel ils appartenaient, pouvaient exercer une surveillance très sérieuse sur les autres Corps similaires du pays, et y entretenir leur influence.
Le premier juge-consul est en communication suivie avec chaque lieutenant, par l'intermédiaire d'un agent subalterne ou sergent. Une fois désigné par les Juges-consuls, le lieutenant doit s'assurer le concours d'adjoints, en nombre plus ou moins grand, suivant l'importance du Corps. Puis, de concert avec eux, il nomme plusieurs marchands, représentant, autant que possible, les différentes branches du commerce, pour être notables durant son propre exercice, après qu'ils auront prêté devant lui serment de bien et fidèlement soutenir les intérêts de la Corporation et ceux de la Juridiction consulaire. Ce sont ces notables qui, sous la direction du lieutenant et des adjoints, sont seuls aptes à délibérer pour le bien et l'utilité du Corps, et à faire, en son nom, tous prêts et emprunts nécessaires.
Il n'existait point, avant ou après 1737, de règlements fixes en matière commerciale. A maintes reprises, nous voyons la Chambre consulaire exprimer, dans ses délibérations, le vœu « qu'il plût à Sa Majesté de donner des règles certaines pour le commerce de ses Etats ». De même les statuts particuliers des divers Corps de marchands ou merciers de Lorraine étaient, pour la plupart, incomplets et défectueux. Parfois même ils faisaient complètement défaut, ce qui donnait lieu à des interprétations multiples et occasionnait de violents démêlés. Il appartenait alors aux Juges-consuls d'intervenir. Dans les cas graves, ils mandaient par devant eux le roi élu de la Confrérie pour leur rendre compte des faits. Souvent des conflits se produisaient entre le lieutenant lui-même, les adjoints et les notables. Ces difficultés étaient pareillement tranchées par le Tribunal.
A titre officieux, les Juges-consuls rédigeaient aussi, quand besoin en était, des règlements pour les confréries religieuses, arrêtant alors dans les moindres détails la question des messes, des adorations, du luminaire, et fixant le taux des amendes. C'est ce qu'ils firent, entre autres, en octobre 1737, pour tous les marchands de Lunéville. Si leurs propositions officieuses sont approuvées, ils homologuent le règlement, en tant que magistrats, et le font enregistrer au greffe. Ces statuts sont dès lors des lois, exécutoires sous les peines portées, et que devront appliquer les marchands jurés, sauf opposition devant les Consuls eux-mêmes.
A sa sortie de charge, le lieutenant rendait compte au Corps, en présence de son successeur, des adjoints et des notables, de toutes ses recettes et dépenses, de la part qui revenait à la maîtrise dans les amendes ou les droits de réception. L'autre partie du montant des lettres de han avait été adressée, par ses soins, à la Chambre consulaire ; c'est à elle, en effet, qu'était réservé le pouvoir de les délivrer.
4° - Délivrance des lettres de han. - Pour être or reçu et hanté marchand », on devait comparaître devant les Juges-consuls ou leurs lieutenants, et leur être présenté par un marchand qui certifiait que le candidat était de la religion catholique, apostolique et romaine, de bonne vie et mœurs, en un mot « sans reproche ». L'aspirant marchand remettait son brevet, justifiant de trois années d'apprentissage. Puis il jurait d'observer dans sa profession les règles de la bonne foi et les statuts du Corps dans lequel il allait entrer ; de payer les droits de réception, d'acquitter exactement les redevances annuelles, de « ne tenir qu'une seule et même boutique, de n'envoyer aucun colporteur vendre et débiter ses marchandises par la ville, aux halles et places publiques », de ne se pourvoir « pour faits de son commerce, injures et débats », ailleurs qu'auprès des Juges-consuls, à peine de privation du bénéfice des lettres de han. Alors il était « hanté, reçu et agréé marchand du duché de Lorraine », et, en cette qualité, il lui était permis de tenir boutique ouverte et de faire tel négoce de marchandises licites quebon lui semblerait.
