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Histoire du Blâmontois des origines à la Renaissance (3/9)
Abbé Alphonse Dedenon (1865-1940)
1931

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L'Histoire du Blâmontois des origines à la Renaissance est tombée dans le domaine public en 2010. Cette version numérique intégrale permet de faciliter les recherches, y compris dans l'édition papier publiée en 1998 par Le livre d'histoire.
Le présent texte est issu d'une correction apportée après reconnaissance optique de caractères, et peut donc, malgré le soin apporté, contenir encore des erreurs.
Par ailleurs, les notes de bas de page ont été ici renumérotées et placées en fin de chaque document.

NDLR :
L'abbé Dedenon a laissé dans ses carnets des notes manuscrites indiquant diverses corrections à apporter à ce texte.


III
La Famille de Salm en Vôge

1° Hermann II de Salm et Agnès de Langstein

La famille de Salm appartenait à la noblesse mosellane la plus authentique. Ce rameau, détaché de Luxembourg, florissait depuis peu en Ardennes, sur les bords d'un ruisselet, dénommé Salm, en souvenir, dit-on, des Francs saliens, dans une contrée, connue depuis sous le nom d'Eifel (1). Les ruines du château dominent toujours la paisible rivière et conservent l'appellation de Vieil-Salm. Le fondateur, Hermann, fils cadet de Gislebert de Luxembourg, fut un personnage célèbre (2). Attiré à Metz par son oncle, le saint évêque Adalbéron III, il fut élu roi des Romains à la mort de Rodolphe de Souabe (1080) et proclamé empereur contre Henri IV (1081). Ferme appui du pape saint Grégoire VII, tant que dura ce pontife, il dut abdiquer à la mort de ce dernier (1085) et il mourut blessé d'un coup de pierre, en faisant l'attaque d'un château (1088). De sa femme, Sophie de Formbach, il avait eu trois enfants : 1° Hermann II, qui suit; 2° Othon, qui deviendra comte de Ryneck, par son mariage avec Gertrude de Nordheim et 3° Mathilde, comtesse de Hombourg, qui fonda l'abbaye de SalivaI, en 1140.
Ce bienfaiteur des évêques de Metz dut recevoir d'eux l'avouerie de Senones et laisser cc bénéfice à son aîné. Ainsi ce dernier put intervenir dans la Vôge bien longtemps avant son mariage, comme l'atteste D. Calmet, qui le mentionne déjà en 1090, ainsi qu'une charte datée de 1104.
Le. mariage d'Hermann II avec Agnès, célébré vers 1110, attacha plus étroitement le voué à la région qu'il devait protéger, et on peut croire qu'en dehors des nombreux incidents qui l'appelaient ailleurs, la plus grande partie de sa vie se passa au château de Langenstein. Là, sous les yeux de la sage châtelaine, grandirent les deux fils qui naquirent de cette seconde union, Hermann III et Henri.
Le comte pouvait se féliciter de posséder une résidence conforme à ses goûts, car son avoir en Ardennes était fort compromis; des parents cupides le lui disputaient et réussirent, quelque temps, à l'en déposséder. D'autre part, la ville de Metz était livrée à l'anarchie et ne lui laissait plus ni place ni autorité. Tant de malheurs, qu'adoucissait cependant la paix de son foyer, finirent-ils par aigrir son caractère et le poussèrent-ils à opprimer les moines de Senones ? On le croirait : Car, en 1111, apparaît une plainte fortement motivée des religieux contre leur voué, et cette dénonciation le fait citer au tribunal de l'évêque, qui est alors Adalbéron IV. Richer (3) articule les griefs : le voué exagère les redevances et tailles que doivent payer les sujets de l'abbaye; il multiplie inutilement les plaids, sans demander l'agrément de l'abbé. Après examen, l'évêque reconnut fondées les réclamations, excommunia le coupable jusqu'à réparation et amendement. Le jugement nous est parvenu contresigné de témoins nombreux, parmi lesquels se voient Folmar l'ancien, préfet de Metz, Folmar le jeune, Godefroy de Castres et Frédéric de Bar (4).
Sans vouloir innocenter un voué coupable de fautes alors très répandues, reconnaissons sans peine que le comte Hermann paya, dans la circonstance, pour sa fidélité non douteuse à l'égard de Poppon, l'évêque légitime, et d'Urbain II, le pape le plus accrédité, à cette époque du grand schisme d'Occident. Adalbéron, son juge, était, au contraire, partisan de Henri IV et de l'antipape Clément III. Humilier son adversaire était une bonne vengeance. Ces temps étaient affreux. Adalbéron ne tarda pas à comparaître, lui-même, devant un concile convoqué à Reims, pour avoir à répondre de sa mauvaise administration. Il y fut déposé par le pape Pascal II, le 18 mars 1115. Cinq années s'écoulèrent ainsi dans l'anarchie. Trois évêques furent nommés à Metz, mais aucun ne put gouverner. La république fut proclamée; les institutions civiles et religieuses bouleversées. Il fallut l'entremise du pape Callixte II pour terminer la crise, et le remède qu'il imposa fut de nommer au siège si éprouvé, son propre neveu, l'intrépide Etienne de Bar (1119).
On sait que l'évêque élu, déjà archidiacre et princier de Metz depuis 1114, alla recevoir à Rome la consécration épiscopale, en 1120, et en revint avec la dignité de cardinal, qui venait d'être instituée. Son prestige en était fort relevé, mais l'opposition n'était pas tombée. L'évêque dut conquérir, pied à pied et par la force des armes, chacune des portions de son immense diocèse. Il fallut trois ans pour accomplir cette tâche ardue (5).
On n'a pas oublié qu'Etienne de Bar était frère d'Agnès de Langenstein. L'amitié était tout indiquée entre lui et son beau-frère, Hermann II de Salm, et, de fait, elle fut réelle au moins dans les premiers temps. Le voué. de Senones, corrigé par sa. condamnation, cessa de molester ses protégés. Il s'en retourna, du reste, en Ardennes, au moins pendant quelque temps, pour revendiquer son. patrimoine, et il y réussit. Jusqu'en 1120, il fut mêlé à toutes les affaires du Luxembourg, au point d'y acquérir un prestige considérable (6); enfin; la présence d'un oncle sur le trône pontifical acheva de le mettre en relief.
Hermann fit le pèlerinage de Rome un an après que son beau-frère y avait reçu la consécration épiscopale. Il allait porter l'offrande que l'abbaye de Münster devait déposer, chaque année, au pied du Souverain Pontife. Le fait est ainsi rapporté dans les annales de ce monastère : «  Comme nous avons réglé qu'on offrirait, tous les ans, une pièce d'or sur l'autel de saint Pierre, à Rome, le dimanche des Rameaux ou le Jeudi-Saint, nous avons envoyé cette pièce à l'adresse du pape Calixte, la cinquième année de son pontificat, par les mains d'Hermann, comte de Salm, qui la présenta le jour même où l'on sacrait l'autel de saint Pierre» (7). Ce pape devait mourir, le 12 décembre 1124.
Bien que l'accord fût complet entre les deux frères, on ne peut dire si l'avoué aida beaucoup l'évêque à reconquérir son diocèse. On ne le voit nulle part chevaucher à ses côtés. Une telle absence nous autorise quelque peu à retarder ces expéditions armées jusqu'au jour où nous verrons les deux hommes en conflit flagrant. Entre 1120 et 1130, tout au moins, l'entente reste cordiale. Chaque fondation nouvelle - et elles seront nombreuses - est une occasion où l'évêque fraternise avec tous les seigneurs de la région en des agapes vraiment amicales.
