La présence des rats dans les tranchées et cantonnements est un
problème important. Prenons en exemple la 73ème
division d'infanterie dans le secteur de Bénaménil.
Le journal des marches et opérations des services de santé indique dans son
organisation au 22 septembre 1916 :
« Une équipe de chiens ratiers est constituée pour la
dératisation des cantonnements. Le médecin-chef du G.B.D
s'entend à ce sujet avec les commandants de cantonnement et les
chefs de corps ».
Il faut alors se référer au JMO du Groupe de brancardiers de la
73eme division d'infanterie pour suivre les résultats
dans les mois qui suivent :
-
22 septembre 1916 : «
Durant la semaine écoulée l'équipe des chiens ratiers à
détruit 139 rats dans les cantonnements de Domjevin et de
Vého »
-
3 octobre 1916 : «
Pendant la semaine écoulée 124 rats ont été détruits dans le
cantonnement de Domjevin et de Vého par l'équipe des chiens
ratiers »
-
18 octobre 1916 : « 192
rats ont été détruits dans les cantonnements de Reillon,
Marainviller, Vého, Domjevin et Blémerey pendant la période
du 10 au 17 octobre 16 »
-
24 octobre : « pendant la
semaine du 17 au 24 octobre, 151 rats ont été détruits dans
les cantonnements de Vého, Blémerey, poste de commandement
des sources, Domjevin, Ogévillers, Manonvillers »
-
31 octobre : « Pendant la
semaine du 25 au 31 octobre, 122 rats ont été détruits dans
les postes de commandement de Reillon, Vého, Manonvillers,
Domjevin et aux cuisines du 367e à Vého ».
-
7 novembre : Le service
de dératisation a détruit pendant la semaine du 1er au 7, 36
rats à Vého, 36 à Reillon, 24 à Domjevin, 32 à Manonvillers
»
-
14 novembre : «
Dératisation : pendant la semaine du 7 au 14 novembre 54
rats ont été détruits au poste de Vého ; 22 à l'abri de
réserve de Vého ; 35 à Blémerey ; 49 à Domjevin. »
-
22 novembre : «
Dératisation : Le service de dératisation a détruit pendant
la semaine du 14 au 21 novembre, 39 rats au poste de
commandement de Blemeray, 28 rats à Vého, 15 rats à Domjevin
et 30 au poste de commandement de Reillon ».
-
29 novembre : «
Dératisation ; pendant la semaine du 23 au 29 novembre le
service de dératisation a détruit 25 rats à vého ; 22 à
Blémerey ; 17 au poste de Vého ; 23 à Domjevin ; 5 à
Fréménil et 18 dans l'abri du 367e d'infanterie.
-
12 décembre : «
Dératisation : pendant la semaine du 5 au 11 décembre, 73
rats ont été détruits per l'équipe des chiens ratiers. De
plus, l'extrait toxique a été employé dans les cantonnements
de Blemerey, Domjevin et Reillon ».
-
11 janvier 1917 : « Le
service de dératisation a détruit pendant la semaine du 1er
au 8 janvier 17 : 52 rats à Domjevin ; 18 à Vého ; et 7 à
Bénaménil ».
Pratique de
l'hygiène en campagne
A. Tournade
1915
RATS ET DÉRATISATION
(Circ. 1.161 C/7 du 8 mai 1915 ; 9.386/DA du 30 octobre
1915. - DANYSZ. Conférences sur la destruction des rats
dans la région occupée par les armées. Maretheux, 1915).
Les rats, en dehors des dégâts matériels qu'ils causent,
de la répulsion légitime qu'ils inspirent sont
susceptibles de propager certaines maladies épidémiques
: ce sont là autant de raisons d'entreprendre leur
destruction.
A cet effet, divers moyens (virus, poisons, pièges,
chiens ratiers), peuvent être mis en oeuvre : les
meilleurs résultats ont été obtenus avec le virus
contagieux de DANYSZ, l'extrait toxique, le sulfure de
carbone, la pâte phosphorée, l'acide arsénieux. Chacun
de ces procédés à ses indications :
a) Le VIRUS CONTAGIFUX de DANYSZ (Bacillus lyphi murium)
est une culture vivante d'un microbe appartenant au
groupe salmonella, intermédiaire par ses caractères au
paratyphique B et au bacillus enteridis de Gaertner, et
particulièrement virulent à l'égard des petits rongeurs.
Les aliments (lait, pain, viande), pollués par les
déjections et les urines des rats ou souris malades
peuvent causer des accidents à l'homme. Aussi l'emploi
du virus est-il absolument contre-indiqué dans les
endroits où les rougeurs malades pourraient venir au
contact des aliments. On peut l'utiliser par contre dans
les magasins, les dépôts de matériel ou d'habillement,
les hangars, etc.
La durée de conservation est limitée et ne dépasse pas
pratiquement quinze jours.
Pour préparer les appâts, on mélange le contenu du
flacon avec deux fois son volume de lait bouilli, bien
sucré et on y fait tremper du pain rassis, coupé en
petits cubes de un centimètre environ de côté.
Tout flacon débouché doit être utilisé le jour même.
b) L'EXTRAIT TOXIQUE est un glycoside, la scillitine,
retiré des oignons frais de scille. Il tue les rats par
ingestion, à la dose de 1/10e à 2/10e de milligramme.
C'est à lui qu'il convient de donner la préférence. La
scillitine est rapidement décomposée par la plupart des
microbes qui font fermenter les sucres ; aussi ne peut
elle être conservée que dans un milieu stérile ; les
appâts à la scillitine, exposés à l'air, perdent leur
action raticide en trois ou quatre jours.
L'extrait que prépare l'Institut Pasteur, stérilisé à
120°, conserve ses propriétés plus de deux mois. Il est
dosé de façon que 1 cm3, correspondant à 5 ou 6 grammes
d'appât, suffise pour tuer à coup sûr un rat. Il n'est
pas utile de le faire plus concentré parce qu'alors son
goût amer serait trop prononcé et les rats refuseraient
de le manger. Dans la préparation des appâts l'addition
de lait sucré a pour but, précisément, de masquer ce
goût amer.
