Mémoires de l'Académie
nationale de Metz
1887-88
RAPPORT SUR LE CONCOURS D'HISTOIRE DE
L'ANNÉE 1887-1888
Présenté à l'Académie dans sa séance du 29 mars 1888.
PAR M. CH. ABEL
L'Académie de Metz a annoncé qu'elle
couronnerait toute bonne étude qui lui serait envoyée sur les anciens
usages particuliers au pays Mosellan, usages qui tendent à disparaître
de jour en jour. Sous la devise pro patriâ, un seul travail a été
adressé sur le sujet indiqué.
La Commission, composée de MM. BOX, BENOÎT et ABEL, a examiné en détail
cette composition qui nous annonce qu'elle a trait aux localités de la
Lorraine de langue française de l'arrondissement de Sarrebourg et
principalement les villages de Kerprich-au-Bois, Barchain, Hesse,
Gondrexange.
L'auteur énumère ce que l'on fait dans ces parages pour fêter la
nouvelle année, pour tirer le gâteau des Rois mages, pour solenniser le
souvenir de la fête des Rameaux, pour avoir des oeufs de Pâques, des
parrains et marraines, et pour remplacer saint Nicolas sur terre.
Ces manifestations religieuses sont assez bien exposées seulement dans
leur récit sont intercalées des observations météorologiques spéciales
aux paysans, qui devraient faire un chapitre à part. Elles se rapportent
à certains jours de l'année où l'Église catholique évoque le souvenir et
raconte les faits et gestes de certains martyrs ou confesseurs pour les
donner en exemple.
Ainsi, on nous dit que les paysans de la Haute-Sarre ont remarqué que le
jour de la Conversion de saint Paul, pendant la nuit du 25 Janvier, une
lutte terrible s'engage entre tous les vents et celui qui prédomine
soufflera le plus toute l'année.
A la Chandleur, si le soleil luit sur l'autel de l'église pendant la
procession de la Purification de la sainte Vierge, le loup rentre dans
sa tanière pendant six semaines, c'est-à-dire qu'il fera mauvais temps
pendant cette période de temps. Le temps des douze jours avant le nouvel
an indique indubitablement la température qui existera dans les douze
mois suivants. etc. Ce sont des préceptes que l'on trouve en bouts rimés
dans tous les almanachs qui se respectent voir celui de Vermoth pour
1888.
En fait de légendes l'auteur n'a récolté que celle du soldat mutilé, ou
de la femme sans tête, qui apparaissent de nuit dans une mare avoisinant
Kerprich-au-Bois, et les pendus de Diane-Cappel. On nous fait passer en
revue les croyances populaires sur Ies feux-follets, les hommes de feu,
les sauterets, les loups-garous, les sorts jetés par des sorciers sur
les gens et les bêtes. L'auteur a consulté les archives de l'ancienne
abbaye de Hesse cl y ci constaté des procédures et des condamnations au
feu de gens convaincus de s'être transformés en loups-garous. Il est à
regretter que ces documents ne nous aient pas été donnés in extenso ou
au moins en extraits.
Une des originalités de ce travail, c'est de nous faire connaitre les dahiot de la Haute-Sarre, rapsodies rustiques que les jeunes filles
sortant de la veillée vont chanter en choeur en passant sous la fenêtre
d'une camarade qui fuit les réunions et que l'on jalouse; on la sait
fiancée :
Je vous vends ma fleur d'orange
A vous qui avez la voix d'un ange
On entend par votre parler
Qu'il est temps de vous marier.
On s'éloigne et on va devant la fenêtre de l'ami présumé de la jeune
fille:
Je vous vends mes pochettes
Qui sont. pleines de noisettes
Si vous étiez mon amoureux,
Nous les casserions à nous deux.
Arrivé sous la fenêtre d'une veuve qui refuse sa fille ou son fils en
mariage à quelqu'un de la compagnie:
Je vous vends la bûche de bois
Vous êtes femme, je le crois.