Très fière de ses privilèges, qu'elle conserva intégralement sous l'administration française et
dont la Cour souveraine semble avoir pris souvent et un peu puérilement ombrage (108), la Juridiction consulaire n'eut point, tout d'abord, à intervenir dans les luttes successives que les anciens Corps constitués de la Province engagèrent contre l'administration de Louis XV. A la suppression du Chapitre de Saint-Georges, en 1742, les élections des Consuls se firent devant celui de la Primatiale, héritier des prérogatives du premier. Puis, quittant sa salle d'audience de l'Hôtel de ville, la Chambre s'installa, en 1753, dans un palais somptueux, sur la Carrière, en cet Hôtel de la Bourse où siège encore aujourd'hui le Tribunal de commerce, qui en est le continuateur.
Plus fortement établie que jamais, cette Justice voit dès lors son prestige comme rehaussé. A sa tête et dans son sein, se trouvent des hommes connus et vraiment supérieurs, grands industriels, riches entrepositaires et banquiers : les Coster, les Villiez, les Bloucatte, pour n'en nommer que quelques uns. Claude Coster le jeune, par une exception flatteuse, exerce même l'office de premier juge pendant six années consécutives (109). Aussi, lorsqu'en 1761 la question du Reculement des Barrières soulève l'opinion et que les Consuls entrent en scène, le Contrôleur général et l'Intendant ne peuvent méconnaître avec quels puissants adversaires ils ont, soudain, à se mesurer, et le ministère voit, non sans humeur, combien le mot d'ordre donné par le Tribunal des marchands est, sinon généralement approuvé, tout au moins fidèlement observé par tous les négociants lorrains.

PIERRE BOYÉ.

(1) V. Le Budget de la province de Lorraine et Barrois sous le règne nominal de Stanislas (1737-1766)). Nancy, 1896, in-8. Quatrième partie, chapitre VI ; les traites ; la Foraine.
(2) Arrêt du Conseil royal des finances et commerce qui ordonne la perception des droits des Fermes dans la baronnie de Fénétrange et les parties de la principauté de Salm réunies par échange. Du 31 mars 1753. (Recueil des ordonnances de Lorraine, IX, 48.)
Pour tout ce qui suit : Archives de Meurthe-et-Moselle, passim et plus particulièrement la série C. - Archives du Tribunal de commerce de Nancy, passim. - Manuscrits n° 30 et (Fonds Montbret) de la Bibliothèque publique de Rouen - Etc.
(3) Par cru, on entendait les fruits d'héritages situés sous la domination dont relevait le propriétaire; par concru, les fruits d'héritages possédés sous une domination étrangère,
(4) Ajoutons que, si les habitants du Pays Messin communiquaient directement avec l'Alsace par la route de Phalsbourg, il fallait toutefois qu'ils passent par Sarrebourg. Or Sarrebourg était un ancien démembrement de la Lorraine. Depuis la cession de cette ville à la France, la Foraine continuait d'y, être exigée. On l'y percevait au profit de l'engagiste de ce domaine.
(5) Arrêts du Conseil d'Etat des 21 août et 30 octobre 1759, fixant les droits d'entrée dans le Royaume sur les bouteilles et ouvrages provenant des verreries de Lorraine et des autres provinces, soit étrangères, soit réputées telles.
(6) Commerce de la Lorraine en 1758 (Manuscrit n° 129 de la Bibliothèque de Rouen, j. cit.).- Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 311.
(7) La Foraine rapportait, alors, annuellement, 135,000 1. Les frais de régie atteignant 55,000 1., le bénéfice net des Fermiers n'était plus que de 80.000 1.
(8) A cette époque, il se consommait, année commune, en Lorraine : 9,748 muids de sol, du poids de 650 livres. Le prix de la livre de sel eût été augmenté de 8 deniers.
(9) Ibid. - Mémoire tendant et la suppression des péages de Lorraine connus sous le nom de haut-conduit, foraine, etc., envoyé le 23 septembre 1745 par M. Helvétius, fermier général. (Archives de Meurthe-et-Moselle, loc. cit.)
