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Histoires criminelles du
Blâmontois (17)
Domêvre sur Vezouze
- Juillet 1911
Voir aussi
Histoires criminelles
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Rarement un fait criminel local n'aura donné
lieu à autant de détails dans la presse que le meurtre du 11
juillet 1911 de Cyrille Prémoli, à Domêvre sur Vezouze. Mais ce
qui reste le plus surprenant est que cinq mois seulement après
le meurtre, les assises de Meurthe-et-Moselle rendront contre
les deux coupables de cet homicide, certes involontaire, mais
avoué et prouvé... un verdict d'acquittement. |
Acte de décès de Cyrille Premoli - 11 juillet 1911 - Domèvre-sur-Vezouze. |
Est-Républicain -
13 juillet 1911
Un crime à Domèvre-sur-Vezouze
Pour une querelle de jeu, deux ouvriers assassinent un de leurs
compagnons
Un crime atroce, perpétré avec un rare sang-froid, a ensanglanté
mardi soir la commune de Domèvre-sur-Vezouze.
Les motifs sont des plus futiles. Pour une querelle de jeu
survenue deux jours auparavant dans un cabaret de la localité,
deux ouvriers, mariés et pères de famille ont prémédité
d'assassiner sur la grande route un maçon d'origine italienne,
nommé Cyrille Trémoli, âgé de 30 ans.
En proie au remords, l'un des meurtriers, Jules Chatton s'est
rendu à la gendarmerie de Blâmont où il s'est constitué
prisonnier en donnant sur le crime des détails circonstanciés et
complets, qui ont permis de mener très rapidement l'enquête
judiciaire.
La découverte du crime
Inquiète de l'absence de l'homme en compagnie duquel elle vit
maritalement, depuis un certain temps, Philomène Pierrel conçut
des soupçons.
Pourquoi Cyrille Trémoli avait-il passé la nuit dehors ? Si
tranquille d'ordinaire, si régulier dans ses habitudes, d'où
vient qu'au lieu de regagner directement son domicile, après sa
journée finie, il s*était ainsi attardé en quittant le chantier
où il travaillait, à Ogéviller ?
Philomène Pierrel fit part de ses craintes, de ses inquiétudes à
ses voisines :
- Je vais tâcher de le retrouver.... »
Elle se rendit à Ogéviller ; mais personne n'avait aperçu le
maçon. Seulement un journalier du nom de Thomas, revenant d'une
partie de pêche, l'aida dans ses investigations.
On apprit que Trémoli avait dû se rencontrer sur la route avec
deux individus et que, probablement, il avait été victime d'une
agression.
Des passants avaient remarqué sur le bord de la route de
nombreuses traces de sang ; ils n'y avaient prêté que peu
d'attention :
- Un chasseur a sans doute tué un renard, pensèrent-ils. »
Pendant ces recherches auxquelles fut employée toute la matinée
de mercredi, une scène dramatique se déroulait dans la maison du
terrassier Jules Chatton.
Celui-ci avait paru sombre, préoccupé et sa femme lui ayant
demandé la cause de son humeur mélancolique :
- Ecoute ! j'ai fait hier soir un mauvais coup, avoua-t-il...
Avec un de mes camarades, Ernest Lalevée, j'ai tué Trémoli ...On
s'est disputé au jeu dimanche soir... Trémoli nous a injuriés..
Nous nous sommes vengés de lui. »
Mme Chatton conseilla, au criminel d'aller immédiatement
prévenir la gendarmerie de Blâmont et c'est ainsi que, deux
heures plus tard, menottes au poing, l'auteur principal de
l'assassinat était conduit sur le lieu même où s'étaient
déroulées les terribles péripéties du drame.
Ernest Lalevée était arrêté à son domicile, et les deux
coupables indiquèrent alors l'endroit où ils avaient caché le
cadavre.
Une foule énorme assistait à ce spectacle émouvant.
