L'Echo de
la F.A.R.A.C : organe officiel et exclusif de la
Fédération des amicales régimentaires et d'anciens
combattants
Janvier 1930
Félicitations. - Nous
apprenons que notre camarade Sazerac de Forge, en
littérature Henry de Forge, a obtenu de l'Académie
française un des plus importants prix décernés en 1929
le prix de Jouy pour son roman intitulé « Soi-même ».
C'est le second prix que l'Académie française décerne à
notre camarade, le premier lui a été donné pour le roman
intitulé « La Créance », écrit pendant la guerre à
Ancerviller, sur le 38e R.I.T.
Nous avons adressé nos sincères félicitations à notre
camarade Sazerac de Forge et nous espérons qu'il
continuera la série de ses succès.
Le 38ème
Régiment d'infanterie Territoriale
Formé à Montargis, le 38eme RIT compte 47
officiers et 3155 hommes de troupes au début de la
guerre. Dirigé sur Epinal, le régiment effectue de
nombreux ouvrages dans les Vosges. Son 1er
bataillon est détaché à Laneuveville-les-Raon le 27
novembre 1914, puis au nord de Baccarat fin décembre (la
3ème compagnie participera ainsi au
ravitaillement de Herbéviller, Saint-Martin le 22
décembre, Domjevin et Blémerey le 24, et à une
importante opération sur Chazelles et le Château de
Grandseille le 27). Le 8 février 1915, le 2d
bataillon rejoint le 1er dans le secteur
Montigny-Vacqueville, puis vient le 3ème
bataillon le 28 février.
Enfin, à compter du 2 mai 1915, tout le 38ème
RIT, désormais rattaché à la 142ème brigade
de la Division d'Armée Lorraine, est cantonné à
Merviller. Son secteur va du grand bois à l'Est à la
route Baccarat-Domèvre, avec le 3ème
bataillon du 38ème RIT pour le service du
Grand Bois, et le 1er bataillon pour
Ancerviller (avec zone sur Montigny et Merviller). Les 2ème,
3ème et 4ème compagnies organisent
les positions défensives en avant du village, et à
l'ouest sur la position dite de la bergerie ou
n'existait qu'une tranchée étanchée.
En début début 1916 s'organise enfin une période de
repos: la relève de la 3ème compagnie à Ancerviller dans
la nuit du 30 au 31 janvier s'effectue sous un violent
bombardement.
Fin mai 1916, le 38ème RIT rejoint le nord de
Lunéville, à la disposition de la 6ème
Division de cavalerie.
Henry de Forge
Le Monde Illustré - 9
novembre 1938
Henry Sazerac de
Forge (1874-1943), dit Henry de Forge, est déjà un
écrivain renommé au début de la guerre (il a publié
Fleurs de rêves dès 1896), et dirige la revue
satirique illustrée Fantasio.
Après son incorporation au 38ème RIT, il
collabore à la gazette de tranchées L'écho des
Marmites, « Seul quotidien hebdomadaire » (devenu
l'organe officiel du 309ème régiment
d'infanterie, où son fondateur, Robert Layus, est
sergent.)
Sa présence dans les tranchés est connue de tous,
puisqu'on lit en juin 1915 :
Le matin
6 juin 1915
PROPOS D'UN PARISIEN
Il existe un « Dictionnaire des mots qui ne se trouvent
pas dans le .dictionnaire de l'Académie », Il faudra
sous peu lui adjoindre un supplément, consacré au
vocabulaire des tranchées. Il se trouve là-bas
d'excellents grammairiens (et, pour n'en citer qu'un, le
spirituel érudit Henry Sazerac de Forge) qui
reconstitueront un jour ce savoureux lexique. Un peu de
l'âme de ces mois héroïques revivra dans ces mots de
fortune, jaillis tout chantants du sillon comme
l'alouette et francs d'allure comme des coquelicots.
Jugez-en par ces quelques brindilles que je dérobe à la
glane du bon Lhomond précité.
Qui ne connaît le « cafard », cette neurasthénie du
guerrier contraint à l'immobilité, le mot et aussi la
chose nous viennent, je crois, des colonies,
endolorissement cérébral qui enlise l'énergie et
liquéfie l'entrain quand le courrier n'arrive pas, que
le communiqué tourne court ou que l'attaque n'a pas
donné les résultats voulus. Mais cet horripilant malaise
admet d'autres nuances. Il y a le geignot, désemparement
qui a sa répercussion sur le physique, martèle la nuque
et crispe les genoux, lorsque les nouvelles du foyer ne
sont pas rassurantes, qu'un camarade est blessé, que
sombre un navire ami ou que le rata brûle.
Il y a pire encore c'est le barbelé. On a tant tenaillé
le fil de fer, étiré en tous sens les pointes qui le
hérissent, qu'il semble en certains cas que cet
horrifique roncier vous embroussaille le coeur quand les
« mignards » - les petiots - ont un rhume, quand on
apprend que son meilleur ami n'est qu'un embusqué, quand
la langueur de mai enfièvre les poitrines ou qu'on a
bêtement raté son Boche.