Voici comme il convient de procéder :
1° Verser dans un récipient quelconque le contenu des
bouteilles et ajouter, par bouteille d'extrait toxique,
deux litres de lait bouilli et sucré (six morceaux de
sucre par litre). Le lait peut être ajouté à chaud. On
peut se servir de lait concentré, convenablement dilué.
Dans le cas où il serait impossible de se procurer du
lait, on peut le remplacer par la même quantité de
bouillon de viande ou de déchets de toutes sortes
susceptibles d'attirer les rats.
2° Faire couper du pain rassis en petits cubes en
comptant environ 1 kilogramme de pain par litre de
liquide (soit 3 kilogrammes de pain par litre
d'extrait). Mélanger le pain avec le liquide et bien
brasser le tout avec un bâton de façon que le pain soit
également imprégné.
La préparation des appâts doit être faite dans la
matinée, la distribution dans l'après-midi. Pour faire
la distribution des appâts, se servir de cuiller en bois
ou en métal.
Toute bouteille ouverte doit être employée dans la même
journée.
c) La PATE PHOSPHORÉE se prépare en délayant dans une
casserole 750 grammes de farine avec 750 grammes d'eau ;
puis en ajoutant 8 grammes de phosphore blanc, coupé en
petits morceaux. On chauffe le mélange, tout en remuant,
jusqu'à dissolution complète du phosphore. A cette pâte,
on ajoute enfin 150 à 200 grammes de graisse fondue et
100 grammes de sucre en poudre.
Quand la préparation est refroidie on en fait des
galettes de 1 centimètre d'épaisseur environ qu'on
découpe en petits cubes. La pâte conserve ses propriétés
toxiques pendant plusieurs semaines.
Elle est très toxique pour les chiens.
d) Le SULFURE DE CARBONE, dont les vapeurs tuent les
rats en quelques minutes doit être réservé pour les
emplacements où les rongeurs se sont creusé des terriers
facilement accessibles.
Le procédé est des plus simples : on verse quelques
centimètres cubes de sulfure de carbone sur un tampon de
coton ou un chiffon quelconque ; on introduit ce tampon
rapidement dans le terrier ; on le pousse aussi loin que
possible avec une baguette flexible et on ferme
l'orifice du trou avec de la terre.
Le sulfure de carbone est très inflammable ; mais pour
éviter dans son emploi tout accident, il suffit de le
manipuler avec les mêmes précautions que l'essence de
pétrole.
e) Quant à l'ACIDE ARSÉNIEUX, c'est également une
substance de choix ; mais sa toxicité exige la plus
grande surveillance dans son emploi. Cette restriction
faite, il est très économique, d'une grande efficacité ;
de plus il s'oppose à la putréfaction des cadavres de
rats empoisonnés.
On l'utilisera de la manière suivante :
Faire détremper, dans du bouillon, d'épaisses tranches
de pain qui seront copieusement saupoudrées d'acide
arsénieux.
Avoir soin d'exposer cet appât sur des assiettes
peintes, en rouge par exemple, pour éviter leur
utilisation ultérieure.
Préliminaires d'une dératisation.
Pour obtenir, des procédés plus haut décrits, des
résultats satisfaisants, il importe de faire précéder
leur mise en oeuvre de quelques mesures qui permettent
d'attirer les rats d'une région dans certains endroits
déterminés, et d'en évaluer le nombre. On y parvient en
disposant de la nourriture aux mêmes lieux pendant huit
à dix jours : les rats y viennent prendre leur repas en
nombre chaque jour plus grand.
Quand on les a ainsi rassemblés, on juge, en faisant
varier l'offre de nourriture, la quantité maxima qu'ils
en peuvent absorber : ce sera la quantité nécessaire et
suffisante d'appâts à préparer.
Comme les rats ne se laissent guère reprendre là où
leurs congénères ont trouvé antérieurement une fin
prématurée, il est très important d'en détruire le plus
possible en une seule opération. De là, les précautions
qui précèdent.
La dératisation exige donc qu'on la poursuive avec
méthode, suivant une certaine technique, à l'aide d'un
personnel exercé. Aussi la circulaire 9.386/DA du 30
oct. 1915 préconise-t-elle la constitution d'équipes
spéciales (1 sous-officier et 10 hommes) recrutées dans
la section d'hygiène et de prophylaxie des G. B. C et,
si besoin est, d'équipes supplémentaires fournies par
les G. B. D.
Mesures adjuvantes d'hygiène générale.
On peut faciliter dans une très large mesure la lutte
contre les rats en habituant les hommes à ne pas
répandre autour d'eux les restes des repas et les
déchets de toutes sortes qui servent de nourriture aux
rongeurs.
Tous ces résidus doivent être soigneusement recueillis,
incinérés ou enfouis. |
Recueil de médecine
vétérinaire
15 août-15 septembre 1916
HYGIÈNE
La destruction des rats sur le
front,
Par CAYREL et LESBRE.
La pullulation des rats dans la zone des armées et
surtout dans les tranchées ou les organisations de
défense, présente des inconvénients et des dangers
nombreux pour les soldats (manque de sommeil, souillures
des aliments, détériorations des vêtements ou objets
d'équipement, danger possible de propagation de la peste
si les circonstances s'y prêtaient, etc.).
Une campagne de dératisation a été entreprise sur tout
le front à partir de décembre 1915.
Les auteurs rapportent les résultats obtenus dans leur
secteur.
Le virus Danysz a été abandonné.
Les pièges n'ont donné que des résultats presque nuls.
Seuls l'emploi des chiens ratiers et celui d'un toxique
à base d'extrait de scille, furent satisfaisants. 46 000
rats furent détruits dans le secteur en quatre mois.
La moyenne de destruction journalière par chien ratier a
été de 80 ; celle par toxique de 370.
Le toxique était préparé avec de l'eau sucrée dans
laquelle du pain était mis à tremper.