(10) C'est à propos de ce projet que Durival déclare qu'Helvétius « voyait tout en homme de génie » et qu'il tient il la Lorraine autant « par le bien qu'il voulait y faire » que par son mariage avec Mlle de. Ligniville. - Cf. Description de la Lorraine et du Barrois, I, 189.
(11) Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 311.
(12) Fils d'un grand marchand-banquier, dont nous aurons l'occasion de parler plus loin, Joseph-François Coster était né à Nancy en 1729. Sans négliger d'abord les affaires de son père, il avait cultivé les lettres avec quelque bonheur et publié le discours qui lui avait fait obtenir, en 1759, le prix de l'Académie de Nancy : La Lorraine commerçante (Nancy, 1760, in-8°). Voici comment, dans son nouveau travail, Coster apprécie ce premier essai : « Nous n'avons vu jusqu'ici qu'un ouvrage sur le commerce; encore est-il peut-être plus littéraire qu'utile, son auteur paraissant avoir voulu ménager la délicatesse de la nation, même en frondant ses préjuges. » On a encore de lui dans le même ordre d'idées : Memoire sur différens moyens de donner la plus grande activité au commerce et aux manufactures des villes de Nancy, Metz et de leurs alentours. Nancy, 1791, in-8°.
Protégé du prince de Beauvau, successivement secrétaire des Etats du Languedoc, premier commis du Contrôle des finances, professeur d'histoire A Nancy (1796), proviseur du collège royal de Lyon (1804), Coster mourut en 1813.
Pour plus de détails sur la vie de J.-F. Coster, voir Blau, Eloge de M. Coster. Nancy, 1838, br. in-8°.
(13) Mémoire des Juges-consuls de Lorraine et de Bar, et du Corps des marchands de Nancy, présenté le 15 janvier 1762, à Monseigneur l'Intendant de la Province, sur les raisons qui doivent affranchir le commerce des Duchés de Lorraine et de Bar, du Tarif général projetté (sic) pour le Royaume de France. Nancy, s. n., 1762, in-12 de 52 p. - Le texte est suivi des signatures, avec l'observation qu'il ne manque que celles de quelques négociants, absents de Nancy lors de la rédaction du Mémoire.
(14) S. L, n. n., 1762, in-8°. Le manuscrit était primitivement intitulé : Lettres sur le projet d'établir un tarif sur la frontière qui sépare la Lorraine de l'étranger, en supprimant la Foraine. (Archives de Meurthe-et-Moselle, loc. cit.)
(15) Archives de Meurthe-et-Moselle, loc. cit.
(16) Ibid.
(17) L'auteur de ce travail était le sieur Nicolas Lebel, directeur d'une importante manufacture de bonneterie de Nancy. A la date du 4 mars 1762, Durival consigne dans son Journal : « Le Bel a fait une très bonne réfutation des Lettres de Coster, qui lui a dit d'y prendre garde, que c'était l'ouvrage de la Cour souveraine ».
(18) V., par contre : Réponse de M. G... R... E... à M. H... L... N..., sur le projet d'un nouveau tarif. Nancy, Thomas, 1762, 4 p. in-8°.
(19) On a également de cet auteur: Mémoire sur l'intérêt de la Lorraine et des Evêchés à, l'adoption du plan d'uniformité pour la suppression des droits de traites. - Cf. Réfutation d'un mémoire répandu en Lorraine, et attribué à M. de Cormeré, sur les avantages qui selon lui résulteraient pour la Lorraine et les Evêchés, du projet de les comprendre dans le Reculement des Barrières. S. 1., n. n., n. d., in-8° de 36 p.
(20) Lettres de Monsieur D... à Monsieur M..., sur le commerce de la Lorraine et sur le projet d'un nouveau tarif. Amsterdam, s. n., 1762, in-8° de 104 p.
(21) Lettres de M. D..., à M. M..., sur le commerce, etc. Nancy, Thomas, 1763, in-8° de 99 p.
(22) Mémoire des fabriquant de Lorraine et de Bar, présenté a Monseigneur l'Intendant de la province, concernant le projet d'un nouveau tarif et servant de réponse à un ouvrage intitulé : « Lettres d'un citoyen à un magistrat ». Nancy, s. n., 1762, in-8° de 75 p.
