L'étude d'Emile AMBROISE a
été publiée par "Le Pays Lorrain", répartie
en 15 parties, sur les années 1908 et 1909. Si les dix-huit chapitres du texte ne concernent pas uniquement
Blâmont, nous
avons cependant choisi d'en reprendre ici l'intégralité.
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CHAPITRE IX
HAUTE-SEILLE ET LES COMTES DE SALM. - PRÉTENTIONS DES ABBÉS.
SAC DE L'ABBAYE.
HAUTE-SEILLE ET LES COMTES DE SALM
Haute-Seille s'éleva, comme nous l'avons dit en 1140, sous l'inspiration probablement de saint Bernard, et de la comtesse Agnès de Langstein, et avec la participation de tous les membres de la famille de Salm et de Turquestein, en un lieu qui confinait aux domaines des deux familles, et que les chroniques du temps nous dépeignent comme une vaste solitude. Un document du Xlle siècle y mentionne la présence de treize religieux (1).
Le village de Tanconville qui avait été autrefois un lieu florissant et très habité, était devenu désert abandonné aux incursions des bêtes fauves; et il ne fallait rien moins que le zèle des religieux « qui recherchent volontiers les lieux déserts pour
s'y fixer et les cultiver » (2) pour lui rendre quelque valeur.
Saint Bernard, qui entretint de fréquentes relations avec l'évêque de Metz Etienne de Bar, et
l'entraîna à la Croisade, parait avoir influé sur la fondation de
l'abbaye de Haute-Seille, non moins que sur celle de Beaupré. Non-seulement, en effet, ce sont des moines de Citeaux qui y furent appelés, mais une tradition
encore vivante aujourd'hui, réunit chaque année une foule nombreuse au jour où se célèbre la fête du grand abbé Bénédictin. (20 août).
La puissance territoriale du nouveau monastère ne fut pas d'abord considérable. Elle se bornait à la seigneurie foncière de ce village désert de Tanconville, mais
n'en comportait pas moins le lugubre appareil du signe patibulaire qui se dressait sur le chemin de Hattigny (3). Plus tard, par suite
d'acquisition et d'échange, les moines de. Haute-Seille devinrent seigneurs de Hesse, prés Lorquin, village qui tirait son importance
d'un prieuré aussi riche que l'abbaye elle-même, et qu'avait consacré le pape Léon IX en personne. Mais ce furent les dîmes de Blémerey, de Domjevin, de Fréménil, et de Vého ainsi que les cures de Parux, Bertrambois, Hattigny, la Frimbole, Landange, Aspach, Niederhof, Fraquelfing, Neuf-Moulin, Languinberg, Fribourg, etc., qui constituèrent le gros de ses revenus. On voit par cette énumération que
c'est dans le pays de Lorquin que s'exerça surtout l'influence et
l'autorité des moines de Haute-Seille.
Mais ce n'est qu'au cours des siècles, que cette puissance relativement considérable avait réussi à
s'établir. Ses débuts avaient été difficiles. Non seulement le patrimoine primitif de
l'abbaye ne comprenait guère que les terrains incultes de Tanconville, mais les donateurs eux-mêmes comme se repentant de leur libéralité,
n'avaient pas manqué moins de sept ans après la fondation, d'exercer envers Haute-Seille, les mêmes vexations
qu'envers Senones. Dès 1147, l'évêque Etienne de Bar était obligé
d'intervenir en faveur de l'abbaye contre ces mêmes seigneurs « qui
l'avaient bâtie ». Interprétant à leur façon leurs privilèges de fondateurs, ils attiraient tout a eux; et, comme tous ces seigneurs tant de Salm que de Turquestein étaient nombreux, il devenait dangereux pour les moines « de fonder un couvent sous un si grand nombre de seigneurs, et au milieu
d'un pareil désordre. » « Nous avons donc, dit l'évêque, fait venir devant nous, tous ces seigneurs qui sont nos fidèles et tous de notre parenté consanguine, et nous avons fait ceci.
« Ils ont résigné entre nos mains tous les droits qu'ils avaient en ces lieux, et ces droits, nous les avons à leur prière, et de notre propre autorité, transférés aux religieux. Nous les leur confirmons par
l'apposition de notre propre sceau - car eux n'en possèdent pas, - et nous les plaçons à perpétuité sous la protection de
l'Eglise de Metz (4). »
Les seigneurs de Salm, nous l'avons déjà vu, s'inclinaient devant
l'autorité de l'évêque suzerain, quand il avait la force pour lui, mais ils recommençaient bientôt leurs exactions.
C'est ce qu'ils firent trente-sept ans plus tard. En 1184, Henry de
Salm, dont nous connaissons l'esprit d'aventure, prétendit détourner le cours du canal dérivé de la Vesouze, que les moines avaient amené dans leurs clos - et
qu'on y voit encore aujourd'hui - affectant de vouloir leur reprendre toutes les concessions
qu'ils devaient à ses ancêtres, et même faire argent de son droit
d'avocatie.
