On connaît les ravages opérés en Lorraine durant la 8ème guerre de religion, par le passage
en 1587 de l'armée des reîtres protestants venus au secours de Henri de Navarre. Cette armée est défaite par le Duc De Guise à Vimory le 26 octobre 1587, puis à Auneau le 24 novembre 1587. Grâce à cette victoire, le duc de Guise Guise se fait acclamer par le peuple de Paris et humilie le roi, qui doit abandonner la capitale aux ligueurs après la journée de barricades du 12 mai 1588.
Mais Henri III profite de la réunion des États généraux à Blois pour faire assassiner les chefs de la Ligue, le duc de Guise et son frère le cardinal de Lorraine, en décembre 1588.
A cette nouvelle, la ligue rompt tout contact avec le roi déclaré tyran et traître à la cause catholique. Le duc de Mayenne, frère des deux victimes et nouveau chef de la ligue, prend alors le contrôle de Paris, et en février 1589, s'installe à Paris un conseil général d'Union. Les docteurs de la faculté de théologie de Paris déclarent les sujets français déliés de leur serment de fidélité.
Henri III n'a plus d'autre solution pour sauver son trône que de s'allier aux protestants. Il se réconcilie avec le roi de Navarre. Ils unissent leur force pour assiéger Paris. Henri III est assassiné à Saint-Cloud le 1er août 1589 par un moine fanatique, faisant ainsi de Henri de Navarre, chef des Protestants, le nouveau roi de France, et, dès le 4 août, Henri IV proclame son intention de se faire instruire dans la religion catholique. Les protestants intransigeants quittent alors le nouveau roi, craignant que son éventuelle conversion entraîne sur de nouvelles persécutions des protestants.
Le duc de Lorraine Charles III est géographiquement dans situation une difficile ; la région est traversée par les nombreuses troupes, et même s'il a amené à de nombreux compromis, Charles III pratique dès 1562 une
« neutralité » en faveur de la ligue catholique et de ses armées (de 1562 à 1576, les territoires lorrains seront traversés par 21 armées régulières, françaises, allemandes ou suisses). Il réunit même plusieurs fois les chefs de la ligue dans ses châteaux, comme à Blâmont en 1564, s'implique davantage dans la ligue à compter de 1585, et finit par la soutenir plus ouvertement en envoyant 400 lances à Paris après la journée des barricades. Placé dans une situation embarrassante après la chute des Guises, Charles III continue cependant à soutenir la ligue,
et la mort de Henri III lui permet de déclarer ouvertement « sa résolution ferme et arrêtée d'embrasser la cause des catholiques de tout son pouvoir et moyens ».
De cette opposition directe au parti royal découle de très nombreux conflits (Metz, Verdun, Bar-le-Duc, Chaumont...). Il sera même appelé à repousser lui-même une
nouvelle invasion allemande, ce que relate le texte ci-dessous.
Recueil de documents sur l'histoire de Lorraine
Nancy - Ed. 1855
20 décembre 1589
Discours de la victoire obtenue par Son Altesse sur les rheitres et lansquenetz en la plaine d'Aulsay (1).
Monseigneur le duc de Lorraine s'estoit acheminé à Bar-le-Duc, au moys d'octobre dernier passé, pour réduire quelques places ès provinces de Champagne et Bassigny, qui tiennent contre le party des catholiques, lorsqu'il receut advertissement certain de l'armée qui se levoit en Allemaigne, pour le roy de Navarre, de quatre mil chevaulx rheystres. sous les charges des collonnelz Frentz et Dompmartin et six mil lansquenetz soubs Wambach et Lanty, desquelles trouppes debvoit estre chef ung jeune prince de la maison de Saxe. Cela l'occasionna de revenir en dilligence à Nancy et ramener ses gens qu'il avait sur ceste frontière. Et, estant audict Nancy, il ramassa tout ce qu'il peult de forces, avec laquelle il partit le XXIXe novembre, mena avec luy monseigneur le comte de Vaudémont, son filz puisné, monsieur le marquis de Haurech et plusieurs aultres seigneurs tant de ses vassaults qu'aultres ; passa par St-Nicolas (2), où, pour mieulx:. commencer son voiage, il alla ouyr la messe, puis print son chemin du costé d'Allemaigne et vint coucher à Blâmont (3) ; delà il se tira à Phaltzbourg, où estant arrivé le samedy, deuxiesme de décembre, il sceut que ceulx de Strasbourg avoient envoyé vingt ou trente chariots d'armes pour les lansquenetz du collonnel Wambach qui n'estoient encores armés, et qu'à ceste occasion il estoit tres-nécessaire d'user de dilligence et les combattre avant qu'iIz eussent receu leurs armes et faict monstre. Quant au régiment de Fenty, il estoit logé en ung village nommé Vaultznau (4), à une lieue au dessoub de Strasbourg, qui estoit jà armé et bien équipé.
