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				Nous avons évoqué dans l'article 1871 -
              La ligne ABC devient
              allemande, comment la petite ligne ferroviaire Avricourt-Blâmont-Cirey 
				était devenue allemande dans le tracé préliminaire de la 
				nouvelle frontière ratifiée par le traité de Francfort le 10 mai 
				1871. 
				La lettre ci-dessous parviendra trop tard pour remédier à cette 
				germanisation temporaire, mais sera prise en compte par la 
				commission franco-allemande qui aboutira à la convention du 12 
				octobre 1871, restituant à la France le territoire d'Igney en 
				échange de la construction de la gare allemande d'Avricourt. 
				
                    
				 
				La délimitation de 
				la frontière franco-allemande 
				Colonel Laussedat, membre de la commission de délimitation 
				Ed. Paris 1902 
				 
				Pièce justificative n° 16 
				Le Président du conseil 
				d'administration de la Compagnie du chemin de fer- d'Avricourt à 
				Blâmont et Cirey, à Son Excellence Monsieur Baude, ministre 
				plénipotentiaire à Bruxelles. 
				Cirey, le 17 avril 1871. 
				 
				MONSIEUR LE MINISTRE, 
				M. l'ingénieur en chef Volmerange a bien voulu me communiquer 
				les diverses notes adressées par lui à Votre Excellence 
				relativement à la délimitation des frontières et aux questions 
				qui intéressent l'alimentation du canal de la Marne au Rhin 
				ainsi que notre chemin de fer d'intérêt local. 
				De son côté, M. Varroy, ingénieur en chef du contrôle et député 
				du département de la Meurthe, a bien voulu aussi me tenir au 
				courant des différentes communications qu'il vous a adressées 
				sur les mêmes questions. 
				Ces deux messieurs ayant pensé que MM. les plénipotentiaires 
				réunis à Bruxelles voudraient bien accorder quelque attention 
				aux observations du conseil d'administration de notre Compagnie, 
				je viens, Monsieur le ministre, au nom de ce conseil et en vertu 
				de la délégation spéciale qu'il m'a donnée, vous prier de 
				vouloir bien soumettre à MM. vos collègues les réflexions 
				suivantes : 
				M. l'ingénieur en chef Volmerange établit dans son travail que 
				la ligne des faîtes, adoptée en principe pour la délimitation de 
				la nouvelle frontière, a été abandonnée sur une petite partie de 
				son parcours entre les territoires de Moncourt et Coincourt 
				d'une part, et celui de Tanconville d'autre part, tandis qu'à 
				partir de Tanconville elle reste la règle invariable jusqu'à la 
				portion encore indéterminée des environs de Belfort. Cette 
				exception lui paraît avoir été motivée par le désir du 
				gouvernement allemand de s'assurer la possession exclusive de la 
				voie ferrée reliant Dieuze à l'Allemagne. 
				Mais Dieuze est déjà relié à l'Allemagne par son canal en 
				construction, allant rejoindre près de Sarralbe le canal des 
				Houillères. Il le sera en outre nécessairement par la 
				prolongation de son chemin de fer vers Faulquemont ou Sarralbe, 
				prolongation devenue inévitable, pour mettre cette saline 
				importante, ainsi que les établissements qui en dépendent, en 
				relations plus directes avec les nouveaux marchés sur lesquels 
				ils devront dorénavant écouler leurs produits. La question du 
				chemin de fer de Dieuze n'a donc ici qu'une importance 
				secondaire, qui ne saurait primer les intérêts des communes 
				comprises entre la ligne naturelle des faîtes et la frontière 
				indiquée dans les préliminaires de paix. Ces communes sont au 
				nombre de neuf : Xures, Lagarde, Moussey, Réchicourt, Avricourt, 
				Igney, Foulcrey, Ibigny, et Richeval; elles comprennent une 
				population d'environ 4,700 habitants, exclusivement française et 
				qui réclame avec énergie la conservation de sa nationalité. 
				Le retour à la règle unique de la ligne des faîtes sauverait ces 
				communes et résoudrait de la manière la plus logique les 
				questions relatives à l'alimentation du canal de la Marne au 
				Rhin, dans la partie restée française, ainsi que celles qui 
				touchent à notre chemin de fer d'intérêt local. 
