Le Pays Lorrain
1905
LE MARIAGE DE MARGUERITE DE GONZAGUE
A la mort de sa première
femme, Catherine de Bourbon (13 février 1604) (1) Henri, duc de
Bar, fils aîné de Charles III, avait quarante ans sonnés son
père avait dépassé la soixantaine. Il fallait à tout prix
assurer la succession du duché. Charles III s'en occupa
aussitôt. Dès le début de l'année 1605, il faisait légitimer les
bâtards du duc de Bar Henri de Bainville, Charles de Remoncourt
et Charles de Briey (2). Il ne pouvait, cependant, songer à les
établir sur le trône de Lorraine le plus simple était de marier
le futur Henri II. Charles III lui chercha une princesse digne
de la maison de Lorraine et de Bourbon ce fut Marguerite de
Gonzague, fille du duc Vincent de Mantoue.
On peut croire que ce choix fut dirigé, sinon dicté par Henri
d'accord avec le grand duc de Toscane, Ferdinand Ier, à la fois
gendre de Charles III et oncle de Marie de Médicis, qui
elle-même était tante de Marguerite de Gonzague. Sans doute
Charles III, suffisamment édifié par le premier mariage de son
fils, ne se fût pas soucié de renouveler une union très étroite
avec le roi de France. Henri IV, au contraire, avait tout
intérêt à retenir par les liens du sang le futur duc de
Lorraine, dont l'alliance eût pu lui échapper à la mort de
Charles III. Il semble donc que le nouveau mariage de Henri de
Bar eût été, comme le premier, l'oeuvre du roi de France (3).
Les négociations s'ouvrirent, semble-t-il, entre les cours de
Florence et de Mantoue dès le début de 1605, sinon avant. Au
mois de septembre, tout était arrangé : Henri IV faisait
connaître à Vincent de Gonzague « la résolution dernière du duc
de Bar », mais le mariage restait secret (4), comme s'il se fût
agi d'une affaire privée entre le roi et le duc de Lorraine. Des
lors l'affaire alla bon train : le 1er décembre, Charles III
donnait à son représentant à Paris. Chanvallon, et aux
principaux officiers de la maison du duc de Bar, le comte de
Torniel, premier gentilhomme de la Chambre et surintendant des
affaires de Henri, Barnet, secrétaire d'Etat, et Nicolas de
Gleysenove, secrétaire des commandements de Charles III, ses
lettres de confirmation pour passer le contrat de mariage entre
Henri de Bar et Marguerite de Gonzague (5). Le traité fut passé
à Paris, le 15 février 1606, entre les mandataires lorrains et
Carlo Rossy, procureur du duc de Mantoue, devant les princes du
sang et les principaux conseillers de Henri IV.
Ce contrat ressemblait fort à celui que Henri IV avait fait
régler en 1598, pour sa soeur, Catherine (6). Le duc de Mantoue
donnait à sa fille 360,000 livres, auxquelles le roi en ajoutait
140.000, ce qui portait la dot de sa nièce à un demi million.
Les deux tiers de cette somme devaient appartenir à la nouvelle
duchesse : c'était ce qui avait été stipulé pour Catherine. On
s'inspirait aussi à peu près des règlements du contrat de 1598
en cas de mort d'un des conjoints, mais, pour éviter toutes les
difficultés, il était stipulé que, si Marguerite réclamait la
communauté des biens, elle devrait payer les dettes de la maison
ducale dans la mesure où elle y aurait participé. Pour prévenir
les réclamations qui s'étaient élevées à la mort de Catherine au
sujet des joyaux, on décidait que ceux que Marguerite possédait
au moment de son mariage ou qu'elle recevrait plus tard
resteraient au survivant. Henri de Bar devait, de son côté,
constituer à sa femme un douaire de 25,000 livres par an, pris
sur les revenus du comté de Blâmont et de la seigneurie de
Deneuvre, dont les châteaux appartiendraient à Marguerite, et,
pour le surplus, sur les salines de Dieuze. La princesse devait
renoncer à l'héritage de Mantoue. Ce contrat, porté en Italie
par le comte de Torniel (7), fut ratifié à Nancy, le 26 juillet
(8).
Henri IV était heureux de ce nouveau mariage qui, en consolidant
ses alliances en Italie, resserrait les liens qui existaient
entre la France et la Lorraine. La princesse Marguerite devait
arriver dans le duché avec sa mère et son frère Ferdinand. Aussi
le roi de France, qui devait bientôt envoyer à Nancy le marquis
de la Vieuville pour féliciter les princes et les princesses de
Lorraine et de Mantoue de l'heureux accomplissement du mariage
(9), n'eut garde d'y dépêcher son favori, le lorrain
Bassompierre, pour assister au mariage. Celui-ci, s'arrêtant à
peine à Nancy, alla saluer la famille de Gonzague au château de
Blâmont, puis revint l'attendre dans la capitale de Charles III,
où il fut « traité, logé et défrayé fort magnifiquement » (10).