G. M.
(Société biologie, 6 mai 1916.) |
Le Journal « L'Ambulance » des
Oeuvres de la Croix-verte publie dans son numéro du 1er
octobre 1917 cet article narquois :
« UNE SÉANCE DE DÉRATISATION
Les rats continuant de pulluler aux armées, l' autorité
les anéantit par une virulente circulaire. Reste à les
supprimer en fait. Ce but pratique doit être atteint par
le personnel dératiseur, groupe technique composé d'un
idoine, pharmacien auxiliaire, et de deux desabuseurs
adjoints, innocents brancardiers. Noble figure, en
vérité, que celle de M. Coussin, chef de la dératisation
du corps d'armée : haut en couleur, buveur, brailleur,
il fait luire sous une crinière fauve des yeux de
musaraigne, un blair de tapir, et, convoqué par le
directeur du Service de Santé, lui déduit, volubile, sa
méthode :
- L'appât toxique, l'extrait de scille, bonnes choses
évidemment.
Mais les rats empoisonnés vont crever dans des coins
noirs d'où ils empestent le cantonnement. Et puis ce
n'est pas joli, cette dératisation-là, ce n'est pas
sportif, monsieur le Directeur. Je vous recommande le
furet.
- Le furet ?
- Oui. Nous possédons des chiens ratiers. Le chien tue
son rat d'un coup de crocs, c'est entendu. Mais pour
débusquer le rat de son trou, il faut le furet. J'ai eu,
au furet, des résultats splendides : trois cents rats à
l'heure. C'est comme je vous le dis. Si l'on attachait
par la queue tous mes rats tués au furet, ils
formeraient un ruban allant de la terre à la lune. Ceci,
pour fixer les idées.
Le directeur, émerveillé, accorde les crédits
nécessaires à l'achat d'un furet. M. Coussin lui demande
d'assister à la dératisation de la ferme Maricot : « Ce
sera, dit-il, inoubliable ».
...Le choix d'un furet nécessite plusieurs voyages aux
environs. M. Coussin revient illuminé, de ses courses,
sans avoir trouvé le furet d'élection. Comme on l'avise
qu'il en sera acheté un d' office, il découvre
subitement le meilleur furet du monde, renouvelle ses
invitations, et, à l'heure, au lieu dits, la séance
commence :
Le directeur au Service de Santé a causé de la chose à
l'Etat-Major. Le général, soucieux du bien être de ses
troupes, a résolu d'assister à cette nouvelle chasse au
rat. C' est pourquoi débouchent dans la cour de la ferme
une demi-douzaine d'autos d'où sortent de nombreux
officiers brassardés, et le général lui-même qu'
accompagne respectueusement le directeur du Service de
Santé.
M. Coussin, conscient de son importance, présente à
l'assistance le furet Koko : il ouvre une caissette de
bois d'où émerge une tête pointue, d'un roux blanc, aux
yeux roses; le corps fluet à queue touffue s'échappe,
mais, d'une main rapide, le chef dératiseur saisit la
bestiole par le cou :
- Tel que vous le voyez, explique-t-il, Koko jeûne
depuis deux jours.
Il va donc courir au rat pour le saigner et boire son
sang. Le rat malin se sauve, mais à la sortie du trou,
est happé par les chiens ratiers. J'ai l'honneur de vous
présenter également deux fox et un basset, spécialement
dressés à cette chasse : Raoul, Marquise et Flambeau.
Les chiens sautillent et jappent, maintenus par MM. les
adjoints techniques. Le cortège au complet, spectateurs
et acteurs, se dirige vers un monticule criblé de trous
de rats.
- Il y a là dedans, déclare M. Coussin, d'innombrables
galeries. Sophocle, faites entrer Koko.
Le brancardier Sophocle applique contre un des trous
l'ouverture d'un sac dans lequel vient d'être introduit
le furet. Koko, sortant du sac, balance la tête puis se
détermine et pénètre dans le trou. Les chiens, cous
tendus, queue vibrante, aboient au rat, furieusement.
- Ils vont effrayer le gibier. Faites-les donc taire !
rugit M. Coussin à coup de talons sur le museau, les
adjoints inclinent leurs élèves au silence. M. Coussin
reprend :
- Messieurs les officiers, regardez bien ce trou. Vous
allez voir sortir les rats ! Vous allez voir !
Rien ne sort. Après un quart d'heure d'attente, M.
Coussin, interpellé, déclare :
- Etrange, en vérité. Sans doute les galeries
souterraines sont-elles fort enchevêtrées.
- Le furet ne s' est-il pas perdu, demande le général ?
- Non, mon général. Il revient toujours par son trou
d'entrée. Il doit explorer les galeries. Ou bien il a
peut-être attrapé un rat paralysé qu'il saigne.
Sophocle, appelez-le voir?.
L'adjoint technique colle sa bouche au trou, et
gutturalement, émet : « Koko ! Koko ! » Le furet se
garde de répondre. Et c'est, de nouveau l' attente. Les
chiens bondissent, toujours tenus en laisse, en
gémissant d'impatience.
Un nouveau quart d'heure passe. M. Coussin trouve
réponse à tout :
- Koko n'a pas oublié sa mission. Il est plus fort que
deux rats mâles.
- Mais, s'il en a saigné un, il va s'endormir, saoulé,
pendant trois heures...
- Dans ce cas, mieux vaut lever la séance, opine le
général.
A ce moment des cris, des aboiements jaillissent :
- Attrape, attrape ! hurlent les aides !
- Sus ! Sus au rat ! beugle Coussin.
Des chiens lâchés se ruent vers le trou d'où s'érige une
tête, et s'acharnent.
- Arrête ! Arrête ! crient maintenant les aides, et M.
Coussin, plus fort qu'eux. Lâchez ! Lâchez ! C'est
Koko !
C'est en effet Koko, reparu à la lumière, que les chiens
dévorants se disputent entre eux.
Quand, à coups de cannes et de brodequins ferrés on les
arrache à leur proie, le furet gît déchiqueté.
Des injures, des jurons crèvent l' air. Le général
félicite le directeur entre deux tons :
- Séance fort réussie...
Le Directeur tance M. Coussin qui punit ses aides qui
fouettent les chiens. Tout s'arrange donc, sauf pour
Koko, victime unique et imprévue de cette belle séance
de dératisation.
HENRI FALK. |
La Technique
sanitaire et municipale
Mai 1919
Rapports présentés à la Commission
Sanitaire des pays alliés dans la séance de la
Délégation permanente du 6 novembre 1918
RATS.
Nous n'avons pas trouvé, au cours de notre étude
comparative dans les armées alliées, de données très
nouvelles sur la lutte contre les rats.