(23) Abbé Morellet, Mémoires sur le XVIIIe siècle et sur la Révolution ; édit. de 1821, I, ch. VJI.
(24) Réflexions sur les avantages de la libre fabrication et de l'usage des toiles peintes en France, 1758.
(25) Lettre du 16 mai 1762 (Archives de Meurthe-et-Moselle. loc. cit.).
(26) Lettre du 19 août 1762 (Ibid.).
(27) Réponse d'un citoyen à un citoyen. Nancy, Thomas, 1762 ; in-So de 132 p. - Barbier (Dictionnaire des anonymes) donne, il tort, la date de 1761, et comme nom d'auteur celui de Busson. - Le manuscrit original, communiqué par Bresson à l'Intendant, avait pour titre: Réponse aux « Lettres d'un citoyen à un magistrat » ; pour la défense du projet de la liberté du commerce français dans les duchés de Lorraine et de Bar.
(28) Vers le 2 novembre.
(29) (De Montaran), Mémoire sur les tarifs des droits de traites en général, et en particulier sur le nouveau projet de tarif unique et uniforme. Paris, 1762, in-8°.
(30) Mémoires sur le XVIIIe siècle et sur la Révolution, loc. cit.
(31) Voyez entre autres : Mémoire du commerce de la Lorraine. S. 1., n. n., n. d. (1778), in-8°. - Mémoire pour la ville de Nancy, sur le dommage immense qui lui résulteroit du. Reculement des Barrières. S. 1., n. n., n. d. (1786), in-8°. - (Prugnon), Aperçu des motifs qui s'opposent à ce que les duchés de Lorraine et de Bar soient compris dans le projet de Reculement des Barrières. S. 1., n. n., n. d. (1786), in-8°. - Réflexions d'un solitaire sur le projet de priver la province de Lorraine de la liberté de commerce avec l'étranger pour l'assimiler aux provinces de France dites des « Cinq grosses Fermes ». S. l, n. n., n. d. (1786), in-8°. - Etc.
(32) Coster occupa cet emploi, non moins lucratif qu'honorable, de 1770 à la Révolution.
(33) Cf. Roedcrcr, Questions proposées par la Commission intermédiaire de l'Assemblée provinciale de Lorraine, concernant le Reculement des Barrières, et observations pour servir de réponse à ces questions. S. 1., n. n., 1787, in-8°. - Id., Réflexions sur le rapport fait à l'Assemblée provinciale de Metz, au sujet du Reculement des Barrières au-delà des provinces dites étrangères. S. 1., n. n., 1788. - (D'Auvergne, directeur des Fermes à Nancy), les intérêts de la Lorraine défendus contre ses marchands. S. 1., (Nancy), n. n., 1787, in-8°. - les intérêts de la Lorraine confondus avec ceux des négociants lorrains qui ne sont point les MARCHANDS DE LEUR PATRIE ; réponse à un libelle intitulé: « Les intérêts de la Lorraine défendus contre ses marchands ». S. I., n. n., 1787, in-8°. - Etc.
(34) Manuscrit n° 129 de la Bibliothèque de Rouen, j. cit.
(35) Pour ce tableau et les suivants, cf. Archives du Tribunal de commerce de Nancy, passim. - Archives nationales, K. 1184. - Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 311. - Ms. n° 129 de la Bibliothèque de Rouen, j. cit.
(36) Dans son Mémoire sur le Duché de Lorraine, composé vers 1732 (Ms. n° 133 de la Bibliothèque de Nancy), d’Audiflret prétendait que le commerce lorrain d'exportation pouvait s'évaluer à un peu plus de 8 millions, et que l’importation atteignait également, année courante, cette même somme. La vente des sels est naturellement comprise dans ces chiffres.
(37) Manuscrit n° 484 de 1,1 Bibliothèque de Nancy.
(38) Arch. du Trib. de comm. de Nancy, passim. - Mem. servant d'éclaircissemens et de supplément aux remontrances de la, Cour souver. du 27 juin 1758; 3 août 1758.
(39) Ibid.
