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Séparation d'Igney et Avricourt - 1898 (suite et explications)
 



Nous avons déjà évoqué dans un précédent article le mariage forcé des communes d'Igney et d'Avricourt en octobre 1871, puis les textes officiels de 1898 séparant à nouveaux ces deux communes.
L'adoption par la chambre des députés du projet de loi de séparation le 3 décembre 1897 et celle du Sénat le 20 janvier 1898 n'ayant pas donné lieu à débats, les motifs du «  divorce » y sont peu explicites, tout comme les conditions qui, après répartition équilibrée des fonds, ajoutent «  2° La commune d'Avricourt sera exclusivement chargée du remboursement de l'emprunt de 12,000 fr. contracté en vertu de l'arrêté préfectoral du 20 novembre 1888. »

Car on aurait pu croire qu'Igney avait durant les 27 années de vie commune bénéficié des formidables avantages économiques apportés par la très importante gare d'Igney-Avricourt.

Mais c'est justement le développement de l'activité autour de la gare qui va susciter la rupture, en faisant supporter à Igney des charges bénéficiant principalement à Avricourt, notamment après cet emprunt de 1888 destiné à couvrir le déficit des investissements faits pour Avricourt seul.

Voici à travers L'Est-Républicain, le récit de ces longues années d'union forcée, et les péripéties du divorce.

1893 - Première expression publique de la discorde :

14 avril 1893
On nous écrit de Igney :
Depuis 1882, on a réuni la section d'Avricourt français à la commune d'Igney. Les conséquences de cet acte n'ont pas tardé à se faire sentir.
Les électeurs de la section d'Avricourt, presque tous employés de la gare, s'attribuèrent aux élections municipales les douze sièges, et on se mit à dépenser pour la section d'Avricourt les 7,000 ou 8,000 fr. que contenait la caisse communale d'Igney. On construisit une fontaine communale (toujours à Avricourt) ; puis vint le tour d'une école dont le besoin se faisait sentir pour les enfants des employés de la Compagnie de l'Est et de l'Etat.
La Compagnie de l'Est se chargea de la construction de cette école moyennant le versement par la commune d'une somme de 5,000 fr. Mais les douze conseillers d'Avricourt voulurent prendre l'initiative de la chose et on arriva à une autre combinaison : la Compagnie de l'Est devait fournir 22,000 fr., l'Etat 28,000 fr. et la commune 6,000 fr. Mais des dépenses supplémentaires furent faites ; il y eut un déficit de 12,000 fr. qui fut laissé à la charge de la commune qui, de ce fait se trouve imposée de 13 centimes pour une période de trente ans. De sorte que ce sont les agriculteurs de la commune d'Igney qui supportent les charges très lourdes que leur impose une section qui lui reste étrangère.
Maintenant, les conseillers de la section d'Avricourt demandent la vente des produits façonnés de la coupe affouagère de la forêt communale d'Igney au profit des deux sections, et pour justifier cette demande on démontre que le nombre des habitants de la section d'Avricourt est de 707 habitants sur un total de 988 pour les deux sections.
N'est-ce pas là un argument sérieux en faveur de la séparation des deux sections ? Les habitants d'Igney demandent à recouvrer leur ancienne autonomie qu'ils n'auraient jamais dû perdre et que la section d'Avricourt soit érigée en commune particulière. Ce sera l'application de l'adage : «  suum cuique ».

1895 - La demande atteint le Conseil général :