Le point important, c'est de ne pas se contenter d'une
seule mesure, mais d'appliquer simultanément et sans
relâche toutes les mesures possibles.
II ne faut d'ailleurs pas espérer une extermination
complète des rats, mais seulement une grande réduction
de leur nombre.
Le virus Danysz, préparé par l'Institut Pasteur de
Paris, est actuellement reconnu inefficace dans l'armée
française aussi bien que dans l'armée anglaise.
Les pièges de toute sorte, y compris les fosses à parois
obliques, donnent des résultats variables. Il convient
en tous cas de ne jamais employer le même plus de deux
ou trois jours de suite.
Les poisons, pâte arsenicale, pâte phosphorée, pâte à la
scille, utilisés partout, doivent l'être avec
discernement et par un personnel instruit : ici encore
il faut changer souvent de procédé.
On nous a signalé, à l'armée anglaise, un procédé
consistant en un appât placé au centre d'une feuille
enduite de glu assez puissante pour engluer les rats qui
s'avancent sur sa surface.
Les chats, les chiens ratiers constituent une aide
précieuse, mais à rendement forcément limité.
Le carbure de calcium, en fragments dans les trous,
éloigne les rats.
La protection des aliments dans des garde-manger, la
destruction et même le simple enfouissement des détritus
alimentaires, comme le signale M. le médecin principal
Chavigny, représentent un moyen primordial contre la
présence et la reproduction des rats. On ne saurait trop
s'y conformer.
Enfin l'aménagement: des tranchées, des abris joue un
rôle très important. Ce soin est l'objet de mesures très
suivies à l'armée belge.
« Le principal progrès », écrit le médecin divisionnaire
de la 1re division de l'armée belge, « est l'édification
de baraquements à sol cimenté et damé. »
Le médecin divisionnaire de la 4e Division de l'armée
belge écrit de son côté : « Depuis qu'aux abris faits en
terre et en planches mal jointes, on a substitué les
abris bien étanches en bois, tôle, maçonnerie, béton,
les rats ont cessé d'incommoder les troupes. » |
Lecture pour tous
Février 1916
PIÈGES, PÂTES EMPOISONNÉES, BÂTONS ET
FUSILS, EAU ET FEU, CHATS ET CHIENS, NOS SOLDATS
UTILISENT TOUS LES MOYENS POUR COMBATTRE LES RATS. ET
TOUCHER LEUR PRIME.
LES RATS PLAIE DES TRANCHÉES
Ce n'est pas assez que nos soldats soient en butte à
toutes les intempéries, au froid et à la boue ; un
véritable fléau, une nouvelle plaie d'Egypte s'ajoute à
leurs souffrances ; une invasion de rats rend certaines
de nos tranchées inhabitables et risque d'y apporter les
germes de toute sorte de maladies. Le lecteur verra
facilement l'étendue du danger et la nécessité
impérieuse de le combattre par tous les moyens.
MINUIT, dans la tranchée. Le duel des canons s'apaise.
L'ennemi est calme et semble ne projeter contre nous
aucune attaque nocturne. Nos poilus essaient de
s'endormir, confiants dans leurs « veilleurs » qui,
l'oreille aux aguets et le regard scrutant l'ombre de la
plaine, sont à leur poste.
Soudain, parmi les dormeurs, un cri - cri de colère et
de dégoût à la fois : « Oh ! la sale bête ! Je l'avais
sur le cou. » Les camarades, en leur demi-sommeil, ont
compris tout de suite : encore un de ces rats !
Oui, des rats. Car nos braves des tranchées n'ont pas
seulement à y redouter les balles allemandes et les
obus, à y mener leur dure vie sous la pluie, dans le
froid et dans la boue. Un autre ennemi, inattendu, les y
assaille, tenace, répugnant et dangereux : c'est
l'horrible gent ratière.
L'invasion est formidable. Elle atteint aussi bien les
tranchées ennemies que les nôtres : et nous savons que
les Allemands s'efforcent, tout comme nous, de s'en
protéger. N'a-t-on pas vu, en certains endroits de la
ligne de combat en particulier dans les carrières du
Soissonnais - la pullulation des rats devenir telle que
l'ardeur des opérations parfois s'en ressentait et que
Français et Allemands interrompaient littéralement la
lutte pour se débarrasser d'abord, les uns et les
autres, de l'autre danger qui leur est commun. Pour-
tant, bombardements et fumées asphyxiantes font, si l'on
peut dire, la vie dure aux rats dans les tranchées de
première ligne.
L'explosion des grenades chasse les rongeurs de leurs
trous, et, après chaque vague de gaz asphyxiants, il
n'est pas rare de trouver au fond des boyaux plusieurs
centaines de cadavres de rats.
Mais dans les tranchées de seconde ligne, dans les abris
souterrains où se tiennent, où se reposent les hommes
qui ont la charge de défendre un secteur, et surtout
dans les cantonnements où sont accumulées les provisions
de toute sorte, c'est bien autre chose. Là les rats sont
rois. Là, l'existence nocturne de nos soldats, et
parfois même leur vie diurne, est rendue insupportable
par le pullulement prodigieux des rongeurs. Chacun
s'ingénie à se défendre contre leur audace et leur
voracité, mais chacun, tôt ou tard, en est victime.
NI TRÊVE NI REPOS.
Voici dans un vaste abri, creusé en plein roc cependant,
et assez semblable à un large caveau, les lits où
dorment les hommes de la section. Ces lits, on en
connaît la construction rudimentaire : quatre pieux en
forment les pieds et les montants ; deux planches en
constituent les flancs ; des branches flexibles croisées
d'un bord à l'autre font un sommier passable ; une bonne
litière de paille sert de matelas. Il yen a deux en bas
et deux en haut, comme dans les wagons-couchettes, et
l'on y dort, assurent les poilus, fort bien. Du moins,
on y dormirait parfaitement si les rats ne venaient en
dévorer la paille et trotter sans arrêt sur les
couvertures et jusque sur les visages des occu-
LA JOURNÉE D'UN CHIEN RATIER. LE VAILLANT ANIMAL, QUI
PRÉSIDE A L'EXPOSITION DE CE « TABLEAU » DE CHASSE,
PERMET AUX POILUS DE SA SECTION DE DORMIR À PEU PRES
TRANQUILLES pants. Nécessité rend ingénieux : certains ont inventé
une moustiquaire métallique, faite avec du treillis de
fil de fer semblable à celui dont se serve les paysans
pour garnir les ouvertures des poulaillers. Ces
moustiquaires à rats recouvrent le lit et l'homme à la
manière d'un couvercle et les rats peuvent courir dessus
tout à leur aise ; mais du moins le dormeur ne subit pas
leur immonde contact et peut profiter en paix des
quelques heures de sommeil qui lui sont accordées.
