Excelsior - Dimanche illustré
- 15 octobre 1939
Une figure historique
HENRI, DUC D'ANJOU
qui fut un éphémère roi de Pologne
par Michel Caron
SIGISMOND - AUGUSTE, roi de Pologne, mourut à
Knyssin, le 17 juillet 1572. II ne laissait point d'enfants. Avec lui
s'éteignait l'illustre lignée des Jagellons qui, depuis 186 ans régnait sur le
pays : le trône de la Pologne devenait électif.
Pour l'Europe, la Pologne était, à cette époque, un vaste royaume lointain et un
peu mystérieux, froid et impraticable aux voitures, dont on assurait qu'il était
« l'enfer des paysans, le paradis des juifs, le purgatoire des bourgeois, le
ciel des gentilshommes et la mine d'or des étrangers », et dont on savait
seulement la noblesse aussi rompue aux bonnes manières qu'au maniement des
armes. On disait toutefois que le pays était riche et fertile, ses habitants
aimables, son hospitalité et sa générosité proverbiales et ses seigneurs amis du
luxe et de la civilisation occidentale.
D'âpres luttes allaient s'engager pour trouver un successeur au monarque décédé.
La noblesse polonaise souhaitait un prince étranger à même de lui garantir une
alliance puissante et durable contre la maison d'Autriche continuellement
agressive et querelleuse.
De nombreux prétendants sollicitèrent les suffrages de la lointaine république
et l'honneur de la gouverner. Le roi de Suède, Jean III ; Albert-Frédéric, duc
de Prusse ; l'archiduc Ernest, fils de l'empereur Maximilien II ; l'électeur de
Saxe, le marquis d'Anspach, le tzar de la Moscovie lui-même étaient sur les
rangs.
Leur ambition allait être mise en échec par un gentilhomme polonais, presque un
inconnu, nommé Krasocki, de fort petite taille et d'un commerce dont on vantait
les agréments, à Paris, où il avait été en mission.
Krasocki savait manier, mieux que personne, l'arme redoutable qu'est la
reconnaissance. Il gardait la sienne à la reine Catherine de Médicis dont il sut
garder les bonnes grâces, et à la cour de France, où il sut s'attirer des
amitiés puissantes : il eut l'adresse de conserver les unes et de profiter des
autres. Rentré en Pologne, du vivant encore de son maître, il décida du choix du
successeur et entreprit d'acquitter ainsi la dette de gratitude qu'il avait
contractée à la cour de Charles IX.
L'habileté du courtisan fit place, à la mort de Sigismond-Auguste, à celle du
diplomate. Krasocki vit accueillir avec sympathie les éloges dont il ne
tarissait pas sur la vaillante et galante société française. Il vantait la
somptuosité et les qualités morales du roi de France, l'adresse et la sagacité
de Catherine de Médicis, reine qui aurait semé la discorde dans la cour la plus
tranquille et qui n'aimait rien tant que l'intrigue.
Enfin, par-dessus tout, il se complaisait à décrire les vertus guerrières et
morales du jeune frère du roi, Henri de Valois, duc d'Anjou, qui, à dix-sept
ans, lieutenant-général de toutes les armées du royaume, avait remporté la
victoire de Jarnac, où le Grand Condé avait trouvé la mort, et celle de
Moncontour.
La Pologne fut séduite par tant de faste et une si heureuse fortune militaire et
dépêcha ses ambassadeurs à Paris.
Charles IX y fut fort sensible, d'autant plus que le règne de François II ayant
été trop court pour permettre de recevoir des envoyés des cours étrangères, il
n'avait, jusqu'alors, accueilli que ceux que lui mandait, en 1566, le comte
palatin du Rhin, le duc de Wirtemberg. Le roi aimait l'apparat, les réceptions
cérémonieuses et compliquées. Jean de Montluc, évêque de Valence, représentait
la reine Catherine, à Cracovie, avec beaucoup de grandeur. On attendait que les
ambassadeurs polonais l'éclipsassent.