De son côté, Charles III s'apprêtait à recevoir magnifiquement
ses hôtes. Il avait envoyé au-devant d'eux le bailli de Nancy,
M. de Gournay, avec trois gentilshommes à cheval; le duc Henri
alla les attendre à Saverne, où son oncle, le cardinal Charles
de Lorraine, évêque de Metz et de Strasbourg, les festoya (9
juin). Après un court séjour à Blâmont, ils arrivèrent à Nancy.
Marguerite y fit son entrée le 15 juin.
« Le prince François, comte de Vaudémont, alla la recevoir à
mille pas de la Ville, à la tête d'environ deux cens
gentilshommes à cheval. Elle étoit portée dans une chaise
ouverte. Elle entra par la porte Saint-Jean et étant entrée dans
la Ville, les magistrats lui firent la révérence leur orateur
prononça le compliment; ils la conduisirent sous le dais jusqu'à
l'Eglise de Saint Georges, et de là jusqu'à la Cour. Les rues de
la Ville-Neuve étaient bordées par environ neuf cens bourgeois
armez. Le marquis d'Harcourt, à la tête des troupes, la reçut à
la porte Saint-Nicolas. par laquelle on entra de la
Vieille-Ville dans la Neuve. Il lui en présenta les clefs, et
lui fit une courte harangue, après quoi elle fin saluée par le
canon des Remparts (11).
« Les rues par où elle devoit passer, étoient ornées d'arcs de
triomphe, d'inscriptions, de figures, d'épigrammes à l'honneur
de cet heureux mariage, Le lendemain, les officiers de la Ville,
avant à leur tète M. de Gournay, chef du Conseil de Son Altesse,
allèrent lui faire le présent de la Ville, qui consistoit en une
Couronne d'agatte très bien travaillée, et enrichie d'émeraudes.
»
Les noces se célébrèrent jusqu'à la fin du mois. Elles furent
splendides, comme il convenait à une princesse italienne, dont
la mère amenait avec elle toute une suite (12). Toute la cour de
Nancy avait été rhabillée à neuf, le palais ducal décoré ;
Charles III avait fait garnir « le jardin de son hôtel...
d'arcades, portiques et feuillées ». On avait imaginé des
réjouissances pour les personnes des deux sexes. Pour la mariée,
la pièce principale était un ballet, pour le duc, un carrousel.
Afin d'organiser ce ballet, que la princesse de Lorraine,
abbesse de Remiremont, préparait de longue main au palais ducal,
pour la réception de sa belle soeur, rien n'avait été épargné.
L'air en était fourni par un artiste de Pont-à-Mouson ; on avait
fait venir de Lyon un machiniste qui construisit un chariot
triomphal, à mouvement automatique, couvert d'or et de peintures
et surmonté de quatre animaux. Au devant du char était Cupidon «
avecq son arc et flèches », des deux côtés avaient pris place la
princesse de Lorraine et douze demoiselles habillées en déesses
et portant toutes de « grands bouquets ou houppes d'aigrettes ».
Des esclaves enchaînés étaient attaches au chariot. Le 18 juin,
« après la souppe », entrèrent « huict pages habillez à la
turque » avec des robes de satin bleu parsementé de bandes d'or
et d'argent, chacun d'eux portait deux haches de cire blanche
puis vinrent deux choeurs de musique, l'un de violonistes et de
joueurs de luth, l'autre de voix seules. Alors le char s'avança
majestueusement, aux accords de la musique, devant les princes
et les princesses assis. Les esclaves chantaient (13) :
Captifs en mille fers dont nous sommes chargez
Nous regrettons nos heurs en malheurs eschangez
Quand nos âmes si braves
Se rendirent esclaves.
Mais ce furent les traits d'une divine main
Qui firent plus d'effect que tout l'effort humain
Et d'un coup nous perdirent
Nos coeurs qui se rendirent.
Que d'heurs en ces malheurs de notre affliction
Nous avons tout notre heur en sa perfection
Quand des beautéz parfaictes
Nos conquestes ont faictes.
Fers, vous n'êtes plus fers, vous estes des faveurs
Et le malheur pius grand, le plus grand de nos heurs
Où le mal vient à plaire
La peine est le salaire,
L'amour, à son tour, prit la parole et les esclaves lui
répondirent en louant à l'envi la beauté de Marguerite de
Gonzague. Quand ils eurent terminé, les douze déesses
descendirent de leur char, et, en chantant deux airs plus vifs,
se mirent à danser deux à deux « avec une telle grâce et
allégresse qu'un chacun en avoit contentement de le voir », puis
se démasquèrent et se mêlèrent aux autres princes et princesses.
