Le document ci-dessous,
intitulé "Souvenir de la guerre 1914" est
extrait des écrits
de Louis Nougaret (1891-1977), sergent-fourrier au 81ème
régiment d'infanterie, dont le fac-similé est consultable sur
le site des archives départementales de l'Hérault
(http://archives-pierresvives.herault.fr/ark:/37279/vta54eae91932551/daogrp/0
)
Il confirme le contenu de notre article
« Vaucourt - 1914 » .
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Le 11 août, vers 15
heures, les Allemands profitent du repli français de Lagarde
pour atteindre Vaucourt, et incendier les maisons.
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Le 14 août, un important
bombardement allemand met le feu à l'église .
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« Une vielle femme qui
nous aperçoit d'une fenêtre », le 14 août « nous
raconte que son mari a été fusillé mardi » : s'agit-il
de madame Noyé, dont le mari Eugène a été arrêté le 11 août
?... et qu'elle croit déjà fusillé alors qu'il ne le sera
que le 14 août seulement à Mézières.
-
Quant à « Tout près de
l'entrée, sur un lit il y a un vieillard tué sur le coup par
un éclat d'obus », il s'agit peut-être d'une femme
:Félicité Sidonie Morcel (née Petitmangin) âgée de 64 ans.
Mardi 11 Août
A 5 heures du matin, nous sommes désignés pour aller soutenir
l'artillerie. Aux environs de Jolivet derrière un petit mamelon
dans un champ de blé, nous restons tout le Jour étendus sur le
sol en plein soleil. Il fait une chaleur torride presque
insupportable. Dans le lointain, l'on entend gronder le canon.
L'on voit des petits nuages formés par l'éclatement des obus.
Ils ont l'air de bombarder la forêt de Paroy. Vers 15 heures,
l'on voit tout à coup s'élever derrière cette forêt une colonne
de fumée épaisse et noirâtre. Ils doivent avoir mis le feu à
quelque village. De plus en plus cette fumée s'étend. Parfois
même, on distingue les flammes. Pauvre village il a déjà
sûrement payé son tribu à la guerre. Vers 5 heures, nous
quittons cette position pénible. Bernou a un saignement de nez,
depuis 2 heures on n'a pas pu le lui arrêter. Aussi il est très
faible. On l'évacue sur Lunéville. Il a de la chance. Sur la
route, l'on commence à voir passer un convoi de blessés. On les
voit étendus sur des charrettes où il y a un peu de paille. Il y
en a qui sont bien massacrés, il y en a plusieurs qui sont
presque à l'agonie. Il y en a d'autres qui n'ont que des
blessures légères. Ceux-là nous racontent un peu ce qui se
passe. Ils ont été blessés dans la forêt de Paroy par les obus
et le village que l'on voit flamber est Vaucourt. Nous revenons
de nouveau à Jolivet cantonner. [...]
Mercredi 12 Août
Dès que le jour commence à paraître, c'est-à-dire vers 4 heures,
nous nous levons et à 5 heures, nous partons et allons nous
placer en position d'attente dans un bosquet des environs [...]
Jeudi 13 Août
Nous recevons l'ordre de revenir au même petit bosquet d'où nous
étions partis la veille [...]
Vendredi 14 Août
Cette fois-ci, on nous annonce que nous allons sûrement dans la
journée traverser la frontière. Vers 5 heures, nous partons.
Nous faisons le même trajet dans la forêt de Paroy mais arrivés
à une bifurcation, nous obliquons à droite. Cette forêt est
immense. Elle est impénétrable sauf par les chemins dont elle
sillonnée. Chaque chemin porte un nom tout comme si c'était une
rue. De cette façon avec la carte, on ne peut pas s'égarer car
c'est un véritable labyrinthe. Nous marchons dans toutes les
directions et après 5 heures de marche dans cette forêt, nous
arrivons enfin à la lisière en face Vaucourt. Tout le monde se
met dans le fossé pour éviter de se faire voir par un aéroplane
ennemi qui nous survole. Nous faisons la grand'halte sur place.