La troupe des chanteurs et chanteuses répète cette rapsodie tant que la
fenêtre ne s'ouvre pas; alors on répond vivement:
Taisez-vous, vieille grondeuse;
Laissez parler votre jeune amoureuse.
A Lorquin, les chants rustiques ont une tournure plus prosaïque mais non
moins moqueuse.
On va frapper à la porte d'un vieux ladre célibataire ou d'une vieille
fille sur le retour pour lui demander en choeur:
Oh vous le beau guéchon,
(La belle Toinon,)
Il faut que nous sachions
Combien qu'il faut de boudin
Pour entourer Lorquin ?
Si le réveillé ou la réveillée est de bonne humeur on reprend en
entr'ouvrant la porte :
Il faut autant d'aunes de boudin
Pour entourer Lorquin
Qu'il en faut d'aunes de saucisson
Pour entourer Blamont.
Et on fait les honneurs à la compagnie d'une bonne grillade ou de
morceaux de cervelas sur du pain beurré.
L'auteur nous copie ensuite des rondes que les jeunes filles chantent en
revenant des champs et, dont l'amour est le principal sujet.
Un jour, me promenant
Dedans ma jardinée,
J'y ai trouvé ma mie...
Mon père a fait bâtir un château :
Il est petit, mais il est beau ;
Mon coeur vit en peine...
Où est mon amant il n'est point ici ;
Il est à Paris, à Paris, Orléans :
Il apprend à faire des anneaux d'argent...
Mon père me marie avec un charbonnier.
Oh je n'en veux point, ils sont trop brunis;
J'aimerais mieux mon joli poissonnier...
Là-haut ! là-bas ! au quart du bois
Il passe trois sémillants valets
Ils ont tiré trois coups de pistolets...
Voici une romance
En revenant des noces
J'étais bien fatiguée;
Au bord d'une fontaine
Je me suis reposée.
Sur la branche d'un chêne
Le rossignol chantait;
Chante pour moi qui peine,
Toi qui as le coeur gai...
Voici un genre aussi triste, mais plus philosophique:
Entre vous, jeunes garçons
Qui êtes à marier,
Apprenez à ces filles
Comment il faut aimer...
D'autres chansons sont plus égrillardes
Là-bas dans ces petits prés.
J'ai trouvé un petit garçon
Qui cueillait la rose...
Voici la vengeance de la villageoise contre les dames de la ville :
A Paris, il y a une dame
Mariée nouvellement.
Elle se pare, elle se coiffe...
Nous avons, on le pense bien, les adieux d'un conscrit
Il faut partir, aimable Joséphine,
T'abandonner, ô toi que j'aime tant !
Le sort cruel aujourd'hui me destine
Je suis conscrit, l'uniforme m'attend...
Voici ce que le beau militaire chante à son retour:
A tes genoux, ô ma douce Marie,
Je viens ici réclamer mon pardon.
Tu as été le seul bien de ma vie...
Ce recueil se termine par quelque chose qui semble inspiré de la vie de
Chateaubriand quand il partit pour l'Amérique :
Je n'avais qu'une soeur:
Elle était jeune et belle;
J'en devins amoureux...
Il semble qu'on a déjà lu ou entendu ces soi-disant poésies amoureuses,
mais il est intéressant de les voir conservées dans les villages
lorrains de la vallée de la Sarre.
Notre travail à examiner se termine par une série de proverbes et par
des devinettes qui constituent le fonds des propos de table le jour des
noces.
« Comme on fait son lit on se couche. - II vaut mieux être marteau
qu'enclume. - Les maréchaux ont toujours une braise de feu dans la
gorge. - Cordonnier est toujours le plus mal chaussé. - Les tailleurs ne
tombent pas du toit. »
D. « Derrière sur bois, bois sur giron, quatre pendants et dix tirants,
qu'est-ce que cela ? »
R. « Une personne qui trait une vache. »
Cet envoi ne mérite pas les honneurs de l'impression dans nos mémoires,
mais il dénote l'amour du travail et la passion des recherches
d'histoire locale, il faut encourager son auteur en lui décernant une
mention honorable, mais rien de plus. |