Le troysiesme dudict moys, Son Altesse passa la montaigne de Saverne, vint au giste à Marmonstier (5), le lundy à Merlan (6), où luy et mondict seigneur son filz le landemain, firent leurs pasques parce qu'ilz furent advertis que lesdietz lansquenetz s'estoient joinctz avec les rheystres et qu'ilz se préparoient de combattre, estans logés entre les rivières du Rhin et d'Ile. Le mardy, il alla loger à Blassan (7), et, en passant près de Moltzheym (8), feit reveue de son armée laquelle il fit mettre en bataille en une belle grande pleine proche de ladicte ville, et se trouva avoir deux mil chevaulx, sçavoir : treize cens lances, quatre cens rheystres du collonnel d'Eltz et le surplus harquebusiers à cheval, sans sa cornette, soub laquelle se trouvèrent plusieurs honnestes et valleureux gentilhommes; quinze cens hommes de pied de sa nation soub les régimens des Srs de Tallange (9), barron de Cirey (10) et Narvaize (11), et douze cens lansquenetz sous le régiment du Sr marquis de Baden.
Le mécredy, sixiesme dudict moys jour de feste St-Nicolas, il alla loger à Rosfelt (12), où il passa la rivière d'Ile, proche de Beindfelt (13), combien que les ennemis eussent
rompus les pontz, qui furent refaictz et réparés en dilligence.
Le Sr de St-Paul, qui avoit la conduicte des premiéres trouppes, et qui avoit eu commandement de Son Altesse de s'advancer, luy feit sçavoir, la nuyct mesme, qu'il estoit proche de l'ennemy et que desjà il avoit réduict deux compagnies de lansquenetz soubs l'obéissance de Son Altesse, laquelle, aussytost, despêcha le Sr de Monstreul (14), mareschal-de-camp de son armée, avec cincq compagnies de chevaulx-ligiers et troys d'harquebuziers à cheval, et luy commanda d'aller toute la nuict joindre lesdictes premières trouppes et poursuyvre ce qui estoit commancé.
Ce qu'ayant faict, arriva le landemain, VIJe dudict moys, jour de St-Ambroise, au poinct du jour, proche du village de Botzen (15), où le capitaine Schiltz estoit logé avec une très-belle compagnie de lansquenetz ennemis, de troys cens trente-troys hommes, qui, du commencement, feirent des difficultés mais, voyant les gens dudict Monstreul en bataille, le capitaine demanda à luy parler en assurance et enfin, se rendit à Son Altesse entre les mains dudict de Monstreul qui receut le serment de luy de servir fidellement Son Altesse, comme aussy de toute sa compagnie, laquelle il fit sortir en campaigne à ceste fin.
Ce faict, ledict Sr de Monstreul feit advancer ses trouppes et trouva deux enseignes de lansquenetz qui estoient logés au village de Machenheym (16), lesquelles, interpellées de se rendre et de servir Son Altesse, respondirent qu'ilz la serviroient à coups de Mousqueiz et de picques ; qui occasionna nos gens de les assaillir, comme elles firent fort vivement, et à l'instant taillées en pièces et le capitaine, nommé Sirgmond Fond Félix, tué. Puis soudain, ayant entendu, par le rapport des coureurs, que l'ennemy estoit en bataille à demye lieue de là, alla ledict Sr de Monstreul trouver ledict St de St-Paul. Et suyvoit Son Altesse de près sesdictes trouppes marchant en ordre armé et disposé du tout au combat, avec quelque compagnie de chevaulx-ligiers, harquebusiers à cheval et quatre-vingtz cuirasses de ses gardes. Quant au régiment de ses lansquenetz, il les réserva aussy proche de sa personne, comme aussy celuy du barron de Cirey et compagnie de gens de pied du Sr de Monstreul et parce que, en ung village nommé (17)
.... qui estoit sur le chemin, y avoit encores plusieurs compagnies des lansquenetz ennemis, il se proposoit de les faire attaquer par ses gens de pied et artillerie qui le suyvoient. Touttefoys estans sommes de sa part par le Sr de St-Baslemont (18), ilz se rendirent à sa miséricorde et luy firent serment entre les mains dudict Sr de St-Baslemont.