Barbelé ou geignot, malaises fugaces, au reste. Il
suffit d'un geste, d'un mouvement des gens d'en face
pour amener la réaction. Mais il est un mal qui, lui, ne
pardonne pas plus redoutable que les balles et plus
redouté que les. marmites, plus insupportable à lui seul
que tous les barbelés, les geignots, les cafards et les
Boches réunis : c'est l'agaçin, autrement dit le cor aux
pieds.
Et il est vrai qu'Henry de Forge s'intéresse fortement
tant au nouveau vocabulaire des tranchées, qu'aux
situations inédites qu'elles entrainent. Le passage
ci-dessous sur le « filon », est extrait du n° 11 de
l'Echo des Marmites, du 25 mai 1916 :
La Revue du front et le Souvenir :
mémorial de la Grande Guerre
Juillet 1917
la presse du front
[...]
Le « filon » à la guerre
- Le filon, c'est d'être bien avec l'homme de
l'ordinaire, à cause du rabiot de pinard.
- Le filon, c'est de pouvoir étendre sa jambe dans le
boyau, pendant que rappliquent les marmites, et par là
éviter la crampe. Tandis que les copains sont obligés de
demeurer recroquevillés dans la position du poulet à la
crapaudine.
- Le filon, c'est, quand le ravitaillement n'a plus
cours, de recevoir des 150. Leurs trous d'obus, au
moins, recueillent amplement l'eau de pluie qu'on peut
boire. Tandis que les copains ne reçoivent que des 77
qui font de méchants trous de rien du tout.
- Le filon, c'est d'avoir une belle blessure, bien en
place, sur le crâne, l'épaule ou la poitrine. Tandis que
les copains sont labourés, déchiquetés, enlaidis.
HENRI DE FORGE.
Henry de Forge est l'un des rares contributeurs à
signer sans pseudonyme, et se précise « caporal au
nème Territorial, rattaché au 309ème régiment
d'infanterie ». Il avait déjà été cité en décembre
1915, dans l'Echo des Marmites n° 6, comme
fondateur de la Ligue de la Tête de Loup, qui se
donne pour but de lutter contre les profiteurs de guerre
:
« Sous ce titre symbolique de le Tête de
Loup, il est fondé, entre tous ceux qui durant la guerre
auront fait leur devoir, un groupement cordial de
défense contre tous ceux, quels qu'ils soient, qui, tels
de misérables araignées, auront pendant leur absence,
soit en tenant leur intérim, soit en s'établissant
lâchement leurs concurrents, auront tissé, à leur
dépens, dans les bons coins, une toile trop profitable
et durable.
Cela dans tous les milieux, toutes les professions,
aussi bien artistiques qu'industrielles ou alimentaires,
ainsi, du chroniqueur non mobilisé, qui, sous prétexte
de doubler un confrère au feu, aura trouvé moyen de se
faire un traité pour accaparer la chronique.
Ainsi du boucher parti sur le front, dont la femme seule
pour mener (et avec combien de peine) la boutique, aura
vu s'installer à sa porte, pour lui souffler ses
pratiques, un concurrent injustifié. [...] »
Auteurs de plusieurs romans de guerre, Henry de Forge
aime aussi à relater des récits plus courts, comme on le
voit dans l'exemple ci-dessous, qui rappelle la présence
en Lorraine début 1918 des premières troupes américaines
:
La France mutilée
11 février 1923
Près des morts
Mon confrère Henry de Forge contait récemment une simple
et jolie histoire.
Il était une fois, du côté, du Mississipi, un couple de
petits rentiers américains, modestes petits rentiers,
qui avaient un fils, un fils unique...
Ce fils fut tué à la grande guerre, au front de;
Lorraine. Il était seulement soldat, sans galon.
C'était, pour ces vieux époux, la fin du bonheur. Avec
leur fils tout disparaissait.
Ils eurent une idée.- Sans en rien dire à personne, ils
écrivirent en France, se mirent en rapport avec un
notaire de Meurthe-et-Moselle. Plusieurs lettres furent
échangées. Un jour ils envoyèrent un cablogramme. Et
sitôt après, ils -allèrent voir leurs banquiers et
annoncèrent à leurs amis qu'ils partaient pour la,
France.
Ainsi firent-ils. Et, circulant sur l'ancien front,
notre confrère vit sur le pas de leur -porte, devant une
maison qui n'était pas comme les maisons de chez nous,
deux vieux Américains.
Son récit se terminé ainsi :
« Et quand je tes ai salués, m'informant de la raison
de, leur présence, le père m'a dit gravement, en
retirant de sa bouche sa -courte pipe :
« - II est là...