(40) Cf. Recueil des fondations et établissemens faits par le roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar. Lunéville, 1762, in-fol.; pp. 102 et sq.
(41) Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 311.
(42) Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 307.
(43) Mémoire des fabriquants de Lorraine et de Bar... j. cit.
(44) Lettres d'un citoyen à un magistrat... j. cit.
(45) C’était la matière à des doléances incessantes de la part des habitants de la Généralité de Metz.
(46) J.-B. Villiez, originaire de Savoie, s'était établi à Nancy vers 1716. Il y avait épousé Elisabeth Coster, fille d'un marchand déjà fort connu, son compatriote. Il s'était associé ses deux beaux-frères, Coster aîné et Claude Coster. En 1733, il fonda avec eux la manufacture de fer-blanc de Bains. Il mourut en 1789, âgé de 99 ans. Deux de ses fils prirent une part active aux affaires de son importante maison : Laurent, et surtout son frère aîné, Jean-François (1722-1774), qui devait remplir successivement les fonctions de lieutenant, de juge-consul (1763-1766) et, enfin, de premier juge-consul. J.-F. Villiez était aussi un naturaliste des plus distingués.
Quant il Coster aîné, il eut, comme son frère Claude et comme J.F. Villiez, une nombreuse postérité. Parmi ses descendants, il faut retenir les noms de Joseph-François Coster, l'auteur des Lettres d'un citoyen; de Jean-Louis Coster, célèbre jésuite ; et de Sigisbert-Etienne Coster, théologien et prédicateur remarquable, plus tard député à l'Assemblée nationale qui, en 1790, 1e choisira pour l'un de ses secrétaires.
Sur les Villiez, v. J. Renauld, Le commerce lorrain an XVIIIe siècle. I, J.-B. Villiez ; II, J.-F. Villiez. Nancy (1877), br. in 8° de 18 p.
(47) Description de la Lorraine et du Barrois, I, 304 et IV, 50.
(48) J. Renauld, op. cit.
(49) Ces faits sont attestés par Coster lui-même, dans les Lettres d'un citoyen.
(50) Abbé Morellet, Mémoires sur le XVIIIe siècle et sur la Révolution, I, ch. II.
(51) Lettre d'un citoyen à un magistrat, p. 167.
(52) Manuscrit n° 129 de la Bibliothèque de Rouen, j. cit.
(53) Dupin proposait encore que l'on tirât des Indes, de Chypre, etc., la matière brute des toiles de coton ; ces toiles eussent été fabriquées en France et en Lorraine, et eussent été peintes à la façon de celles des Indes.
(54) Réflexion sur les avantages de la libre fabrication et de l'usage des toiles peintes en France.
(55) Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 311 ; etc.
(56) La Caphouse, Kaphouse ou Kauffouse de Nancy (de l'allemand Kauf-Haus), était à la fois le bureau de la douane et un magasin d'entrepôt et de consignation pour les marchandises.
(57) Lettres d'un citoyen à un magistrat, j. cit., p. 223. - Cf. Mémoire pour les Juges-consuls et Corps des marchands de Nancy, contre le fermier de la Caphouse de la même ville. Nancy, 1760, 30 p. in-fol.
(58) Très-humbles et très-respectueuses remontrances que présentent au Roy… les gens tenans sa Chambre des Comptes de Lorraine. 21 janvier 1761.
(59) Ibid.
(60) Cf. Manuscrit n° 79 de la Bibliothèque de la Société d'archéologie lorraine. - Coster, op. cit. - Durival, op. cit. I, 235, etc.
(61) Lettre du 19 août 1767 (Archives de Meurthe-et-Moselle, loc. cit.).
(62) Recueil des édits, ordonnances, déclarations et arrêts dit règne de Léopold Ier... concernant les monnayes. Nancy, 1734.
(63) Archives nationales, K. 1184 et 1192.
(64) Archives nationales, loc. cit.
(65) V. ms, n° 129 de la Bibliothèque de Rouen, j. cit.
(66) Ibid. - Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 311.
(67) Archives nationales, K. 1192.
