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Secteur Vého-Leintrey - 1915


Les Archives de la Grande guerre - 1920

DEUX ANS EN LORRAINE AVEC LE 222e REGIMENT D'INFANTERIE

[...]
IV - ADAPTATION A LA GUERRE DE TRANCHÉE

Dans la nuit du 11 au 12 juillet [1915], nous quittons le secteur de Bures et nous nous trouvons au matin, à St-Clément, cantonnement confortable sur la route de Lunéville à Baccarat, que la guerre n'a pas trop outragé et qui est assez éloigné des premières lignes pour qu'on y goûte un repos exempt de tous périls.
Hélas ! le repos n'est pas de très longue durée. Le 14 juillet arrive et l'ennemi tient à ne pas laisser passer cette occasion de nous saluer. C'est naturellement au canon que revient à la guerre le privilège de ces sortes de démonstrations.
Dès avant le coucher du soleil - à cette époque de l'année les jours n'en finissent plus - un grondement de mauvais aloi se fait entendre et l'on n'est qu'à moitié surpris quand à 20 h. 30 l'alerte est donnée au régiment. Dix minutes plus tard, arrive l'ordre de départ immédiat.
Par Chénevières et la forêt de Mondon on se met en route : direction Bénaménil. Des ordres plus précis doivent nous moindre, mais ils sont longs à venir. Une partie de la nuit se passe à les attendre en stationnement dans la forêt de Mondon à proximité de sa lisière nord.
Des renseignements circulent : l'ennemi a prononcé une offensive en divers points du secteur : le 230e a été attaqué au bois Zeppelin, le 223e devant le Remabois. Ces noms nouveaux, ignorés de tous, sonnent comme ceux de gouffres mystérieux et profonds vers lesquels des forces inconnues nous poussent irrésistiblement. Ainsi que les papillons vont à la lumière, nous marchons tout droit sur cette clarté sinistre dont s'illumine l'horizon, faite des lueurs multiples des artilleries grondant sans arrêt et qu'avivent d'un éblouissement passager les fusées lumineuses montant à chaque instant de tous les points à la fois.
Dans la mêlée on distingue les coups, on les analyse, on les dissocie, on sait ceux qui seront courts, ceux qui sont pour la droite, pour la gauche, ceux qui porteront beaucoup plus loin en arrière et, pour peu que l'action ne vous condamne pas à l'immobilité, tout à la préoccupation immédiate du moment, attentif aux choses qu'il faut faire, on a des émotions plus vives, mais pas cette lancinante angoisse que donne, lorsque l'on va vers lui, la perception lointaine du roulement confus par quoi se synthétise les bruits d'une bataille. Cette angoisse s'avive, dans l'attente elle se prolonge toute la nuit. À 7 heures du matin seulement en effet, l'ordre de poursuivre jusqu'à Manonviller et de cantonner dans les baraquements du fort parvient au régiment. En même temps un grand silence se fait sur toute la ligne : le 14 Juillet est fini.
Les réjouissances de la nuit n'ont pas eu de conséquences graves. On ne pense pas qu'un seul pouce de terrain soit perdu. Partout les régiments attaqués ont opposé une énergique résistance, mais ils ont été assez éprouvés pour mériter de reprendre haleine. Et puis l'Etat- Major regretterait de nous avoir dérangé pour rien. C'est pourquoi dès l'après-midi du même jour quelques officiers sont invités à reconnaître le secteur en vue de la relève que le régiment devra assurer dans la nuit suivante.
Ce secteur de Vého-Leintrey ressemble assez peu à ceux que nous avons connu jusqu'alors. L'avance de juin s'est faite ici comme ailleurs, mais la pelle et la pioche n'ont pas suffi à l'oeuvre.
Le terrain que l'on pouvait gagner par ce seul moyen n'était pas moins important que devant Bauzemont, mais sur la droite, vers Leintrey et Reillon il conduisait, à s'installer sur une position défectueuse sur laquelle on ne pouvait pas songer à immobiliser, nos lignes. Pour bien faire il eut fallu atteindre d'un coup la cote d'Igney-Avricourt, alors toute la situation dans ce coin de Lorraine eut été changée, mais sans pousser si loin on devait envisager comme une nécessité la possession des crêtes devant les Amienbois, du village de Leintrey et du Remabois qui s'étend de là jusqu'à la ligne du chemin de fer.
Pour atteindre ces points il fallait les enlever à l'ennemi. On s'y était appliqué et les méthodes nouvelles d'offensive, avec terrain d'attaque en labyrinthe de tranchées et de boyaux, avaient joué ici, suffisamment pour infliger de lourdes pertes aux régiments engagés dans cette affaire - en particulier le 299e et le 217e, ce dernier rattaché temporairement à la division - suffisamment pour mordre sur la ligne ennemie, pas assez pour l'enlever complètement et atteindre la bonne position. De telle manière qu'après des combats d'une exceptionnelle violence qui s'étaient prolongés pendant plusieurs semaines, l'ennemi s'étant agrippé au sol sur la ligne entamée de ses retranchements, nous étions restés accrochés à lui sur une position qui une fois stabilisée était la plus mauvaise qu'on put imaginer.
On pouvait distinguer dans ce secteur deux parties : celle de gauche, en liaison avec les Chasseurs à la. station d'Emberménil, qui n'avait pas connu l'avance par le feu, à laquelle ses occupants avaient eu par suite le loisir de donner une organisation assez sérieuse, que l'ennemi ne convoitait pas et qui était par suite relativement habitable. Celle de gauche et plus spécialement la portion à cheval sur la route de Vého-Leintrey qui s'étendait jusqu'au ruisseau du même nom, qui offrait l'aspect d'un dédale inhospitalier de terres remuées en tous sens. où l'on goûtait la satisfaction de penser que les rares abris qui s'y trouvaient avaient été creusés de la main des Boches, que pareillement quelques éléments de tranchées, aujourd'hui retournées contre eux, étaient leur oeuvre, mais où l'on avait l'ennui aussi de voir ces mêmes tranchées journellement retournées à nouveau et bouleversées par le feu de son artillerie, où les cadavres pourrissaient entre les réseaux dans l'impossibilité où l'on était de faire un pas en avant, où les nuits se passaient dans le bruit ininterrompu de la fusillade et de l'éclatement des grenades, où l'on vivait dans cette perpétuelle effervescence qu'entretenait la volonté de l'ennemi de regagner le terrain perdu, où tout alentour avait cet aspect de lamentable désolation qui devait être celui des champs de bataille futurs.
Dans ce deuxième semestre 1915, le régiment fera