Mais cette fois, il se heurta à deux puissances plus forte que la sienne,
l'évêquee de Metz son suzerain et l'évêque de Toul, diocésain de
l'abbaye,
Le traité que les deux prélats imposèrent à ce hobereau endetté et turbulent est intéressant par
l'étendue des immunités, franchises et garanties qu'il assure au couvent, contre les velléités turbulentes de ses protecteurs, et par la forme humiliante sous laquelle
s'exerce l'intervention épiscopale (5).
« En présence des évêques de Metz et de Toul, mes seigneurs, je reconnais que
j'ai injustement molesté l'abbé et les moines de Haute-Seille ; que je
n'ai aucun droit sur la rivière, ni sur les autres ruisseaux ou dérivations, ni sur quoi que ce soit, appartenant à
l'abbaye. - En réparation, je leur donne ma forêt qui est derrière
l'abbaye vers Cirey, et je leur quitte tous les droits que j'avais sur la paroisse de Tanconville. Je leur cède tout ce
qu'ils pourront acquérir sur mes sujets nobles ou non, par dons, ventes ou échanges mobiliers ou immobiliers, et ce, nonobstant toute contradiction ou réclamation de nous-même, ou de nos héritiers, comme propriétaires ou comme seigneurs (6).
« Si nous ne rendions pas dans les huit jours, ce que nous aurions pris ou laissé prendre à
l'abbaye, nous voulons que les deux évêques, chacun dans leur diocèse, fulminent sur nous et sur nos terres la sentence
d'excommunication et d'interdit, nous interdisant contre leur témoignage tout recours
d'appel ou d'exception. Et si nous ou nos successeurs se livraient encore à quelque déprédation, nous déclarons que nous remettons
l'affaire entre les mains de notre Seigneur l'évêque de Metz; et que
c'est lui ou son successeur qui, sur la plainte des religieux serait tenu de défendre et de protéger contre nous-mêmes,
l'église de Haute-Seille et ses biens.
« Que si nous ne cessons pas de tourmenter, molester, et violenter ladite église, notre seigneur et évêque, après une mise en demeure de quarante jours, mettra la main sur tous les fiefs que nous tenions de lui, comme notre légitime Seigneur; il en aura la saisine et pourvoira à la sauvegarde de
l'abbaye.
« Nous déclarons caducs tous nos droits sur celle église et ses possessions, à titre
d'avoué, fondateur et gardien. Nous renonçons à prétendre tout droit de possession
ou de prescription, à l'encontre des religieux, même s'il leur plaisait de se taire et de supporter quelque temps nos offenses.
« En outre, si les évêques de Metz, voulaient demeurer tièdes et négligents à exécuter cette convention, les abbés et. religieux pourraient, devant cette défaillance de leur évêque, choisir à leur volonté un autre défendeur, qui puisse les protéger, et nous obliger au respect inviolable des présentes conventions. »
PRÉTENTIONS DES ABBÉS
Il nous semble que cette vieille charte, presque contemporaine de la fondation de Haute-Seille, résume toute
l'histoire de l'abbaye. - Elle nous dépeint bien la situation précaire
d'un monastère toujours en butte aux convoitises des seigneurs voisins, amis ou ennemis ; sa persévérance à
s'en affranchir, en profitant habilement des fautes et des faiblesses de ses oppresseurs ; et enfin
l'insuffisance et le peu de fixité de la protection qu'elle pouvait attendre de
l'autorité ecclésiastique, dont la politique et les moyens d'action, variaient avec
les visées et la force de chaque titulaire, et contre
l'indifférence de laquelle, des
précautions n'étaient pas superflues.
On a noté surtout les graves concessions arrachées au seigneur de Salm, -
l'abandon de ses droits de relief et de main-morte sur les biens, que
l'abbaye pouvait acquérir de ses vassaux nobles ou non et sa renonciation à tous les droits que pouvaient lui donner sur elle, sa qualité de fondateur,
d'avoué ou de seigneur.
Les moines de Haute-Seille, imbus d'ailleurs des prétentions qu'élevaient partout les moines de leur ordre,
s'armèrent de ces concessions à toutes les époques, pour prétendre â une complète indépendance, à
l'égard des seigneurs de Salm d'abord, puis des ducs de Lorraine, et plus tard du roi de France.
Mais si leurs prétentions demeurèrent tenaces, elles ne cessèrent pas de susciter des contradictions, et ils
n'eurent jamais ni la force, ni le prestige nécessaires pour les faire triompher.
Cette lutte qui se prolongea jusqu'aux dernières années de l'ancien régime est toute leur histoire politique. De même
qu'il était de tradition que les abbés de l'ordre de Citeaux avaient dans leurs domaines la plénitude de la juridiction épiscopale, et
n'étaient d'aucun diocèse, privilège que le pape reconnut en 1542 (7) ; de même dans
l'ordre temporel, ils prétendaient demeurer souverains
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