(68) Soit, en valeur actuelle, 0 fr. 80 de 1737 à 1785. Cf. De Riocour, Les Monnaies lorraines (Mémoires de la Société d'archéologie lorraine, années 1884 et 1885). - Macé de Richebourg, Essai sur la qualité des monnaies étrangères et sur leurs différents rapports avec les monnaies de France. Paris, 1764, in-fol.
(69) Ces pièces, vulgairement appelles massons, et composées mi-partie d'argent, mi-partie de cuivre, avaient été fabriquées en 1723. Elles devaient leur nom au sieur Masson, préposé par les frères Paris pour surveiller des opérations de banque en Lorraine.
(70) Cf. Durival, Mémoire sur la Lorraine et le Barrois, p. 10. - En 1778, le même auteur écrira : « De tant de pièces fabriquées en Lorraine, il n'y en a plus que le peu que les curieux en conservent dans leurs cabinets, avec des pièces de deux sous, presque effacées. » (Description de la Lorraine et du Barrois, I, 328).
(71) Arrêt du Conseil d'Etat, du 21 juillet 1768. (Recueil des ordonnances de Lorraine, XI, 389.)
(72) Durival, Mémoire sur la Lorraine et le Barrois, loc. cit.
(73) Voyage de Dijon à Nancy. (Manuscrit n° 783 de la Bibliothèque de Nancy.)
(74) Il ne faut pas confondre ce franc avec la livre tournois, encore désignée en France, dans le langage Ordinaire, sous cette dénomination. Toutes les fois que dans cette étude nous emploierons le mot franc, il s'agira du franc barrois.
(75) C'était la base du rapport pris en 1700, lors de la conversion de l'ancienne unité monétaire nationale,
(76) Pour convertir, au contraire, l'argent de Lorraine en francs barrois, on double la somme, puis on ajoute le tiers.
(77) Briey, Réductions complettes de l'argent de Lorraine en argent de France ; et celles de l'argent de France en argent de Lorraine ; des frans, deniers et gros barrois en argent de Lorraine, etc. Nancy, Thomas, s. d. (1768), 2 vol.in-12 de 190 et 108 p. - Cf. Tarif de la réduction des monnoyes de France et de Lorraine. Nancy, Chariot, 1764, in-32 de 50 p. - Tarif de la réduction des monnoyes de France et de Lorraine. Nancy, Midon, s. d., pet. in-8° de 33 p.
(78) Helvétius, Mémoire tendant à la suppression des péages en Lorraine, j. cit.
(79) Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, VIII, 333.
(80) Très humbles et très respectueuses remontrances que présentent au Roy… les gens tenans sa Chambre des Comptes de Lorraine, Cour des aides et des monnoyes. Du 21 janvier 1761.
(81) Traité de la monnoye de Metz. Avec un tarif de sa réduction en monnaye de France. Paris, 1675, in-12 de 165 p.
(82) Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, X, 13.
(83) Ibid., XI, 389.
(84) lbid., XIII, 511.
(85) Cf. Durival, Descript. de la Lorr. et du Barr., 1,353.
(86) Arch. nation., loc. cit. - Arch. de M.-et-M., ibid.
(87) Arrêt de la Chambre des Comptes, Cour des monnoyes, contre ceux qui introduisent de petites pièces de cuivre en forme de liards. Du 2 mars 1761 (Recueil des ordonnances de Lorraine, X, 118).
(88) Ibid., et VIII, 154.
(89) Cet Hôtel de la Monnaie avait été construit, de 1721 à 1725, par Léopold. Affecté aujourd'hui aux Archives départementales, il est encore désigné sous son nom primitif. Pour plus de détails sur l'histoire et les transformations de ce bâtiment, voir H. Lepage, L'Hôtel de la Monnaie à Nancy. (Mémoires de la Société d'archéologie lorraine, année 1887.)
(90) Sur Ferdinand de Saint-Urbain, voyez : Lepage et Beaupré, Ferdinand de Saint-Urbain ; avec un catalogue descriptif de l'œuvre de cet artiste. Nancy, 1867, in-8° ; et les curieux détails donnés par M. Baumont (Etudes sur le règne de Léopold, pp. 546 et sq.).