Vers midi, le commandant décide de sortir du bois. Nous montons
à la crête d'une colline qui nous empêche de voir Vaucourt. Nous
nous cachons et nous restons un moment indécis pour avancer.
Puis ne voyant rien devant nous, le commandant donne l'ordre de
se porter au dessus du village. Mais à peine nous sommes nous
montrés, qu'en avant de nous, à environ deux cents mètres, les
obus commencent à arriver. Par instinct de conservation, nous
nous sommes tous jetés sur la terre. Voyant devant moi une
petite tranchée, je m'y précipite dedans, suivi par le
commandant. Mais en arrivant, je recule d'horreur. Je me trouve
à côté de cinq cadavres décomposés. Ce sont des pauvres
chasseurs. Leurs visages sont enflés démesurément, les yeux
sortent de leurs orbites. Ils semblent carbonisés tellement ils
sont noirs. Rempli d'épouvante malgré les obus qui pleuvent
toujours, je fuis cet endroit pestiféré. Je suis le commandant
qui se porte au pas de gymnastique dans un ruisseau qui se
trouve à notre droite.
Je suis encore émotionné de ce que je viens de voir mais le
bruit que fait l'obus en éclatant sur notre tête, me fait
bientôt oublier ce spectacle. A chaque coup, malgré moi, je me
cache le plus possible. Au milieu de cette pluie, nous arrivons
jusqu'à la route de Xures à Concourt. Le commandant me donne
l'ordre de revenir en arrière avertir la 5e Cie qui est restée
derrière la colline, de se porter en avant. Il me faut de
nouveau, traverser cette grêle et repasser près de ces morts
pour trouver cette compagnie. L'ordre étant transmis, je reviens
de nouveau sur la route mais déjà, je me suis habitué à ce
bruit, je n'y fais presque plus cas. Le commandant s'est porté
au dessus du village. Les obus pleuvent toujours. Je trouve la
8e compagnie cachée derrière un talus. L'adjudant Badie me force
à rester avec eux, disant que je pouvais en partant faire
découvrir sa section. Au bout d'un 1/4 d'heure, je suis parti
avec Porte le fourrier de la 8e à la recherche du commandant.
Nous traversons le village. Les paysans étaient effrayés de
cette canonnade. Une jeune fille nous offre à boire. Nous
acceptons avec plaisir puis nous montons vers le haut de
Vaucourt. Nous passons devant l'Eglise et le cimetière. Le
spectacle est saisissant. Devant nous tout le haut du village
est détruit. Le mardi, les allemands avaient mis le feu à toutes
les maisons devant les habitants ébahis de cette manière d'agir.
Quelques uns ayant voulu réclamer furent fusillés sur place. Les
décombres sont encore fumeux. Une seule maison est encore debout
au milieu de ces ruines. Une vielle femme qui nous aperçoit
d'une fenêtre du rez-de-chaussée, nous fait signe d'aller vers
elle. Arrivé à côté de la fenêtre, elle nous raconte que son
mari a été fusillé mardi, qu'elle n'aime pas les oeufs et que
tout ceux, qu'elle avait en réserve pour lui, elle n'en avait
plus besoin et que plutôt que de les jeter elle préférait nous
les donner. Elle va les chercher et en porte 2 à chaque main.
Nous les prenons et elle va en chercher d'autres. Comme elle
revient avec ses mains chargées, les allemands se mettent à
bombarder le restant de ce village. De frayeur, elle lâche les
oeufs sur le plancher et tout effarée elle se jette sous le lit.
Nous assistons muets de surprise à cette scène de détresse. La
fumée s'étant dissipée, nous apercevons le clocher décapité tout
en flammes. Les obus continuant à pleuvoir, nous nous sauvons le
plus vite possible au dessus du Village. Enfin nous arrivons à
côté du commandant qui se trouve dans un verger avec la 6e Cie.