Le 21 juin 1124, l'abbé Antoine inaugurait en grande pompe la nouvelle église de son monastère. C'était son oeuvre. Etienne de Bar, dûment autorisé par Riquin de Commercy, évêque de Toul, fut le prélat consécrateur. Les principaux témoins dont les signatures figurent dans l'acte de la dédicace, furent : Hermann de Salm, Conrad de Langenstein, Bencelin de Turquestein, Conon de Buriville, Rainier de Domjevin, Rainier de Badonviller, Richer du Mesnil (8). La présence de l'évêque, souverain temporel, facilita un échange jugé avantageux : l'abbaye reçut les sujets de l'évêque qui résidaient dans la vallée de la Brusche, et concéda les terres qui avaient été affectées aux prieurés dé Vic et de Léomont, lors de leur fondation en 1120 et 1122, ainsi que divers héritages situés à Xures, à Moyen, à Fontenoy et à Domjevin. L'évêque, tenu à l'écart de sa ville épiscopale, se fondait ainsi à Vic une autre capitale et, pat tous les moyens, agrandissait son temporel.
En 1127, une solennité non moins brillante réunissait à nouveau les mêmes personnages. C'était à Deneuvre, où l'abbé Antoine venait de construire un prieuré, qu'il s'agissait de bénir. L'édifice subsistait encore naguère, dans un vallon où coule le Rupt, au Sud-Ouest de la ville, et gardait toujours le culte de saint Christophe, que le fondateur y avait implanté. Son église fut dédiée à saint Etienne, à cause de l'évêque, et fut consacrée par ce même prélat, en présence de plusieurs dignitaires ecclésiastiques dont les noms figurent dans la charte, et des comtes Godefroy de Castres, Hermann de Salm, Conrad de Pierre-Percée, Thierry de Montbéliard, Simon de Parroy et Folmar, préfet (comte voué) de Metz.
En 1129 avait lieu, dans des conditions semblables, l'inauguration du prieuré de Xures, constitué avec des biens donnés à Etienne de Bar, par les héritiers de Cunégonde de Richecourt. L'année suivante (1130), la donation du fief de Basemont (Bauzemont) à l'abbaye de Senones, par Etienne de Bar, du consentement de Gérard de, Parroy et de sa femme; montre encore le même Hermann et son fils en parfaite harmonie avec l'évêque de Metz.
Mais les événements vont changer, et nous allons assister à une rupture pénible. Le voué de Senones, vassal de l'évêque, va devenir l'associé du duc de Lorraine et l'adversaire résolu de son suzerain et de son beau-frère; il terminera ainsi sa carrière dans des luttes qui dureront huit années, jusqu'à sa mort. On devine la douleur d'Agnès et les déchirements d'une, existence qu'il lui fallut mener en compagnie de son mari, loin de la Vôge tranquille, dans une Mosellane effervescente comme une fournaise.
L'explication. d'une défection si étrange n'est pas des plus faciles, S'il faut en croire Bertholet, Benoit Picard et d'autres auteurs anciens que suit le grave Digot, le dissentiment aurait débuté par une brouille grave, survenue entre l'archevêque dé Trèves, Adalbéron de Montreuil, et le duc Simon de Lorraine. Cette querelle aurait entraîné le duc à des incursions armées sur les terres de l'archevêché et poussé le prélat à lancer l'excommunication contre son ennemi, en pleine diète d'Aix-la-Chapelle, le jour de Pâques 1132. Un semblant de réconciliation aurait eu lieu à Thionville, en 1134, mais les hostilités auraient repris de plus belle, jusqu'à la bataille de Frouard, qui aurait marqué l'effondrement du duc et de son parti. Le comte de Salm serait devenu l'allié du duc et aurait péri dans la bataille finale. Mais tous ces détails, empruntés à J. d'Aucy, n'inspirent aucune confiance, car cet auteur a été reconnu faussaire par la critique contemporaine. La chronique épiscopale de Metz, reproduite par M Meurisse et les Bénédictins, donne une version plus juste, croyons-nous avec M. Schaude1, en attribuant le conflit aux discordes déjà vieilles qui existaient entre les descendants de Bar et ceux de Lorraine. Le duc Simon, dit cette chronique, s'était emparé des châteaux de Mirebeaux, Fauquemont, Deneuvre, Etienne de Bar, aidé par son frère Frédéric, les reprit. A la vérité, Hermann de Salm aurait dû être aux côtés de ses deux beaux-frères pour ces revendications; il se trouve, au contraire, rallié à la bannière du duc Simon, et favorise ses entreprises. C'est, du moins, ce. qu'insinue le passage, suivant de la chronique messine : «  Le château de Pierre-Percée, appartenant aux comtes de Salm, était alors la terreur du pays; parce qu'il servait de retraite à des brigands, qui faisaient mille ravages dans les campagnes et arrêtaient les voyageurs. Etienne en forma le siège, dressa trois forts autour de la place pour empêcher d'y entrer ni vivres ni secours. Il la tint ainsi investie plus d'un an, et la força de se rendre.» (9).
Ce passage, autorisé, semble-t-il, en dit plus long que les légendes racontées par Docteur. date n'est pas indiquée, mais celle que nous supposons entre 1135 et 1137 ne contredit aucune donnée de l'histoire, non plus que l'expédition de 1136, dirigée contre Roger de Sicile, qui n'entraîna aucun de nos belligérants. Depuis plusieurs années, la famille de Salm ne devait plus habiter le château de Pierre-Percée. Sa place était plutôt en Ardennes, avec le comte, pour être plus à la portée de ses agissements. Un coup de main contre ce castel isolé et quasi-délaissé était d'autant plus facile et, vraiment, les brigands, qui le prirent d'assaut et l'occupèrent, n'étaient point indignes de, ce nom comme toutes les troupes de ce temps. C'étaient évidemment des partisans de Simon de Lorraine, opérant pour son compte et sous son instigation. Mais ce bien de famille d'Agnès et du fils de son premier mari resterait-il perdu pour passer à un adversaire politique ? Etienne de Bar ne pouvait le souffrir. Aussi entreprend-il un siège acharné, qu'il poursuit lui-même, dit-on, et pendant un an. Il finit par recouvrer le bien volé et le remet en la possession de sa soeur et de son neveu, sans en rien garder pour lui-même.
Pourtant ces faits, si clairs soient-ils, n'expliquent pas encore l'opposition singulière qui règne entre Hermann et la famille de Bar, non. plus que son alliance avec le duc de Lorraine. La clé de l'énigme nous est donnée plutôt par M. Schaudel, quand il signale l'ambition, d'ailleurs légitime, qui tourmentait alors Hermann et son frère, Otton de Ryneck.
Il s'agissait pour eux d'obtenir le comté de Luxembourg, que certaines circonstances menaçaient de rendre vacant. Mais leur droit était contesté par les comtes de Bar et, pour vaincre cette opposition, il fallait de puissants appuis, que les deux frères recherchaient dans la personne de Simon de Lorraine et surtout de l'empereur Lothaire II. Ce conflit explique les longues querelles qui mirent aux prises, pendant près d'un siècle, les trois champions habituels de nos guerres mosellanes, à savoir : les ducs de Lorraine, les évêques de Metz et les comtes de Bar.
Hermann de Salm et Otton de Ryneck faisaient, en effet, une cour assidue à l'empereur, depuis 1128; ils le suivaient à Strasbourg et à Worms. (1128); à Cologne, à Duisbourg (1129); à Liège, à Trèves, à Stavelot (1131); à Aix-la-Chapelle (1132). Leur dernière signature commune se voit à Mayence (1135). Dans la même coalition se trouvait le duc de Lorraine. Otton de Ryneck survécut.; mais Hermann II sombra dans ces conjonctures avec son fils Hermann III. Comment et à quelle date disparut-il ? Faut-il placer sa mort au combat de Frouard, ou supposer un autre désastre pareil, entre 1135 et 1137 ? Est-il vrai que le père ou le fils eut sa sépulture dans le cloître de Senones ? Il nous faut terminer, par ces points d'interrogation insolubles, une biographie, d'ailleurs attachante, que nous consacrons au premier représentant de l'importante famille de Salm.
 

