Le clergé du
diocèse de Nancy pendant la guerre (1914-1918)
Abbé R. Hogard,...
Éd impr. Vagner (Nancy) - 1920
M. l'abbé Lefebvre
Parmi nos morts, au
milieu de soldats, voici un prêtre en soutane : parmi
les physionomies vigoureuses de la jeunesse et de la
maturité, voici un vieillard. Il a des cheveux blancs,
mais l'âge n'a pas porté atteinte à l'ardeur de sa foi
ni à son actif dévouement. Avec ses 67 ans, il possède
une nature d'apôtre. C'est au service des soldats qu'il
s'est voué, n'ayant plus de paroisse ; c'est pour les
soldats qu'il tombe le 8 février 1918, emporté en
quelques jours par un mal terrible, contracté à leur
chevet.
Nous devons donc saluer M. l'abbé Lefebvre (1), curé d'Ancerviller,
comme une victime de la guerre. Il est bien mort pour la
France (2), dans l'exercice des fonctions d'aumônier
qu'il remplissait à l'hospice Villemin-Maringer. |
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Il y aurait des pages bien
édifiantes à écrire sur les trente-quatre années de son
ministère paroissial, sur les industries de son zèle,
sur sa générosité, sa douceur, sa modestie, son intense
piété. Mais il faut se borner, car nous écrivons pour le
temps de la guerre. Le récit de l'invasion ajoute un
mérite de plus à cette vie :
« Les Allemands traversèrent et occupèrent Ancerviller a
deux reprises. Quand ils revinrent, après avoir été
refoulés une première fois, ils commencèrent par
emprisonner le curé à la sacristie, pendant trois jours,
pour le soumettre ensuite à toutes sortes de vexations.
Ce qu'il souffrit, dans cette circonstance, Dieu seul le
sait, car il ne voulut jamais en faire le récit. Tout ce
qu'on put savoir, c'est que, grâce à son énergique
intervention, il sauva de l'incendie la majeure partie
du village. |
« Le 10 septembre
1914, les envahisseurs reculèrent ; c'était la
délivrance, on respirait. Mais au bout de deux mois
d'une tranquillité relative, l'autorité militaire, dans
le but d'assurer la sécurité des habitants, leur demanda
d'évacuer leurs maisons. Il fallut se résigner et partir
: c'était l'exil, qu'on voulait croire de courte durée :
c'était surtout l'heure cruelle de la séparation. Le bon
pasteur donna à ses fidèles l'exemple de l'obéissance.
Il se rendit à Nancy, où il trouva dans une maison amie
les attentions et le réconfort que réclamait sa santé
quelque peu ébranlée. Son premier soin fut de
s'intéresser au sort de ses paroissiens qui l'avaient
suivi, et de leur obtenir par ses démarches les secours
matériels nécessaires, se chargeant de leur assurer
lui-même le service religieux à la caserne Drouot,
devenue l'asile des réfugiés. Il fut ensuite, pendant
plus d'un an, administrateur de Vandoeuvre.
« Pris, un jour, d'une sorte de nostalgie, il sollicita
et obtint l'autorisation d'aller visiter sa paroisse. Il
en revint le coeur navré. Comme le prophète sur les
ruines du temple de Jérusalem, il avait pleuré sur les
ruines de sa chère église, qu'il avait mis tant de soin
à orner et à embellir.
« A son retour, il fut chargé de remplir à l'hospice
Villemin-Maringer les fonctions d'aumônier. Les malades
qu'il consolait avec une bonté souriante pourraient
témoigner de son admirable dévouement Chaque jour il
traversait les salles, s'arrêtant auprès de chaque lit
pour distribuer une parole d'encouragement et
d'espérance.»
Dans l'exercice même de son ministère, auprès des
contagieux. il contracta le germe d'un mal qui ne
pardonne pas.
Le samedi 2 février, après avoir dit la Messe. M.
Lefebvre fut obligé de s'aliter. Le dimanche, il ne put
célébrer les offices. Il se leva cependant. Ce fut pour
la dernière fois.
Auprès de soldats italiens soignés pour la petite
vérole, il avait contracté la terrible maladie. Dès le
mardi, les premiers symptômes alarmants apparurent ;
l'isolement fut exigé. Une consigne inexorable ne
laissait approcher de son chevet qu'une religieuse, une
autre infirmière très dévouée et le prêtre qui devait le
préparer à la mort.
Le cher malade ne s'illusionna pas, mais on gardait
encore l'espoir autour de lui. Dès le jeudi le mal
empira, tout fut considéré comme perdu.
Il demanda lui-même, malgré de vives souffrances, son
confesseur, reçut avec foi et grande piété l'Extrême-Onction
et le même soir, 8 février, expira doucement.
Ces quatre jours avaient été un véritable martyre. Une
fièvre dévorante, la diffusion généralisée de boutons
purulents, l'isolement complet étaient de nature à
exciter des récriminations dans les coeurs les plus
robustes. Pourtant on n'entendit pas une plainte, pas un
regret, pas un murmure. Il regardait le crucifix,
priait, et c'était tout. Quelques heures avant sa mort,
il avait fait le sacrifice de sa vie pour les âmes et
pour la France.
« Ses obsèques, simples et modestes comme avait été sa
vie, furent célébrées le dimanche 10 février. M. le
curé-doyen de Saint-Pierre chanta la messe, M. le
Vicaire général Jérôme présida l'absoute solennelle.
« Au bord de la tombe, M. Jambois, ordonnateur des
Hospices civils de Nancy et M. Dubujadoux, médecin-chef
du Service de santé de la Place, exprimèrent en paroles
émues la reconnaissance de tous, et leur admiration pour
cette noble victime du devoir, pour ce prêtre vaillant
tombé au champ d'honneur. » (3). |
(1) M. l'abbé Auguste Lefebvre. né à Vergaville,
le 15 mai 1851, ordonné prêtre le 3 octobre 1875, avait été
vicaire à Saint-Sébastien, puis curé d'Ancerviller (1881).
Cf. : Semaine Religieuse de 1918, p. 138 et suiv. - Divers
témoignages.
(2) La Commission administrative des hospices civils, dans sa
délibération prise le 9 février 1918, le mentionne en termes
formels.
(3) Semaine Religieuse de 1918, p. 138 et suiv. Notice de M
l'abbé Gérardin.
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