En complément de l'article
« Stratégie militaire de défense de la
Vezouze - 1897 », voici un article de l'Est-Républicain de
mai 1897 qui expose les craintes de la ville de Nancy de se
retrouver aisément envahi en cas de guerre avec l'Allemagne. On
constatera par la liste des titres de presse où cette carte a
été publiée, que le voeu du conseil municipal de Nancy a été
largement relayé par une large campagne d'information.
Pour des raisons de qualité, nous ne reproduisons pas la carte
donnée par l'Est-Républicain, mais la copie similaire publiée
par Le Temps dans son supplément du 24 mai 1897. Cette carte
permet de mieux comprendre les prévisions très pessimistes de
1897 sur l'invasion de Blâmont dès le 6ème jour de la
mobilisation, prévisions qui se sont avérées exactes en août 1914.
Est-Républicain -
28 mai 1897
VOIES FERRÉES ET QUAIS DE
DÉBARQUEMENT ALLEMANDS SUR NANCY
SUR NANCY
Il y a quelques semaines, MM.
les sénateurs et députés de Meurthe-et-Moselle ont remis à M. le
ministre de la guerre un voeu du conseil municipal de Nancy - en
date du 19 mars dernier - tendant à ce que la question de la
fortification de cette ville fût mise à l'étude.
Le voyage de Guillaume II, les revues et les inspections
auxquelles il vient de se livrer à la frontière même, permettent
de constater que l'Allemagne a poussé a l'extrême ce qu'on peut
appeler les « travaux d'approche ».
Nancy et la vallée de la Meurthe sont enserrées par un réseau
ferré destiné à porter à quelques kilomètres, en peu de jours,
les masses allemandes
Le réseau du pays annexé est pourvu de nombreux quais de
débarquement pour les troupes et le matériel. Voilà la situation
menaçante sur laquelle, Nancy, grande ville ouverte, appelle
notamment l'attention de l'autorité militaire.
Nous publions la carte - jusqu'ici inédite - des lignes de
manoeuvres et des quais de débarquement des Allemands. Elle
montre de quel puissant outillage ils disposent -et avec quelle
rapidité ils pourront ranger trois fortes armées dans les
conditions indiquées par le dessinateur - selon le tracé même de
leurs chemins de fer.
Disons encore que ceci n'est pas une Carte générale des voies
ferrées (ainsi la grande ligne Avricourt-Strasbourg s'y trouve
interrompue).
C'est une carte des lignes possibles de transport de l'armée
allemande, ayant pour but de faire ressortir que nos voisins
possèdent sur notre frontière douze lignes de transport, dont
huit à double voie, y compris celle du Luxembourg, qui est
administrée par l'Allemagne. (La section
Bouxwiller-Sarreguemines, indiquée à une voie, en a deux)
Le général Jamont et la
question
La carte et la Presse
Nous ne croyons pas que le
général Jamont, inspecteur d'armée, attendu aujourd'hui à Nancy,
soit chargé par M. le ministre de la guerre de s'occuper de la
question posée par les représentants de notre ville et à
laquelle l'honorable général Billot n'a lait aucune réponse
jusqu'à présent.
Nous croyons que le général Jamont vient à Nancy, simplement
pour y inspecter la 11e division et que notre ville ne peut
compter sur l'appui que - si les circonstances étaient autres, -
on serait peut-être en droit d'espérer de l'ancien commandant du
6e corps.
Quoi qu'il en soit, la carte insérée dans ce numéro, ne l'est
pas à l'occasion de l'arrivée dans notre ville de l'honorable
général : c'est une simple coïncidence.
Nos lecteurs le savent déjà, cette carte,
- dessinée à Nancy, sur documents authentiques
- a été publiée :
Le 20 mai par le Petit Journal ;
Le 21 mai par l'Indépendance belge ;
Le même jour par l'Indépendance luxembourgeoise ;
Le 22 mai par le Mémorial des Vosges, d'Epinal ;
Le même jour par l'Echo de l'Est, de Bar-Ie-Duc ;
Le 23 mai, par l'Indépendance de l'Est, de Bar-Ie-Duc ;
Le même jour, par le Vosgien, d'Epinal ;
Le 24 mai, par le Temps ;
Le 25 mai, par le Journal des Débats ;
Le 27 mai, par l'Industriel vosgien, de Remiremont ;
Le même jour, par le Patriote de l'Est, de Commercy ;
(Tous ces journaux avaient reçu leur cliché en même temps ; les
feuilles de la région ont été servies à la même heure que celles
de Paris.)
Voici le tour de l'Est républicain, qui ne ferme pas la marche,
car plusieurs organes, choisis parmi les plus imposants des
provinces éloignées de la frontière, ont bien voulu nous
promettre leur concours.
Enfin, un des principaux journaux illustrés va consacrer aux «
frontières militaires allemandes » un numéro où figurera aussi
la carte ci-contre.