15 janvier 1894
TRIBUNE PUBLIQUE
Nous recevons la lettre suivante :
Igney et Avricourt
«  Vous avez déjà eu l'occasion de parler de la situation de la commune d'Igney, noyée dans celle d'Igney-Avricourt.
«  Depuis 1878, la haute et puissante compagnie des chemins de fer de l'Est a fait entrer au conseil municipal d'Igney six de ses employés. La conséquence de cette élection a été la construction d'un groupe scolaire pour enfants d'employés à la gare d'Avricourt et un déficit de 12.000 francs. La compagnie a bien été invitée à venir en aide à la commune pour combler ce déficit, mais le directeur de la compagnie s'est refusé catégoriquement sans même consulter son conseil d'administration.
«  La commune doit donc 12.000 tr., et les habitants d'Igney propriétaires ou cultivateurs, sont obligés de supporter une imposition extraordinaire de 15 centimes pendant trente ans pour la plus grande satisfaction des employés de l'Etat et de la compagnie de l'Est agglomérés sur le territoire d'Avricourt.
«  Cette manière ingénieuse de faire payer ses dettes par son voisin n'est pas nouvelle : c'est la théorie communiste dans toute sa beauté, théorie que l'administration préfectorale ne devrait pas tolérer si elle était plus soucieuse des intérêts qui lui sont confiés.
«  C'est avec raison que M. Colson, alors conseiller général du canton de Saint Nicolas, exposait, devant cette assemblée, les dangers de l'établissement sur le territoire d'une commune, d'une usine ou d'une société industrielle venant imposer à cette commune des dépenses inouïes sans y coopérer suffisamment. L'honnête M. Colson citait cependant plusieurs usines françaises qui, non seulement construisent et entretiennent des écoles pour les enfants de leurs ouvriers, mais subviennent, dans de larges proportions, aux dépenses communales.
«  Telle n'est pas la situation à Igney-Avricourt que les conseillers municipaux de la compagnie de l'Est traitent en pays conquis.
«  Depuis longtemps les habitants d'Igney, fatigués des exigences des conseillers de la gare, blessés de n'être représentés au conseil municipal que par trois conseillers sur douze et d'être administrés par une population flottante, demandent la séparation en deux communes d'Igney et d'Avricourt.
«  Cette demande, dont l'initiative peut être prise par le Préfet, aux termes de l'article 12
de la loi du 5 avril 1884, doit être déposée avant la session d'avril du conseil général. Il n'y a donc pas de temps à perdre. Nous appelons de nouveau sur ce point l'attention de M. le Préfet et du conseiller général du canton de Blâmont.
«  Agréez, etc. »

Le Conseil général approuve la séparation

5 avril 1894
Conseil général de Meurthe-et-Moselle
Séance du 4 avril
[...] Commune d'Igney-Avricourt. - M. Jacquemin, rapporteur.
Les habitants d'Igney demandent que la section d'Avricourt soit érigée en commune distincte. Cette demande est motivée par la raison que les revenus de la section d'Igney seraient en grande partie affectés aux besoins de celle d'Avricourt, dont les représentants au conseil municipal forment la majorité de l'assemblée.
La commission syndicale élue à Igney, en exécution de l'article 4 de la loi du 5 avril 1881, s'est montrée favorable au projet, qui est repoussé par le conseil municipal.
L'enquête à laquelle il a été procédé à ce sujet a soulevé de nombreuses protestations de la part des habitants de l'agglomération d'Avricourt.
D'autre part, M. le directeur des contributions directes trouve insuffisants les motifs invoqués pour justifier la modification projetée, et le conseil d'arrondissement conclut au maintien du statu quo.
Le rapport de la commission énumère une longue série de griefs de la part des habitants d'Igney, griefs que l'Est républicain a souvent énumérés.
Les habitants d'Avricourt, au contraire, protestent, mais la commission n'admet pas leurs raisons; elle admet en principe la séparation.
Le conseil vote le principe de la séparation.

1895 - Le demande du Conseil général, soumise au Ministre par le Préfet est rejetée sur un argument tiré du conseil d'Etat.

22 avril 1895
Igney-Avricourt
Une pétition avait été signée par les habitants d'Igney à l'effet d'obtenir l'érection de la section d'Avricourt en commune distincte. Le conseil général, dans sa session d'avril 1894, avait émis un avis favorable.
Le ministre vient d'informer la préfecture de Meurthe-et-Moselle que cette demande n'avait pas été prise en considération par l'administration centrale, la jurisprudence du conseil d'Etat s'opposant à la création de communes de moins de 600 âmes.