Dans une oseraie
A 600 mètres environ du village poussent des oseraies assez
touffues. C'est là que fut retrouvé, au lieu dit « le Petit-Pré
», le cadavre de Cyrille Trémoli.
Un bref interrogatoire permit de reconstituer la scène :
- Nous avons attendu Trémoli, au bord de la route, vers sept
heures du soir. Il revenait à bicyclette de son travail... Nous
avons lancé dans les roues de sa machine une des pioches dont
nous étions armés... Trémoli est tombé. Il a essayé de fuir...
Nous l'avons vite rejoint... Comme il criait grâce, nous l'avons
frappé de deux coups de pioche dans le dos, puis, d'un troisième
coup sur la tête, nous l'avons achevé sur place. »
Le cadavre dissimulé dans une oseraie voisine, Chatton et
Lalevée songèrent à le faire disparaître.
Les doux hommes revinrent à Domèvre-sur-Vezouze. On les vit dans
les cabarets. Ils dînèrent chez eux et retournèrent ensuite au
Petit-Pré. Là, ils creusèrent dans un fossé d'irrigation un trou
assez profond pour y placer le corps de leur victime.
Il était environ dix heures et demie du soir, quand fut terminée
cette lugubre besogne.
En présence de M. Duron, juge de paix à Blâmont, de M.
Voissemont, maire de Domêvre, et de M. Poisson, garde champêtre
de cette commune, les assassins firent des aveux complets :
- Nous regrettons bien notre crime, ajoutèrent-ils. »
L'enquête
Le parquet de Lunéville fut -informé. Mais M. Couléru, procureur
de la République, ne put se transporter mercredi à Domêvre.
La venue du magistrat est attendue dans la matinée de jeudi. M.
Couléru sera accompagné de M. Le Cornée, juge d'instruction, du
médecin légiste, M. le docteur Simon, et du greffier
d'instruction, M. Géhin.
Les assassins ont été, sous bonne escorte, conduits
provisoirement à la prison de Blâmont d'où ils seront extraits
aujourd'hui pour être transférés à Lunéville.
Chatton et Lalevée paraissent très abattus, Chatton surtout que
le remords torturait et qui, en proie à une sorte d'affolement,
confessa à sa femme l'abominable forfait qu'il avait accompli.
M. Fourmann, débitant à Domêvre, fut requis pour le transport du
cadavre que l'on déposa sous le hangar municipal de la pompe à
incendie, sur un tas d'écorces.
Quant à la bicyclette de Cyrille Trémoli, les assassins s'en
étaient débarrassés en la jetant dans la Vezouze, à proximité du
moulin. Elle fut aisément retrouvée, sur les indications qu'ils
fournirent à la gendarmerie,
La bicyclette de la victime et les pioches qui ont servi à
l'exécution du crime ont été placées sous scellés à la mairie
comme pièces à conviction, ainsi que son chapeau, ramassé dans
l'oseraie, et la somme de soixante centimes qu'il avait dans sa
poche.
L'émotion dans le pays
Nous nous sommes rendu la nuit dernière en automobile à
Domèvre-sur-Vezouze.
Le débitant Fourmann nous a donné sur le guet-apens de la veille
les renseignements que nous venons de publier :
- Jules Chatton est originaire de Saint Martin, nous a-t-il en
outre déclaré... Il s'est marié dans le pays. Sa. soeur a épousé
justement un des frères de la victime... Il est père d'une
fillette d'environ sept ans et sa femme est presque au terme
d'une grossesse... On le considère comme un brave et honnête
ouvrier...
Par contre, Ernest Lalevée, son complice, est vraisemblablement
l'instigateur de l'horrible forfait. Il est également marié et
père d'un enfant de quelques mois à peine. Il est issu d'une
famille de pauvres bergers. Il jouit dans le pays d'une mauvaise
réputation :
- On n'a pas été surpris ici, nous dit M. Fourmann, quand on a
su qu'il avait tué Cyrille Tremoli... Celui-ci n'était pas
davantage exempt de reproches... »
Vers une heure du matin, nous heurtons à la porte de M. Poisson,
l'actif garde champêtre, qui consent à ouvrir pour nous le
hangar transformé en morgue où gît le cadavre du maçon.
