BLAMONT.INFO

Documents sur Blâmont (54) et le Blâmontois

 Présentation

 Documents

 Recherche

 Contact

 
 Plan du site
 Historique du site
 
Texte précédent (dans l'ordre de mise en ligne)

Retour à la liste des textes - Classement chronologique et thématique

Texte suivant (dans l'ordre de mise en ligne)

 

Blâmont dans les romans (5) - Romance à Verdenal
 
Voir aussi la catégorie Blâmont dans les romans, poèmes...

 

La Revue illustrée publie en 1909 le texte ci-dessous, qui se présente comme un roman.

Cependant, vu son auteur, il n'est guère difficile de situer le lieu exact de l'intrigue (et des photographies) sans doute autobiographique, et de redonner leur véritable noms et prénoms aux personnages. Car, né le 24 mai 1877 à Valenciennes, le comte Georges Joseph Edmond Thellier de Poncheville a épousé à Verdenal en 1904, Élisabeth Mathis de Grandseille.

Moins de six ans après cette romantique petite publication d'avant guerre, le sous- lieutenant Thellier de Poncheville du 246ème régiment d'infanterie est tué à Souchez (Pas de Calais), le 18 juin 1915...


Tableau d'honneur de la revue l'Illustration


Revue illustrée
25 octobre 1909


 

L'AVEU
HISTOIRE LORRAINE

A Mademoiselle S. de G...

En pente douce, les versants des coteaux, mêlés de bois et de cultures, rejoignaient Verdenal, étalé à leurs pieds. Des toits plats émergeaient çà et là parmi des bouquets d'arbres. Nul cri, nul aboiement n'en troublaient la sereine torpeur. Seuls, déroulant leurs anneaux dans l'air immobile, des rubans de fumée trahissaient la présence humaine. Au loin, derrière la cime dorée par les blés et fermant l'horizon, s'étendaient, plus bleues que le tendre azur du ciel, les Vosges aux lignes sombres, immuables et graves. De beaux nuages blancs erraient sous la voûte infinie, et leur ombre, ainsi qu'un ruisseau, coulait sur les épis mûrs.
André se retourna vers son compagnon.
- Voyez quelle poésie, renferme ce paysage ! Il est pourtant si simple d'aspect. Il n'éblouit pas comme un décor oriental. Il ne cherche pas à plaire; mais, par sa tristesse, par son austérité tempérée d'un sourire, par sa majesté aussi, il s'impose à nous. A son image sont calqués les Lorrains. Cette race rebelle aux intrigues et à la flatterie parait orgueilleuse et froide à qui, pour la première fois, l'approche: mais, sous cet apparent dédain, que de trésors de tendresse et d'énergie sont accumulés ! Ombrageux et timides, les Lorrains gardent une fraîcheur d'âme et une sensibilité rares à notre époque sceptique.
Promu capitaine aux chasseurs alpins, André Dufresne, à la veille de quitter Lunéville pour Menton, était venu faire ses adieux au comte d'Ampleseau, un vieil ami de son père, dont la propriété se trouvait à quelques kilomètres de Blâmont.
M. d'Ampleseau avait tenu à aller chercher lui-même son hôte à la gare, et la voiture filait sur la route blanche entre les cerisiers poussiéreux. Déjà elle avait quitté la rive droite de la Vezouse, traversé l'unique rue de Verdenal et atteint le croisement des roules d'Autrepierre et de

Chazelles quand, d'un coup d'oeil, André, se retournant, avait embrassé le paysage qui fuyait derrière eux. D'un geste il montra l'étendue et murmura :
... Plus vagues de lieue en lieue
Les champs bruns traversés de rivières d'argent
Rejoignent la montagne bleue.

