Historique du 142ème Régiment d'Infanterie pendant
la Guerre 1914-1918
Imprimerie Berger-Levrault
Lorraine
Dès le premier jour de la mobilisation, le 2 août
1914, Mende et Lodève connurent la fièvre des
préparatifs de départ, avec l'enthousiasme des
soldats venus d'un peu partout : des monts de la
Lozère, des causses de l'Aveyron, des plaines du
Languedoc et du Roussillon.
Le 5 août, le 3e bataillon, avec le commandant Desrousseaux, partait de Mende aux cris mille fois
répétés de : « A Berlin ! »
Le 6, les deux autres bataillons quittaient Lodève,
avec le colonel Lamolle, au milieu des cris
d'enthousiasme de la foule.
Le 142ème R. I. fait partie du 16ème corps, 31ème
division, et forme avec le 122ème la 62ème brigade,
aux ordres du général Xardel.
La concentration se poursuit dans la région de
Lunéville, où le régiment cantonne les 12 et 13
août.
Le 14, au petit jour, c'est la marche vers la
frontière. L'ennemi, bientôt signalé, échange des
coups de feu avec nos patrouilles de couverture à
Xousse (Meurthe-et-Moselle), fait le vide et va nous
attendre sur des positions organisées, non sans
arroser copieusement nos colonnes en marche de ses
obus fusants qui causent peu de mal, ce qui fait
dire à nos braves troupiers : « Les obus boches ne
valent rien, leurs artilleurs sont nuls ! » La
rencontre de quelques cadavres de uhlans, la vue des
premiers prisonniers augmentent le courage de chacun
et le désir de pouvoir se mesurer avec un ennemi qui
semble refuser la bataille.
Partout, sur la route, les paysans s'enfuient,
emportant quelques hardes. Des femmes endimanchées
poussent des voiturettes où s'entassent pêle-mêle
des petits enfants, du linge, des objets précieux.
Les fermes brûlent dans la plaine. Les troupeaux
circulent en liberté, sans que personne ne s'oppose
plus à leur randonnée dans les blés mûrs et dans les
champs en culture.
Le soir, le régiment couche sur ses positions,
couvert par un système complet d'avant-postes.
Le 15, il reste dans l'expectative. Le 16 août, en
franchissant la frontière, une émotion et un
enthousiasme intenses s'emparent de tous. Le
capitaine Douzans, de la 10ème compagnie,
s'agenouille et embrasse la terre lorraine. Le
lieutenant Airitié, en foulant pour la première fois
le sol de nos chères provinces retrouvées, s'écrie :
« Maintenant, je puis mourir ! » Les mitrailleurs du
lieutenant Manselle abattent un poteau frontière en
proclamant : « II ne sera pas relevé ! »
Le régiment s'élance, pénètre dans les tranchées
ennemies de Moncey, arrive à Maizières où la grêle
de balles d'un escadron prussien l'oblige à
s'arrêter un moment. Il cantonne le soir à Desseling,
pour reprendre le lendemain sa marche en avant.
Les premiers combats. - 18 août 1914. - Le régiment
reçoit l'ordre de s'emparer des villages de
Loudrefing et de Mettersheim, d'assurer le débouche
du canal de Salines entre les deux ponts de chemins
de fer et de la station.
L'ennemi a fortement organisé la position.
Cependant, dès que l'artillerie de la 31ème division
entre en danse, nos fantassins voient avec bonheur
l'ennemi s'enfuir de ses tranchées sur la position Donnan-Istroff.
Les 1er et 3ème bataillons, partis de Bisping, sont
obligés de traverser la forêt de Mühlwald pour
marcher sur Angwiller et assurer le débouché du
canal.
Lorsque les premiers fantassins débouchent de la
forêt, l'ennemi ouvre sur eux le feu infernal de ses
mitrailleuses et de ses canons de tous calibres.
Le chef du régiment, le colonel Lamolle, est
mortellement atteint d'une balle à la tête.
Le 1er bataillon ne peut commencer son mouvement
qu'à 15 heures ; le 3ème va s'embourber dans les
marécages de l'étang de Vape-Wiser. Malgré
l'intensité toujours croissante du bombardement
ennemi, les 1re et 2ème compagnies s'élancent à
l'assaut, à l'ouest de Loudrefing, bousculant
l'Allemand, mais se font décimer par son feu. Les
3ème et 4ème compagnies, qui les renforcent,
s'accrochent au terrain, mais se voient obligées de
revenir à leur point de départ.
Quelques éléments du 3ème bataillon arrivent, à la
suite du drapeau que porte le lieutenant Viala,
jusqu'à Loudrefing, d'où ils chassent l'ennemi. La
10ème compagnie s'empare de la station, grâce à
l'héroïsme du capitaine Douzans qui, blessé, ne
cesse de marcher en tête de sa compagnie, en criant
: « En avant ! » Mais bientôt, frappé par plusieurs
balles, il tombe ; ses derniers mots sont : « Vive
la France ! » A leur tour, ces éléments, écrasés par
l'artillerie lourde allemande, sont obligés de se
replier sur les hauteurs voisines du village. Le
lieutenant Viala est tué et le drapeau déchiqueté
par la mitraille.