Le malheureux est étendu sur des écorces d'osier. Il est vêtu
d'un pantalon à grosses côtes, les souliers et la chemise sont
souillés de terre Le visage garde dans la mort, un calme
terrifiant ; les yeux sont restés ouverts ; la bouche se crispe
légèrement sous la moustache blonde ; des traces de sang sont à
peine visibles sur le front et sur les joues.
L'abandon auquel est livrée cette créature humaine, dans la paix
du village endormi, a quelque chose de tragique et de navrant ;
cette impression s'avive encore à la clarté de la lune qui
enveloppe le cadavre oublié là comme une lamentable épave.
L'émotion, pourtant, s'est emparées de Domèvre-sur-Vezouze. Le
triste événement a troublé le pays. Les femmes des assassins et
Philomène Pierrel, la compagne de la victime, ont donné libre
cours aux transports de leur douleur et de leur désespoir.
Les mêmes scènes se renouvelleront aujourd'hui, quand les
magistrats viendront assister à l'autopsie et pour ordonner le
transfert de Chatton et de Lalevée à Lunéville.
Achille LIÉGEOIS.
Le Messin - 14 juillet 1911
ASSASSINE ET ENTERRE
Lunéville, 13 juillet.
L'assassinat du maçon Cyrille Trémoli, âgé de trente ans, tué à
Domèvre-sur-Vezouse, a eu, d'après les premiers renseignements,
la vengeance pour mobile.
Deux ouvriers, Jules Chatton et Ernest Lelevée, qui s'étaient
pris de querelle, dimanche dernier, dans un débit, avec Trémoli,
beau-frère de Chatton, résolurent de le tuer.
Pendant deux jours, ils l'attendirent sur la route qu'il suivait
à bicyclette en revenant de son travail. Enfin, ils aperçurent
leur victime et lancèrent une pioche dans les roues de sa
machine. Le maçon roula sur le sol et les deux assassins se
précipitèrent sur lui et, à coups de pioche, ne tardèrent pas à
l'achever.
Ils rentrèrent chez eux. La nuit venue, ils retournèrent sur le
lieu du crime afin de faire disparaître le cadavre déposé
momentanément dans une oseraie. Dans un fossé, ils creusèrent un
trou et y enterrèrent leur victime, puis ils regagnèrent leur
domicile sans avoir été remarqués.
Cependant, dans le village, on s'étonna de la disparition de
Trémoli. Sa maîtresse, Philomèle Pierrel, se rendit à Ogevillers,
où travaillait son amant, pour savoir ce qu'il était devenu. On
songea alors à la présence, sur la route, de Chatton et de
Lelevée, que l'on avait rencontrés. Bientôt les soupçons se
changèrent en certitude, quand on eut relevé sur le lieu du
crime des traces de sang et de lutte.
Sur ces entrefaites, Chatton, pris de remords, raconta la scène
tragique à sa femme et celle-ci l'engagea à se constituer
prisonnier. C'est ce que fit le criminel, qui se rendit à la
gendarmerie de Blamont.
Le Parquet fut prévenu et les assassins furent arrêtés.
L'Éclair de l'Est - 15 juillet 1911
Le drame de Domèvre
Guet-apens suivi d'assassinat
Un drame sanglant s'est déroulé à Domèvre mardi soir. Voici dans
quelles circonstances :
Une discussion surgissait lundi soir au café Grim, entre trois
joueurs de cartes, Jules Chatton, 30 ans ; Eugène Lalevée, 28-
ans, tous deux terrassiers à la ligne de Blâmont et le nommé
Cyrille Tremoli, 30 ans, maçon, demeurant lui, à Ogéviller et
travaillant pour le compte de M. Picaut.