Il ajouta :
- Votre grand poète, Charles Guérin, chantre merveilleux de la Douleur et de la Mort, avait bien compris le mélancolique attrait de votre province et nul ne l'a mieux exprimé.
M. d'Ampleseau soupira.
- Oui, c'était un être doué d'une sensibilité très fine. De jour en jour, son talent s'affirmait plus original et plus puissant. Déjà l'Académie l'avait couronné et, peut-être, se préparait-elle à lui ouvrir prochainement, ses portes.
Il s'interrompit. La voiture venait de franchir la grille d'entrée et, laissant sur la droite l'allée des noyers séculaires, s'arrêtait devant le perron du château. Mme d'Ampleseau et sa fille Marthe s'empressaient.
Portant allègrement ses cinquante-deux ans, la maîtresse de maison était demeurée très jeune d'esprit. D'une conscience délicate et scrupuleuse, elle poussait à un incroyable degré le souci de la vérité et la crainte de mal faire. Aussi les moindres critiques la troublaient-elles, en lui découvrant mille fautes qu'elle n'avait point commises. Des deuils successifs avaient assombri sa vie et meurtri son coeur, sans épuiser sa soif de dévouement. André l'appréciait infiniment, ne manquant jamais, lorsqu'il passait, à Paris, de lui rendre visite. Galamment il lui baisa le bout des doigts et prit avec émotion la main que Marthe lui tendait.
Vêtue d'une jupe de piqué blanc et d'un corsage en Irlande, dont les manches courtes laissaient passer les bras ambrés par le soleil, la jeune fille avait posé sur ses cheveux blonds cendrés un large chapeau de paille de riz orné d'une écharpe bleue dont les bords, en flottant sur la nuque, encadraient l'ovale du visage. La bouche, petite et, très rose, s'ouvrait sur des dents claires. L'arc effilé des sourcils donnait plus de mystère et de profondeur aux yeux bleus qu'avivait, entre les longues paupières, une flamme de gaieté. Une curiosité jamais satisfaite et une intelligence remarquable s'y lisaient. On sentait, derrière ce front virginal, une âme ardente, enthousiaste, orgueilleuse, sensible et tenace en ses desseins.
Depuis longtemps déjà, les deux jeunes gens s'étaient senti attirés l'un vers l'autre; mais, par un instinctif sentiment de pudeur, ils se parlaient à peine quand le hasard les mettait, en présence. Lorsque, des la première rencontre, un courant sympathique s'établit entre deux êtres sensibles et méditatifs, ils n'osent, s'aborder, craignant, par une parole banale, de détruire le sentiment confus et pourtant si pur qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. Et, chaque fois, Marthe et André se quittaient, plus irrites contre eux-mêmes.
Quelques voisins, arrivés pour déjeuner, les mirent à l'aise. Dans le brouhaha des conversations, les convives gagnèrent la vaste salle à manger, où les volets clos maintenaient l'ombre et la fraîcheur. André se trouva placé près de Marthe, mais ce fut à peine si, durant le repas, il lui adressa la parole.
«  Comme elle doit. me trouver stupide », songea-t-il en l'accompagnant au salon où le café était servi. Sa timidité s'en accrut encore et, dépité, il s'approcha de la fenêtre. La vue s'étendait sur le parc admirablement dessiné. Un goût très sur avait présidé au choix et à la combinaison des essences. Elles se fondaient. dans une gamme harmonieuse de vert, de pourpre et d'argent, depuis les larges feuilles lustrées du catalpa, d'où pendaient, comme des clochettes, les fleurs aux teintes claires, jusqu'aux sombres aiguilles d'un pin pyramidal érigé comme un monument., au milieu de la pelouse. A gauche, derrière une corbeille de géraniums roses, un negundo panaché étalait son feuillage pourpre et tache de blanc. Des échappées, habilement ménagées, découvraient les plans successifs de ce paysage. Par delà la ceinture du bois et visible seulement des étages supérieurs, c'était la plaine ondulant sous le ciel limpide, la plaine avec les carrés de blé, d'avoine ou de seigle où surnageaient les toits de Chazelles et de Gondrexon.
Distraitement André regardait.
La voix musicale de Marthe l'arracha à sa rêverie.
A quoi songez-vous, cher monsieur ? Puisque le parc vous attire et si vous n'avez pas, comme ma mère, peur d'une promenade en barque, accompagnez-nous jusqu'à l'étang. Mais en punition de votre mutisme, ajouta-t-elle en riant., vous serez chargé de ramer.