2° Les Donations de la comtesse Agnès :

A Hugoncourt
Le premier document où apparaît le second veuvage d'Agnès est daté de 1138 (10). La comtesse s'était hâtée de revenir à Pierre-Percée, où l'attiraient les doux souvenirs du passé. Les amertumes précédentes allaient donc finir et faire place à une ère de bienfaisance. Quant au mari défunt, était-il vivement regretté? On en doute presque, à voir la châtelaine si prompte à reprendre son titre de dame de Langstein et à oublier dans l'énoncé de ses intentions pieuses le nom d'Hermann, pour ne citer que celui de Godefroy.
Agnès semble avoir achevé sa vie dans la Vôge, au château de Pierre-Percée, entourée des siens, partageant son temps entre le gouvernement de sa maison et la visite de ses sujets. Deux monastères l'intéressaient surtout par leur voisinage et les oeuvres qu'ils poursuivaient sur ses propres domaines : c'était Hugoncourt et Saint-Sauveur.
Nous savons, par une bulle d'Innocent II, datée de Pise, le 10 juin 1135, qu'elle concéda au monastère alsacien de Huguesheim (Hugoncourt), la jouissance : 1° des trois églises de Parux, Landange et Vathiménil; 2° d'un héritage, situé à Herebreschwiller (11) et donné par les deux frères Donatus et Reinardus, ainsi que l'église de ce lieu. Le nom de son mari Hermann, est cité avec celui de Conrad, son fils. La même bulle indique aussi l'église de Giroville, en face du Blanc-Mont, comme étant cette même abbaye.

A Saint-Sauveur
Une donation plus importante, faite en 1138, marque la bienveillance signalée qu'Agnès portait aux moines de Saint-Sauveur, sans doute en retour des services qu'elle en recevait dans sa chapelle Saint-Antoine. La charte serait à citer tout entière, bien qu'une judicieuse critique soulève quelques doutes sur l'authenticité de plusieurs passages. La donatrice, dédaignant le titre de Salm, se nomme simplement comtesse Agnès; elle mentionne Hermann et Henry, ses derniers fils, comme étant des princes ses antécesseurs, expression qui parait très louche. En revanche, elle rappelle avec complaisance le souvenir de Godefroy, son premier Inari, et de Vuilaume, son fils, tous deux inhumés dans l'église de Raon-les-Leau. Sa donation. comporte le neuvième des dîmes perçues à Giroville, Couvay, Blémerey, Herbéviller, Harbouey, la terre entière de Harbouey avec les hommes libres qui l'habitent, l'église de Raon-les-Leau et une grande portion de forêts, situées dans ces parages, jusqu'à l'endroit appelé Loudamont (12). Tous ces biens, ajoute-t-elle, lui appartiennent personnellement. Cette générosité avait de quoi provoquer l'attachement et les prières des chanoines réguliers de Saint-Augustin.