Les : trois hommes se quittèrent, les deux premiers proférant
des menaces à l'égard du troisième.
Le lendemain soir, ils le guettaient sur la route, à. sa rentrée
du travail. .Cachés derrière un arbre, quand Tremoli passa à
proximité d'eux, ils lui jetèrent une pioche dans sa bicyclette.
Trémoli tomba, se releva et, espérant échapper à ses.
agresseurs, se sauva- dans l'oseraie qui borde la route. Chatton
et Lalevée l'y suivirent et l'attaquèrent par derrière a coups
de pioche. Chatton l'abatti d'un coup
entre les deux épaules et d'un autre coup dans la nuque. Lalevée
finit en l'assommant avec le manche de sa pioche.
Laissant le cadavre là, à 50 mëtres de la route; ils rentrèrent
manger chez eux, puis, après avoir bu de la bière dans un débit
au milieu; du village, ils retournèrent auprès de leur victime
qu'ils transportèrent à 1.200 mètres de là, au bas d'un pré et
l'enterrèrent dans un fossé actuellement à sec.
Ce n'est que le lendemain que Chatton, sur les exhortations de
sa femme, à laquelle il avait tout avoué, résolut d'aller se
constituer prisonnier à la gendarmerie de Blâmont.
Mais déjà le bruit, d'un drame s'était répandu dans le village..
L'amie de Tremoli, Philomène Pierrel, s'était mise à sa
recherche ; elle chercha à reconstituer l'emploi de son temps
depuis son.départ du chantier et à l'heure même où un des
assassins se dénonçait aux gendarmes, avec un nommé Thomas,
journalier, qui revenait de la pêche, elle découvrait l'endroit
où son ami gisait.
Bientôt les gendarmes de. Blâmont arrivaient avec le juge de
paix du canton et le docteur Hanriot. Lalevée était arrêté à son
travail, le cadavre était exhumé et transporté au magasin des
pompes où le
docteur Hanriot l'examina sommairement.
Entretemps on se livrait à des dragages dans la Vezouze où les
criminels avaient jeté la bicyclette de Trémoli. On finit par la
repêcher ; elle était absolument en morceaux.
Les deux assassins .furent emmenés à Blâmont. le soir, à 5
heures, au milieu des cris hostiles de la foule et des sanglots
déchirants de leurs femmes. Chatton a deux enfants, dont une
fillette de 7 ans ; sa femme est enceinte. Lalevée est marié
aussi et a une petite fille de 2 ans.
Le parquet de Lunéville, accompagné de M. le docteur Simon, est
parti jeudi par le train de 7 heures pour Domèvre afin de
reconstituer la .scène du drame, procéder à l'autopsie et aux
confrontations d'usage, après lesquelles les deux assassins ont
été ramenés sous bonnes escorte à Lunéville et écroués à la
maison d'arrêt.
Est-Républicain - 14 novembre 1911
Assises de Meurthe-et-Moselle
Voici le rôle des affaires qui seront jugées à la quatrième,
session :
[...] Jeudi 23 novembre-. - [...] Soir. - Coups mortels. -
Accusés : Maurice Eugène Lalevée,. âgé de 25 ans, et. Joseph
Chatton, âgé de 32 ans, terrassiers, à Domèvre-sur-Vezouse. --
Ministère public: M. Duhaut ; défenseur : Me Aubertin.
Est-Républicain - 24 novembre 1911
Jeudi après-midi, la cour d'assises a jugé les nommés Chatton et
Lalevée, terrassiers à Domèvre-sur-Vezouse, qui, le 10 juillet
dernier, tuèrent leur camarade Cyrille Brémoli.
Les deux accusés sont acquittés.
