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On sait que le blâmontais Emile Taron est décédé en relégation
(matricule 42), sur les Îles du Salut (Guyane française) le 4
janvier 1892 à l’âge de 32 ans.
L’acte de décès a été transcrit sur les registres d’état civil
de Nancy (juin 1892) et publié dans la presse :
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L'Espérance : courrier de Nancy
25 juin 1892
ETAT CIVIL DE NANCY
[...] Transcriptions. - Emile Taron, 32 ans, forgeron, décédé le
4 janvier 1892 aux Iles du Salut (Guyane française) |
Emile Taron est né le 18 octobre 1859 à
Blâmont (Meurthe), fils de Jean Baptiste Taron, journalier, et
Anne Marie Trente. Forgeron de profession, il va s’installer à
Nancy, et s’y livre à un certains nombre de méfaits,
Il semble qu’il soit déjà impliqué dans une rixe à l’âge de 21
ans.
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L'Espérance : courrier de Nancy
23 mars 1881
Une rixe a eu lieu, lundi soir, vers 10 h.
1/2, rue des Artisans, à la suite de quelques paroles
insignifiantes échangées entre un nommé Taron Emile, âgé de 21
ans, sans profession ni domicile, et trois individus, jusqu’à
présent inconnus, qui se trouvaient avec lui à l’auberge Sontag.
Ils sont tous sortis dans la rue pour se battre et presque,
aussitôt après Taron a été trouvé étendu sur la voie publique
ayant le corps percé de deux coups de couteau dont un sous le
sein gauche a fait une blessure large et peu profonde, et
l’autre une blessure plus petite en apparence, mais qui pourrait
être bien plus grave au bas-ventre. Le blessé ne parlait pas,
étant complètement ivre. M. le docteur Weiss, appelé sur le
champ, lui a donné les premiers soins, et l’a fait transporter à
l’hôpital Saint-Léon. Les trois inconnus avaient pris la fuite
après avoir porté les coups à Taron, et on ne connaît encore que
vaguement leurs traces. Mardi
matin le malade allait mieux.
On le retrouve encore 4 ans plus tard :
Le Progrès de l’Est - 10 octobre 1885
Le tribunal correctionnel de Nancy, dans son audience du 9
octobre, a prononcé lés condamnations suivantes : […]
Emile Taron, vingt-cinq ans, à Nancy, rébellion, outrages,
ivresse, 5 condamnations, 2 mois de prison, 5 fr. d’amende. |
Mais sans connaître le détail de ses
multiples condamnations (on ignore d’ailleurs pourquoi il est
amputé de quatre doigts de la main droite), on le retrouve une
fois encore condamné le 28 août 1886 par la cour d’appel de
Nancy à 6 mois de prison pour vol et à la relégation.
En effet, dès fin 1885, les tribunaux font usage de la loi sur
les récidivistes du 27 mai 1885 (voir ci-dessous), avec des
condamnations à la relégation pour des faits postérieurs à la
promulgation de la loi. Cette relégation collective est prévue
dans les territoires de la colonie de Guyane, et si besoin, de
la Nouvelle-Calédonie et ses dépendances. Mais le ministre de la
Marine rapporte alors que l’état sanitaire de la Guyane,
éprouvée par la fièvre jaune depuis septembre 1885, ne permet
pas de recevoir les récidivistes ; un décret du 20 aout 1886
désigne comme première destination du premier convoi de
récidivistes condamnés à la relégation l’Ile des Pins
(dépendance de la Nouvelle-Calédonie), où, depuis juillet 1886,
le sous-secrétaire d’Etat aux colonies, M. de la Porte s’efforce
d’effectuer les constructions nécessaires. A cet effet le
paquebot Ville-de-Saint-Nazaire est aménagé, mais le mauvais
temps retarde son départ du 31 octobre au 17 novembre 1886, avec
339 condamnés à la relégation internés jusqu’alors à
Saint-Martin-de-Ré et 32 femmes détenues à la prison de
Rochefort.