Le 2ème bataillon, sous les ordres du
lieutenant-colonel Rouhan, tente d'enlever
Mettersheim ; il se heurte à des retranchements, ses
unités sont décimées. Le lieutenant-colonel est
mortellement blessé d'une balle au ventre.
A la nuit tombante, la retraite est générale.
L'Allemand, exploitant le succès, talonne les
éléments décapités du 142ème qui, sous le
commandement de quelques officiers et
sous-officiers, se retirent en combattant sur le
village de Bisping pour tenter de se reformer. Les
musiques allemandes jouent la Wacht am Rhein.
Les pertes pour cette journée de combat furent
cruelles : le régiment perdait son chef et son
adjoint, 27 officiers et 1.150 hommes.
Les 19 et 20 août, les uhlans continuent à talonner
nos arrière-gardes. Pour la première fois, un taube
léger survole le champ de bataille, excite la
curiosité ; personne ne s'en méfie.
De petits éléments du 1er bataillon défendent
vaillamment le passage du canal de Salines ; des
groupes encerclés continuent à lutter, mais toute
leur bravoure ne peut enrayer la poussée ennemie.
Le régiment poursuit sa marche sur Lunéville où le
commandant Azemar espère regrouper ses unités ; mais,
dès 9 heures du matin, l'alerte est donnée ; le
régiment, de nouveau, est lancé dans la bataille à
Jolivet, Bonviller, Sionviller, Bayon, Fraimbois et
Gerbéviller.
22 août 1914. - Le 2ème bataillon, engagé le
premier, doit disputer Charmois à l'ennemi. Le 3ème
bataillon soutiendra son effort et enlèvera
Sionviller, tandis que le 1er, creusant des
tranchées sur les pitons avoisinants, sera en
réserve, soutien d'attaque.
A midi, le capitaine Balmitgère, s'élançant à la
tête du 2ème bataillon, l'entraîne sur des positions
qu'il enlève à la baïonnette, tue les fuyards, brise
à coups de fusil les contre-attaques et sans
s'inquiéter de ses pertes, malgré le tir toujours
très violent de l'artillerie, s'accroche à la
position. Ses effectifs, trop réduits par la
bataille, sans munitions, sans soutien, sont obligés
de revenir à l'abri de Jolivet.
Pendant ce temps, le 3ème bataillon arrête par ses
feux les masses ennemies qui dévalent les pentes au
sud de Sionviller et menacent la droite du 2ème
bataillon. La 10ème compagnie se fait écraser par
l'artillerie allemande. Quelques éléments, maintenus
au combat par des officiers et sous-officiers
particulièrement énergiques, exécutent à propos des
feux de salve et obligent l'ennemi à arrêter
momentanément son attaque.
Encore une fois fortement éprouvé, le régiment se
reforme à Bayon où le général de Castelnau,
commandant la IIe armée, vient le féliciter pour sa
belle conduite et le proclame : « régiment de braves
».
Gerbéviller. - Placé en réserve de brigade, le
régiment se reforme, puis vole à la rescousse des
coloniaux ; attaque avec eux, le 25, les crêtes de
Bayon qui dominent Lunéville.
Bivouaqué dans le bois de la Reine, continuellement
battu par l'artillerie ennemie, le régiment subit de
lourdes pertes ; aussi c'est avec plaisir que, le
28, il reprend la marche sur Haudonville pour
renforcer le 81ème R. I. et tenter avec lui la
traversée de la Mortagne. Le passage est vivement
disputé, et c'est après une série de combats aussi
courts que violents qu'il arrive enfin en vue de
Gerbéviller.
Le village est en flammes. Quelques maisons sont
encore debout : le château et l'hôpital semblent
seuls épargnés.
Nos premières patrouilles pénètrent dans Gerbéviller
derrière les soldats allemands. Une dizaine de
vieillards, quelques femmes, des enfants échappés à
fa férocité des hordes allemandes, regardent en
pleurant les soldats libérateurs. Sur la porte de
l'hôpital, soeur Julie applaudit les nouveaux
arrivants : héroïque femme qui brava la colère des
barbares pour protéger les blessés dont regorge son
hôpital et cacha dans sa maison les soldats échappés
aux premiers combats.
Les ruines, fouillées, offrent un spectacle
poignant.
Le soldat Mir trouve dans le jardin d'une maison une
jeune femme, dévêtue, couchée sur un matelas, les
deux seins arrachés.
Le caporal Galenc ouvre un énorme paquet contenant
deux femmes et un enfant, nus et mutilés.
Dans une chambre, un monstre allemand, pris de
boisson, pique de sa baïonnette deux femmes nues et
attachées : un patrouilleur indigné lui écrase la
tête.
Dans un ravin, quinze vieillards gisent pêle-mêle.
Plus loin, les cadavres de 300 coloniaux sont
alignés dans la plaine.
Pris et repris quatre fois, le village reste enfin
entre nos mains et, après quinze jours de combats,
l'ennemi se replie dans la direction de Parroy.
Après quelques jours de repos, le 142ème se dirige
par étapes sur Nancy, où il est accueilli en
libérateur.
Les habitants couvrent les troupiers de fleurs et
ouvrent pour eux, toutes grandes, les portes de
leurs foyers.
La marche se poursuit dans la direction de Noviant-aux-Prés
[...]. |