Est-Républicain - 25 novembre 1911
COUR D'ASSISES
de Meurthe et Moselle
Le meurtre de Domèvre-sur-Vezouze
Jeudi après-midi, un nombreux public se pressait dans la salle
de la cour d'asaises pour assister aux débats de l'affaire de
Domèvre-sur-Vezouze. Alors que le greffier donnait lecture de
l'acte d'accusation, Prémoli Louis (frère de la victime), cité
comme témoin, se trouvant en état d'ivresse, fit un tel tapage
qu'on dut l'amener devant la cour qui ordonna son expulsion Le
prétoire et décida qu'il n'était pas en état d'être entendu
comme témoin.
Les accusés Maurice-Eugène Lalevée, âgé de 25 ans, et Joseph
Chatton, 32 ans, terrassiers è Domèvre-sur-Vezouze, sont
poursuivis sous l'inculpation de coups et blessures ayant
entraîné involontairement la mort de Cyrille Prémoli, dans des
circonstances que précise ainsi l'acte d'accusation :
Chatton et Lalevée vivaient en bonne intelligence avec Cyrille
Prémoli, maçon au même lieu. Ils passaient souvent la soirée
ensemble en jouant aux cartes. Le 10 juillet 1911, une
discussion de jeu éclata entre eux au débit Grimus, à Domêvre,
et Prémoli porta un coup de poing à Chatton, l'aubergiste pour
terminer la scène, d'ailleurs sans gravité, mit les
consommateurs à la porte.
Au dehors, la discussion reprit et Prémoli renversa Chatton d'un
second coup de poing, tandis qu'un frère de l'agresseur
empoignait Lalevée, qui parvint à lui échapper. Les intéressés
eux-mêmes, qui ne portaient aucune trace de coups, ont qualifié
cette scène de simple bousculade. Cependant Chatton et Lalevée
résolurent le lendemain de se venger. Comme ils savaient que
Prémoli, sa journée de travail finie rentrait à bicyclette
d'Herbéviller à Domêvre-sur-Vezouze, vers 6 heures et demie du
soir ils allèrent à cette heure s'embusquer à 600 mètres du
village, sur le bord de la route que devait suivre leur victime.
Ils étaient masqués par un bouquet d'arbustes et s'étaient armés
chacun d'un manche de pioche dont ils avaient ôté l'outil.
Quand Prémoli déboucha en face d'eux, ils lui barrèrent le
chemin et se ruèrent sur lui. Prémoli, abandonnant sa
bicyclette, se jeta sur la droite de la route, dans une oseraie
traversée par une rigole desséchée. Il suivit cette rigole en
courant, poursuivi de près par Chatton et Lalevée. L'ayant
rejoint, Chatton lui lança trois coups de manche de pioche dans
le dos, près du cou, et le troisième sur le sommet de la tête,
derrière l'oreille gauche. Le second coup asséné avec une
extrême violence, renversa Prémoli, le crâne brisé, dans une
mare de sang.
La mort avait pour ainsi dire été foudroyante, mais les spasmes
de la victime purent faire croire aux assaillants que la
blessure, tout en étant grave, n'était pas mortelle. Ils
laissèrent le corps, qu'agitaient encore de suprêmes convulsions
à l'endroit même où il était tombé, puis ils regagnèrent la
route, où Lalevée brisa la bicyclette de Prémoli à coups de-
pioche et la cacha à proximité. Cela fait, ils rentrèrent
respectivement chez eux à Domèvre pour dîner.
A huit heures et demie, à la tombée de la nuit, les deux accusés
se retrouvèrent pour aller, comme c'était convenu, se rende
compte de l'état de la victime. Prémoli étant mort, il
décidèrent de l'enterrer pour faire disparaître toute trace du
crime et, attendant l'heure propice, rentrèrent se coucher. A
minuit, ils se rencontrèrent une seconde fois à côté du cadavre.