Si l’on considère les exigences de l’article 4 de la loi, Emile
Taron a donc été condamné à la relégation après de multiples
autres condamnations pour délit. Ainsi, à l’issue de sa dernière
peine de prison en mars 1887, le camps de Guyane ayant été
établi pour les relégués à Saint-Jean-du-Maroni, le récidiviste
Emile Taron est embarqué le 31 mai 1887 sur la
Ville-de-Saint-Nazaire à destination de la Guyane française, où
il arrive le 22 juin 1887. C’est le premier convoi de relégués à
destination de la Guyane (d’où le matricule n° 42 d’Emile Taron),
et rien n’est véritablement prêt pour les accueillir : aucune
literie, des bâtiments sommaires, et dans ces paillottes
construites en urgences, 25 relégués décèdent dans les 6
premiers mois (et un tiers entre 1887 et 1891)
Le dossier d’Emile Taron mentionne dès le 19 août 1887, 8 nuits
en prison pour inconvenances envers le chef de dépôt, puis le 21
novembre 1887, 8 jours de privation de cantine pour ne pas
s’être présenté à la visite, 15 jours de cellule en décembre
1887 pour violence et menaces, 8 nuits en prison le 21 juillet
1888 pour réponses grossières.
Emile Taron s’évade le 6 octobre 1888, mais après un an et demi
de fuite, il est repris le 6 avril 1890.
En septembre 1890, on le retrouve condamné à 15 jours de cellule
pour rixe, 8 nuits en prison pour infraction aux règlements, et
il ne quittera désormais plus le bagne jusqu’à son décès le 4
janvier 1892.
La loi sur la relégation sera finalement abolie par l’article 33
de la loi du 17 juillet 1970
JO du 28 mai 1885
Paris, 27 mai 1885.
Loi sur les récidivistes
Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur
suit :
Art. 1er. - La relégation consistera dans l’internement
perpétuel sur le territoire des colonies ou possessions
françaises des condamnés que la présente loi a pour objet
d’éloigner de France.
Seront déterminés, par décret rendus en forme de règlement
d’administration publique, les lieux dans lesquels pourra
s’effectuer la relégation, les mesures d’ordre et de
surveillance auxquelles les relégués pourront être soumis par
nécessité de sécurité publique, et les conditions dans
lesquelles il sera pourvu à leur subsistance, avec obligation du
travail à défaut de moyens d’existence dûment constatés.
Art. 2. - La relégation ne sera prononcée que par les cours et
tribunaux ordinaires comme conséquence des condamnations
encourues devant eux, à l’exclusion de toutes juridictions
spéciales et exceptionnelles.
Ces cours et tribunaux pourront toutefois tenir compte des
condamnations prononcées par les tribunaux militaires en dehors
de l’état de siège ou de guerre, pour les crimes ou délits de
droit commun spécifiés dans la présente loi.
Art. 3. - Les condamnations pour crimes ou délits politiques ou
pour crimes ou délits qui leur sont connexes ne seront, en aucun
cas, comptées pour la relégation.
Art. 4. - Seront relégués les récidivistes qui, dans quelque
ordre que ce soit et dans un intervalle de dix ans, non compris
la durée de toute peine subie, auront encouru les condamnations
énumérées à l’un des paragraphes suivants :
1° Deux condamnations aux travaux forcés ou à la réclusion, sans
qu’il soit dérogé aux dispositions des paragraphes 1 et 2 de
l’article 6 de la loi du 30 mai 1854 ;
2° Une des condamnations énumérées au paragraphe précédent et
deux condamnations soit à l’emprisonnement pour faits qualifiés
crimes, soit à plus de trois mois d’emprisonnement pour :
Vol ;
Abus de confiance ;
Outrage public à la pudeur ;
Excitation habituelle de mineurs à la débauche ;
Vagabondage ou mendicité par application des articles 277 et 279
du Code pénal ;
3° Quatre condamnations, soit à l’emprisonnement pour faits
qualifiés crimes, soit à plus de trois mois d’emprisonnement
pour les délits spécifiés au paragraphe 2 ci-dessus ;
4° Sept condamnations dont deux au moins prévues par les deux
paragraphes précédents, et les autres, soit pour vagabondage,
soit pour infraction à l’interdiction de résidence signifiée par
l’application de l’article 19 de la présente loi, à la condition
que deux de ces autres condamnations soient à plus de trois mois
d’emprisonnement.