Il s'inclina.
- Ce n'est pas une punition mais une faveur de vous conduire.
Marthe rougit imperceptiblement.
Déjà la bande descendait l'allée en courant. En silence, ils la rejoignirent.
Sous les filleuls en fleurs bourdonnaient les abeilles. Une odeur sucrée, une odeur de miel, flottait alentour. Le soleil très haut criblait d'or le feuillage.
De chaque brin d'herbes s'élevait, s'arrêtait, repartait le bruissement métallique et monotone des grillons.
Prudemment chacun s'installa de son mieux dans la légère embarcation où séjournaient encore quelques gouttes de pluie tombées la veille. La pièce d'eau, où le feuillage des peupliers découpait des ombres molles, avait à peine 100 mètres de long sur 30 mètres de large. Un îlot, relié au rivage, par deux passerelles, la coupait en tronçons inégaux. Aussi André devait-il virer de bord à chaque instant. Attentif à la manoeuvre il demeurait taciturne, répondant par mono-syllabes aux questions qu'on lui adressait. D'ailleurs il était distrait, préoccupé. Le matin même, en quittant Lunéville, il s'était juré de révéler à Marthe toute l'infinie tendresse qu'il ressentait pour elle et. le rêve qu'il caressait d'unir pour toujours leurs destinées. Son père et M. d'Ampleseau encourageaient discrètement cette union.
Oh ! sentir cette petite main s'appuyer avec confiance sur la sienne. Lire au fond de ces prunelles caressantes l'émoi pudique des aveux. Voir ces lèvres, comme un rayon fugitif qui soudain éclaire les ciels voilés d'automne, s'illuminer d'un tremblant sourire et, sur elles, se dessiner les paroles d'amour, plus enivrantes que le parfum des daturas...
Son coeur bondit de joie. Sur son âme il sentit couler les effluves du bonheur ainsi que se répandent sur la campagne altérée les eaux fertilisantes des ruisseaux. Une impatience fébrile le secoua. «  Je ne veux plus attendre, songea-t-il je ne veux plus attendre. Il faut que cette heure soit celle des aveux ». Mais déjà, comme un fruit trop mur, son ardeur tombait. Il songeait avec effroi aux paroles qu'il devrait prononcer. Où puiser le courage de parler ! Et puis quel prétexte inventer pour éloigner la jeune fille de ceux qui l'accompagnaient ? D'ailleurs, Marthe l'aimait-elle? Ne se leurrait-il pas en lui prêtant, un sentiment aussi vif ? Cette dernière pensée le troubla. Tel qu'une lame aiguë le doute le mordit au coeur. Brusquement, il enfonça les rames dans la vase, leur imprimant une torsion si violente que l'une d'elles se brisa. Des cris d'effroi et des éclats de rire accueillirent sa maladresse. Honteux il ramena la barque en pagayant. Dans le sillage flottaient les débris de l'aviron.
Jusqu'à l'heure du dîner la bande, joyeusement, se promena dans les bois environnants puis, sitôt, le repas fini, ce fut le départ des invités.
Pas un instant André n'était resté seul avec Marthe qui semblait l'éviter. D'heure en heure son irritation croissait. Son imagination lui suggérait, mille moyens absurdes de forcer l'attention de la jeune fille. Mais, en même temps, une invincible timidité pesait sur lui. Et quand il vit s'éloigner ceux qui, inconsciemment, l'avaient importuné de leur présence, il souhaita fuir avec eux.
D'Autrepierre, de Gondrexon, de Chazelles et de Verdenal les cloches se répondaient, sonnant l'Angelus. Leurs notes, timides et lointaines ou proches et. graves, glissaient, dans l'air comme un vol d'abeilles, rappelant le vers de Charles Guérin :
Le ciel est une ruche où bourdonnent des cloches.