A Haute-Seille
Un autre rêve hanta bientôt l'esprit de la pieuse châtelaine. Le bruit se répandait partout que les religieux de Citeaux, sous la conduite de saint Bernard, étaient des modèles de ferveur et de régularité.
Folmar VII venait de créer pour eux, à Lunéville, l'abbaye de Beaupré (1135), et Cunon, évêque de Strasbourg, celle de Bongard (1125). Entre Etienne de Bar et le célèbre réformateur bourguignon les rapports étaient fréquents, surtout à l'occasion des Templiers et de' la Croisade; Agnès en profita pour obtenir aussi sa colonie cistercienne. Elle choisit pour l'établir une forêt nommée Alta Sylva, Haute-Seille, située aux confins du ban de Saint-Sauveur, entre son alleu du Blanc-

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Cliché du « Pays Lorrain»
Abside de l'église abbatiale de Saint-Sauveur (1537)

Mont et la Seigneurie de Turquestein. Non loin était Tanconville, pays de marécages, qui avait compté jadis de nombreux habitants, mais dont

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le territoire était couvert d'épines et fréquenté seulement des bêtes sauvages (13).
D'accord avec ses fils, et avec les châtelains de Turquestein, ses alliés, la bonne comtesse fit un lot de tout ce territoire inculte, perdu dans la solitude - ce sont les termes de la charte et les concéda en toute seigneurie foncière, suivant les usages du temps, aux religieux que devait lui envoyer saint Bernard,
Dire que l'offre était séduisante serait exagéré; mais les moines ne se rebutaient jamais. On les, vit arriver de Theully, en Bourgogne; au nombre de treize, en 1140 (14), et on les reçut comme des anges. La première pierre du couvent fut posée, le 16 mai. Les bâtiments s'élevèrent

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Cliché du «  Pays Lorrain »
Eglise abbatiale de Haute-Seille; façade extérieure

rapidement. La chapelle fut achevée en 1160 et consacrée par Etienne de Bar, sous le vocable de Sainte-Marie (15). On peut voir encore quelques restes du portail de cette chapelle; les formes du gothique y voisinent déjà avec le roman, seul admis jusque là.
Au cours de ses nombreux voyages, saint Bernard. visita, dit-on, plusieurs fois ses religieux, et put rencontrer chez eux, soit la pieuse Agnès, soit les comtes ses enfants. Aussi le souvenir de ce grand saint est-il resté vivace dans le pays de Cirey, qui l'honore encore aujourd'hui, le 20 août, comme patron secondaire. En peu dé temps, les biens de l'abbaye s'agrandirent par des acquisitions et des échanges à GiroviIle, Lafrimbole, Parux, Niederhoff, Varcoville (1246), à Bertrambois, Hattigny, Landange, Aspach, Frakelfing, Neufmoulin, Languimberg, Fri bourg (1280). Ce XIIIe siècle devait être l'époque la plus prospère pour la jeune abbaye cistercienne.
Jusqu'à sa mort, Agnès de Salm fit à ses moines un sort heureux; mais ses descendants, pourvus cependant du titre de conservateurs de Haute-Seille, remplirent moins bien leur rôle, de sorte que, déjà en 1147, Etienne de Bar dut intervenir pour défendre les religieux, victimes de vexations odieuses que leur infligeaient ses protecteurs. Probablement la bonne comtesse n'était plus là. On ignore la date de sa mort. Une tradition, ou plutôt une légende, rapportée par H. Lepage, donne à croire qu'elle périt, en 1158, au cours d'une attaque dirigée contre Pierre-Percée, et que son corps fut ramené à Raon-les-Leau, entouré de la vénération universelle. Cette date, vraisemblable à la rigueur, paraît bien tardive. Quant à la vénération universelle, chacun l'admettra volontiers; c'était un hommage bien mérité.

3° Les premiers descendants de Salm :

Hermann III
Les actes ne nous avaient fait connaître que deux fils issus d'Hermann de Salm et d'Agnès; Bertholet en cite un troisième, Thierry, qui fut abbé de Saint-Paul de Verdun, et mourut le 12 février 1156 (16). Ce seigneur, donné à l'Eglise suivant l'usage des grandes familles, n'eut aucun. rapport avec. notre région.
Hermann III, l'aîné, était tout désigné pour continuer la lignée de Salm, mais il mourut jeune, probablement dans les circonstances tragiques qui enlevèrent son père. On croit cependant qu'il était déjà marié. Gravier (17) se trompe, en lui donnant pour femme, Berthe, comtesse de Blâmont. R. Picard et de Martimprey semblent dans le vrai, en disant que cette femme fut Mathilde, fille de Simon de Parroy. Cette alliance n'étonne personne, étant donné l'intimité des deux familles. Si elle fut courte et ne donna. pas de postérité, elle laissa, du moins, une trace durable dans la seigneurie de Parux, dont on peut attribuer au jeune ménage les premiers fondements, comme nous l'indiquerons plus loin.

