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Janvier 1890 - Epidémie de grippe


Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie
22 février 1890

Note sur l'épidémie actuelle de fièvre grippale survenue à Baccarat et dans les environs, par le Dr A. Alison, ancien interne des hôpitaux de Paris.

Si jamais épidémie a eu un caractère général, c'est bien celle à laquelle nous assistons. Partie de Saint-Pétersbourg, elle a successivement envahi les grandes capitales de l'Europe, s'avançant maintenant dans le nouveau monde. Dans la mémorable discussion qui a eu lieu à notre Académie de médecine le 17 décembre 1889 et à laquelle ont pris part MM. Proust, Brouardel, L. Colin, Bucquoy, Olivier, Bouchard, Dujardin-Beaumetz et Le Roy de Méricourt, il a été amplement démontré, ainsi que du reste cela avait été aussi généralement admis à la Société de médecine interne de Berlin (16 octobre 1889 et 6 janvier 1890), que, malgré certains caractères insolites de l'épidémie actuelle, il s'agissait bien évidemment d'une affection grippale et non de la fièvre dengue.
De Paris, comme des autres grandes villes, sont sorties diverses expansions épidémiques qui, pour ce qui concerne surtout notre région de l'Est, ont atteint successivement Nancy, Lunéville, Saint-Dié, Baccarat, Raon l'Etape et les autres localités de moindre importance. A Baccarat, ville de 6,000 habitants, assise sur les deux rives de la Meurthe, pourvue abondamment d'une eau de montagne excellente et soigneusement captée, l'épidémie a régné du 22 octobre 1889 au 25 janvier 1890 et a acquis son apogée du 2 au 17 janvier. Dans l'espace de quinze jours, presque la moitié de la ville fut atteinte. La population ouvrière fut frappée quelques jours après la population de la ville, et à peu près dans les mêmes proportions. Du 2 au 12 janvier 1890, sur 2,025 ouvriers dont se compose la cristallerie 280 verriers et 480 tailleurs tombèrent malades. Après Baccarat, vint le tour des villages voisins, lesquels, au nombre d'une quinzaine, furent tous successivement visités par l'épidémie. Dans chacun, une bonne moitié de la population paya son tribut à l'épidémie. Il y eut ainsi plus de 4,000 personnes qui furent obligées de suspendre leur travail ou de s'aliter. En ce qui concerne Baccarat, nous avons eu nous-môme en l'espace de quinze jours, à donner des soins continus à près de deux cents malades. Nous devons faire remarquer ici que la constitution médicale de Baccarat était excellente lorsqu'est survenue l'épidémie. A peine s'il existait, comme à la même période des années précédentes, un nombre égal d'angines, de laryngo-bronchites et d'embarras gastriques. Sauf dans quelques villages, comme Reherry et Glonville, localités du reste peu atteintes par l'épidémie actuelle et où avaient existé quelques cas de maladies des voies digestives et respiratoires, on peut dire que le canton de Baccarat se trouvait dans un état sanitaire aussi bon que possible lorsque la grippe y a fait invasion.
Cette affection eut des caractères symptomatiques semblables à ceux qui furent constatés partout, de Saint-Pétersbourg à Paris, a Nancy et ailleurs. Ses formes, comme cela est ordinaire, furent extrêmement variées, non seulement suivant la période de la maladie, mais encore suivant l'âge (les formes nerveuse et gastrique nous ayant paru plus fréquentes chez les enfants) et la tare organique constitutionnelle de l'individu. Sous ce dernier rapport, rien de plus fréquent que de constater, parmi les membres d'une même famille, à côté de la forme nerveuse chez les uns, la forme gastrique chez d'autres et la prédominance catarrhale chez un troisième. Presque toujours, même, ces formes étaient associées dans des combinaisons différentes. C'est du moins ce qui ressort de l'observation des cent quatre-vingt-douze malades que nous avons suivis du 2 au 18 janvier 1890. Quant aux complications, nous les signalons plus bas en parlant du caractère infectieux de la maladie. La mortalité fut cependant minime; et, pour Baccarat, il n'y eut que dix décès qu'on pût mettre sur le compte de l'épidémie et qui survinrent chez des vieillards, des cachectiques, des bronchitiques et des cardiaques. A la campagne la mortalité fut encore moindre, la maladie ayant eu souvent une intensité moins considérable. Dans presque tous les cas, la mort fut le résultat de complications thoraciques.