« Ceci, je le, répète, est une - histoire toute simple,
si simple, mais, rigoureusement authentiqué et que je
voudrais voir méditer par. beaucoup qui ont oublié... »
Quand trop d'eau sépare les peuples du Champ de bataille
où succombèrent leurs fils, on. croirait qu'ils peuvent
oublier pourquoi fut répandu leur sang.
Le Matin du 2 août 1925 indique que Henry de Forge est
nommé Chevalier de la légion d'Honneur au titre du
ministère des pensions
« La Créance »
En 1917, Henry de Forge publie chez
Flammarion La Créance ; roman du temps de
guerre.
Le revue Fantasio du 1er
février 1918, écrit :
« Notre rédacteur en chef, Henry
de Forge, qui, depuis plus de trois ans est au
front, - au vrai - .vient de publier un nouveau
livre : La Créance, dont les héros sont les
territoriaux qui, on le sait, se battent depuis
longtemps côte à côte avec ceux de l'active. La
Créance est un récit dont l'action romanesque se
passe dans un milieu décrit de visu et qui
passionne autant par son sujet qu'il intéresse
comme document.. »
La Nouvelle revue de mai/juin 1918 en
donne la critique suivante :
« Henry de FORGE. La Créance
(Ernest Flammarion).
Quel drame intime poignant, que celui qui se
déroule dans La Créance, le nouveau roman
d'Henry de Forge,- d'Henry de Forge, dont on a
tant apprécié, l'an passé, les impressions de
guerre groupées sous ce titre significatif : Ah
! la belle France !
La Créance est, elle aussi, un récit de la
guerre, un récit authentique dont pas un des
éléments n'est inventé. En ces heures
émouvantes, l'imagination serait vaine et le
livre d'un soldat ne doit être pris que sur le
vif.
Dans le livre d'Henry de Forge évolue, racontée
avec une sensibilité profonde, toute une douleur
- douleur toute personnelle au coeur d'un homme,
mais qui est, en même temps, étrangement
symbolique du contre-coup de la guerre de 1870
sur la guerre d'aujourd'hui.
L'action de La Créance se déroule au milieu de
l'existence pittoresque et dangereuse des
territoriaux aux avant-postes, existence si
méritoire et peu connue du public, de ces hommes
faits, ayant l'expérience de la vie, les soucis
du foyer et des affaires et pour qui la guerre
est singulièrement plus lourde que pour les
autres. » |
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Dans son Histoire
littéraire des mères: De 1890 aux années 1920 (Ed .
l'Harmatan, 1999), Martine Sagaert nous présente ainsi
l'ouvrage :
« Dans ce récit où, selon la dédicace,
l'imagination n'a point de part, Mme rambaud alors que
son mari se battait à l'armée de la Loire, pendant
l'invasion de 1871, est violée par un officier allemand.
Depuis ce jour elle demeure dans un état de prostration
rebelle à tous soins. C'est ce qu'apprend Edmond, le
fils aîné qui a une soixantaine d'années, en décachetant
une enveloppe sur laquelle son père avait inscrit « A
n'ouvrir qu'en cas de déclaration de guerre à
l'Allemagne ». En outre, à cause de cette créance de
haine, il lui est demandé de faire contre les ennemis
oeuvre de vengeance .
Depuis qu'Edmond savait, il était habité par la révolte.
Il accepta donc l'engagement comme un « devoir
impérieux». Il réussit, malgré son âge et « pour raison
exceptionnelle » à être mobilisé. « Lui qui avait éé un
homme très doux, très bon, roulait maintenant dans sa
pensée un sentiment nouveau, déconcertant, effroyable :
la haine implacable, non seulement contre un homme, mais
contre une race toute entière qu'il maudissait.
Lorsqu'il revint en permission, il était très affaibli.
jacques, son frère cadet, proposa de le remplacer. Un
jour, un mai, le soldat Rabot Chantenailles, se fit
auprès d'Edmond le messager de la nouvelle suivante :
« Votre frère jacques est tombé glorieusement en héros.
J'ai vu ce spectacle de grandeur. Que ses enfants soient
fiers ! Que sa mère soit fière [...] Je verrai toujours
Jacques, déroulant sa bande sur eux, les fauchant... Un
tel carnage qu'ils n'ont pas résisté : ils sont repartis
en arrière ! Ah, ce qu'il a dû en tuer ! Mais votre
frère a reçu, alors, une balle dans la poitrine. Il a
défailli dans mes bras [...]. j'ai seulement entendu et
indistinctement, sans un souflle : Ma mère... contente !
»
En apprenant cela, Mme Rambaud rendit l'âme « comme s'il
lui était doux de s'endormir maintenant que la tâche
était accomplie, cet accomplissement que toute sa vie de
silence avait attendu ».
Il reste maintenant à
se procurer un exemplaire de cet ouvrage pour mieux
appréhender la vie des territoriaux sur le front d'Ancerviller... |