				Ce sont là, si je ne me trompe, les conclusions de M. Varroy, et 
				nous supplions Messieurs les plénipotentiaires d'y accorder leur 
				plus sérieuse attention. 
				Nous devons toutefois, pour le cas où la ligne des faîtes ne 
				pourrait être obtenue, formuler nos observations précises en ce 
				qui concerne le chemin de fer d'intérêt local d'Avricourt à
				Blâmont et Cirey, dont l'administration nous est confiée. 
				Ce chemin de fer part de Cirey-sur-Vezouze, localité qui doit 
				son importance à une manufacture de glaces très considérable, et 
				dans la gare de laquelle les produits agricoles et forestiers 
				des contrées environnantes viennent prendre la voie ferrée. De 
				Cirey, le chemin de fer passe à Frémonville, riche village 
				agricole et forestier qui possède en outre des tuileries, 
				fabriques de chaux et d'allumettes importantes; puis il arrive à 
				la ville de Blâmont, chef-lieu du canton de ce nom, localité 
				très importante aussi, soit au point de vue agricole, soit parce 
				qu'elle renferme une fabrique considérable de grosse 
				quincaillerie, de nombreuses tanneries, et qu'elle est le centre 
				du commerce de bestiaux, de grains et de meunerie de la contrée. 
				A partir du territoire de Blâmont, le chemin de fer traverse 
				celui du riche village agricole de Gogney, puis franchit la 
				ligne frontière indiquée dans les préliminaires, et arrive à 
				Avricourt en passant sur les territoires de Foulcrey et d'lgney. 
				Ces trois localités sont, de même, de riches et importants 
				villages agricoles. 
				A Avricourt, notre chemin de fer d'intérêt local rencontre la 
				grande ligne de l'Est. Il y trouve aussi le point de départ de 
				la ligne d'Avricourt à Dieuze, par laquelle il est mis en 
				communication avec le canal de la Marne au Rhin, à la station de 
				transbordement de Moussey. 
				Comme vous le voyez, Monsieur le ministre, notre chemin de fer 
				d'intérêt local sert à mettre les localités qu'il dessert en 
				communication avec la grande ligne de l'Est à Avricourt, avec le 
				canal de la Marne au Rhin à Moussey. Voilà pourquoi il nous 
				importe tant, au point de vue spécial du chemin de fer, que non 
				seulement Avricourt et Moussey, mais toutes les localités 
				traversées restent en territoire français. En effet, si les 
				transports sur une ligne aussi courte, 18 kilomètres d'Avricourt 
				à Cirey, 3 kilomètres d'Avricourt à Moussey, devaient être 
				soumis aux coûteuses formalités de douanes, ils se trouveraient 
				ainsi grevés d'une augmentation de frais et entravés par des 
				difficultés qui feraient disparaître en grande partie les 
				avantages que notre chemin de fer assure au pays, et amèneraient 
				la ruine à peu près complète de notre entreprise. 
				C'est ce qu'a parfaitement compris M. l'ingénieur en chef 
				Volmerange lorsqu'il demande que, si l'on ne revient pas à la 
				ligne des faîtes, la ligne frontière soit tout au moins tracée 
				de manière à ce que le chemin de fer d'Avricourt à Blâmont et 
				Cirey reste en France dans tout son parcours. Mais nous ne 
				pouvons admettre avec lui que, dans cette hypothèse, Avricourt 
				même cesse d'être français, car alors notre jonction avec la 
				ligne française de l'Est se trouverait forcément compromise. 
				M. Volmerange n'admet d'ailleurs la proposition subsidiaire, 
				proposée par lui, qu'en supposant que le chemin de fer d'Avricourt 
				à Moussey devienne ligne prussienne, ce qui nous enlèverait 
				notre communication directe avec le canal de la Marne au Rhin. 
				Nous demandons, au contraire, que cette section du chemin de fer 
				d'Avricourt à Dieuze reste en tous cas française, afin de 
				conduire nos transports à Moussey, à un port français sur le 
				canal. Rien ne s'opposerait à cette solution au cas même où le 
				chemin de fer de Dieuze à la ligne de l'Est serait 
				définitivement àl'Allemagne, car une seconde voie pourrait être 
				facilement posée entre Moussey et les lignes de l'Est, et cette 
				voie se raccorderait facilement avec la station de Réchicourt, 
				tandis que la voie restée française continuerait à aboutir à 
				Avricourt. 