Henri 1er
Henri Ier, second fils d'Hermann II, assura la descendance de Salm. Sa carrière, bien connue, fut longue et glorieuse. D'après Francisco de Rosières (18), elle embrassa trente années (1140-1170) et se déroula tout entière autour de Metz et de Luxembourg, sans grand rapport avec la Vôge, bien que le même auteur l'appelle voué de Senones et comte de Blâmont (19). Une fois en possession de l'apanage entier. de Salm, ce seigneur se sentit l'égal de Simon de Lorraine, de Conrad de Luxembourg, de Renaud de Bar, et se montra comme eux paladin fougueux, batailleur infatigable et obstiné, vrai type du chevalier des croisades.
Pourtant, à ses débuts, les querelles précédentes s'étaient apaisées, grâce à la médiation de Lothaire II, et une trêve fut conclue par la médiation du nouveau duc de Lorraine; Mathieu Ier (1135-1170). Henri de Salm en profita pour se rapprocher d'Etienne de Bar, sans toutefois partager toutes ses vues et sans le suivre à la croisade de 1146.
Sa charge de voué de Senones et de conservateur de Haute-Seille semble l'avoir peu préoccupé. Un document, que D. Calmet qualifie de diplôme, l'accuse de malveillance envers ses moines et le fait comparaître devant Albéron de Trèves, pour s'entendre condamner (1135), mais ce document n'a aucune valeur et a tous les caractères d'un faux. Une autre accusation est plus grave et le montre, cette fois, sujet au reproche qu'encourent tous les voués de son temps. Un bref du pape Eugène III, daté de 1150, le réprimande pour une injustice commise à l'égard de l'abbé de Saint-Mihiel, en chassant du prieuré d'Amance les religieux qu'il y avait mis, et en les remplaçant pat un prêtre de son choix. La menace d'excommunication le fit céder et restituer cette Celle, avec tout ce qu'il y avait dérobé (20).
Dans ces temps de troubles, jamais la paix n'était assurée. Pour des querelles futiles, les citains de Metz trouvèrent moyen, en 1152,de rallumer la guerre avec des seigneurs voisins et surtout avec leur évêque, Etienne de Bar. Henri de Salm et Renaud de Bar entrèrent en campagne pour secourir leur oncle. Dans un premier combat, 2.000 Messins avaient été tués ou noyés. Une autre bataille se préparait, qui devait être aussi meurtrière, tellement était vif l'acharnement des deux côtés. Hillin, archevêque de Trèves, l'apprit et s'en émut. Pour conjurer le péril, il ne vit qu'un moyen : faire intervenir saint Bernard. Il accourt à Clairvaux pour supplier le célèbre moine de mettre son éloquence au service de la paix; mais il le trouve accablé par la maladie, presque à l'agonie. Devant l'appel de l'archevêque, la grande âme du saint frémit et trouve assez d'énergie pour rendre à son corps épuisé une vigueur miraculeuse. En quelques jours, les deux voyageurs parviennent à Champey, près de Pont-à-Mousson, où les deux camps sont prêts à se battre. L'homme de Dieu en imposait par son étonnante maigreur. Plusieurs fois, il passa la Moselle en barque pour parlementer. Le plus obstiné paraissait être le comte de Salm, qui s'emportait au point de jurer qu'il voulait la destruction de Metz. On dit qu'alors un homme sourd fut présenté au saint, avec prière de lui imposer les mains, et qu'inspiré d'en haut, l'ascète adjura le comte de Salm par ces paroles : «  Vous faites la sourde oreille à mes discours, vous allez voir que cet homme les entendra. » Et, faisant le signe de la croix, il toucha les oreilles de l'infirme, qui fut aussitôt guéri. Frappé de stupeur à la vue de ce miracle, Henri se jeta aux pieds du saint et promit d'accepter les conditions de la paix, qui furent discutées sur le champ, dans l'îlot formé par la rivière (21). Retournés à Metz, le lendemain, tous faisaient à saint Bernard un accueil enthousiaste et signaient un accord dans le. palais épiscopal. Ce fut le dernier triomphe du moine. La mort le saisit après son retour à Clairvaux, le 20 août 1153.
Etienne de Bar devait lui survivre une dizaine d'années encore, pendant lesquelles sa sollicitude ne fit que croître envers notre région, qu'il remplit de ses créations et qu'il soumit en grande partie à son autorité temporelle. Son épiscopat de quarante-trois ans avait été marqué par une agitation que nous ne comprenons plus, il avait obtenu des résultats qui rendent un nom glorieux et inoubliable.
Henri Ier de Salm s'éteignit en 1170, sans qu'on sache le lieu de sa mort et de sa sépulture. Il avait épousé Havide, fille de Henri de Lutzel


MONNAIE DE METZ, A L'EFFIGIE D'ETIENNE DE BAR

bourg, sa parente, et en eut deux enfants, qui furent la souche des deux branches, désormais séparées; de Salm. L'aîné, Henri II, se fixera en Vôge et retiendra seul notre attention. La fille, Elise - et non un fils comme l'ont avancé certains auteurs - épousera Frédéric ou Ferry de Wianden, qui sera la tige de Salm-Ardennes, seconde. dynastie, vassale de Luxembourg (22).
Comme toutes les familles importantes de ce temps, Salm avait fait choix d'un blason, où figuraient deux saumons adossés (23). En se séparant, les deux branches convinrent de garder le même écu, mais d'en intervertir les couleurs. Salm en Vôge eut donc les saumons d'argent sur champ de gueules, et Salm-Ardennes les saumons de gueules sur champ d'argent. Henri II, à son retour de la croisade, en prit occasion pour semer son écu de neuf noisettes d'or, posées trois par trois.

4° Henri II et l'Ober-Salm :

L'administration du comte

La carrière de Henri II, consacrée tout entière au pays de Vôge, fut vraiment remarquable, et par sa durée exceptionnelle - 94 ans d'âge, - et par l'importance des résultats obtenus. Francisco de Rosières l'appelle : «  prince juste, bon et religieux » (24). Ce jugement est juste dans l'ensemble. Cependant, certains de ses procédés appellent des réserves, bien qu'ils ne soient point isolés dans. ces temps de troubles et de violence et qu'ils s'expliquent par la nature altière du personnage.
Il n'avait que dix-sept ans, quand, en 1170, il recueillit la succession paternelle. Son lot, formé par la vouerie de Senones et les possessions du Blanc-Mont, lui sourit, dit Bertholet, parce qu'il lui promettait l'indépendance et des agrandissements de fortune faciles à concevoir. Il avait de ses parents le titre de comte, il en prit occasion pour donner à ses états celui de comté, Enfin, il fit un beau mariage, en épousant, en 1174, Judith ou Joathe de Lorraine, fille de Ferry de Bitche, et soeur du duc Ferry (25) : Cette princesse, élevée à Stuzelbronn et en Allemagne, lui apporta en dot plusieurs domaines, situés dans le Saulnois, notamment Fonteny; près de Viviers, mais surtout lui valut à la cour ducale un rang de choix : le premier à la suite du duc, tout comme le comte de Vaudémont (26).
Pour un seigneur de cette taille un château était indispensable, un manoir pareil à ceux que créaient les princes féodaux de ce temps. Or, la vouerie de Senones n'offrait qu'une vague résidence, en un lieu que les auteurs appellent Apud Abaium, sans pouvoir en préciser l'endroit, et Pierre-Percée, toujours, occupé par son cousin, héritier de Conrad de Langenstein, ne devait être libre et acquis par lui que plus tard. Le mieux était de se mettre à l'oeuvre sans retard et d'ériger un monument qui répondît à ses vues. Est-ce trop. dire que l'emplacement choisi pour ce château trahit, dans la maison de Salm, de hautes visées politiques et suppose l'ambition de créer un Etat indépendant entre la Lorraine et l'Alsace, dans la partie moyenne de la chaîne des Vosges ? Le brillant mariage conclu naguère, et l'alliance avec les frères de Joathe : Philippe de Gerbéviller, Thierry d'Enfer, tige de la maison du Châtelet, Henry de Lombard, sire de Bayon, pouvaient autoriser ce rêve, ou, tout au moins, permettaient les plus belles aspirations. Toujours est-il que le hardi castel fut érigé en pleines forêts de la Brusche, sur un pic de 833 mètres d'altitude, qui domine Framont et Albey, dans un enchevêtrement pittoresque de monts, surnommés les Hautes-Chaumes, ou même la Chatte-pendue (Katzenstein), selon la curieuse expression du pays. Un manoir d'accès si difficile étonne à première vue, mais il faut songer qu'il constituait un excellent observatoire, d'où le regard, planant au loin, pouvait surveiller les abords du Donon et plongeait dans toutes les vallées avoisinantes. Il était de plus à portée des mines de fer, qui étaient, pour ce pays écarté, une source de richesse. Enfin, il commandait vraiment à tous les villages formant la vouerie de Senones, dont les limites étaient la Brusche et le Rabodeau. Le nom qui lui fut imposé fut Ober-Salm (SaIm d'en haut), par opposition à Nieder-Salm (Salm d'en bas) qui désigna Salm en Ardennes (27).
Cette entreprise, on le devine, fut loin de plaire à l'abbaye de Senones, et Richer ne manque pas de la taxer d'injustice, en alléguant que le voué avait bâti sur un fonds qui ne lui appartenait pas. D. Calmet s'est fait écho de cette accusation, en ajoutant que, pour ce motif, les comtes de Salm payaient à l'abbaye un cens annuel de deux sols strasbourgeois. Nous laisserons ce débat suranné. Richer nourrissait contre le comte de Salm une animosité évidente; et l'a exprimée dans maints passages de ses écrits. Il, faut convenir, d'autre part, que Henri III sut exploiter à son profit sa charge de protecteur et fit payer cher aux abbés et aux moines les services qu'il leur rendit.
Deux abbés, Bernard (1160-1169) et Gérard (1169-1200), furent à son égard d'une faiblesse étrange, jusqu'à laisser soustraire de leur avoir plus de cent manses. Conon de Turquestein, qui leur succéda, eut plus de complaisance encore et jeta dans le cloître plus de désarroi. Il était cousin du comte et séculier. Son train de vie était celui des riches et il ne trouvait pas déplacé de pénétrer au choeur, l'épervier au poing, et d'égayer ses loisirs aux tours des baladins et des bouffons. Ses méfaits, fort heureusement, ne durèrent que quatre ans. Après sa mort; l'abbé Henri (1204-1224) essaya de réagir contré tant d'abus et voulut réformer les moeurs, mais on l'entend exhaler cette plainte comme un soupir : «  Malheur à moi! quand j'ai été élu, c'est à peine si le voué possédait dans toute la vallée quatre livres ou cent sols toulois, et j'ai toléré que les sols se changeassent en livres. » C'est du moins le propos que rapporte Richer. Le découragement de cet abbé fut bientôt tel qu'il demanda sa mise à la retraite, à Beaupré (1224).
Admettons ces faits, sans oublier que d'autres plus honorables atténuent ces torts réels. Voici, en 1174, la confirmation à Haute-Seille des biens que cette abbaye tenait de ses fondateurs. Le comte y ajoute l'autorisation de recevoir toutes aumônes en hommes et en biens, et il reconnaît la donation du fief de Tenchère (Tanconville), par Olry de Neuviller, en présence de l'abbé Foulques. En 1186, voici la donation à la dite abbaye de sa forêt, dite Everbois; sa femme et son fils sont nommés dans cet acte.