Malheureusement il n'est pas facile de se procurer du
treillis de fil de fer, et ceux qui ont la chance de
pouvoir s'en procurer ou d'en recevoir de leur famille,
font de nombreux envieux. Les soldats qui n'ont point de
moustiquaire se bornent la plupart du temps à se couvrir
le visage avec un morceau d'étoffe que d'ailleurs les
rats viennent grignoter quand même. D'autres, exploitant
la crainte que les détestables rongeurs ont de toute
lumière, dorment avec une petite lampe allumée à côté de
leur lit. A ce prix, ils peuvent jouir d'un repos
relatif.
Mais si le rat est insupportable la nuit, il ne l'est
guère moins le jour. Il oblige le soldat à une vigilance
constante. Malheur au distrait qui laisse un instant un
morceau de saucisson sur la banquette de sa tranchée
pour aller jeter un coup d'oeil au créneau où guette le
camarade : quand il revient, le saucisson a disparu. Le
négligent qui laisse un chandail ou un caleçon dans son
abri, sans avoir pris le soin de l'enfermer dans son sac
ou son paquetage, n'en retrouve que des morceaux. Car il
n'est point d'objet auquel le rat ne s'attaque et il
s'en prend tout aussi bien au ceinturon de cuir, ou à la
paire de chaussures de rechange, qu'à la « boule de son
».
Il y a mieux encore. Assis dans le coin de son abri, un
soldat profite de quelques minutes de tranquillité pour
écrire aux siens. Soudain le guetteur signale un
mouvement dans les lignes ennemies. Il faut courir à la
tranchée, prendre sa place de combat. Dans sa hâte, le
troupier a laissé sur le sol lettre et crayon. Il reste
dans la tranchée une demi-heure, puis revient, car
l'attaque -pressentie ne s'est pas produite.
Mais où est sa lettre? Où est son crayon? Il les
retrouve bientôt : la lettre est a demi dévorée ; le
crayon brisé porte la marque des petites dents bien
connues.
MULTIPLICATION À L'INFINI.
Ce ne sont là que des exemples suffisant à prouver qu'à
toutes les minutes de sa vie quotidienne le soldat est
obsédé par la présence du rongeur et qu'il est contraint
d'appliquer son attention à se défendre contre un ennemi
rusé, audacieux et insaisissable. Les rats, suivant sa
propre expression, « empoisonnent son existence », tant
ils pullulent.
Cette pullulation est d'une rapidité extraordinaire : la
race des fauves rongeurs est si prolifique que, en cinq
semaines, un seul couple de rats peut donner naissance à
six, huit et même dix rats ! Calculez alors ce que cela
représente au bout d'un an : une opération mathématique
bien connue, la « progression », va nous le dire. Si
nous admettons qu'un couple de rats donne en cinq
semaines six autres rats, c'est-à-dire trois nouveaux
couples, lesquels en cinq semaines donneront à leur tour
dix-huit rats ou neuf couples, et ainsi de suite, il est
facile de se rendre compte que, au bout d'une année
(exactement en cinquante-cinq semaines), les rats issus
du couple initial seront au nombre de 521 838.
Si ce premier couple avait produit dix rats au lieu de
six et que la même « progression » se poursuivît dans
ses descendants durant le même laps de temps, nous
arriverions alors au chiffre fantastique - et pourtant «
mathématiquement » exact - de 122 170 310 rats, issus
d'un seul couple en un peu plus de douze mois !
On conçoit qu'une pareille plaie irrite nos soldats, non
seulement par suite de cette répulsion instinctive
qu'ont toujours inspirée à l'homme les abominables
rongeurs, mais parce que ceux-ci constituent pour notre
armée un véritable péril.
DES MILLIONS DÉVORÉS.
Ce ne serait presque rien, en effet, que le rat entrât,
dans les tranchées pour y grignoter mille restes et
sautiller sur les hommes endormis. Mais sa présence est
l'origine de maux bien plus graves. D'abord il « dévore
» tout et cause ainsi des pertes énormes et, d'autre
part, c'est l'un des plus dangereux propagateurs de
maladies.
« Ne m'envoyez plus de colis ! écrivait un officier du
front à sa famille. A peine en ai-je entamé un que, dans
l'espace d'une nuit, les rats de mon gourbi ont volé
tout le reste. Pour conserver quelque chose, il me
faudrait ici un coffre-fort. »
Après les vivres, les vêtements, le linge, les papiers,
les musettes, les cuirs, les cigares même ont leur tour.
Et le mal n'est pas limité aux tranchées : batteries,
campements, ambulances, hôpitaux, docks de
ravitaillement, dépôts, magasins, manutentions, tout est
envahi et pillé par les rats. Bien mieux : dans
plusieurs hangars d'aérostation, il est arrivé que des
avions et des ballons captifs furent rongés par eux et
rendus inutilisables.
Ce que coûtent de tels ravages on le devine sans peine,
quand on pense aux quantités énormes .de produits de
toute nature qu'il a fallu accumuler sur certains points
de la zone des armées. En se basant sur les estimations
faites il y a quelques années, en Danemark et en
Angleterre, et qui fixent la valeur du « vol » à un
centime et demi « par rat et par jour », il est facile
de calculer qu'un million de rats, par exemple, mangent
journellement pour 15 000 francs de produits, soit 450
000 francs par mois et 5 400 000 francs par an.
C'est donc bien à des millions de francs qu'il faut
évaluer le préjudice causé à notre budget militaire par
le vol incessant des affreux animaux.
Mais il y a pire encore.
COMMIS VOYAGEUR EN MALADIES.