Le Conseil d'Etat ne s'étant pas réellement prononcé sur le cas spécifique d'Igney-Avricourt, les partisans de la séparation reviennent à la charge, toujours par la voie administrative :

26 avril 1895
TRIBUNE PUBLIQUE
On nous écrit d'Igney-Avricourt :
«  Dans votre numéro du 22 avril, vous rendez compte du rejet, par l'administration centrale, de la pétition des habitants d'Igney à l'effet d'obtenir l'érection de la section d'Avricourt en commune distincte.
Aucun des trois motifs donnés par l'administration pour justifier le rejet de cette demande ne me paraît fondé.
Avant 1870, Igney formait une petite commune qui se suffisait à elle-même. Sa section d'Avricourt qu'on lui a imposé à cette époque a aujourd'hui une population de plus de 700 habitants et se trouve par conséquent dans les conditions exigées par le conseil d'Etat pour former une commune distincte ; la commune d'Igney avec ses 275 habitants ne ferait que recouvrer son ancienne autonomie.
Si, lors de la délimitation de la frontière et malgré un article du traité de Francfort, on a divisé le territoire d'Avricourt en deux parties, ce n'est pas aux habitants d'Igney à contribuer à résoudre les difficultés financières occasionnées par cette division uniquement parce qu'ils sont voisins de cette commune nouvellement créée. L'administration centrale commet une véritable injustice en maintenant la réunion des deux communes.
L'opposition unanime des habitants d'Avricourt au projet de séparation n'est pas non plus une cause qui s'oppose à la modification demandée, ce serait au contraire un argument en faveur du projet. La population d'Avricourt étant devenue trois fois plus importante que celle d'Igney, la commune d'Igney doit subir la loi de son annexe et subvenir à ses besoins, ce qui explique l'opposition des habitants d'Avricourt qui ne demandent qu'à continuer de faire participer les habitants agricoles d'Igney dans leurs nombreuses dépenses communales.
Aussi la commission syndicale nommée à Igney pour défendre les droits de la commune vient d'adresser à M. le sous-préfet de Lunéville une lettre recommandée, pour en appeler de la décision ministérielle à la juridiction du conseil d'Etat.
On verra si le jugement de cette haute juridiction maintiendra la réunion de.la section d'Avricourt à la commune d'Igney malgré le refus absolu et malgré un avis favorable exprimé par le conseil général de Meurthe et-Moselle, mieux placé que l'administration centrale pour juger de la légitimité de la demande des habitants d'Igney ; ou bien si ce jugement, tenant compte des Idées de décentralisation qui gagnent le pays, rendra à la commune d'Igney son ancienne autonomie. »

La voie administrative étant restée une impasse, on passe par la voie législative, qui va s'avérer bien plus rapide :

11 novembre 1897
Igney-Avricourt
M. Brisson, président, a fait connaître mardi à la Chambre qu'il avait reçu de M. le ministre de l'intérieur un projet de loi tendant à distraire de la commune d'Igney-Avricourt la section d'Avricourt, pour l'ériger en commune distincte.
30 novembre 1897
Igney-Avricourt
C'est samedi qu'a été déposé sur le bureau de la Chambre le rapport, dont nous avons parlé il y a quelque temps, tendant à distraire de la commune d'Igney-Avricourt, la section d'Avricourt pour l'ériger en municipalité distincte.

Le 3 décembre 1897, les députés adoptent le texte, et la validation du Sénat, le 20 janvier 1898, entraine la très rapide promulgation de la loi de séparation le 22 janvier 1898.

Le simple tableau de la démographie Igney et Avricourt montre bien la problématique :

 

1866

1873

1876

1881

1886

1891

1896

1901

1906

1911

1921

AVRICOURT

718

 

 

 

 

 

 

735

726

818

368

IGNEY

191

248

547

811

878

988

996

268

262

257

138

  • En 1866, l'intégralité d'Avricourt appartient au département de la Meurthe.

  • Après 1871, la majeure partie d'Avricourt devient allemand. La partie restée française d'Avricourt n'apporte à la nouvelle entité Igney-Avricourt qu'une soixantaine d'habitants

  • De 1873 à 1896, l'essor de la gare va porter la population totale d'Igney-Avricourt à un millier d'habitants,

  • et ce phénomène n'est effectivement dû qu'à la gare, puisqu'après la séparation en 1898, Igney retrouve une population quasiment similaire à celle de 1873

  • quant à Avricourt (Meurthe-et-Moselle), on passe de la soixantaine d'habitants en 1873, à plus de 800 à la veille de la première guerre mondiale. Cette guerre mettra un terme à l'utilité de cette importante gare-frontière...

 

Rédaction : Thierry Meurant

 

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