Le 22, dans la rue Neuve la future place de la Carrière fut «
couru le carrousel, d'abord à cheval, puis à pied, par
trente-six « seigneurs et gentilshommes habillés « partie à la
Turque, partie à la Mauresque » le comte de Vaudémont, frère du
duc de Bar, et Bassompierre conduisaient les deux troupes.
Cette fête se prolongea sans doute jusqu'au soir, car Charles
III y avait fait « dresser et faire des feux et luminaires ».
Bassompierre, rendu difficile par les fêtes que l'on donnait à
la Cour de France, trouva cependant ce carrousel « assez beau »
(14). Après ces fêtes, Charles III s'en alla avec la duchesse de
Mantoue à la Cour de France pour assister au baptême du Dauphin.
Il laissait Henri de Bar, nommé en son absence
lieutenant-général du duché de Lorraine, faire à Marguerite les
honneurs de ses Etats. Si l'on en croit Lepage, une splendide
réception attendait les deux époux à Pont-à-Mousson, capitale de
leur marquisat : on y avait construit un arc-de-triomphe sous
lequel ils entrèrent dans la ville (15), et sans doute les
professeurs de l'Université les haranguèrent en latin.
Le second mariage de Henri de Bar devait être plus heureux que
le premier. Marguerite de Gonzague n'eut ni l'existence
mouvementée, ni la fin tragique de Catherine de Bourbon. Tant
qu'elle ne fut que duchesse de Bar, sa vie parait avoir été
assez calme; mais après la mort de Charles III, la naissance de
sa première fille, Nicole, sera pour elle une source de
difficultés et mettra aux prises sa fermeté de caractère avec la
faiblesse de son mari en même temps que la politique française,
qu'elle représentera, avec les intérêts lorrains (16).
Louis DAVILLÉ.
(1) Cf. Notre
artic1e : le mariage de Catherine de Bourbon (1599-1604).
Annales de l'Est, t. XV (1901) p. 386.
(2) Lettres de légitimation du 10 janvier 1605, Archives de
Meurthe-et-Moselle. B. 76. fol. 152 v° et 154-155.
(3) Cf. Annales de l'Est, art. cité, p. 188 sq.
(4) Recueil des lettres-missives de Henri IV, t. VI, p. 127 (8
septembre 1605).
(5) Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 76, fol. 6 verso
(6) Cf. Annales de l'Est. art. cité, p. 394 sq.
(7) Arch. de Meurthe-et-Moselle. B. 1292, fol. 262 verso..
(8) Dom Calmet, Histoire de Lorraine, 1re édition, t. III,
preuves, col. CCCCLXXXVI 30.
(9) Cf. Notre article : Instructions données par Henri IV à ses
ambassadeurs en Lorraine. Ann. de l'Est, t. XV, p. 7909.
(10) Journal de ma vie, par Bassompierre, édition Chantirac, t.
I, p. 183, q. Ann. de l'Est,
t. XV, p. 8019.
(11) Dom Calmet, t. III, col. 171, d'après la relation latine de
l'entrée solennelle de Marguerite
de Gonzague à Nancy. imprimée à Clairlieu en 1608 (Ch. Beaupré,
Recherebes.... sur les commencements de l'imprimerie en Lorraine,
1845, p. 23909.)
(12) Le 14 juillet 1606, le duc de Lorraine fera des dons « au
premier valet de chambre de Madame la Duchesse de Mantoue, à l'appoticaire
de ladicte dame, à son maître-queue, à huict lacquais, a son
petit nain. » Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 1292. fol. 230
yerso. La plupart des renseignements suivants, sur le char
triomphal et le carrousel, sont tirés de ce registre de comptes
du trésorier général pour l'année 1626.
(13) Ces détails sur le ballet sont tirés de la « Relation du
ballet que fut faist à la Cour de Nancy, le XVIIIe de jung ».
Bibliothèque Nationale, Collection de Lorraine, tome 347, pièce
n° 8. - Les vers que nous donnons ensuite sont également tirés
de la Collection de Lorraine, tome 20, fol. [1]74 [1]76. Nous
n'avons pas reproduit les vers de l'amour et la réponse des
esclaves ce sont des vers de mirliton.
(14) Bassompierre, ouvr. cité, I p. 187.
(15) Nous n'avons pas trouvé dans le registre B. 1292 ce
renseignement qu'indique Lepage (Inventaire sommaire des
Archives de la Meurthe, t I. p. 157.)
(16) Cf. Notre article : Les relations de Henri IV avec la
Lorraine, de 1608 à 1610. Revue historique, tome LXXVII (1902),
p. 62.
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