Le magasin
pittoresque
Édouard Charton
1850
ESTAMPES RARES.
HENRI DUC D'ANJOU, DEPUIS HENRI III, PARTANT POUR LA POLOGNE.
Sigismond-Auguste, roi de Pologne, mourut sans enfants à Knyssin,
en Podlaquie, le 17 juillet 1572, à l'âge de cinquante-deux ans.
Avec lui s'était éteinte la race des Jagellons, qui régnait
depuis cent quatre-vingt-six ans sur la Pologne, et les nobles
polonais voulaient un prince étranger qui leur donnât une
alliance puissante contre la maison d'Autriche.
De nombreux prétendants sollicitèrent les suffrages de la
république et se disputèrent l'honneur de la gouverner : le roi
de Suède Jean III, le czar Basilide, Albert-Frédéric, duc de
Prusse, l'électeur de Saxe, le marquis d'Anspach, l'archiduc
Ernest, fils de l'empereur Maximilien II. Mais tous ces
concurrents furent écartés par l'influence d'un homme presque
inconnu, nommé Krasocki. Ce gentilhomme polonais était un nain
extrêmement aimable. Accueilli par la reine Catherine de
Médicis, il sut gagner ses bonnes grâces, et, ce qui était
peut-être plus difficile, il sut les conserver. Rentré dans sa
patrie du vivant de Sigismond-Auguste, il décida du choix du
successeur de ce prince, et fit acquitter par ses compatriotes
les faveurs qu'il avait reçues à la cour de Charles IX.
Rien n'est si séduisant que le langage de la reconnaissance:
tout ce qu'elle sent, elle le persuade, parce qu'on aime jusqu'à
ses excès. Grâce à cette influence irrésistible, Krasocki vit
bientôt accueillir avec une sympathie marquée les éloges qu'il
ne cessait de donner à la magnificence de la cour de Charles IX,
à la valeur de ce monarque, à l'habileté et au génie de
Catherine de Médicis. Il vanta surtout les vertus guerrières du
frère du roi, Henri de Valois, duc d'Anjou, qui, à dix-sept
ans, lieutenant général de toutes les armées du royaume, avait
déjà immortalisé son nom par les victoires de Jarnac et de
Moncontour.
Ce que Krasocki avait adroitement commencé fut achevé avec un
plein succès par l'ambassadeur de Catherine, Jean de Montluc,
évêque de Valence et de Die. La Diète réunie à Varsovie le 5
avril 1573, après avoir entendu les envoyés de tous les
prétendants, élut, le 9 mai de cette année, veille de la
Pentecôte, à la pluralité des voix dans tous les palatinats, le
duc d'Anjou roi de Pologne. Des ambassadeurs, au nombre de
treize, lui apportèrent le décret de son élection à Paris, où
ils firent solennellement leur entrée le 18 août, escortés par
quatre cents gentilshommes français ayant à leur tète le
prince-dauphin, fils du duc de Montpensier, les ducs de Guise et
d'Aumale, et les marquis de Mayenne et d'Elbeuf.
Le 10 septembre, le nouveau roi de Pologne prêta devant l'autel,
après la messe, à l'église Notre-Dame, en présence des
ambassadeurs polonais et de la cour de France, le serment
d'observer fidèlement toutes les conventions formulées dans le
décret adopté par la Diète au moment de l'élection. Le roi de
France se rendit caution, sous serment aussi, des engagements
que le roi son frère venait de contracter avec ses États.
Trois jours après, le décret de son élection fut présenté à
Henri de Valois dans la grand'salle du Parlement, où l'on avait
élevé une immense estrade. Charles IX, Henri de Valois, la
reine-mère, la reine Élisabeth, le duc d'Alençon et le roi de
Navarre y étaient assis sous de magnifiques dais. Les
ambassadeurs furent reçus à la porte du palais par le duc de
Guise, grand maître de la maison du roi. Le diplôme qu'ils
apportaient était enfermé dans une cassette d'argent. Deux des
ambassadeurs la portèrent sur leurs épaules depuis l'escalier de
la cour jusqu'à la salle. A la fin de la cérémonie, Charles IX
s'avança le premier vers le trône où son frère était assis, et
l'embrassa avec des marques de joie d'autant moins équivoques,
qu'offensé depuis longtemps de l'autorité que ce prince s'était
arrogée dans ses États, et voulant être délivré de la présence
importune de son successeur, il le voyait enfin obligé d'en
sortir par un événement aussi heureux qu'honorable.
Henri, au contraire, blessé des conditions imposées à son
élection, et vivement préoccupé surtout des chances d'avenir
qu'offrait à son ambition l'état de santé de son frère atteint
d'une maladie de langueur qui empirait tous les jours, s'ingénia
à multiplier les prétextes de délais, et à faire naître des
obstacles qui lui permissent de retarder son départ pour la
Pologne. Charles IX, dont l'esprit soupçonneux avait deviné la
cause réelle de ces lenteurs calculées, déclara qu'il sortirait
du royaume ou qu'il obligerait son frère à partir. Enfin Henri
quitta Paris le 27 septembre 1573; il se sépara de Charles à
Vitry, de Catherine de Médicis à Blamont, et prit le chemin de
l'Allemagne, réglant tous ses pas sur l'attente d'un événement
qui devait bientôt le rappeler en France. Il séjourna
successivement dans sa route ù Nancy, à Landau, à Spire, à
Heidelberg, à Worms, à Mayence, à Francfort-sur-le-Mein, à Fulde
où il passa les fêtes de Noèl, à Walt-Kappel, et, après avoir
traversé la Saxe, quelques terres de l'obéissance de l'empereur,
et une partie du Brandebourg, il arriva près de Miedzyrzecz, où
un corps considérable de Polonais était venu à sa rencontre. Il
entra à Cracovie le 18 février 1574, et, le 21, le couronnement
se fit dans l'église cathédrale.
Henri s'était si peu pressé d'arriver en Pologne que, depuis le
4 décembre, jour de son départ de Blamont, il avait mis vingt
jours pour se rendre à Fulde, et n'avait fait dans cet
intervalle qu'environ soixante-cinq à soixante-dix lieues de
France. |