Nous arrivons ainsi à ce qui fait plus particulièrement le sujet de ce travail, l'étiologie de la maladie et plus spécialement la démonstration du caractère infectio-contagieux de l'épidémie. Il y a lieu, en effet, dé nous demander si, indépendamment des causes atmosphériques de la grippe (variations brusques de la température, froid, dégel et humidité, vents d'est, vifs et glacés, brouillards, persistance de la neige) et de ses causes organiques et individuelles, surmenage physique et intellectuel, activité après une période de sédentarité excessive, constitution arthritique, prédisposition catarrhale des muqueuses respiratoire et stomacale, si, disons-nous, la maladie n'est pas infectieuse et contagieuse.
Et tout d'abord, le caractère infectieux de l'épidémie actuelle nous parait démontré par les considérations suivantes:
a) Il y a eu, comme pour les autres épidémies nettement infectieuses, la fièvre typhoïde, par exemple, une période d'apogée précédée d'augment ou d'incubation et suivie d'une autre période, de déclin. En général les cas de maladie, épars et plus légers au début, sont devenus plus fréquents et ont acquis plus d'intensité au fur et à mesure que vieillissait l'épidémie.
b) Si les prodromes ont été, en général, peu marqués, et, en tous cas, hors de proportion avec le début souvent brusque et intense de la maladie, ils ont cependant existé dans la grande majorité des cas; c'étaient surtout des cauchemars, un peu d'insomnie, de céphalée et d'élancements névralgiques passagers ou un peu de nausées, d'anorexie ou bien encore quelques phénomènes catarrhaux de peu d'importance, enchifrènement, toux, état voilé de la voix, tout cela avec un certain caractère général de courbature et quelquefois de faiblesse syncopale.
c) L'état de la fièvre, précédée de frissons et souvent avec défervescence brusque, dans le cas d'absence de déterminations locales. Cette terminaison de la fièvre en lysis, comme dans la pneumonie, constitue un dos bons caractères des maladies infectieuses.
Les frissons du début n'ont pas fait défaut, même alors que la fièvre affectait, comme cela avait lieu dans les formes chroniques ou traînantes, un type rémittent ou à reprises, comme dit le professeur Jaccoud.
d) Ses déterminations ou complications générales si nombreuses survenues pendant le cours de la maladie et montrant que l'organisme entier pouvait être imprégné par l'affection épidémique. C'est ainsi qu'on a noté et que nous avons pu nous-même constater la plupart de ces complications; du coté du cerveau, la prostration, le coma et quelquefois un délire violent (adolescent à cerveau surmené); du côté du coeur de l'endo-péricardite, de la dilatation du coeur avec asystolie comme Bucquoy l'avait déjà constaté en 1875, et que nous avons notée aussi dans cinq cas chez des artérioscléreux; du côté des voies respiratoires, des congestions et des pneumonies graves ataxo-adynamiques; du côté des reins, de l'albuminurie ; enfin, quelquefois, des otites suppurées et des troubles visuels, de la polyadénito cervicale et du gonflement de la rate ; des hémorragies diverses, épistaxis, hémoptysies, hématuries et métrorrhagies.
e) Les hypererinies multiples, sudorale, urinaire, intestinale, survenues vers le déclin de la maladie et indiquant des efforts faits par l'organisme entier pour se débarrasser.
f) La longueur de la convalescence, même alors que la maladie avait été de courte durée, en montrant l'atteinte sinon grave du moins profonde dont l'organisme a été pénétré.
g) Enfin, si du circonscrit et du partiel on peut, par induction, conclure, jusqu'à un certain point, au général, l'origine probablement aussi infectieuse de certaines petites épidémies locales, ressemblant à celles que nous étudions et dont nous donnerons bientôt un résumé page 92, semble aussi être un nouvel argument en faveur du caractère infectieux de l'épidémie actuelle.
Nous voici maintenant arrivé à une des questions les plus importantes de notre étude, la démonstration de la contagiosité de l'épidémie qui a sévi à Baccarat et dans les environs, et qui n'était qu'une expansion de l'épidémie générale qui semble devoir faire le tour du monde.
Les preuves de cette contagion nous sont données par la marche générale de la maladie, par la manière dont elle a pénétré à Baccarat et de là, ensuite, dans les petites localités groupées autour de cette ville.
I. - Dans sa marche de l'Est vers l'Ouest, on a pu constater que la période maxima de l'épidémie avait eu lieu:
A Saint - Pétersbourg, dans la deuxième semaine de novembre.