Les pertes matérielles ne sont rien à côté de cet autre
crime imputable aux rats : la transmission des maladies
et en particulier de la peste.
La peste ! terme d'allure moyenâgeuse, que nous croyions
bien périmé et qui soudain, voilà quelques années à
peine, reprit toute sa terrifiante valeur. Qui ne se
souvient de la Mandchourie décimée, de Kharbine et
Moukden dévastées, de ces monceaux de cadavres restés
sans sépulture, de ces villes et villages livrés aux
flammes ?
Or, aujourd'hui encore, il subsiste de par le monde bien
des « foyers de peste», bien des contrées où l'affreuse
maladie sévit à l'état endémique. Dès lors, dans cette
guerre qui remue tant d'hommes, et venus de tous les
points du globe, qui nous dit que l'un d'eux n'apportera
pas sur le front le bacille de la peste ?
Qui nous garantit surtout que ce terrible germe d'une
épidémie n'y arrivera point - soit dans la soute d'un
navire, soit dans les colis de quelque wagon, soit de
toute autre façon - véhiculé par son hôte le plus
habituel : le rat ?
Le rat, en effet - tous les hygiénistes s'accordent sur
ce point - est le véritable commis voyageur du bacille
de la peste. Très sensible à l'action de ce microbe, il
est vite pestiféré, et avec lui tous ses congénères ; et
comme la maladie est mortelle, ce serait en somme pour
nous un « bon débarras » si les choses en restaient là.
Mais il n'en est rien, malheureusement. Car le rat,
comme l'homme, a ses parasites ; et ce sont précisément
les mêmes : la mouche et la puce, lesquels vont du rat à
l'homme, piquant celui-ci après avoir piqué celui-là,
introduisant dans notre sang le fatal germe qu'ils ont
puisé dans le sang du rat pesteux : ainsi se propage
l'horrible contagion.
Et ce n'est pas tout, hélas ! car chaque jour les
savants tendent à charger le rat d'autres
responsabilités : érysipèle, charbon, tétanos, favus,
morve, et peut-être pneumonie, fièvre typhoïde, rage et
cancer, telles sont les affections dont il faudrait, à
leur avis, lui imputer trop souvent la transmission.
Comprend-on le danger que courraient nos soldats, si
l'on n'intervenait pas énergiquement ?
DES BATTUES D'UN NOUVEAU GENRE.
Aussi, dans les tranchées, dans les boyaux, dans les
caves, nos poilus poursuivent, sans
LES GAZ ASPHYXIANTS ALLEMANDS SONT PLUS DANGEREUX POUR
LES RATS QUE POUR NOS SOLDATS. VOICI UNE JOLIE
COLLECTION DE CADAVRES DE CES RONGEURS RAMASSEE DANS UNE
TRANCHÉE QUI FUT ARROSÉE D'OBUS ASPHYXIANTS.
relâche, la chasse au rat. Ils assomment les horribles
bêtes à coup de bâton, ils les noient, ils les enfument,
ils les tuent même à coups de fusil ! De véritables «
battues » s'organisent ; récemment, près de Roye, une
compagnie d'infanterie, s'étant ainsi mise à la besogne,
détruisit dans sa journée 470 rats.
En maint endroit même, les chefs ont décidé d'affecter
spécialement à ce travail de défense un ou plusieurs de
leurs hommes : et c'est l'un des « spécialistes » ainsi
désignés que l'objectif a surpris, au moment où il
inscrit à son « tableau » le soixante-cinquième rat de
sa matinée !
Et que dites-vous de cet autre cliché? D'ingénieux
poilus ont créé, sur le front même, une nouvelle
industrie. Après avoir vidé soigneusement les rats
capturés par eux, ils en étalent les peaux, en les
clouant sur une planche, afin de les faire sécher. Et
leur intention est de vendre ces « peaux de rats », tout
comme cela se faisait depuis quelques années sur
certains marchés - à Calcutta notamment - où la Mode,
étonnante et capricieuse, allait chercher ces peaux,
pour en faire des gants, des fourrures, des
porte-monnaie, des reliures de livres, etc.
Ils les vendent même déjà, assure-t-on, et l'on prétend
qu'il ne faudrait pas chercher ailleurs la raison du
développement actuel du commerce des petites fourrures à
très bon marché. Seulement, de la tranchée au magasin de
vente, la peau de rat change de nom...
Mais. est-il besoin de le dire ? le fléau qui sévit sur
nos tranchées demande, pour être maîtrisé, des mesures
plus efficaces. Contre une espèce animale qui se
multiplie si rapidement et dans des proportions si
formidables, il est nécessaire d'employer d'autres armes
que le bâton, voire que le fusil. Il faut recourir à
tous les procédés de « dératisation » connus, les
anciens comme les récents, les empiriques et les «
routiniers » comme les plus scientifiques.
L'ORGANISATION DE LA DÉFENSE.
Ainsi la vieille « mort aux rats » de nos épiciers est
souvent inefficace, sa graisse trop rance, son phosphore
trop dilué ; néanmoins, chaque fois que les soldats
peuvent s'en procurer, ils ne manquent pas d'y avoir
recours, et ils font bien. De même pour les pâtes
chimiques à base d'acide arsénieux, de carbonate de
baryte ou de tout autre toxique. Notons pourtant une
formule plus récente, due à l'un de nos « biffins » et
qui obtient, paraît-il, un gros succès dans les
tranchées. La voici : « Mélangez une partie de sulfate
de cuivre avec deux parties de farine. Placez un peu
d'eau à côté de l'appât. Dès que le rat aura touché à ce
dernier, il sera altéré, ira boire et succombera en très
peu de temps. »
Les « pièges » de diverses formes font également fureur
; et l'on devine que nos poilus y ont trouvé matière à
déployer leur ingéniosité de constructeurs. Mais comme
la plupart de ces appareils sont vite éventés par les
astucieux rongeurs, voici la méthode que préconise le «
cuistot » d'une batterie, dans l'un de ces curieux «
journaux » qu'éditent eux-mêmes nos amis du front : «
C'est une erreur de croire que la nasse (piège en fil de
fer) soit sans effet durable. Lorsque vous y trouvez le
matin deux ou trois rats faits prisonniers, gardez-vous
bien de les tuer tous. Mais laissez toujours dans la
cage de fer l'un des rongeurs, que vous aurez même soin
de continuer à nourrir jusqu'au soir. Puis, la nuit
venue, remettez votre piège en place, garni de son
captif : et soyez sûrs que, le lendemain matin, vous
apercevrez deux ou trois nouveaux hôtes, qui auront
rejoint dans la nasse votre premier prisonnier.