Sont considérés comme gens sans aveu et seront punis des peines
édictées contre le vagabondage tous les individus qui, soit
qu’ils aient ou non un domicile certain, ne tirent
habituellement leur subsistance que du fait de pratiquer ou
faciliter sur la voie publique l’exercice de jeux illicites, ou
la prostitution d’autrui sur la voie publique.
Art. 5. - Les condamnations qui auront fait l’objet de grâce,
commutation ou réduction de peine seront néanmoins comptées en
vue de la relégation. Ne le seront pas celles qui auront été
effacées par la réhabilitation.
Art. 6. - La relégation n’est pas applicable aux individus qui
seront âgés de plus de soixante ans ou de moins de vingt ans à
l’expiration de leur peine.
Toutefois, les condamnations encourues par le mineur de 21 ans
compteront en vue de la relégation, s’il est, après avoir
atteint cet âge, de nouveau condamné dans les conditions prévues
par la présente loi.
Art. 7. - Les condamnés qui auront encouru la relégation
resteront soumis à toutes les obligations qui pourraient leur
incomber en vertu des lois sur le recrutement de l’armée.
Un règlement d’administration publique déterminera dans quelles
conditions ils accompliront ces obligations.
Art. 8. - Celui qui aura encouru la relégation par application
de l’article 4 de la présente loi, s’il n’avait pas dépassé
soixante ans, sera, après l’expiration de sa peine, soumis à
perpétuité à l’interdiction de séjour édictée par l’article 19
ci-après.
S’il est mineur de vingt et un ans, il sera, après l’expiration
de sa peine, retenu dans une maison de correction jusqu’à sa
majorité.
Art. 9. - Les condamnations encourues antérieurement à la
promulgation de la présente loi seront comptées en vue de la
relégation conformément aux précédentes dispositions. Néanmoins,
tout individu qui aura encouru, avant cette époque, des
condamnations pouvant entraîner dès maintenant la relégation,
n’y sera soumis qu’en cas de condamnation nouvelle dans les
conditions ci-dessus prescrites.
Art. 10. - Le jugement ou l’arrêt prononcera la relégation en
même temps que la peine principale ; il visera expressément les
condamnations antérieures par suite desquelles elle sera
applicable.
Art. 11. - Lorsqu’une poursuite devant un tribunal correctionnel
sera de nature à entraîner l’application de la relégation, il ne
pourra jamais être procédé dans les formes édictées par la loi
du 20 mai 1863 sur les flagrants délits.
Un défenseur sera nommé d’office au prévenu, à peine de nullité.
Art. 12. - La relégation ne sera appliquée qu’à l’expiration de
la dernière peine à subir par le condamné. Toutefois, faculté
est laissée au Gouvernement de devancer cette époque pour opérer
le transfèrement du relégué.
Il pourra également lui faire subir tout ou partie de la
dernière peine dans un pénitencier.
Ces pénitenciers pourront servir de dépôt pour les libérés qui y
seront maintenus jusqu’au plus prochain départ pour le lieu de
la relégation.
Art. 13. - Le relégué pourra momentanément sortir du territoire
de relégation en vertu d’une autorisation spéciale de l’autorité
supérieure locale.
Le Ministre seul pourra donner cette autorisation pour plus de
six mois ou la réitérer.
Il pourra seul autoriser, à titre exceptionnel et pour six mois
au plus, le relégué à rentrer en France.
Art. 14. - Le relégué qui, à partir de l’expiration de sa peine,
se sera rendu coupable d’évasion ou de tentative d’évasion,
celui qui, sans autorisation, sera rentré en France ou aura
quitté le territoire de relégation, celui qui aura outrepassé le
temps fixé par l’autorisation, sera traduit devant le tribunal
correctionnel du lieu de son arrestation ou devant celui du lieu
de la relégation, et après connaissance de son identité, sera
puni d’un emprisonnement de deux ans au plus.
En cas de récidive, cette peine pourra être portée à cinq ans.
Elle sera subie sur le territoire des lieux de relégation.
Art. 15. - En cas de grâce, le condamné à la relégation ne
pourra en être dispensé que par une disposition spéciale des
lettres de grâce.