VII. - Positions devant Leintrey (Juillet-Décembre 1815)

dans ce secteur plusieurs séjours qui toujours paraîtront longs, alors il y sera pour son propre compte, mais aujourd'hui il n'y est qu'en passant, en invité, à la disposition du colonel commandant la 148e brigade. Trois jours passent et il se retrouve à son cantonnement de St-Clément pour une grande semaine de repos. Le 29 juillet il remonte en ligne dans ce même secteur de Vého où cette fois il doit rester jusqu'au 16 août.
La répartition des troupes dans la brigade est alors la suivante : Sous-secteur de Fréménil, 217e ; Sous-secteur de Reillon, 229e ; Sous-secteur de Vého, 222e plus 50 dragons et de 2 compagnies du 37e territorial.
La réserve de secteur est à Ogéviller et Domjevin.
Dans le sous-secteur de Vého les points d'appui (pour la première fois ce terme est substitué à celui de grand'-garde) sont numérotés de la droite à la gauche XVI. XVII, XVIII. C'est le P.A. XVI qui est le mauvais coin, deux compagnies l'occupent. La réserve des avant-postes est à Vého et constitue le P.A. X.
Ici l'artillerie ne connaît pas de repos. Sur un point ou sur un autre, ce sont de continuels bombardements qui se traduisent journellement par des morts ; ceux-ci, comme tant d'autres, passent sous la rubrique anonyme : «  Rien à signaler sur le reste du front. » Un obus arrivé un jour inopinément devant le poste de commandement du colonel à P. A. X. fait à lui seul 5 morts et 2 blessés.
De temps à autre une des nos pièces à longue portée bombarde Avricourt. Cela amène invariablement une riposte au 210 sur un village ou sur un autre, aussi la pièce en question ne tire-t-elle jamais sans inviter tout le monde à se mettre à l'abri.
Toutes les nuits sont agitées. Celle du 6 août, cependant l'est plus que les autres. A minuit une fusillade d'abord timide éclate, progressivement elle grandit et gagne toute la ligne. L'artillerie s'en mêle aussitôt, de part et d'autre de violents tirs de barrage son déclenchés. Le vacarme est assourdissant et puis brusquement, à deux heures, sans que l'on sache ni pourquoi, ni comment, tout s'éteint, le calme se rétablit, c'est fini. Dans ces deux heures le régiment n'a pas brûlé moins de dix mille cartouches et il a perdu 12 hommes : 4 morts et 8 blessés.
Quel effet cette avalanche de projectiles a-t-elle produit de l'autre côté ? C'est ce que l'Etat-major de la division demande à un prisonnier du 100° régiment saxon landw. qui a été capturé le lendemain à l'est de Reillon. Mais celui-ci n'en sait absolument rien, il a seulement entendu la fusillade et la canonnade à sa droite. Assez loquace il indique complaisamment les emplacements occupés par son régiment, la manière dont les relèves sont assurées et comment sa compagnie, lorsqu'elle est aux avant-postes, est organisée en trois «  zug » : un «  zug » en armes, un «  zug » au