Pour ne pas tâcher leurs vêtements, ils placèrent le corps en
équilibre sur un manche de pioche, dont chacun saisit une
extrémité et le transportèrent à une distance de 1300 mètres, en
pleine campagne, près d'un petit bois, où ils creusèrent avec
leurs outils une fosse où ils l'enfouirent en ayant soin
d'égaliser le terrain et de replacer les mottes de gazon qu'ils
avaient découpées, puis de saupoudrer de terre et de poussière
la flaque de sang qui marquait, à la sortie de roseraie, le lieu
du crime.
En regagnant la grand'route, ils reprirent la bicyclette de
Prémoli, qu'ils jetèrent dans la Vezouze près de Domèvre et
rentrèrent se coucher définitivement.
Le lendemain dans l'après-midi, Chatton, sur les instances de sa
femme, à qui il venait de révéler son forfait, alla se
constituer prisonnier à la gendarmerie de Blâmont qui, guidée
par lui, découvrit et exhuma le cadavre de Prémoli, repêcha sa
bicyclette, et arrêta Lalevée.
Ces deux accusés ont fait des aveux complets et reconnaissent
que c'est Lalevée qui a porté le coup mortel.
Chatton et Lalevée n'ont pas d'antécédents judiciaires. Les
renseignements recueillis sur leur compte ne sont pas
défavorables.
Parmi les pièces à conviction, exposées à l'audience, figure la
bicyclette de Prémoli brisée en deux dont les rayons et les
roues sont, tordues. On remarque aussi les deux manches de
pioche qui servirent à Lalevée et à Chatton pour commettre leur
crime.
L'interrogatoire
M. le président donne tout d'abord lecture des renseignements
recueillis sur les accusés. Ils leur sont favorables. Bons
ouvriers, sobres, de caractère doux, ils jouissent de la
considération générale à Domèvre-sur-Vezouze.
M. le président rappelle que la veille du crime ils jouèrent aux
cartes avec Cyrille Prémoli, beau-frère de Chatton. Ils eurent
une discussion ensemble à propos d'une pièce de cinq centimes. A
un moment, comme ils sortaient du cabaret Grimm, Cyrille et son
frère Louis lui portèrent plusieurs coups de poing, mais
l'incident n'eut pas plus de gravité.
Chatton. - Le lendemain nous avons appris par des camarades que
Cyrille Prémoli s'était vanté sur son chantier de nous avoir
flanqué une raclée. Des camarades nous ont blagués et nous ont
excités. Nous avons décidé alors de nous venger mais nous
n'avions nullement l'intention de le tuer.
D. - Et alors qu'est-ce que vous avez fait ?
R. - Nous voulions le battre.
D. - Seulement c'était un homme grand, beaucoup plus fort que
vous, vous le redoutiez. Pour en venir à bout plus facilement,
comment vous y êtes vous pris ?
R. - Nous avons démanché nos pioches.
D. - vous saviez qu'après 7 heures, son travail terminé, il
regagnait Domèvre.
R. - Oui.
D. - Vous êtes allés vous embusquer sur la route d'Herbéviller à
Domèvre et alors vous avez vu venir Prémoli, vous vous êtes rués
tous les deux sur lui. Il s'est jeté sur la droite de la route
et a pris un sentier pour s'enfuir dans les prés. Il fut bientôt
rejoint. Le premier qui frappa c'est vous Chatton ?
R. - Oui.
D. - Vous lui avez donné trois coups de manche de pioche, dont
deux dans le dos et un sur la tête. Il a continué à s'enfuir.
Mais il fut rattrapé par vous Lalevée et vous lui avez porté
deux coups qui l'atteignirent au côté gauche de la tête. Le
second coup lui brisa le crâne. La mort a été foudroyante
Lalevée. - Oui, j'ai frappé deux fois,
D. - Croyant qu'il n'était que blessé légèrement, vous êtes
parti vers Domèvre, mais vers 8 h. j du soir, pris
d'inquiétudes, vous avez été voir si Prémoli était resté sur
place. Vous avez constaté qu'il était mort.
Chatton. - Oui.
D.- Comprenant la gravité de votre acte, vous vous donnâtes
rendez-vous pour minuit et vous avez enterré votre malheureuse
victime.