Seulement, retenez bien ceci : ce prisonnier « amorceur
» doit être changé chaque jour. »
Précieux pour la chasse au rat, les chats peuvent être,
dans nos docks et magasins, préposés à la garde des
vivres et des vêtements militaires. Mais leur emploi,
sur les lignes de combat, ne peut-être - on le conçoit -
que restreint et exceptionnel.
Au contraire, celui des chiens semble devoir y être de
plus en plus répandu, et avec raison. A condition
toutefois qu'on ait recours, non pas à n'importe quels
chiens, mais aux deux ou trois races de « bulls » et de
« fox-terriers », qui fournissent spécialement les vrais
ratiers. C'est ce que l'autorité militaire a compris :
après quelques essais concluants, elle a décidé de
poursuivre énergiquement les efforts dans ce sens ; et
tout prochainement 1 200 chiens, dûment « mobilisés »,
entraînés et sachant « se taire », vont être conduits
sur le front, pour y travailler à la destruction de
l'ignoble et envahissante espèce.
QUI VEUT GAGNER UN SOU?
La dératisation a déjà utilisé et consacré un tout autre
procédé de lutte, qui, malgré son apparente difficulté
d'application sur un front de combat, ne pouvait manquer
d'y être tout au moins essayé : c'est le système des «
primes ».
En évaluant, ainsi que nous l'avons dit plus haut, le
larcin journalier d'un rat à « un centime et demi », on
avait calculé en ces dernières années que le montant
annuel et approximatif des dégâts causés par les
rongeurs atteignait 220 millions de francs pour la
France, 260 millions pour l'Allemagne, 325 millions pour
l'Angleterre, etc.
C'est surtout pour atténuer ces pertes que certains pays
n'hésitèrent pas .à recourir au système des primes.
Ainsi, en Danemark, une loi, votée en 1907, assura une
prime de 8 ore (un peu plus de 13 centimes) à tout
citoyen qui apporterait à l'autorité la tête d'un rat.
Très vite, cette mesure apparut comme l'un des remèdes
les plus efficaces : en deux ans, 2 469 712 rats furent
tués ; et si ce massacre porta le chiffre des crimes
versées à 343 043 francs, par contre il évitait au pays
un dégât total (à. 1 centime et demi par jour et par
rat) de plus de vingt-sept millions de francs !
Il n'est donc pas étonnant que, voyant dans
l'institution d'une prime un excellent moyen de stimuler
le zèle de ses hommes, d'enrayer les pertes résultant du
pillage continuel de ces animaux et de prévenir en même
temps les dangers de contagion, l'un de nos généraux ait
rédigé l'ordre suivant, aujourd'hui affiché dans tous
les cantonnements des secteurs placés sous ses ordres :
DÉRATISATION.
« Dans le but d'intéresser les hommes à la destruction
des rongeurs, le général commandant la .e armée a
décidé, sur la proposition du général commandant la ..e
C. C., qu'une prime de 0 fr. 05 serait allouée pour
chaque rat détruit. Les primes seront payées tous les
dix jours sur états émargés. Le droit à la prime sera
constaté par la présentation de la queue du rat détruit.
Les commandants d'unités désigneront un gradé qui, après
s'être fait présenter les queues des rats détruits,
établira au nom de l'intéressé un certificat constatant
ses droits à une ou plusieurs primes. Le gradé désigné
fera incinérer devant lui les queues ayant servi à la
constatation. Les rats étant porteurs de puces
susceptibles de transmettre des maladies contagieuses,
on doit éviter de les toucher. Les rats détruits seront
enterrés aussitôt et les queues recueillies seront
enveloppées dans un chiffon ou dans un papier imprégné
soit de goudron, soit de pétrole. »
LES CHIENS RATIERS, DE RACE VÉRITABLE, N'ÉTANT PAS ASSEZ
NOMBREUX POUR LES BESOINS DU FRONT, NOS « POILUS » ONT
IMAGINÉ DE DRESSER DES CHIENS DE TOUTE ESPÈCE À LA
CHASSE AU RAT. AVEC UNE PLANCHE, QUATRE PIEDS ET UN
GRILLAGE, ILS CONSTRUISENT D INGÉNIEUX RATODROMES, OÙ LE
GRIFFON LE PLUS PACIFIQUE DEVIENT VITE UN VIRTUOSE DANS
L'ART DE TORDRE LE COU À MAÎTRE RODILART.
Il n'est pas encore possible de connaître le montant des
primes ainsi versées à nos poilus, ni par conséquent le
nombre de rats tués par eux et les économies réalisées ;
mais ce qui semble acquis dès maintenant, de l'aveu des
officiers des secteurs intéressés, c'est que l'invasion
ratière- y est, sinon vaincue, du moins déjà nettement
enrayée. Pièges, pâtes empoisonnées, bâtons et fusils,
eau et feu, chats et chiens, nos soldats utilisent tous
les moyens pour combattre les rats et, bien entendu.
toucher leur prime.
UN PIÈGE INATTENDU. CE RAT GOULU A CRU TROUVER QUELQUE
METS SUCCULENT AU FOND DE L'ENCRIER D UN OFFICIER
PAYEUR. IL A BIEN PASSÉ SA TÊTE, MAIS N A PU LA RETIRER.
ET IL EST MORT DE SA GLOUTONNERIE.
A leurs efforts, fatalement restreints et insuffisants,
il était nécessaire que l'autorité elle-même ajoutât des
moyens de lutte plus savants et plus méthodiques encore.
CEUX QU'IL FAUDRAIT ASPHYXIER.
