CHARLES SADOUL.
Revue des traditions populaires
Février 1904
Dangers de la nuit
Les apparitions de la nuit dans les Vosges
[...]
La nuit, il est une vision encore plus terrible que l'on peut avoir,
c'est celle du diable. C'est ce qui faillit arriver à une fille de
Couvay (Ancervillers - Meurthe-et-Moselle). C'était au temps où l'on
portait des corselets rouges, une jeune fille de Couvay en désirait
vivement un, mais ses parents étaient trop pauvres pour en faire
l'emplette.
Une voisine un peu sorcière lui conseilla d'aller à minuit se mettre à
cheval sur les branches de la croix de Couvay, et de crier trois fois :
« je so su lé croix d'Cova » (je suis sur la croix de Couvay). A
ce cri devait venir quelqu'un qui lui baillerait sûrement ce qu'elle
désirait. La bacelle fit part de son dessein à sa mère, qui ne
pouvant l'en détourner lui conseilla de se munir d'un peu de beurre et
de sel qui éloignent les mauvais esprits. A minuit, elle monte sur la
croix et jette son appel par trois fois. Dans le silence de la nuit on
lui répondit :
Sans to beurre et to sa
Te n's'ro me longtemps su lé croix d'Cova.
(Sans ton beurre et ton sel tu ne serais pas longtemps sur là croix de
Couvay).
Elle n'eut pas de peine à deviner que c'était le malin qui l'aurait
emportée sans son beurre et son sel. Elle, se sauva à la hâte et ne
désira plus jamais de posséder un corps sans manche rouge.
Il existe encore de nombreuses histoires du même genre, et si l'on fait
observer qu'on n'a jamais rien vu de semblable, on vous répond qu'il
n'est pas donné à tout le monde de voir les esprits ou les revenants,
qu'il faut en être digne, ce à quoi les esprits forts répliquent « qu'il
faut moins se défier des esprits que des gens qui n'en ont pas ».
CHARLES SADOUL. |