				L'administration prussienne a déjà fait étudier le projet de 
				raccordement à Réchicourt et en possède tous les éléments. 
				De mon côté, j'ai soumis à M. Volmerange cet amendement à son 
				projet, et il m'a assuré qu'il l'approuvait complètement. 
				En résumé, Monsieur le ministre, nous demandons, dans l'intérêt 
				général du pays comme dans le nôtre, que la frontière soit 
				reportée à la ligne des faîtes et, subsidiairement, dans le cas 
				où cette rectification ne pourrait point être obtenue, que la 
				nouvelle frontière soit fixée de manière à ce que le chemin de 
				fer tout entier de Cirey à Avricourt et celui d'Avricourt à 
				Moussey, y compris la station d'Avricourt et un port sur le 
				canal à Moussey, restent en territoire français. Nous demandons 
				en outre que, dans ce cas, les moyens d'alimentation du canal de 
				la Marne au Rhin, à partir de Moussey, soient assurés 
				conformément aux propositions de M. l'ingénieur en chef 
				Volmerange, soit par une rétrocession de territoire, soit par 
				une convention assurant d'une manière indéniable à la France un 
				droit d'usage sur les eaux de l'étang de Réchicourt et de ses 
				affluents. 
				C'est là le minimum des conditions indispensables pour conserver 
				à notre pays les avantages en vue desquels le chemin de fer 
				d'intérêt local d'Avricourt à Blâmont et Cirey a été établi par 
				le département de la Meurthe. 
				Dans l'énumération des sources de trafic, sur ce chemin de fer, 
				nous n'avons compris que les produits locaux à l'exportation 
				desquels il est utilisé. Mais il faut encore y ajouter les 
				diverses marchandises, denrées et matières premières apportées 
				par lui pour l'alimentation du pays et de ses industries, 
				lesquelles, à l'exception de la houille, proviennent 
				généralement de France et se trouveraient, tout comme nos 
				produits, entravées dans leurs mouvements par l'interposition 
				d'une douane étrangère. 
				J'ai eu l'honneur, dans le courant de cette lettre, de vous 
				entretenir plusieurs fois du projet de Volmerange, sans être 
				bien certain si c'est à vous ou à M. de Goulard, votre collègue, 
				qu'il a été adressé. J'en joins donc une copie à ma lettre, en 
				vous faisant observer que la carte jointe au travail primitif de 
				M. Volmerange contenait une petite erreur entre le territoire de 
				Tanconville et la ligne des faîtes. Cette erreur a été rectifiée 
				d'accord avec M. Volmerange, sur la carte que j'ai l'honneur de 
				vous adresser aujourd'hui. 
				Je joins aussi à cette lettre un tracé du chemin de fer de Cirey 
				à Avricourt. Veuillez bien m'excuser de ne vous envoyer que 
				l'avant-projet d'une ligne aujourd'hui construite et exploitée. 
				Je l'ai choisi de préférence, à cause de sa petite dimension qui 
				en rendait l'expédition plus facile. Vous trouverez sur cette 
				seconde carte le tracé d'une partie du chemin de fer d'Avricourt 
				à Dieuze, et notamment la station de Moussey. 
				Vous y verrez combien le raccordement avec la station de 
				Réchicourt serait facile, ainsi que la pose d'une seconde voie 
				pour laquelle la plate-forme du chemin est disposée. Je dois 
				toutefois reconnaître que cette seconde voie, si utile qu'elle 
				soit pour prévenir toute espèce de complication, ne serait pas 
				indispensable. Elle pourrait être suppléée par la 
				neutralisation, au point de vue de l'exploitation et de la 
				douane, de la portion de ligne comprise entre le point de 
				raccordement et la station de Moussey. Cette dernière devrait, 
				dans tous les cas, devenir station internationale, disposée pour 
				le transbordement des marchandises au canal sur deux ports, l'un 
				français et l'autre allemand, placés symétriquement des deux 
				côtés de la ligne. 
				Veuillez, Monsieur le ministre, excuser une aussi longue lettre 
				et me permettre d'appeler de nouveau, en terminant, toute la 
				bienveillante attention de Votre Excellence et celle de 
				Messieurs vos collègues sur ces questions si importantes pour la 
				contrée tout entière et pour notre Compagnie. 
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