Division du dragon
(164e).
Novembre 1916 - janvier 1919
Général de Division Gaucher et Capitaine Laporte
Ed. Paris 1924
IX. - LUNÉVILLE
L'occupation de ce secteur a compté dans l'histoire de la
division comme une période heureuse.
Avant bien organisé, avec des tranchées et des abris
perfectionnés.
Arrière confortable dans de bons villages habités et jamais
bombardés. Quelques mauvais moments en certains points de
première ligne, mais rares. on ne peut tout avoir.
La division est installée principalement dans la forêt de Parroy,
étendant sa droite jusqu'au ruisseau des Amis, un peu au nord de
la voie ferrée de Strasbourg, sa gauche jusqu'au Sanon. Le front
englobe Embermenil qui se trouve en première ligne et passe
devant Mouacourt, occupé et organisé par l'ennemi.
Quatre positions successives : une première position
complètement organisée à quatre lignes.
Une position 1 bis et une position 2 plus ou moins en voie
d'exécution.
Une position 3 à l'état de projet.
Des bretelles.
Trois sous-secteurs divisés chacun en deux centres de
résistance.
A chacun des trois sous-secteurs est affecté un régiment
d'infanterie ou groupe de chasseurs ayant deux bataillons en
ligne et un bataillon en réserve d'armée.
Les commandements des sous-secteurs nord (133e) et centre
(chasseurs) alternent au P.C. Grande Taille sur le chemin du
Haut de la Faite dans la forêt. Quand ils n'y sont pas, ils ont
leur P.C. à Crion pour le nord, à Croismare pour le centre, d'où
ils commandent, en même temps que le sous-secteur, l'ensemble
des trois bataillons en réserve d'armée.
Le commandant du sous-secteur sud est à Marainviller (152e).
Le général de division dispose comme artillerie :
1° Du 232e R.A.C.
2° Du 3e groupe du 7e R.A.L. comprenant : 4 pièces de 120 L., 12
pièces de 95, 7 pièces de 90, 1 pièce de 75 antitanks, 1 pièce
de 37 antitanks.
3° De la 101e batterie de 58 du 232e en position : 6 pièces 1
bis, 6 pièces 2.
La compagnie du génie 9/14 à Marainviller.
La compagnie du génie 9/64 à Croismare.
1/3 du génie au repos.
Mission essentiellement défensive.
Le 21 janvier [1918], l'état-major du 7e C. A. relève celui du
9e C.A. La division se trouve ainsi, pour la première fois, sous
les ordres du général commandant le C.A. dont elle fait
organiquement partie.
Le 11 février, l'ennemi tente un coup de main sur le petit poste
Palestine près du ruisseau des Amis. Le poste se replie, 4
disparus, présumés tués. Les Allemands laissent sur le terrain
deux cadavres qu'une patrouille ramène le lendemain.
Nouvelle attaque sur le même point le 13, sans aucun succès.
Le 15 février arrive à Lunéville le campement du 165e R.I.
américain qui vient faire ses premières armes sous l'égide de la
division.
Les premières divisions américaines constituées en France ont
fait quelques mois d'instruction à l'arrière ; elles vont
maintenant prendre contact avec le feu dans des secteurs calmes,
en attendant d'aller, sur les champs de grandes batailles, mêler
leur jeune sang au nôtre et, d'un puissant effort, nous aider à
pousser l'Allemand hors de France au moment où nos bras épuisés
faibliront.
La 42e division américaine entre dans le secteur du 7e C.A. Là
1,646 division reçoit, outre le 165e régiment d'infanterie U.S.,
un bataillon d'artillerie de campagne de 75 et une compagnie du
génie.
Après quelques jours d'installation et de reconnaissances, les
Américains commencent à entrer en ligne : pour débuter on les
incorpore par groupes de combat aux unités françaises dans le
centre de résistance de Rouge-Bouquet-Chaussailles, qui est
calme. Les artilleurs entrent, pièce par pièce, en
superposition, près de nos groupes. Progressivement, la
proportion est augmentée jusqu'à leur donner un secteur de
bataillon.
Les Américains étaient enchantés de cette nouvelle vie,
relativement douce, dans la belle foret peu marmitée. Ils
prirent tellement confiance, qu'ils perdirent toute prudence et
se montrèrent bientôt sur tous les parapets. Ils faisaient
sécher leur linge sur les abris et allèrent jusqu'à se faire
cinématographier dans un poste d'écoute.
Le boche-impatienté, désireux peut-être de terrifier ces
nouveaux arrivants, se mit à concentrer sur leur secteur des
bombardements tout à fait inusités dans cette région très calme
et le 7 mars, plus de trente Américains furent ensevelis dans un
abri, par une torpille. Une quinzaine seulement furent retirés
vivants. La leçon fut dure, mais profitable.