Treize gentilshommes vinrent en France apporter la nouvelle que la Diète, réunie
à Varsovie, le 5 août 1573, avait élu Henri de Valois roi de Pologne, à la
majorité des voix dans tous les palatinats.
La ville de Cracovie attendait le nouveau monarque dans l'appareil le plus
magnifique. Ce n'étaient que riches tapisseries, fleurs et oriflammes. Un
prodige de mécanique avait été conçu dans le plus grand secret. Partout où le
roi devait passer, un aigle automate, tout emplumé de blanc, allait voler
au-dessus de sa tête, en battant des ailes !...
A Paris, pendant ce temps, Henri de Valois recevait le décret de son élection,
dans la grande salle du Parlement où s'élevait une immense estrade richement
décorée. La reine-mère, la reine Elisabeth, Charles IX, le duc d'Alençon et le
roi de Navarre assistaient à la cérémonie, sous des dais de pourpre. Les
ambassadeurs, dont deux portaient sur leurs épaules une cassette d'argent
renfermant le diplôme, furent reçus à la porte par le duc de Guise, grand maître
de la maison du roi. Charles IX était ravi de se voir débarrassé d'une manière
aussi heureuse et aussi honorable
de la présence importune d'un successeur : il embrassa son frère, tout joyeux,
et le pressa de gagner sa nouvelle capitale au plus vite. Mais Henri d'Anjou,
devenu Henri Ier, s'ingénia à retarder son départ. Il allait affronter un pays
inconnu. Que n'en disait-on !...
On mêlait la réalité et la légende. Surtout on redoutait le froid. Henri de
Valois résolut d'abandonner ses capes de Béarn, empruntées aux montagnards des
Pyrénées, fourrées et garnies de manches bouffantes, et d'adopter des fourrures
protectrices et coûteuses. Il n'avait pas à se, soucier de l'édit qui
proscrivait toute façon s'élevant à plus de 60 sols ! Seulement il tenait, tout
en se préservant, à une élégance capable d'étonner ses nouveaux sujets. Il
emportait ses plus belles chaussures à la savoyarde, ses demi-masques et ses bas
de couleur différente pour chaque jambe.
Le magnifique cortège se mit en route le 27 septembre 1573. Charles IX abandonna
son frère à Vitry. Catherine de Médicis alla jusqu'à Blamont. Le chemin de
l'Allemagne mena le nouveau roi par Nancy et Landau, à Spire, à Heidelberg, à
Worms, à Mayence, à Francfort, à Fulde. Des réceptions fastueuses l'y
attendaient.
Les fêtes de la Noël passées à Fulde, on chemina à travers la Saxe, le
Brandebourg. A Miedzyrzecz, un corps considérable de Polonais vint à la
rencontre du souverain. Cracovie le reçut le 18 février 1574, et le 21, le
couronnement eut lieu.
Moins d'une année plus tard, Henri Ier quittait sa nouvelle patrie et regagnait
Paris. La mort de son frère Charles IX le faisait roi de France sous le nom de
Henri III. Il trouva un pays divisé par des luttes religieuses, crut faire acte
d'habile politique en se déclarant le chef de la ligue - confédération du parti
catholique - et mourut le 2 août 1589, assassiné par un fanatique, Jacques
Clément, instrument des ligueurs.
La Pologne, quelque cent ans plus tard, eut un nouveau parti français qui
présenta ses prétendants. Mais Michel Wisnowiecki, en acceptant la couronne des
Jagellons, éloigna ces dangereux concurrents. Toutefois, les projets du parti
français reprirent en juillet 1672, et le primat Prazmowski, décidé à faire
abdiquer le nouveau roi, écrivit à Louis XIV pour lui demander « comme roi des
Sarmates » le duc de Longueville... Le pauvre homme ignorait que ce postulant au
trône de la Pologne était mort le 12 juin précédent, à la guerre de Hollande
MICHEL CARON
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