A peine arrivés là-haut, nous entendons un bruit sec succédé de
beaucoup d'autres. Nous ne savons que croire mais nous sommes
vite rassurés quant on nous dit que c'est une de nos batteries
qui bombarde la position des batteries ennemies. En effet, au
bout d'un moment les obus ne pleuvent plus sur le village. On
commence à respirer un peu car il est 5 heures et depuis midi et
1/2, cette grêle nous tombait dessus. Il n'y a de blessés qu'à
la 8e Cie. Le lieut Juéry est blessé au pouce droit et trois
soldats sont aussi légèrement touchés. Il y en a qu'un qui a
reçu un éclat d'obus dans les reins et on croit son état
désespéré. Voyant qu'il ne pleut plus, je vais avec Chaptal
chercher un bidon d'eau. Poussés par la curiosité, nous allons
jusqu'au milieu du village. Le clocher brûle toujours. Plusieurs
obus sont tombés dans le cimetière et ont fait des trous
profonds déterrant des débris de caisses et d'ossements. Un
vieillard nous voyant constater les dégâts, nous dit donnez
votre bidon, je vais vous le remplir de vin. Il vaut mieux que
vous en profitiez car demain je pars d'ici. Nous le suivons dans
une cave. En entrant, je suis surpris par ce que je vois. Tout
près de l'entrée, sur un lit il y a un vieillard tué sur le coup
par un éclat d'obus. Ensuite, il y a une jeune fille qui a été
blessée (par le même engin) au bas ventre. Près d'elle se tient
une femme, sa mère sans doute, qui fait de grands gestes vagues.
On dirait qu'elle est folle. Après avoir remercié le vieux du
vin qu'il nous donne, nous allons rejoindre la compagnie. Vers 9
heures du soir, nous recevons l'ordre de revenir à la lisière de
la forêt de Paroy car nous sommes trop en pointe. Nous
retraversons le village, guidés par la lueur rougeâtre que
projette le clocher qui brûle toujours. Nous ressemblons à des
fantômes qui cherchent parmi tous ces décombres un chemin. Dans
la nuit noire à 200 mètres en arrière du village, nous ne savons
plus où passer. A travers champs, nous cherchons les différents
endroits où nous sommes passés dans la journée mais on ne
distingue rien. Enfin à force de rôder, l'odeur des cadavres vus
dans l'après-midi, nous guident. Dès que nous les avons
découverts, nous reconnaissons les endroits. Nous allons dans le
bois et chacun prend place pour passer le mieux possible, cette
nuit. De temps en temps, l'odeur de ces cadavres arrivait
jusqu'à nous. C'était dégoutant mais bientôt la fatigue
l'emporte et je m'endors d'un profond sommeil au pied d'un
arbre.
Samedi 15 Août
Réveillé de bonne heure par le froid, je fais du pas gymnastique
pour me réchauffer un peu et me dégourdir les membres endoloris.
Bientôt tout le bataillon se réveille. Le commandant me désigne
pour me mettre en liaison avec le 3e bataillon qui est à notre
droite. Je vais à travers champs exécuter l'ordre. Il y a une
rosée importante. Je me trempe comme une soupe. Quand je suis de
retour, je trouve le bataillon disposé en tirailleur derrière la
crête des collines faisant face à Vaucourt. On fait des
retranchements pour s'abriter et surtout arrêter l'ennemi s'il
prenait l'offensive. Un détachement du génie vient nous aider
dans ce travail. Il enterre ses morts qui nous gênent
horriblement. Ce travail terminé, nous restons sur place tout le
jour. L'ennemi ne nous attaque pas. [...]
Dimanche 16 Août
Cette fois, nous traversons la frontière. Levé à l'aube nous
allons droit sur Vaucourt que nous traversons. La pluie a cessé
et ce n'est pas trop tôt. En arrivant à la hauteur du poteau
frontière nous l'arrachons et nous pénétrons sur le sol Lorrain.
Avec précaution l'on fouille le bois mais il n'y a personne.
L'ennemi ne donne pas signe de vie. A notre gauche, nous voyons
Lagarde. Nous avançons jusque dans le bois de la Garenne. [...]
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