Entre temps, les unités travaillaient opiniâtrement à
perfectionner l'organisation défensive du secteur. On sentait
que l'ennemi- allait déclancher la grande offensive qui devait
lui donner la victoire. ou, lui briser les dents...
Où aurait-elle lieu ? De nombreux indices laissaient penser
qu'elle serait dirigée sur Luné ville et Nancy. On donnait
partout des coups de sonde pour fixer l'ordre de bataille et
surprendre les préparatifs ennemis.
Le 20 février, la division de gauche exécute sur Rechicourt un
coup de main de grande envergure, une véritable attaque.
La 164e division devait y participer surtout par des
concentrations de feux donnant l'illusion d'une préparation. A
la faveur de ce formidable bombardement un groupe de 32 hommes
du 133e R. I., sous le commandement du lieutenant Bouron, saute
dans les tranchées du Trapèze (sud de Mouacourt) et en ramène 32
prisonniers dont trois sous-officiers, sans aucune perte.
Les coups de main continuèrent presque sans trêve, tantôt
allemands, tantôt français mais sans opération importante
jusqu'au milieu du mois de mars.
Le 10 mars, le commandant Grosjean, du 59e R.C.P. promu
lieutenant-colonel est remplacé par le commandant de Boishue.
Le 20 mars, les chasseurs accompagnés d'un groupe-d'Américains
exécutent un coup de main avec artillerie sur les ouvrages
Blancs (nord d'Embermenil).
L'opération, soigneusement préparée, est parfaitement menée,
mais les Allemands avaient évacué leur première position et fait
leur barrage sur leur propre première ligne.
Pas de résultat. Les groupes repartent le 21, à 4 heures du
matin, sans plus de succès.
Tous les chasseurs rendirent hommage à leurs camarades
américains qui s'acquittèrent de leur mission avec une folle
bravoure.
Le 21 mars, le 165e R. I. U.S., retiré du front avec sa
division, quitte le secteur où ses soldats avaient, près de
leurs camarades français, reçu le baptême du feu et pris de la
guerre une première expérience qu'ils allaient prochainement
pouvoir mettre à profit dans des circonstances plus sérieuses.
Le 24, les Allemands qui n'avaient pas bombardé Lunéville depuis
plus de deux ans exécutent sur la ville un tir de 240 à longue
portée. Une riposte de 350 sur Avricourt les calme et ils ne
font de nouvelle tentative que huit jours après, le 30 mars; ce
tir, suivi d'une nouvelle correction, fut le dernier.
Dans cette période les Allemands se montrent plus actifs. En
raison de leurs grandes attaques de la Somme et de l'Oise, ils
avaient besoin de prisonniers pour contrôler notre ordre de
bataille et cherchaient à en faire.
Coup de main sur le bois des Bouleaux, le 28 mars, où les boches
attaquent à fond avec un effectif sérieux. Ils sont repoussés
sans nous prendre personne, mais le 152e a des pertes notables.
Coups de main le 29 sur le bois Carré où se livre un violent
combat corps à corps. Les pertes sont moindres, mais nous avons
cette fois des disparus.
Les Allemands commencent à user dans de fortes proportions de
leur nouveau gaz vésicant, l'ypérite, qui nous cause des pertes
journalières très sensibles et, malgré toutes les précautions
prises, il est très difficile de s'en protéger efficacement.
Les artilleurs surtout en reçoivent quotidiennement sur leurs
positions de batterie et il n'y a pas de jours où l'état des
pertes ne porte des intoxiqués. L'infanterie n'en est,
d'ailleurs, pas exempte. C'est ainsi que, le 21 mars, les
Américains ont eu 150 intoxiqués à Rouge-Bouquet et que le 22,
le 59e B.C.P. en a eu 110.
Bien qu'en secteur calme, de telles pertes, finissent par
affaiblir sérieusement une grande unité.
Le 1er avril, la division, en relevant des unités de la 14e D.I.,
étend son front jusqu'au ruisseau de Leintrey. Elle est
renforcée de 2 bataillons du 54e territorial et d'un groupe d'A.C.
7.
Une opération à gaz est aussi exécutée. Une compagnie Z, mise à
la disposition de la division, fait, le 3 avril, dans la région
du blockhaus Kronprinz, un lancement de gaz par la méthode des
Projectors, qui consiste à lancer sur une zone restreinte, d'un
seul coup, avec des canons genre 58, au moyen d'une mise de feu
électrique, deux ou trois cents tubes contenant chacun une
grande quantité de gaz.
Cette opération, d'une préparation très longue, ne sembla pas
avoir donné de résultats bien importants. L'objectif était
certainement habité, mais l'ennemi ne fit aucune réaction. Les
reconnaissances faites le surlendemain ne trouvèrent rien et des
prisonniers interrogés ultérieurement n'en avaient même pas
entendu parler.
Il semble que le résultat n'ait pas été proportionné aux
effectifs, aux efforts et aux dépenses que nécessite la
préparation.