Cette dispense par voie de grâce pourra d’ailleurs intervenir
après l’expiration de la peine principale.
Art. 16. - Le relégué pourra, à partir de la sixième année de sa
libération, introduire devant le tribunal de sa localité une
demande tendant à se faire relever de la relégation, en
justifiant de sa bonne conduite, des services rendus à la
colonisation et de moyens d’existence.
Les formes et conditions de cette demande seront déterminées par
le règlement d’administration publique prévu par l’article 18
ci-après.
Art. 17. - Le Gouvernement pourra accorder aux relégués
l’exercice, sur les territoires de relégation, de tout ou partie
des droits civils dont ils auraient été privés par l’effet des
condamnations encourues.
Art. 18. - Des règlements d’administration publique
détermineront :
Les conditions dans lesquelles accompliront les obligations
militaires auxquelles ils pourraient être soumis par les lois
sur le recrutement de l’armée ;
L’organisation des pénitenciers mentionnés à l’article 12 ;
Les conditions dans lesquelles le condamné pourrait être
dispensé provisoirement ou définitivement de la relégation pour
cause d’infirmité ou de maladie, les mesures d’aide et
d’assistance en faveur des relégués ou de leur famille, les
conditions auxquelles des concessions de terrains provisoires ou
définitives pourront leur être accordées, les avances à faire,
s’il y a lieu, pour premier établissement, le mode de
remboursement de ces avances, l’étendue des droits de l’époux
survivant, des héritiers ou des tiers intéressés sur les
terrains concédés et les facilités qui pourraient être données à
la famille des relégués pour les rejoindre ;
Les conditions des engagements de travail à exiger des relégués
;
Le régime et la discipline des établissements ou chantiers où
ceux qui n’auraient ni moyens d’existence ni engagement seront
astreints au travail ;
Et, en général, toutes les mesures nécessaires à assurer
l’exécution de la présente loi.
Le premier règlement destiné à organiser l’application de la
présente loi sera promulgué dans un délai de six mois au plus à
dater de sa promulgation.
Art. 19. - Est abrogé la loi du 9 juillet 1852, concernant
l’interdiction par voie administrative, du séjour du département
de la Seine et des communes formant l’agglomération lyonnaise.
La peine de surveillance de la haute de la haute police est
supprimée. Elle est remplacée par la défense faite au condamné
de paraître dans les lieux dont l’interdiction lui sera
signifiée par le Gouvernement avant sa libération.
Toutes les autres obligations et formalités imposées par
l’article 44 du code pénal sont supprimées à partir de la
promulgation de la présente loi, sans qu’il soit toutefois
dérogé aux dispositions de l’article 635 du code d’instruction
criminelle.
Restent, en conséquence, applicables pour cette interdiction les
dispositions antérieures qui réglaient l’application ou la
durée, ainsi que la remise ou la suppression de la surveillance
de la haute police et les peines encourues par les
contrevenants, conformément à l’article 45 du code pénal.
Dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente
loi, le Gouvernement signifiera aux condamnés actuellement
soumis à la surveillance de la haute police les lieux dans
lesquels il leur sera interdit de paraître pendant le temps qui
restait à courir cette peine.
Art. 20. - La présente loi est applicable à l’Algérie et aux
colonies.
En Algérie, par dérogation à l’article 2, les conseils de guerre
prononceront la relégation contre les indigènes des territoires
de commandement qui auront encouru, pour crimes ou délits de
droit commun, les condamnations prévues par l’article 4
ci-dessus.
Art. 21. - La présente loi sera exécutoire à partir de la
promulgation du règlement d’administration publique mentionné au
dernier paragraphe de l’article 18.
Art. 22. - Un rapport sur l’exécution de la présente loi sera
présenté chaque année, par le Ministre compétent, à M. le
Président de la République.
Art. 23. - Toutes dispositions antérieures sont abrogées en ce
qu’elles ont de contraire à la présente loi.
La présente, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre
des députés, sera exécutée comme loi de l’Etat.
Fait à Paris, le 27 mai 1885.
JULES GRÉVY
Par le Président de la République :
Le Ministre de l’intérieur,
H. Allain-Targé.
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