La croisade

En 1189, Henri II prend la croix et se met en route, après Pâques, avec l'empereur Frédéric Barberousse, Pierre de Brixey, évêque de Toul, Renier de Montreuil et d'autres. Mais arriva-t-il en Palestine ? On peut en douter, car il était déjà de retour, en 1190, pour faire l'échange de son pré de Fontenoy contre un autre que possédait Senones à Plaine, près de son château de Salm.
Comme la région de Vôge se trouvait répartie presque tout entière entre les monastères qu'elle possédait, le seul moyen pour Henri d'agrandir ses domaines fut dé solliciter leurs avoueries fructueuses et d'en cumuler les revenus. La tactique lui réussit. Après Senones et Haute-Seille (28), il obtient de Saint-Sauveur la conservation de Domèvre (29). Il achète de l'évêque Bertram, en 1190, la vouerie du Moniet, et probablement la garde du château de Deneuvre, qui lui donne autorité sur les troupes de l'évêque et lui confère le droit de giste et de past en ses voyages chez les sujets de celui-ci, ainsi qu'une part de la vente, entrée et police pratiquées chez ces sujets. Il aura de même l'avouerie du château de Vic, quand celui-ci sera créé par l'évêque Bertram, pour consolider son autorité temporelle de nos côtés. Tous. ces avantages lui valurent considération et puissance.
Est-ce à dire que cet estimable comte fut sans défaut et n'eut jamais d'insuccès ? Non point. On voit, vers 1176, l'évêque de Toul, Pierre de Brixey, lui rendre bon témoignage dans une charte où il confirme les possessions de Haute-Seille et le dire : «  jeune d'âge, mais homme mûr par les moeurs ». Puis, huit ans après (1184), le même prélat est obligé, avec l'évêque de Metz, de le condamner pour des dommages. graves infligés à la dite abbaye (30). Le comte cependant ne persiste pas et, nous l'avons dit, répare ses torts en lui recédant l'Everbois, près de Cirey, et la cure de Tanconville.
Les bons rapports du comte et de l'évêque prolongés pendant tout l'épiscopat de ce dernier permettent, dans notre région, des réalisations avantageuses; comme au temps d'Etienne de Bar. Les bûcherons éparpillés dans la montagne sont invités à se grouper autour de deux églises, que leur bâtit l'évêque, sous les titres de deux saints qu'il aime : saint Florent et saint Guérin. Ainsi se forment Bertrambois et Petitmont, longtemps nommé Bertholdi-mons. Autour de Deneuvre, à Baccarat qui commence, à la Chapelle, à Vacqueville; à Neufmaisons (Ignonmaisons), s'accentue, s'organise une sorte de régence épiscopale, qui s'intitulera plus tard : Temporel évêchois, et qui deviendra la châtellenie de Baccarat.
Cependant cette amitié, comme les alliances de tous les temps, eut des inconvénients sérieux pour Henri de Salm. Sa fidélité à l'évêque, son suzerain, et au duc de Lorraine, son beau-frère, l'entraîna dans une guerre périlleuse avec le comte Thiébaut de Bar (1207). Il subit avec eux de graves échecs à Vic, à Prény (1207) et à Gorze (février 1208), et fut même prisonnier avec Simon de Parroy et ses deux fils, Simon et Albert, avec Philippe de Florenges, Albert de Darney, le duc de Lorraine, ses frères et plusieurs autres; Tous furent emprisonnés à Bar et ne recouvrèrent leur liberté qu'en payant une forte rançon (31).
En 1212 mourait l'évêque Bertram et son successeur était Conrad de Scharpeneck, qui ne parut guère dans son diocèse, et fut remplacé, en 1224, par Jean d'Apremont (1224-1238), puis par Jacques de Lorraine (1238-1260). S'il faut en croire Richer, Henri de Salm en prit à son aise avec les moines de Senones, et s'enrichit à leurs dépens. Mais on sait l'humeur tendancieuse de l'écrivain-artiste. Si les revenus du comte s'arrondissaient, c'est que les villages de l'abbaye augmentaient de population et de richesse. Son avoir fructifiait, mais sa générosité aussi se montrait par la donation à Senones du fief de Domjevin, avec ses dépendances situées à Herbéviller et à Blémerey (1219), et par la donation à Saint-Sauveur de sa libre chapelle, située dans son château de Pierre-Percée, avec ses dîmes en vins, vaches, veaux:, fromages, chevaux et porcs (32).
On devine que, pour administrer des intérêts si disséminés, le comte ait dû recourir à des officiers ou aides assez nombreux. Nous pouvons en citer trois. L'un, Maheu ou Mathieu, fut prévôt (proepositus) du Blanc-Mont; nous le retrouverons plus loin; Les deux autres furent châtelains de Deneuvre; à savoir : Garsirius ou Garsil, chevalier sans doute influent puisqu'il construisit l'église de Harbouey, vers 1164, et qu'il accompagna son maître à la croisade, et Conon de Turquestein, le dernier de sa dynastie, châtelain en 1200, devenu abbé de Senones (1202-1204), qu'il malédifia par sa mondanité.
Vers 1220, le comte Henri II atteignit la soixantaine et jugea bon de s'associer ses deux fils, parvenus à la maturité de l'âge. Il installa donc Henri III, son aîné, dans la seigneurie de Deneuvre, et réserva l'alleu du Blanc-Mont à Ferry, le second de ses. enfants. Sa famille comportait, en outre, un fils, Jean, que D. Calmet et Bertholet placent à la tête de Pierre-Percée, entre 121 5 et 1244, et qui ne laissa pas de postérité, deux filles, Judith et Lorette, dont on ne sait rien, et enfin Agnès, qui fut abbesse de Remiremont, succédant à Agathe de Lorraine.
L'extrême vieillesse de Henri II, dit Richer, fut sujette à des amertumes sans nombre. Ses enfants, loin de le consoler, lui occasionnaient la tristesse que ressentent souvent les parents dont la vie se prolonge trop longtemps.
Henri II de Deneuvre semblait impatient de le voir disparaître, afin de recueillir sa succession, mais il mourut lui-même avant l'octogénaire. Ferry ne fut pas meilleur et, un jour que son père était venu le visiter à Blâmont, il le chassa honteusement et l'obligea à regagner à pied son château de. l'Ober-Salm. Par bonheur, l'abbé Beaudoin de Senones le secourut à Pierre-Percée, en lui fournissant une monture pour achever sa route.
L'anecdote vaut ce qu'elle vaut et nous ne la discuterons. pas, malgré les circonstances invraisemblables qu'elle présente. S'il nous faut en retenir le fond, nous saurons ce qu'était alors la rudesse des moeurs et nous comprendrons que des personnes, même religieuses, aient allié une foi sincère avec des actes fort regrettables.
Les auteurs placent la mort de Henri II en l'année 1245, qui était la quatre-vingt-quatrième de son âge. De son château dé l'Ober-Salm, il fut transporté au cloître de Senones, pour y recevoir la sépulture. Sa femme, Judith, décédée l'année précédente, y reposait aussi. Le moine Richer, sculpteur, artiste et écrivain, orna leur tombe, en y gravant au trait leur effigie, avec des fleurs, et une inscription envers latins.