Le 9 avril, nouveau coup de main ennemi sur le bois des
Bouleaux. Le Stosstrupp allemand se heurte à une reconnaissance
du 59e B.C.P., sous le commandement du lieutenant Perrot qui
l'attaque et le met en fuite ; aucun prisonnier de part et
d'autre.
Le 12, coup de main sur le bois Legrand. Cette fois, nous avons
évacué les premières lignes et les boches, après avoir nettoyé
les postes avec des lance-flammes, se retirent sans avoir rien
pris.
Le14, nous faisons à notre tour un coup de main sur la tranchée
de la Haute-Charrière. Depuis l'entrée en secteur de la
division, cette opération, déjà étudiée par les divisions
antérieures était en instance d'exécution. Elle avait fait
l'objet de correspondances innombrables entres les corps, la
division, le corps d'armée et l'armée. Chaque échelon voulait
tout régler jusqu'aux moindres détails. Les exécutants avaient
répété l'opération sur un terrain préparé à l'arrière, d'après
les photographies d'avion. De grands moyens étaient prévus.
Finalement, l'ordre d'exécution vient, réduisant les moyens à
ceux de la division. Le coup de main est exécuté par deux
groupes du 133e et un groupe de cavaliers, de 25 à 30 hommes
chacun. Sans préparation d'artillerie, mais avec un encagement
brutal, ces groupes franchissent trois brèches préparées de
longue main et, après une exploration hardie et minutieuse du
secteur visité, où ils pénétrèrent profondément, ils ne
trouvent, comme d'habitude, personne et reviennent sans
résultat, sans pertes notables heureusement.
Le 17, le 43e B.C.P. pousse une reconnaissance au sud d'Emberménil.
Elle tombe sur une embuscade ennemie, l'attaque à la baïonnette
et fait un prisonnier, sans pertes.
Le boche n'est pas heureux dans cette période. Nos patrouilles
l'attaquent partout avec succès.
Le 21 avril, 4 prisonniers, le 22, un prisonnier.
Mais le commandement demande encore des prisonniers. Il en faut
dans la région sud du secteur. Une opération est en gestation,
depuis le commencement du mois sur les ouvrages 1 et 2, entre
Leintrey et les Remabois. Préparation lente d'artillerie,
destruction, brèches, attaque par surprise dans un encagement
par une compagnie entière constituée.
L'opération est fixée au 24 avril, à 21 h. 30. Elle est
remarquablement menée par le lieutenant de la Rochefordière, du
152e, avec sa compagnie.
La préparation d'artillerie a été parfaite, au dire même des
fantassins - la surprise est certaine.
On ne trouve plus un boche. Le lieutenant de la Rochefordière
ramène une seconde fois ses hommes, espérant le retour du boche
sans plus de résultat. La contre-batterie bien réglée a muselé
l'artillerie allemande; aussi la compagnie d'attaque
rentre-t-elle sans pertes.
Il faut décidément renoncer à ces coups de main à grande action
d'artillerie et faible effectif d'infanterie. L'encagement ne
pourra. jamais être assez dense pour empêcher, dans un secteur
peu occupé, les quelques guetteurs qui constituent la garnison
de la première ligne de filtrer à travers la cage.
Le boche nous répond le 28, par un fort coup de main sur la
partie est d'Embermenil, avec grande manifestation d'artillerie,
gaz à. dose massive, peut-être projectors, lance-flammes.
Mais nous avons aussi évacué et l'ennemi se retire sans résultat
autre que de nous laisser un prisonnier. Les pertes sont
cependant sensibles, la concentration de gaz ayant rendu l'air
irrespirable jusqu'à nos lignes.
Le 27, commence la relève de la division par la 166e division.
Le général Gaucher passe le commandement, le 30 avril, à 8
heures, au général Cabaud et installe son quartier général à
Rosières-aux-Salines.
La division est rassemblée au repos dans de bonnes conditions
entre Blainville et le camp de Saffais.
Peu de semaines auparavant, la division avait perdu le colonel
Barrard, nommé sous-chef d'état-major du groupe d'armée de
l'Est.
Le général Gaucher voulut confier le 152e à quelqu'un qui fut
digne de commander ce magnifique régiment : il y appela le
commandant Meilhan, son chef d'état-major.
La succession n'était pas facile, car le colonel Barrard avait
pris tout le coeur de son régiment. Le colonel Meilhan sut
rapidement le conquérir. C'était un homme distingué, d'une
intelligence remarquablement claire. Emporté, prompt à la colère
autant qu'à l'indulgence et à la bonté, il était, dans l'action,
d'autant plus calme que la situation devenait plus sérieuse. Sa
bravoure personnelle, son activité, sa sollicitude pour ses
officiers et ses hommes lui attirèrent leur affection. Il fut
aussi brillant, comme chef de corps, qu'il l'avait été comme
chef d'état-major.
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