Sur tous les points de la France - et dans les petits Etats
limitrophes : Belgique et Luxembourg - l'opinion publique aura
donc été informée, avec preuves à l'appui, de la situation
périlleuse, anormale, où est Nancy.
La presse aura rempli son rôle d'avertisseur : la parole sera
désormais aux chefs et aux élus du pays.
Les 250 millions pour la
marine
ET LA DÉFENSE DE NANCY
Dans son numéro du 27 mai, le
Journal des Débats, émet ces réflexions, absolument judicieuses
:
« La commission de la marine du Palais-Bourbon a repoussé le
projet du gouvernement sur la réfection de la flotte. Sous
l'inspiration de M. Lockroy, elle a décidé de demander à la
Chambre une somme de 250 millions dont la première partie, - la
plus grosse, - serait consacrée à des constructions neuves ; la
seconde, à la refonte d'un certain nombre de navires ; la
troisième, à l'aménagement des bases d'opération secondaires
dans la Méditerranée et les colonies.
Le projet du gouvernement tenait compte de notre situation
financière ; celui de la commission s'en préoccupe moins ;
celui-là incorporait les dépenses de réfection de la flotte dans
le budget ordinaire; celui-ci ne pourra être exécuté qu'au moyen
de ressources extraordinaires, et c'est là son point faible, car
il n'est pas probable que le Parlement consente à imposer de
nouvelles charges au pays afin de donner satisfaction aux
stratèges qui croient que les destinées de la Francs se joueront
dans les océans lointains. Tout le monde est d'accord sur la
question des nouvelles constructions, sur la nécessité
d'augmenter nos moyens de défense dans les eaux métropolitaines
; mais, quand il s'agit d'organiser solidement ce qu'on appelle
les bases d'opération secondaires, de construire des arsenaux
coloniaux, on est en droit d'hésiter levant les sacrifices que
nous imposent ces travaux.
Ainsi, rien que pour Bizerte, la première mise de fonds est
évaluée à 25 millions et on voudrait en même temps jeter des
sommes importantes dans d'autres directions ; et il est à
remarquer que les travaux de Bizerte doivent être classés en
première urgence, parce qu'ils importent à la sauvegarde de nos
intérêts dans la Méditerranée. Or, peut-on donner le même rang
aux projets mal étudiés qui sont relatifs à la défense dans les
pays d'outre-mer, aux arsenaux de la Martinique et de
Diégo-Suarez, par exemple.
En étudiant le projet de la commission, le Parlement ne devra
pas oublier que les crédits qu'il vote pour la guerre et la
marine doivent être consacrés avant tout à sauvegarder la mère
patrie, et qu'il y a un intérêt majeur à prendre la question de
haut, à la considérer en son ensemble, parce que nos ressources
sont limitées et ne peuvent faire face à tous les besoins.
Il y a incontestablement un classement à effectuer, et c'est ce
que nous ne faisons pas. Ne serait-il pas, en effet, d'une
prévoyance élémentaire de donner au ministre de la guerre les
fonds nécessaires aux fortifications de Nancy ? Ne vaudrait il
pas la peine de renoncer dans ce but à la construction d'un
cuirassé et surtout à celle d'un bassin de radoub à Diégo-Suarez
pour lequel le contribuable français comprendrait difficilement
qu'on ouvrît de nouveau le budget extraordinaire ? »
200 MILLIONS POUR NANCY ? -
NON !
Réponse aux assertions des adversaires
Dans son numéro du 25 mai, le
Temps, parlant de la carte Voies ferrées et quais de
débarquement allemands sur Nancy qu'il a eu l'obligeance de
placer sous les yeux de ses lecteurs, dit que « les adversaires
de la fortification de Nancy évaluent à 200 millions le chiffre
des sacrifices à consentir et à cinq ou six années la durée des
travaux. Or, disent-ils, qui peut nous assurer que nous ne
serons pas surpris en plein travail ? Dans ces conditions, les
ouvrages de Nancy seront pour nous une cause de faiblesse.
« Pour arriver à une dépense de 200 millions, les ingénieur s
militaires estiment à 80 millions, au lieu de 30, les frais de
construction ; l'artillerie en coûtera encore 80 ; il faut 20
millions pour les approvisionnements, soit 180 millions;
ajoutons-y l'imprévu, et nous voyons les crédits atteindre près
de 200 millions, somme qui serait mieux employée à accroître les
effectifs permanents »
On doit remercier le Temps de nous faire connaître à
quelles...énormités en arrivent les adversaires de la défense de
Nancy, car 1° les chiffres (en écus) sont scandaleusement;
majorés ; 2° on omet que le camp retranché de Nancy emprunterait
à la place de Toul, supprimée, son armement et sa garnison.