Les enfants de Henri III

De Henri III, l'aîné, sortit la branche principale de Salm, qui va devenir étrangère à notre histoire et poursuivra ses destinées dans le pays de Morhange et de Fénétrange; nous la retrouverons cependant dans de nombreux contacts avec la descendance cadette, issue de Ferry de Blâmont.

Henri III épousa, en 1220, Marguerite de Bar, soeur du comte Thiébaut Ier. Il reçut la vouerie dé Senones et du Moniet, organisa la châtellenie de Deneuvre, jouit des seigneuries de Viviers, Morhange, Donjeux et Hannoncourt, qui étaient dans la dot de sa femme (mai 1222). Richer, l'ayant vu de près, quand il était prieur au Moniet, l'a jugé aussi sévèrement que son père. Il le dit «  batailleur, orgueilleux, ambitieux, au point de rêver après la couronne impériale, et avec cela, perdu de dettes ».
On n'a guère retenu de lui qu'une dispute très âpre engagée avec l'abbé Widric de Senones. Le comte revendiquait l'hommage de deux hommes d'armes, Jean et Geoffroy, originaires de Couvay et frères de l'abbé, sous prétexte qu'ils demeuraient sur ses terres (dicens eos esse de familia sua). Les deux frères, au contraire, refusaient de lui reconnaître' la moindre suzeraineté. Ne pouvant vaincre leur résistance, Henri prit le parti de les faire appréhender. Mais Widrîc s'interposa et déféra le conflit aux deux évêques de Toul et de Metz. Les débats se prolongeant et restant sans résultat, l'abbé crut faire un coup d'éclat, en engageant ses moines à quitter le cloître de Senones. Tous partirent, en effet, sauf cinq, qui marquaient ainsi. leur approbation pour le comte de Salm. Ceux-ci furent traités en révoltés et enfermés dans les prisons de l'évêque de Metz, à Rambervillers. Mais le droit restait toujours en suspens. Pour en finir, les partis se mirent d'accord en retournant chacun chez soi, avec son indépendance préalable.
Une mort prématurée enleva Henri III. Son testament, rédigé la veille, c'est-à-dire à la Saint-Siméon de 1228 (33), nous donne de sa générosité une impression tout autre que les insinuations de Richer, car jamais ce moine ne fut plus fielleux qu'en racontant cette mort «  vraie punition divine, dit-il, marquée de circonstances horribles », que nous nous abstiendrons de rapporter; tellement elles sont fantaisistes. L'inhumation eut lieu à Haute-Seille.
Sa veuve garda la jouissance de Deneuvre, où elle se consacra à l'éducation de son jeune fils, Henri IV, seul rejeton qui continua la descendance aînée de Salm. Son histoire va désormais s'écarter de la nôtre. Nous l'arrêterons ici, pour reprendre, avec Ferry de Salm, les annales propres à la maison de Blâmont.