(91) Cet Hôtel servit aussi de logement à divers autres officiers. L'ingénieur en chef des ponts et chaussées, Baligand, y obtint un appartement considérable, que sa veuve occupait encore en 1770.
(92) Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 250. - Etc.
(93) Archives nationales, K. 1192.
(94) Cf. Baumont, loc. cit.
(95) La toise de Lorraine valait alors 2m859, et l'aune de Lorraine 0m639. - Pour tout ce qui suit cf. Archives île Meurthe-et-Moselle, passim. - Durival, Mémoire sur la Lorraine et le Barrois, j. cit. - Id., Description de la Lorraine et dit Barrois, j. cit. - De Riocour, op. cit. - Réduction des mesures à grain des duchez de Lorraine et de Bar, et autres lieux voisins, à mesure de Nancy._ S. 1., n. n., n. d., petit in-8°. - MoreI, Tarif de réduction des mesures anciennes en nouvelles et des nouvelles en anciennes, employées dans le département de la Meurthe. Lunéville, 1830, in-4°. - Bédel, Table de comparaison entre les mesures anciennes en usage dans le département des Vosges et celles qui les remplacent, etc. Epinal, an X, in-8°. - Guibal, Système métrique et comparaison des mesures locales des quatre départements de la Meurthe, de la Meuse, de la Moselle et des Vosges. Nancy, 1837, in-12. - Etc.
(96) Cf. Dictionnaire historique des ordonnances et des tribunaux de lorraine et Barrois, II, 48-70.
(97) Recueil des ordonnances de Lorraine, XI, 53.
(98) Juin 1707. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 432.)
(99) On sait que, par un décret du 12 février 1812, l'emploi de ces mesures dut être de nouveau autorisé, tant était grande la résistance des populations, fidèles à leurs anciens usages. Ces mesures furent toutefois légèrement modifiées, de façon a présenter un rapport simple avec les mesures métriques. Ce fut seulement la loi du 4 juillet 1837 qui prescrivit une seconde fois l'emploi obligatoire du système métrique. - Instruction sur les nouvelles mesures, publiée par ordre du ministre de l'intérieur, en exécution de l'arrêté des consuls du 15 Brumaire an II. Nancy, an IX, in-8°. - Arrêté du préfet du département de la Meurthe, relatif à l'exécution du décret impérial du 12 février 1812, concernant les mesures usuelles ; du 27 décembre 1812. Nancy, s. d., in-8°.
(100) Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 250.
(101) Sur son histoire, consulter H. Lepage, La Juridiction consulaire de Lorraine et Barrois et la Confrérie des marchands de Nancy (Mém. de la Société d'arch. lorr., année 1868).
(102) Edit concernant la Juridiction consulaire (Recueil des ordonnances de Lorraine, II, pp. 80 et sq.).
(103) En 1724, il est encore désigné sous le nom de roi des marchands ; et en 1739, pour la dernière fois, nous le voyons de nouveau décoré du titre de roi.
(104) Han est un mot d'origine allemande, qui a le sens de troupe, compagnie. C'est le terme très spécial sous lequel on distinguait en Lorraine ce que nous appelons aujourd'hui des corporations. Cf. Pfister, Histoire de Nancy, ch. VIII, pp. 127 et sq.
(105) Cf. Manuscrit n° 735 de la Bibliothèque de Nancy. - Moucherel, Traité élémentaire et pratique sur l'administration de la justice consulaire de lorraine et Barrois. Nancy, 1788, in-8°.
(106) Tous les détails qui suivent proviennent de nos recherches dans les Archives du Tribunal de commerce de Nancy.
(107) Recueil des ordonnances de Lorraine, loc. cit. - La Cour n'enregistra l'édit que le 2 avril 1716.
(108) Cf. Ordonnances, statuts, privilèges et règlemens accordez par les ducs de Lorraine aux marchands Juges-consuls dudit Duché. Nancy, 1743, petit in-8° de 100 p.
(109) A partir de 1751. Tous ces noms sont gravés sur une lame de cuivre, conservée, encore aujourd'hui, au Tribunal de commerce de Nancy.

 

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