Ayant esté en cest équipage à cheval tout le jour jusqu'à la nuict, il alla loger en ung village nommé Jebsheim (19), où il fut adverty que les ennemis avoient prins logis sur ung passaige de la rivière d'Isle, en ung village nommé Battenen (20), distant de troys lieues de Basle, et qu'ilz avoient résolus de combattre le landemain ; et avoit-on eu advis qu'ilz s'avoient l'ung l'aultre promis la foid de ne s'abandonner et de mourir tous ensemble ; et avoient avec eulx cincq compagnies de lansquenetz, dont la colonnelle de Fanty en estoit une.
Lesdictz Sr de St-Paul et Monstreul s'allèrent loger, ce mesme jour, au village de Hyerlzfeld (21), distant de celuy où estoient logés lesdictz ennemis d'une lieue et comme ilz espéroient de les combattre le landemain matin, que fut le viije dudict moys, jour de la Conception Nostre-Dame, ilz eurent advis que, la nuict, comme ilz
s'ingérèrent de passer la rivière pour tirer à Monbéliart, et delà en Bourgongne, y en ayant trois cens d'iceulx qui avoient jà passés, tout à ung instant Dieu voulut, comme miraculeusement, que ladicte rivière s'entla sy soudainement qu'il y en eut bien troys cens noyés et ceulx qui estoient encores par-deçà, ne pouvant passer l'eaue, prinrent l'effroyct, pour éviter le combat, fuirent du costé de Basle, où partyc d'iceulx ont repassé le Rhin ; aultres ont tiré du costé de Genève, après avoir abandonné leur bagage et chariotz. Les troys cens qui avoient jà passés ladicte rivière d'Isle pour suyvre les aultres qui tiroient du costé de Basle, furent en partye noyés en repassant icelle. Quant aux cincq compagnies de lansquenetz qu'ilz avoient laissé audict Battenan (22), elles se rendirent à la miséricorde de Son Altesse qui les receut à son service ; et ont presté le serment comme les aultres, de sorte que, de quatre mil lansquenetz, Son Altesse en a receu deux mil et plus à son service ; le surplus a esté en partye taillé en pièce, et en partye rompus s'estans sauvés ès boys prochains, et jecté par les chemins leurs armes, que l'on a trouvé esparses par
les chemins en grande quantité.
Le neufiesme jour, Son Altesse s'advança jusques audict Battenen et le landemain à Rixen proche de Basle d'une lieue et demye mais estant adverty que lesdictz ennemis s'estoient sauvés et logés deux lieues delà Basle, entre deux rivières et que pour aller à eulx il falloit passer par ung pont qui estoit deffendu, à la faveur des- dictz ennemis, par deux enseignes de Suysses du quanton de Basle, mesme qu'ilz gaignoient tousjours chemin pour tirer du costé de Genève, il advisa de ramasser son armée et passer ladicte rivière d'Isle et s'acheminer du costé du comté de Bourgongne pour leur coupper le chemin, sy tant est que ce qui estoit encores assemblé voulsit prendre le chemin de Monbéliart pour tirer en France.
Depuis son arrivée en ladicte pleine, furent veu encores trois cens chevaulr rheystres des environs de Starbourg (23), qui s'advanssoient pour venir trouver les aultres mais ilz [se] sont retirés de l'aultre costé du Rhin, et rompus.