A Stockolm et à Varsovie, dans la deuxième semaine de décembre;
A Vienne, à Berlin, à Kiel et à Dantzig, dans la troisième semaine de décembre;
A Paris, à Francfort-sur-le-Mein et à Hanovre, dans la quatrième semaine de décembre;
Puis, si nous suivons cette épidémie vers l'Est, à Nancy, dans la semaine du jour de l'an, à Lunéville et à Saint-Dié, dans la première semaine de janvier; à Baccarat, dans la seconde semaine; dans les villages très rapprochés de cette ville, dans la troisième et dans les autres, dans la quatrième du même mois. Cette marche envahissante par foyers successifs, survenus, non par hasard, mais par suite, ainsi que nous le verrons, de communications entre les malades et les individus sains, indépendants de la direction générale des vents, puisque, en ce qui concerne notre pays, nous le voyons atteint après Saint-Pétersbourg, après Paris, après Nancy, après Lunéville, doit, ce nous semble, être interprété comme un argument en faveur de la contagion plutôt que des causes atmosphériques et des vents d'Est vers l'Ouest.
D'autre part, l'épidémie, à partir du moment où elle a pénétré dans Baccarat, s'y est développée, par unités successives au début et à la fin, et par groupes au moment de son apogée. Une fois entrée dans une famille, s'il y a eu un grand nombre de malades atteints; d'habitude, ils ont été pris successivement à un ou quelques jours d'intervalle et non pas simultanément. Ce fait doit être rapporté comme un bon argument en faveur de la contagion. Quant au développement par groupes ou par masses, comme cela a eu lieu surtout dans les grandes villes, au moment surtout de la période maxima de l'épidémie, il ne doit pas être considéré comme, une preuve de non-contagion; puisqu'il a été précédé, comme cela a pu être constaté dans les petites localités, d'une période pendant laquelle les cas de maladie épars et disséminés ont été rattachés à la contagion, et alors, à un moment donné, sous l'influence de causes prédisposantes atmosphériques et individuelles, il a pu y avoir, encore par contagion, des masses d'individus tombés malades dans une même journée.
II. - D'autre part, l'épidémie a pénétré à Baccarat à la suite de nombreuses importations dont voici le résumé.
Première observation. - A la date du 14 décembre 1889, M. B., étant revenu de Saint-Cyr atteint par l'épidémie régnante, communiqua la maladie, quelques jours après son arrivée, aux enfants Charles S., Joseph F., Albert M. et Nicolas M., de sa maison, qui la portèrent dans leur famille, d'où l'affection se répandit dans les maisons voisines; et ainsi se développèrent, dans plusieurs quartiers de l'ancien Baccarat, des foyers multiples qui devinrent à leur tour des centres de contagion.
2° Sur un des points tout différents de la ville, rue de Frouard, nous vîmes de même, à la suite d'une visite faite par Mme B., le 18 décembre, à Lunéville, où commençait à régner l'épidémie, la maladie se propager, par cette dame atteinte le 19. dans sa famille, autour de chez elle et dans les familles D. et T. qui fréquentaient tous les jours sa maison.
3° Henri G.,revenu malade du lycée de C., le 20 décembre 1889, et en proie à un délire violent suivi de phénomènes catarrhaux de grande intensité, communiqua le germe de son affection à quatre personnes de sa famille sur six jusqu'alors très bien portantes et qui furent successivement atteintes à un ou trois jours d'intervalle.
4° Un autre collégien, Emile G, renvoyé du lycée de N. où il était à l'infirmerie depuis huit jours, n'ayant encore que des phénomènes nerveux avec un peu d'angine et une toux très légère, communiqua de même la maladie à trois personnes sur six de sa famille, habitant une maison située au centre de la ville, dans un quartier différent de ceux habités par les précédents. De là, la grippe infectieuse passa successivement dans les familles voisines C. et H. et dans celles de leur parenté B., Z. et N.
5° Enfin M. S..alors bien portant, habitant une maison située à l'extrémité du faubourg de H. et distante de plus d'un kilomètre des quartiers précédents, fut frappé le lendemain du jour (4 janvier 1890) où il était allé à Saint-Dié, dans sa famille où régnait l'épidémie. Il eut une fièvre catarrhale intense avec broncho-pneumonie. Le 7, ses deux enfants, jusque-là parfaitement sains, furent atteints, et le 8, ce fut le tour de la domestique. Aucun d'eux n'était sorti de la maison. Toutes les maisons de la même rue furent ensuite visitées par l'épidémie.