Entre les peupliers qui bordaient la route montait le disque argenté de la lune. André se dirigea vers le potager. Il voulait s'accorder quelques minutes de recueillement afin de calmer les battements de son coeur. Sitôt qu'il eut franchi la voûte opaque des sapins, ce fut un éblouissement. D'une blancheur de lait de lumière ruisselait sur les rosiers grimpants, sur les plants d'oeillets, sur les carrés de légumes. Elle ruisselait sur le gravier des allées, sur les dahlias cactus et sur les branches des espaliers. Elle ruisselait sur le feuillage arrondi d'un noyer perdu dans l'infini du ciel que les derniers rayons du couchant teintaient de mauve et d'or.

Vrai décor de rêve figé dans un impressionnant silence !
Soudain, dans la fraîcheur parfumée de l'air jaillirent les notes magiques du finale de Tristan. Elles jaillirent comme une onde éblouissante de clarté, comme le bouillonnement d'un torrent où sombrait sa raison : flots d'harmonie qui déferlaient sur son coeur palpitant. Elles jaillirent comme un immense brasier où s'enflammaient tous ses sens. Elles jaillirent, plaintes, sanglots, désirs, angoisses, évoquant des paysages enchanteurs que ses mains ne parvenaient point à toucher.
Musique, vent du large entraînant la raison
Vers d'inconnus pays inondés de lumière,
Où fond le souvenir des choses familières
A travers le réseau de prenants horizons.

Et, comme un fleuve splendide déroulant ses anneaux, au rythme de la divine mélodie il se laissa bercer.
A pas lents il poursuivit son chemin. Ayant longé la serre où filtrait une lueur diffuse et mystérieuse, il revint vers le château. Sur lui un genévrier étendait ses branches résineuses et trempées de lune. Il s'arrêta. Machinalement, ses doigts détachèrent les baies aux tons de vieil ivoire, qui pendaient comme de minuscules lanternes vénitiennes. De nouveau il s'interrogea. Aurait-il le courage de parler à Marthe ce soir même, avant, son départ ?
Le surlendemain, il devait rejoindre son bataillon et, sans doute, plusieurs mois se passeraient avant une nouvelle rencontre, à moins que...
André sourit. Son désir devançant la réalité, il se voyait fiancé et promenant son bonheur sur la côte enchanteresse de la Riviera.
L'heure sonna aux clochers d'alentour. Vivement, il tira sa montre et poussa un cri. Il n'avait plus que le temps de faire ses adieux. Déjà la voix de M. d'Ampleseau le rappelait. On entendait crier le gravier sous les roues de la voiture. Il était trop tard. Une immense tristesse l'envahit. En courant, il regagna le perron où ses hôtes l'attendaient.
Immobile, Marthe se tenait dans l'angle du salon, les doigts posés sur le clavier où mouraient les derniers accords. Rapidement, il serra les mains tendues vers lui, puis s'approcha de la jeune fille. Il tressaillit. Elle était pâle comme si tout son sang avait fui le visage et dans l'azur de ses yeux se lisait une telle expression de douleur et d'amour qu'il sentit son coeur battre violemment et des pleurs sourdre sous ses paupières. Il balbutia : «  Marthe ! Marthe ! », puis étouffant d'émotion, il s'inclina sur la petite main qui tremblait. Il s'inclina.
Quand il releva la tête, Marthe souriait. De son corsage elle avait détaché une rose qui défaillait sur sa tige et la lui tendait avec un délicieux geste d'abandon. «  En souvenir de moi, André, emportez-la. » Il s'inclina encore et, sur la main frémissante, longuement ses lèvres s'appuyèrent.
Impatients, les chevaux piaffaient. André s'élança, et la voiture, contournant la maison, rejoignit la grand'route arrosée de clarté.
Et tandis que, par une série de vallonnements, il gagnait la gare d'Avricourt, André, la bouche collée aux pétales odorants, voyait flotter sur la campagne endormie et sur la ligne indécise des Vosges l'image souriante de celle qu'il aimait, toute blanche en sa robe de mariée.

GEORGES TH. DE PONCHEVILLE.

Mentions légales

 blamont.info - Hébergement : Amen.fr

Partagez : Facebook Twitter Google+ LinkedIn tumblr Pinterest Email