Voilà comme a esté, pour ce coup, rompue, ruynée et vaincue ceste armée ennemie sans que Son Altesse y aye perdue que deux ou troys de ses gens ; ce qu'elle recongnoist provenir de la seule main de Dieu, qui s'est voulu ayder de luy comme d'ung instrument de sa justice pour venger les injures et opprobres que font à son Eglise les hérétiques ennemis conjurés d'icelle. Que, sy les choses eussent été tirées en plus grande longueur, la vérité est telle que les collonnelz Frentz et Wambach s'advanssoient avec aultres trouppes pour faire et composer, en ladicte pleine d'Aulsay comme de longtemps ilz avoient projecté, ung corps d'armée de quatre mil chevaulx rheystres et six mil lansquenetz au-devant desquelz s'acheminoit du costé de la France le mareschal d'Aumont, qui eùt apporté ung merveilleux estonnement aux catholiques de ce royaume et avantage au roy de Navarre, qui, à ce moyen, se fût rendu, avec telles et sy puissantes forces maistre de la campagne et sy Dieu n'y eùt prouveu, possesseur de l'Estat ; mais il a pleu à sa divine majesté dissiper leurs conseilz, entreprinses et desseings. Et est à remarquer que le premier exploict de ceste bonne fortune est arrivé le jour de St-Nicolas patron du pays : le second, le jour de la St-Ambroise, l'ung des pilliers de nostre foid ; et le troisiesme le jour de la Conception Nostre-Dame, qui est la mère universelle de l'Eglise ; les prières de laquelle et de ces deux célèbres sainctz ont sans doubte esté exaulcées pour l'accomplissement d'ung sy bel effect qui tend à la gloire et honneur de Dieu et conservation de nostre religion catholique, apostholique et romaine, dont il luy en fault rendre gràce immortelle (24).
(1) Voy. Bref et véritable discours de l'heureuse victoire qu'il a plu à Dieu de donner à Mgr le Duc de Lorraine sur les reistres et lansquenets ennemis qui estoient advancez en la plaine de Strasbourg pour venir joindre les troupes du prince de Béarn. Paris, Guillaume Chaudière 1589 petit -in 8° - aussi, dans le Recueil des lettres missives de Henri IV, t. III, p.133 et 134, une lettre de ce prince au sieur de Fresnes (Pierre Forgel), son envoyé en Angleterre.
(2) Chef-lieu de canton, arr. de Nancy (Meurthe). L'église de cette ville, où l'on conservait une relique de Saint Nicolas, évêque de Myre, était alors en grande vénération et le but d'un pèlerinage qui attirait un immense concours de fidèles.
(3) Ville, chef-lieu de canton, arr. de Lunéville (Meurthe).
(4) La Wantzenau, canton de Brumath, arr. de Strasbourg.
(5) Marmoutier.
(6) Les deux voyelles de ce mot ont été transposées il faut lire Marlen, suivant la dénomination ancienne; c'est aujourd'hui Marlenheim, canton de Wasselonne, arr. de Strasbourg.
(7) Blaesheim, canton de Geispolsheim, arr. de Strasbourg.
(8) Moltzheim, chef-lieu de canton, arr. de Strasbourg.
(9) Le sieur de Talange était écuyer d'écurie de Charles III et maitre-de-camp d'un régiment de gens de pied.
(10) Probablement Louis du Châtelet, chevalier, baron de Cirey.
(11) Rodevigo Narvaez, gentilhomme espagnol, maitre-de-camp d'un régiment de gens de pied, ci-devant gouverneur de la ville de Jametz. Son nom est tantôt écrit Narvaiz et tauldt Narweitz.
(12) Rossfeld, canton de Benfeld, arr. de Schelestadt (Bas-Rbin).
(13) Benfeld, chef-lieu de canton, de Schelestadt.
(14) Philippe de Savigny, dont il a été précédemment parlé.
(15) Bootzheim, canton de Marckolsheim, arr. de Schelestadt.
(16) Mackenheim, canton de Marckolsheim, arr. de Schelestadt.
(17) Le nom est resté en blanc.
(18) Claude de Reynach, sieur de Saint-Baslemont, sénéchal de Barrois, ou Gérard de Reynach, capitaine des gardes suisses, qui se qualifiait aussi sieur de Saint-Baslemont.
(19) Jebsbeim, canton d'Andolsheim, arr. de Cohnar (Haut-Rhin).
(20) Battenheim..
(21) Hirlzfeld, canton d'Ensisheim, arr. de Mulhouse.
(22) Baflenheim.
(23) Strasbourg.
(24) Charles III voulut laisser un souvenir à quelques-uns des chefs qui l'avoient accompagné dans cette expédition : il fit graver par Julien Maire, l'un de ses meilleurs artistes en ce genre, vingt et une médailles à son
« pourtraict », pour en faire don « à plusieurs capitaines et membres des compagnies qui l'avoient suivy au voyage d'Allemagne ».
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