VIII. - Carte d'ensemble de la région lorraine.


travail et un «  zug » au repos ; les «  zug » se relèvent entre eux toutes les cinq heures, nuit et jour. Il veut bien ajouter que dans son régiment nous sommes considérés comme des troupes très braves.
De nouveau, pendant ce séjour aux avant-postes, la question de la censure postale se pose avec acuité. Sous le timbre de la Direction de -l'arrière, une note du 20 juillet 1915, signée Joffre, arrive, qui rappelle aux militaires de l'avant les questions qu'ils doivent s'abstenir d'aborder dans leur correspondance et prescrit qu'à l'avenir les lettres expédiées par eux seront déposées ouvertes entre les mains des vaguemestres et qu'elles ne seront closes et acheminées qu'après avoir été examinées sur place par un officier censeur.
Cette mesure provoque chez tout le monde un vif mécontentement. Les officiers s'indignent à la pensée qu'un des leurs, un camarade avec qui ils vivent journellement, prendra connaissance de leur correspondance et pénétrera dans les petits secrets de leur intimité ; mais celui qui s'en indigne le plus fortement c'est le capitaine adjoint au colonel qui a été désigné pour remplir les fonctions d'officier censeur du régiment. Il y a dans cette idée du contrôle sur place quelque chose qui blesse la bienséance, qui offense la camaraderie. Cette mesure n'est pas viable et en fait sa vie est de courte durée.
Pour n'être pas exemptes des imperfections qui s'attachent à toute institution humaine, les commissions de contrôle postal relevant du G.Q.G. qui fonctionnèrent dans la suite, avec l'indépendance que leur donnait cette situation, l'éloignement où elles étaient, le champ étendu de leurs investigations qui englobait indistinctement la correspondance civile et la correspondance militaire, procédaient d'une bien meilleure compréhension de la psychologie du sujet ; elles permettaient aussi de sonder beaucoup plus efficacement l'opinion.
Cet incident de la censure postale n'est d'ailleurs qu'un épisode dans un ensemble de dispositions qui trahissent les préoccupations du haut commandement : la préparation de la grande offensive d'automne. On ne sait pas où elle se fera, mais il est décidé, parait-il, que l'on doit préparer un terrain d'attaque dans tous les secteurs, soit que l'on veuille effectivement attaquer partout a la fois, soit que l'on escompte dissimuler ainsi jusqu'au dernier moment à l'ennemi le point sur lequel portera l'effort.
Le 8 août, le général Gérard, qui, depuis le 24 juillet remplace à la tête du D.A.L. le général Humbert, annonce l'envoi de plans au 5.000e donnant l'un le terrain des positions ennemies du bois des Arrieux et du haut de Corbe, l'autre, le Remabois et Leintrey.
«  Il faut, dit-il, que d'ici quinze jours à peu près, les emplacements de tous les points remarquables des positions allemandes : blockhaus, mitrailleuses, observatoires, saillants, etc., aient été reconnus et reportés sur ces plans. Il faut également que tous ces points soient désignés par des lettres ou des numéros, de façon à réaliser un langage commun entre les artilleurs chargés de les détruire et les fantassins chargés de les attaquer.
Les défenses ennemies placées sous bois étant généralement difficiles à retrouver d'une façon précise sur le terrain, il faut les désigner par des signes apparents : par exemple, fanion placé en face d'une mitrailleuse, badigeonnage à la chaux d'un arbre se trouvant dans la direction d'un blockhaus, débroussaillement de petits layons conduisant à un saillant. »
Ces dernières prescriptions font sourire les exécutants. Mais avant de peinturlurer les arbres et de planter des fanions pour mieux repérer les défenses ennemies il faut les connaître, or ce n'est déjà pas si aisé que cela, Devant nous le Remabois est un mystère profond. On sait qu'il est solidement tenu, mais c'est tout. Pourtant il faut porter quelque chose sur le plan au 5.000e alors le Remabois devient une obsession. On parle chaque jour de l'enlever avec une compagnie, une section, une escouade et l'on envoie des reconnaissances, elles sont accueillies à coups de canon et ne reconnaissent rien du tout. Cependant l'heure de la relève arrive et l'on doit se résigner à partir sans savoir ce qu'il y a dans le Remabois.
   

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