Toul, aveuglée par la forêt de Haye ; Toul qui n'a jamais été
une place-manoeuvre, aurait encore moins de raison d'être, en
seconde ligne, à 15 kil. de la gorge de Nancy fortifiée. Toul
devrait disparaître en tant que camp retranché ; on n'en
conserverait que le Saint-Michel comme fort d'arrêt sur la ligne
de l'Est, et les forts de Lucey, Ecrouves, Domgermain, Blénod,
comme éléments de la digue des Hauts de Meuse. Ces forts exigent
deux bataillons comme garnison. Tout le reste de la garnison de
Toul - même maintenu à Toul en temps de paix - serait classé à
Nancy, avec les 300 pièces d'artillerie du camp retranché, ses
magasins, ses approvisionnements, son matériel de toute nature.
Les dépenses à prévoir, dès lors, ne sont plus que celles de la
fortification (cuirassement et bétonnage.
Voici des chiffres très larges établis sur les données récentes
des forts de Liège :
Grand fort central de Faulx : 7 millions
Ouvrage de Custines : 3
Ouvrage de Leyr : 3
Grand fort d'Amance et batterie annexe : 8
Grand fort de Pulnoy : 7
Ouvrage du Mont-Repentir : 3
Fort de Gérardcourt : 5
Ouvrage du Camp-de-César : 3
Ouvrage de Villers : 3
Fort de Champ le Boeuf : 5
Ouvrage de la Fourasse : 3
Total pour l'enceinte complète. 50 millions
(Ces chiffres sont plutôt forcés, répétons-le. Ils visent un
projet très étudié, très complet, dont nous placerons sous peu
de jours le plan topographique dans notre Salle de Dépêches, à
côté de la carte qui a servi à fabriquer les clichés publiés par
les divers journaux.)
Pour l'artillerie et tout le matériel, empruntés à Toul, rien à
prévoir sinon quelques centaines de mille francs de transport et
d'installation.
Le Temps dit encore :
« Les adversaires du projet ajoutent qu'une telle place située à
la frontière même, plus rapprochée que Verdun ou Toul, devrait
être sans cesse sur le pied de guerre, avec une garnison de
60,000 hommes, destinée à être bloquée dès les premiers jours. »
On parle de 60,000 hommes de garnison, indispensables à Nancy
place frontière, dont la garnison devrait toujours être sur le
pied de guerre.
Mais en quoi la situation de Nancy diffère-t-elle de celle de
Verdun ou de Toul ? De Nancy à Morhange, garnison allemande la
plus proche, la distance est exactement celle de Verdun à Metz ;
la distance de Nancy à Metz est la même, à 4 kilomètres près,
que de Toul à Metz par Pont-à Mousson. La garnison de sûreté de
Nancy doit donc être constituée comme celle de Verdun ou de
Toul, ni plus ni moins. Quant à la garnison de guerre, le
périmètre proposé est inférieur à celui des deux places
précitées. Pourquoi parler de 60,000 hommes quand on se contente
d'un chiffre inférieur à Verdun ?
On alléguera que Toul est couvert par la 11e division. C'est
donc alors qu'on spécule sur la résistance de la 11e division à
Nancy, en rase campagne, avec l'appui des divisions de Commercy
et de Saint Nicolas. Toutes nos forces de couverture, comme l'a
fait si bien remarquer, avant-hier, M. Malo, dans le Journal des
Débats, se trouvent par suite implicitement rivées devant Nancy,
en flèche et en péril, pour protéger à la fois Nancy et Toul !
Que Nancy au contraire soit fortifiée, avec la garnison de
sûreté d'une bonne brigade (huit bataillons), à réclamer
également pour Verdun, et les « forces de couverture »
reprennent toute liberté do manoeuvre sur ses deux flancs. Elles
défendent ainsi au mieux, et sans se compromettre, à la fois le
camp retranché de Nancy et les deux grandes voies d'invasion.
« Nancy, dit-on enfin, ne gênera pas plus les Allemands que ne
le fait actuellement Toul.» - Il faut fermer volontairement les
yeux pour ne pas discerner la menace qu'exercerait Nancy sur la
voie ferrée de manoeuvre construite entre Metz et Benestroff
(voir la carte). Tous les mouvements latéraux des Allemands,
pour porter leur centre de gravité de la Haute-Sarre vers la
trouée de Dun-sur Meuse, - ou de Thionville-Metz vers la trouée
de Bayon, - sont entravés par Nancy qui, fortifiée, devient un
véritable coin enfoncé dans leurs lignes d'opérations.
Nancy est une « tête de pont » offensive à la fois sur la
Moselle et sur la Meurthe. Toul a ses débouchés barrés par la
forêt de Haye et est sans action sur la Meurthe. Pour bloquer
Nancy, il faudrait s'établir sur les deux rives. Toul est annulé
dès que l'ennemi a pris pied dans la forêt.
A aucun point de vue la comparaison n'est soutenable entre les
deux camps retranchés. |