III. - De Baccarat surtout et des autres pays contaminés, l'épidémie a pénétré rapidement dans les villages environnants. Au point de vue qui nous occupe, ces derniers peuvent être divisés en trois groupes. Ceux, au nombre de quatre, dans lesquels la maladie a eu peu d'intensité et n'a pu être suivie pas à pas; ceux, comme Bertrichamps-Deneuvre qui envoient tous les jours, à l'usine de Baccarat, plusieurs centaines d'ouvriers et dans lesquels la grippe a pénétré pour ainsi dire d'emblée, ne permettaient pas, à l'observation, la dissociation rigoureuse des cas et partant la recherche de leur origine. Nous n'insisterons pas sur les communes appartenant a ces deux catégories. Voici, pour les autres, des faits de contagion intéressants.
6° Obs.-Gelacourt est un petit village de cent soixante-dix-huit habitants, à quatre kilomètres de Baccarat. La famille D., très nombreuse, a eu deux de ses enfants (ce sont les seuls de cette localité qui travaillent à la cristallerie) atteints par l'épidémie, le 4 janvier 1890, au moment où les autres ouvriers tombaient malades par cinquante à soixante-dix par jour. De retour dans leur famille, ils durent garder le lit pendant trois à cinq jours (formes nerveuse et respiratoire). Leurs autres frères et soeurs, au nombre de quatre, furent frappés à leur tour et successivement ; puis la maladie envahit les familles voisines: T., dans laquelle il y eut cinq personnes atteintes sur sept, et V. en ne laissant que le père indemne sur quatre. De là la maladie se répandit dans le village et atteignit environ un tiers de la population.
7° A Pettonville, autre petit village de cent soixante-cinq habitants, l'épidémie fut importée par un sieur P., meunier, qui, en voyageant, avait pris le germe de sa maladie à Domjevin, grosse localité où régnait déjà l'épidémie, venant de Lunéville. Il garda le lit du 8 au 12 janvier (formes gastrique et catarrhale), transmit son affection à deux personne; de sa famille, puis aux personnes (familles V. et T.) habitant autour du moulin. Celles-ci communiquèrent ensuite la maladie a tout le quartier.
8° Un peu après, mais provenant de la même source, la grippe épidémique envahit le petit village de Reclonville (canton de Blamont), par deux quartiers opposés. Dune part, C. marchand de vins, et bien portant, étant allé, le 14 janvier 1890, à l'enterrement d'un de ses amis habitant le village important de Marainvilliers (canton de Lunéville) où régnait l'épidémie grippale, se mit au lit le lendemain, eut une forme catarrhale grave avec congestion pulmonaire, asphyxie et dilatation du coeur, suivie de guérison.
Le surlendemain son fils aine fut grippé, puis le 18,ce fut le tour de la mère et, le 21, de deux autres enfants. Deux familles voisines ayant des relations journalières avec la famille C. eurent aussi des malades atteints de la même affection. D'autre part, la femme V., coquetière, se rendant pour son commerce toutes les semaines à Lunéville,y prit le germe d'une grippe infectieuse qu'elle communiqua a sa famille, jusque-là bien portante, et à quatre autres familles de son quartier.
9° Il y eut aussi une autre importation contagieuse dans le village de Vaxainville, due à l'arrivée, le 2 janvier 1890,dans sa famille d'une jeune fille pensionnaire d'une école de Baccarat. Se plaignant depuis quelques jours de céphalalgie fronto-orbitaire avec fièvre par moments et courbature générale, elle se coucha en arrivant chez elle, donna la maladie à sa soeur et à sa mère; puis, à la suite, aux familles G. M. et A., pparentes de la jeune fille qu'elles allaient voir tous les jours; enfin, l'épidémie se généralisa dans toute cette petite localité.
10° Plus loin, nous trouvons un autre village, Vacqueville, du canton de Baccarat, également contaminé par une importation très nette. Le 10 janvier 1890, alors que l'épidémie était à son apogée dans cette dernière ville, Emile V, maréchal ferrant,et tout à fait bien portant, y étant venu chercher du fer, dût s'aliter dès le lendemain à la suite de courbature avec fièvre, toux et vomissements bilieux. Il communiqua sa maladie à deux personnes de sa famille, puis à la plupart des personnes de son quartier.