« Quand, ayant repris l'attaque, écrivait cet été un
officier d'une division de l'Artois, nous arrivâmes à
nos anciennes tranchées que la projection d'obus
asphyxiants nous avait d'abord contraints d'évacuer, ce
ne fut pas sans surprise que nous y découvrîmes, par
centaines, des cadavres de rats : eux aussi avaient été
surpris par les gaz délétères rôdant sur le sol ; et la
triste invention des Boches aura eu du moins cette
utilité d'enrayer une invasion chaque jour plus hardie,
et aussi de nous donner l'idée d'un nouveau procédé de
dératisation. »
A dire vrai, le procédé n'est pas nouveau ; et il y a
déjà plusieurs années que, dans nos ports de mer
notamment, on peut voir, accolée au flanc de tel ou tel
navire, une barque sur laquelle fume et ronfle un
appareil à vapeur : un tube parti de l'appareil pénètre
dans le bâtiment par un hublot ; et ainsi il envoie,
dans les cales et les soutes, des jets de gaz
asphyxiants : anhydride sulfureux, formol, oxyde ou
sulfure de carbone, etc. Pendant quelques heures, le
hublot reste fermé ; puis bientôt l'on voit, par son
ouverture, un matelot qui jette les rats ainsi détruits
en les ramassant à la pelle.
L'emploi de ces mêmes gaz contre les rats qui infestent
la zone des armées pourrait être utilement étendu. Sans
doute, il demande certaines précautions, le sulfure de
carbone, par exemple, étant très inflammable. Mais c'est
affaire d'organisation. Et le fait que voici prouve tout
le parti que l'on peut tirer, dans la lutte entreprise,
de l'utilisation de certains gaz dont plusieurs, comme
le formol, sont d'ailleurs fort maniables. A Suippes,
une ambulance s'était établie dans une maison inhabitée
: un matin, en inspectant ses paniers à pansements, le
médecin-chef s'aperçoit qu'ils sont envahis par une
troupe de rats. Vite, il referme les paniers, en y
emprisonnant les rongeurs. Le médecin a son idée : il se
fait apporter deux ou trois de ces blocs de pâte au
formol, que l'armée et la marine emploient couramment,
sous le nom de « fumigators Gonin», pour la désinfection
; et il en allume la mèche ; puis il quitte la pièce,
après en avoir fait clore soigneusement toutes les
ouvertures. Pendant plusieurs heures, les blocs s'y
consument lentement, en dégageant leurs vapeurs. Après
quoi, le médecin pénètre à nouveau dans le local et
ouvre ses paniers : tous les rats sont morts, asphyxiés
par les vapeurs de formol.
Il n'est donc pas douteux que la dératisation peut, dans
cette voie encore, trouver des instruments précieux.
TOUS EMPOISONNÉS.
Mais, si utile que puisse être l'emploi des gaz
asphyxiants, de même que celui des divers autres
procédés, il faut compter avec l'extraordinaire «
finesse » des rats, qui ont vite fait de tourner
l'obstacle qu'on leur oppose et continuent de pulluler.
Il est donc heureux qu'on se soit enfin résolu à faire
aux malfaisants rongeurs une guerre offensive
vigoureuse. Dans une réunion récemment organisée à
l'Institut Pasteur, à laquelle assistaient
soixante-quinze médecins délégués par les corps d'armée,
le docteur Danysz indiqua la méthode à suivre : d'abord
continuer de combattre le rat par tous les moyens déjà
connus ; mais surtout, utiliser d'une façon générale et
intensive les deux procédés suivants.
En premier lieu, employer le « virus Danysz » qui,
depuis une trentaine d'années, a largement fait ses
preuves. Ce virus a le pouvoir d'inoculer aux rats une
sorte de « typhoïde » qu'ils se communiquent les uns aux
autres et qui est rapidement mortelle Il suffit donc
d'injecter le virus a quelques rats et de les lâcher
ensuite parmi leurs congénères : en peu de temps, la
contagion s'étendra parmi eux. En prenant soin que les
rats ainsi inoculés ne touchent pas aux vivres destinés
aux soldats, on peut attendre de cette méthode les
meilleurs résultats.
Et voici mieux encore : l'Institut Pasteur a réalisé un
produit qui semble bien être véritablement efficace.
C'est l'« extrait de scille », tiré des bulbes de la
scille ou oignon marin. Il constitue un toxique des plus
actifs et en même temps des plus pratiques ; car, tandis
qu'il est sans aucun danger pour l'homme et le chien,
par contre, il en suffit d'un dixième de milligramme
pour tuer un rat. Or cet animal en est, paraît-il, des
plus friands... « Avec un litre d'extrait, écrit un
médecin-major, j'ai pu détruire en une seule nuit 420
rats dans la même tranchée ! » Et la photographie de ce
curieux « tableau de chasse » accompagnait la lettre du
major.
En présence de pareils résultats, l'Institut Pasteur a
décidé de fabriquer le toxique en grande quantité ; et
chaque jour, 1 200 litres de l'extrait de scille sont
envoyés au front.
Désormais donc, la lutte contre les rats est devenue
sérieuse. Virus et extrait toxique, maniés par des gens
spécialement instruits pour ce travail, commencent à
faire leur oeuvre. En vingt jours, une équipe de quatre
hommes peut traiter ainsi 50 kilomètres de tranchées et
une cinquantaine de formations diverses (campements,
magasins, ambulances, etc.). Nous avons donc le droit
d'espérer que, cette fois, l'affreux peuple ratier va
cesser d envahir nos lignes.
En attendant, redoublons de vigilance. N'oublions pas
non plus de faire enlever et brûler tous les déchets qui
s'amassent dans les tranchées et y attirent les rats.
Par tous les moyens débarrassons nos tranchées de cette
plaie. Nous avons le devoir strict d'épargner à nos
braves ce surcroît de souffrance.
UNE VÉRITABLE PETITE INDUSTRIE NOUVELLE EST NÉE DE LA
CHASSE AUX RATS DANS LES TRANCHÉES. LES PEAUX SÉCHÉES
SUR DES PLANCHES SONT EXPÉDIÉES À L ARRIÈRE ET VENDUESÀ
DES MARCHANDS DE FOURRURES À BON MARCHÉ.
TRANSFORMÉES, TEINTES, TRAVAILLÉES, LES PEAUX DE RATS
DEVIENNENT, SOUS DES NOMS POMPEUX, DES CRAVATES ET DES
ÉTOLES QUE NE DÉDAIGNENT PAS NOS CHARMANTES MIDINETTES. |
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