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(A suivre)


(1) Luxembourg-Belge, arrondissement de Bastogne, non loin de la célèbre abbaye de Stavelot.
(2) Voir sur ce sujet les historiens de Luxembourg : BERTIIOLET, TAXDEL, le baron SEILLERE. : Documents pour l'histoire de Salm; CHATELAIN; Jahrbuch, G.I.G., 1901; SCHAUDEL, op. cit., pp, 42 et sq.
(3) Richer, moine de Senones, à la fois chroniqueur et sculpteur, a laissé, dans, «  Gesta Senonensis Ecclesiae » (collection C. Waitz : monumenta Germaniae historica - Scriptores -t. XXV) des annales très précieuses sur des faits dont il fut témoin. Nous le citerons souvent en notant que ses jugements, d'ordinaire passionnés, ont besoin parfois d'être atténués.
(4) D. CALMET : Hist. de Lorr. IV, col. 527. -DINAGO : Hist. de l'abb. de Senones, p. 69.
(5) Certains auteurs, et, à leur suite, M. l'abbé Bernhardt, placent, en 1122, la reprise des châteaux de Hombourg, Mirebeaux, Fauquemont, Epinal, Deneuvre et même Pierre-Percée. Ces opérations militaires nous semblent mieux placées entre 1134 et 1137, comme nous le verrons.
(6) D. CALMET : Hist. de Lorr., t. Ier, col. 430; col. 275, ou DINAGO : Hist. de Senones, p. 76.
(7) BERTHOLET, op. cit., t. III, p. 395.
(8) BERTHOLET, op. cit., t. III, p. 273.
(9) Chron. Epis. Metz, Spicilège, t. VI, p. 661. -BÉNÉDICTINS : Hist. de Metz, t. II, p. 269. - La tradition place l'un de ces forts sur le versant occidental de la Pierre-à-cheval, où subsistent quelques vestiges de constructions, nommés bien à tort, château de Danegalle ; elle en place un autre sur la Roche-des-Corbeaux, pic qui domine, en effet, du côté de l'Ouest, le château de Pierre-Percée; elle ne dit rien du troisième, qui pourrait bien avoir été.sur une hauteur pareille du côté de Celles. La Chapelotte n'est pas loin de là, et, nous l'avons; dit, elle est à peu, près de ce temps. Bien que la tradition n'en parle pas, serait-il hors de propos d'établir quelque corrélation entre le long séjour d'Etienne de Bar dans ces parages et la création de ce sanctuaire édifié pour le ban le Moine, que nous avons décrit ?
(10) Ce document est cité textuellement par E. CHATTON ; Hist. de Saint-Sauveur et de Domèvre, p. XII.
(11) Ce lieu est Abreschwiller, et non Herbéviller, comme certains l'ont écrit, le contexte le démontre. Voir SCHOEPFLlN, t. III, p. 209.
(12) Cette expression, à laquelle ne répond aucun nom connu, désigne peut-être les deux monts : le grand et le petit Donon.
(13) Deux étangs subsistèrent dans ces parages jusque bien tard, sous les noms de Gracuns et Gemmeneis.
(14) Les. Bénédictins écrivent 1137, mais à tort. Chaque abbé de Theully gardait le titre de Père immédiat de Haute-Seille et avait le privilège de confirmer ses abbés. Ce fut la seule fondation de ce monastère.
(16) M. de Martimprey a écrit une notice sur Haute-Seille dans M.S.A.L., 1887.
(16) Gallia christiana, XIII, p. 1330.
(17) Histoire de Saint-Dié, p. 94.
(18) Stemmatum ac Barri ducum, t. IV, f° 186.
(19) Cette dernière appellation, si elle est justifiée, prouverait qu'après Agnès de Langstein, l'alleu du Blanc-Mont avait déjà pris quelque allure de seigneurie.
(20) BERTHOLET, IV, p. 169.
(21) Cet incident a donné lieu au pèlerinage annuel de Notre-Dame de Bouxières-sous-Froidmont.
(22) SCHAUDEL, op.cit., p. 114.
(23) Certains auteurs ont appelé barbeaux ces poissons héraldiques. Le saumon rappelle mieux le nom de Salm et les barbeaux doivent être laissés à la famille de Bar.
(24) Voir BERTHOLET, t. IV; SCHAUDEL, op. cit., p. 116; WANNÉRUS : Annale de l'Inst.
arch. du Luxembourg, 1919, p. 66.
(25) Plusieurs auteurs, trompés par la similitude du nom, l'on confondue avec sa tante, qui épousa Etienne de Bourgogne, et qui fut veuve en 1173.
(26) Dans la bataille, le comte de Salm faisait acte de premier vassal, en présentant au duc l'armet, l'ase ou l'écu. Ce privilège s'est perpétué dans la famille de Blâmont.
(27) Nous ne pouvons faire ici l'histoire de ce château. Disons seulement qu'il subsista jusque vers 1591. On ne sait qui le détruisit. Un ancien tableau relatif à sa ruine montre une femme qui fuit avec une fillette qu'elle traîne par la main. En arrière, les boulets font écrouler les murailles et les flammes dévorent les logis. Il ne reste que des éboulis et des excavations informes, que D. Pelletier a dessinés au XVIIIe siècle. Un ferme établie à mi-côte, et appelée Salm est seule à perpétuer ce souvenir.
(28) A Haute-Seille, le cri de la fête, lors des plaids annaux, est resté le suivant : Au nom de Dieu et de la Vierge Marie, des seigneurs abbé et couvent et de nos seigneurs les comtes de Salm, conservateurs et gardiens du dit monastère, etc... En 1752, les comtes de Salm ayant fait proclamer leur nom avant celui des religieux, ceux-ci refusèrent la paix à leur représentant, quand il vint à l'offrande.
(29) E. CHATTON la décrit, op. cit., p. 45. Elle passa aux sires de Blâmont après Ferry de Salm.
(30) Non seulement le comte avait détourné un bras de la Vesouze qu'à grands frais les moines avaient fait passer dans leur propriété, mais il voulait encore révoquer les donations antérieures de sa famille.
(31) BERTHOLET, t. IV, P.294; D. CALMET, t. II, col.. 135; t. IV, 276; DIGOT, t. II, pp. 12-15.
(32) Les charges de ces donations mentionnent que le rite qui les symbolisait consistait à mettre un gazon sur l'autel de saint Pierre, dans l'église abbatiale, en présence de l'abbé et des témoins.
(33) M. le Mercier de Modère a retrouvé ce testament, en 1882, dans le fonds de Haute-Seille, et l'a publié dans J.S.A.L., 1883, p. 188.
 
 

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