Comme V. est en même temps épicier, une femme M.,habitant à l'autre extrémité du village, vint chez lui le 14 janvier, y prit aussi le germe de son affection, la communiqua aux familles N. C. et F. et ainsi se dissémina dans tout le village l'épidémie de Baccarat. Il y eut environ moitié de la population malade, sans aucun décès.
11° Voici maintenant comment fut envahi par la même épidémie un autre village des environs, Pexonne, situé à 2 kil. de Badonviller, son chef-lieu de canton, infecté lui-même à partir du 8 janvier 1890, avec période maxima du 20 au 25. Dans cette localité de Pexonne, où se trouve une importante usine de faïence opaque occupant près de cinq cents ouvriers, la grippe épidémique y pénétra par trois points principaux:
a) Par la famille F., dans laquelle arriva, déjà malade, de Lunéville où régnait en plein l'épidémie, madame G.,le 4 janvier 1890. Cette dame dut se mettre au lit dès son arrivée; et trois jours après tombèrent successivement malades trois de ses petits-enfants et les deux domestiques, qui, jusqu'à ce moment, étaient tous bien portants.
b) Par un aiguilleur de la gare de Pexonne, le sieur P. tombé malade (forme nerveuse et catarrhale) le 8 janvier, le lendemain du jour où il était monté pour lui serrer la main dans le compartiment de l'un de ses camarades, également aiguilleur, à la gare de Badonviller, le nommé D.,alors fortement grippé et revenant de Baccarat où il était allé consulter le médecin. Il communiqua aussi la maladie à deux personnes de sa famille et aux employés de la gare.
c) Enfin, par les ouvriers de Badonviller, travaillant à l'usine de Pexonne et qui, tous les matins, au nombre de près de deux cents, se rendent à leur travail. De tous ces différents foyers, l'épidémie rayonna dans tout le village et atteignit un bon tiers de la population.
12° Voici encore un exemple de contagion épidémique qui nous a été fourni par un jeune homme F. Auguste, habitant avec sa famille une des quatre maisons de ferme de V. (canton de Rambervillers). A la suite d'une visite chez ses parents, habitant Baccarat, où étaient couchées ses deux soeurs atteintes de bronchite grippale, il tomba malade, eut tous les symptômes d'une grippe catarrhale et gastrique et donna ensuite le germe de l'épidémie aux personnes des familles V. et S., demeurant à côté de chez lui et qui étaient venues le voir à tout instant.
Nous venons de démontrer que l'épidémie actuelle de Baccarat et des environs avait revêtu un caractère infectio-contagieux. Cette doctrine de la contagion de la grippe n'a été jusqu'ici appuyée que sur un petit nombre de faits, rapportés par les docteurs Blanc, à Dijon (1860); Champouillon (1867), Hérard (1868), Desplats (1873), Bertholle (1876), A. Ollivier (1875).Nous pensons cependant que de nouvelles preuves de contagiosité ne tarderont pas à être fournies, par l'observation clinique d'abord puis par l'examen microscopique et les cultures.
Aujourd'hui, si l'on ne connaît pa,s encore le microbe spécifique de la grippe, on sait du moins qu'il existe dans le sang, les organes et certaines sécrétions plusieurs bacilles, entre autres le streptocoque et le pneumocoque de Friedlander et de Talamon (Ch. Bouchard, Leyden, Vaillard, du Cazal, etc);et les observations ultérieures montreront sans doute s'il ne s'agit pas là, comme le pensent le professeur Bouchard, MM. Chantemesse et Widal, de microbes développés en nous par infection secondaire et y résidant, inertes, à l'état normal.
En résumé si, comme nous l'espérons, le caractère infectio-contagieux de l'épidémie actuelle est démontré par les observations ultérieures de nos confrères, nous ne voyons pas pourquoi la grippe, comme les autres pyrexies, ne mériterait pas, la dénomination de fièvre grippale. De cette façon pourraient peut-être se trouver satisfaits ceux qui, frappés de certains caractères symptomatiques insolites de l'épidémie régnante, comparée à la grippe catarrhale vulgaire, si bien mis en évidence par M. Bucquov, voudraient, malgré l'insistance de MM. Brouardel, L. Colin, Le Roy de Méricourt, adopter à la place du mot grippe celui d'influenza ou encore celui de dengue.

