Journal
des débats - 2 août 1914
EN ALSACE-LORRAINE
Le Dernier train pour Avricourt
Depuis quelques jours une grande nervosité provoquée
surtout par l'abondance de nouvelles contradictoires,
régnait à Strasbourg. L'annonce que l'empereur avait
proclamé l'état de guerre a provoque hier vendredi, vers
quatre heures, un véritable affolement. Immédiatement
tous tes magasins ont été fermes en ville. La gare a été
occupée militairement et dans la soirée quelques rares
trains civils ont pu seuls partir.
Les Français en villégiature dans le pays, qui, devant
la menace d'une mobilisation imminente, s'étaient
décides tardivement à gagner la frontière, se sont
trouvés en présence des plus grandes difficultés pour
rentrer en France. A 7 heures du soir, une centaine de
personnes, parmi lesquelles beaucoup de femmes et
d'enfants; étaient réunies à la gare, décidées à gagner
Avricourt coûte que coûte. On sut bientôt que tous tes
express de la nuit étaient supprimés et que seul un
train omnibus partirait, vers 8 heures, mais ne
dépasserait pas Avricourt-allemand. Ce train était
surtout destiné a rapatrier les gens de la campagne
venus a Strasbourg pour la journée et qui sortaient en
foule des vagons de 3e et 4e classe à chaque station de
la ligne. Toutes les gares étaient occupées
militairement et de nombreux détachements de cavalerie
sillonnaient les routes.
Enfin, à onze heures, le train s'arrêta à Avricourt-aIlemand
et le chef de gare ne fut en mesure de donner aucun
renseignement sur la façon dont tes voyageurs seraient à
même de continuer leur voyage. On les laissa traverser
la gare, envahir les salles d'attente ou entrer dans le
village sans leur demander aucun papier. Avec le
concours de la population indigène on parvint à
organiser des transports de fortune, des charrettes
furent amenées et l'exode s'organisa vers Igney-Avricourt.
Seuls, quelques malheureux, dont une famille d'Anglais,
qui ne voulaient pas abandonner leurs bagages
enregistrés, restèrent en panne à la station.
Les indigènes avait ordre de n'accompagner les voyageurs
français que jusqu'à l'aigle allemand placé à la
frontière. En cet endroit de la route l'administration
militaire avait du reste construit une sorte de
barricade, faite de véhicules de toute sorte, qui n'eût
du reste pu opposer qu'un frêle obstacle à la cavalerie
française. Des soldats a bicyclette parcouraient tes
routes dans tous les sens.
La gare d'Igney se trouve à quelques mètres à peine de
la frontière. Là les voyageurs, heureux de se sentir
enfin en territoire français, furent recueillis par les
employés de l'Est et dirigés dans deux vagons de
seconde, accrochés à nos trains de marchandises, sur
Lunéville, où ils purent prendre place dans le train
régulier qui devait arriver à Paris à 8 h. 25. |