Chatton. - Nous étions affolés et. nous avons voulu faire
disparaître la trace de notre meurtre.
D. - Les remords n'ont pas tardé à vous gagner. Le lendemain
votre femme voyant que vous ne mangiez pas a pensé qu'il devait
y avoir quelque chose. Elle vous a pressé de questions et
recueillit vos aveux. Elle vous conseilla d'aller vous
constituer prisonnier ; « On n'échappe pas à la justice », vous
dit-elle, et c'est ainsi que vous êtes allé trouver le juge de
paix de Blâmont en disant : « Je viens de faire un sale coup ».
R. - Oui.
D. -Vous Lalevée, on vous a arrêté à la suite de la déclaration
de Chatton.
M. le président établit ensuite la responsabilité des accusés.
Les coups portés par Chatton, dit-il, n'étaient pas très graves.
C'est Lalevée qui assomma Prémoli par les deux coups qu'il lui
asséna sur le crâne.
Les témoins
M. le docteur Hanriot de Blâmont qui examina le cadavre de
Prémoli vient dire que ce sont les deux coups portés sur la tête
qui ont entraîné la mort. Il donne de bons renseignements sur
les accusés.
M. Leblanc, maréchal des logis à Blâmont, fait le récit de son
enquête alors de la découverte du meurtre. Il donne lui aussi de
bons .renseignements sur les accusés et ajoute que Prémoli avait
un caractère batailleur.
Prémoli, Auguste, frère de la victime, expose dans quelles
circonstances une légère rixe se produisit entre son frère et
les accusés au débit Grimm, à propos d'une partie de cartes. Le
témoin se flatte d'avoir envoyé une bonne paire de gifles à
Lalevée. Celui-ci répond qu'il les a parées. Oh ! il les a tout
de même bien reçues, répond Prémoli.
Enel, Alphonse, dépose lui aussi que la discussion ou café Grimm
fut peu importante.
M. Grimm, débitant, estime que Cyrille Prémoli était légèrement
ivre et cherchait querelle. A un moment il porta un coup de
poing à Chatton qui répondit : « Je ne me battrai pas ».
A dix heures, il les mit à la porte. Le témoin ajoute que
Cyrille avait un caractère violent.
Courtois, Louis, vannier à Domèvre, a vu Cyrille s'élancer sur
les accusés la veille du crime à la sortie du café Grimm.
Mines Chatton et Lalevée, femmes des accusés, sont, ensuite
entendues, mais elles n'apprennent rien de nouveau. Elles
affirment seulement qu'avant la scène du café Grimm, leurs époux
n'avaient aucune animosité contre Cyrille Prémoli.
Réquisitoire et plaidoirie
M. Duhaut, avocat général, rappelle les circonstances du
meurtre. II reconnaît que les accusés ont un passé honorable,
que leurs familles sont dignes d'intérêt, c'est pourquoi malgré
l'atrocité du meurtre il demande lui-même un verdict de pitié
avec circonstances atténuantes, mais une condamnation s'impose
car on ne peut laisser-impuni un guet-apens qui amena la mort
d'un homme.
Me Aubertin, du barreau de Lunéville, s'efforce de montrer que
Prémoli était un individu batailleur, peu sympathique dans le.
pays. Dans un moment d'aberration, ses clients ont frappé ce
malheureux avec. une brutalité qu'ils déplorent et qui leur a
déjà causé de vives souffrances morales. Il termine en implorant
le jury de les rendre à leurs familles, car l'un et l'autre ont
de petits enfants qui ont besoin de leurs gains-et dont l'avenir
serait attristé si une condamnation était prononcée contre leur
père.
Le verdict
A cinq heures un quart, le jury se retire dans la salle des
délibérations, il en revient à 5 h. 40 avec un verdict négatif
pour les deux accusés. En conséquence, la cour prononce leur
acquittement. Quelques applaudissements se font entendre. |
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