Addenda
Nous avons dit plus haut que le caractère infectieux de la fièvre grippale pouvait tenir à des émanations putrides.
Depuis vingt ans, nous n'avons vu se développer, à Baccarat (et je crois qu'il en est de même dans beaucoup de villes), aucune épidémie locale de fièvre grippale, semblable au point de vue symptomatique à l'épidémie régnante.
Au contraire, dans les villages du voisinage, il n'est guère d'années où nous ne puissions observer quelques foyers de grippe infectieuse, comparables, pour les signes cliniques, à la maladie dont nous venons de tracer l'histoire. Pourquoi cela ? Si les autres conditions étiologiques, météorologiques (froid, humidité, brouillards, vents d'est) et individuelles (affaiblissement de l'organisme, surmènement, tares diverses du coté des muqueuses respiratoire et gastrique) sont les mêmes dans les petites communes envahies que dans celles qui ne l'ont pas été, il faut bien que, dans les premières, il y ait autre chose; c'est l'existence d'émanations miasmatiques. Sans parler des causes générales d'insalubrité, fosses à purin et fumiers placés près des habitations, conduits d'égouts souvent obstrués et traversant les maisons, eaux de boissons fournies par des pompes ménagères, souvent contaminées par des infiltrations de voisinage, (dans un des villages réputés les plus sains, nous avons trouvé, sur 128 pompes ménagères 78 donnant par intervalles rapprochés de l'eau manifestement souillée par des matières organiques), il est d'autres localités qui nous ont présenté, au moment où nous avons observé les épidémies circonscrites de fièvre grippale dont nous avons parlé, d'autres causes particulières d'insalubrité (dépôts de matières végétales en décomposition, ruisseaux et mares d'eau marécageuses aux extrémités-des villages, etc.).
Parmi les épidémies circonscrites de grippe infectieuse que nous avons observées depuis 1871, nous indiquerons seulement les suivantes: 1° épidémie d'Ogeviler 1873 (568 habitants,) survenue le 15 mars, ayant atteint, jusqu'au 2 mai, 125 personnes avec 6 décès consécutifs à la bronchite et à la pneumonie et causée principalement par des dépôts en voie de fermentation de pelures d'osier disséminés dans le village.
2° Epidémie de Hablainville 1875 (420 habitants) ayant atteint 81 personnes dont 17 décès, par pneumonies, soit 1/25 de la population totale du 28 janvier au 25 mai suivant. Cette épidémie, la plus cruelle que nous ayions observée, et qui a été publiée dans les Archives générales de médecine [nos de sept, et oct. 1883 et tirage à part, chez Asselin (Considérations sur l'étiologie de la pneumonie lobaire, p. 38 et suivantes] a surtout été remarquable, outre sa mortalité excessive, par ce fait que les pneumonies, au lieu de survenir vers le déclin de l'épidémie, se sont montrées uniquement au début à cause du froid vit avec vent du N.-E., ciel pur et persistance de dépôts de neige dans les fossés et les montagnes voisines ; à la fin, à raison de la reprise du froid au moment des premiers travaux de la campagne. Nous lui avons attribué aussi, indépendamment des causes banales, une origine miasmatique, en rapport avec les fossés de drainage laissés à découvert dans toute la partie du village où a existé l'épidémie et remplis de tuyaux en bois pourri imprégnés de substances organiques.
3° Epidémie de Vacqueville 1875, (754 hab. ) qui détermina 38 cas de maladie et 8 décès. Elle fut causée par les émanations provenant d'une mare d'égouts placée au N.-E. du hameau de Xermamont et propagées par les vents d'Est, car les autres parties du village placées plus au nord avaient été totalement épargnées.
4° Epidémie de Fontenoy 1880 (612 hab.), avant atteint 48 personnes, sur lesquelles il y eut 4 cas de mort, par pneumonie, habitant toutes, à l'exception de six, autour d'une mare d'eau servant d'abreuvoir aux animaux.
5° Epidémie de Meuil, près Rambervillers, 1887 (720 hab.) ayant porté sur 40 malades, habitant le môme quartier et en rapports journaliers. On compta 7 décès sur 9 personnes atteintes par pneumonie et bronchite capillaire. Au bas de ce quartier est aussi une mare d'eau, continue au ruisseau.
6° Epidémie de Menarmont 1883 (180 hab.) ayant déterminé 68 cas de maladie. Ce village est particulièrement malpropre, enfoncé avec un ruisseau marécageux.

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