Gazette
hebdomadaire de médecine et de chirurgie
22 février 1890
Note sur l'épidémie actuelle de fièvre grippale survenue à
Baccarat et dans les environs, par le Dr A. Alison, ancien
interne des hôpitaux de Paris.
Si jamais épidémie a eu un
caractère général, c'est bien celle à laquelle nous assistons.
Partie de Saint-Pétersbourg, elle a successivement envahi les
grandes capitales de l'Europe, s'avançant maintenant dans le
nouveau monde. Dans la mémorable discussion qui a eu lieu à
notre Académie de médecine le 17 décembre 1889 et à laquelle ont
pris part MM. Proust, Brouardel, L. Colin, Bucquoy, Olivier,
Bouchard, Dujardin-Beaumetz et Le Roy de Méricourt, il a été
amplement démontré, ainsi que du reste cela avait été aussi
généralement admis à la Société de médecine interne de Berlin
(16 octobre 1889 et 6 janvier 1890), que, malgré certains
caractères insolites de l'épidémie actuelle, il s'agissait bien
évidemment d'une affection grippale et non de la fièvre dengue.
De Paris, comme des autres grandes villes, sont sorties diverses
expansions épidémiques qui, pour ce qui concerne surtout notre
région de l'Est, ont atteint successivement Nancy, Lunéville,
Saint-Dié, Baccarat, Raon l'Etape et les autres localités de
moindre importance. A Baccarat, ville de 6,000 habitants, assise
sur les deux rives de la Meurthe, pourvue abondamment d'une eau
de montagne excellente et soigneusement captée, l'épidémie a
régné du 22 octobre 1889 au 25 janvier 1890 et a acquis son
apogée du 2 au 17 janvier. Dans l'espace de quinze jours,
presque la moitié de la ville fut atteinte. La population
ouvrière fut frappée quelques jours après la population de la
ville, et à peu près dans les mêmes proportions. Du 2 au 12
janvier 1890, sur 2,025 ouvriers dont se compose la cristallerie
280 verriers et 480 tailleurs tombèrent malades. Après Baccarat,
vint le tour des villages voisins, lesquels, au nombre d'une
quinzaine, furent tous successivement visités par l'épidémie.
Dans chacun, une bonne moitié de la population paya son tribut à
l'épidémie. Il y eut ainsi plus de 4,000 personnes qui furent
obligées de suspendre leur travail ou de s'aliter. En ce qui
concerne Baccarat, nous avons eu nous-môme en l'espace de quinze
jours, à donner des soins continus à près de deux cents malades.
Nous devons faire remarquer ici que la constitution médicale de
Baccarat était excellente lorsqu'est survenue l'épidémie. A
peine s'il existait, comme à la même période des années
précédentes, un nombre égal d'angines, de laryngo-bronchites et
d'embarras gastriques. Sauf dans quelques villages, comme
Reherry et Glonville, localités du reste peu atteintes par
l'épidémie actuelle et où avaient existé quelques cas de
maladies des voies digestives et respiratoires, on peut dire que
le canton de Baccarat se trouvait dans un état sanitaire aussi
bon que possible lorsque la grippe y a fait invasion.
Cette affection eut des caractères symptomatiques semblables à
ceux qui furent constatés partout, de Saint-Pétersbourg à Paris,
a Nancy et ailleurs. Ses formes, comme cela est ordinaire,
furent extrêmement variées, non seulement suivant la période de
la maladie, mais encore suivant l'âge (les formes nerveuse et
gastrique nous ayant paru plus fréquentes chez les enfants) et
la tare organique constitutionnelle de l'individu. Sous ce
dernier rapport, rien de plus fréquent que de constater, parmi
les membres d'une même famille, à côté de la forme nerveuse chez
les uns, la forme gastrique chez d'autres et la prédominance
catarrhale chez un troisième. Presque toujours, même, ces formes
étaient associées dans des combinaisons différentes. C'est du
moins ce qui ressort de l'observation des cent
quatre-vingt-douze malades que nous avons suivis du 2 au 18
janvier 1890. Quant aux complications, nous les signalons plus
bas en parlant du caractère infectieux de la maladie. La
mortalité fut cependant minime; et, pour Baccarat, il n'y eut
que dix décès qu'on pût mettre sur le compte de l'épidémie et
qui survinrent chez des vieillards, des cachectiques, des
bronchitiques et des cardiaques. A la campagne la mortalité fut
encore moindre, la maladie ayant eu souvent une intensité moins
considérable. Dans presque tous les cas, la mort fut le résultat
de complications thoraciques.
Nous arrivons ainsi à ce qui fait plus particulièrement le sujet
de ce travail, l'étiologie de la maladie et plus spécialement la
démonstration du caractère infectio-contagieux de l'épidémie. Il
y a lieu, en effet, dé nous demander si, indépendamment des
causes atmosphériques de la grippe (variations brusques de la
température, froid, dégel et humidité, vents d'est, vifs et
glacés, brouillards, persistance de la neige) et de ses causes
organiques et individuelles, surmenage physique et intellectuel,
activité après une période de sédentarité excessive,
constitution arthritique, prédisposition catarrhale des
muqueuses respiratoire et stomacale, si, disons-nous, la maladie
n'est pas infectieuse et contagieuse.
Et tout d'abord, le caractère infectieux de l'épidémie actuelle
nous parait démontré par les considérations suivantes:
a) Il y a eu, comme pour les autres épidémies nettement
infectieuses, la fièvre typhoïde, par exemple, une période
d'apogée précédée d'augment ou d'incubation et suivie d'une
autre période, de déclin. En général les cas de maladie, épars
et plus légers au début, sont devenus plus fréquents et ont
acquis plus d'intensité au fur et à mesure que vieillissait
l'épidémie.
b) Si les prodromes ont été, en général, peu marqués, et, en
tous cas, hors de proportion avec le début souvent brusque et
intense de la maladie, ils ont cependant existé dans la grande
majorité des cas; c'étaient surtout des cauchemars, un peu
d'insomnie, de céphalée et d'élancements névralgiques passagers
ou un peu de nausées, d'anorexie ou bien encore quelques
phénomènes catarrhaux de peu d'importance, enchifrènement, toux,
état voilé de la voix, tout cela avec un certain caractère
général de courbature et quelquefois de faiblesse syncopale.
c) L'état de la fièvre, précédée de frissons et souvent avec
défervescence brusque, dans le cas d'absence de déterminations
locales. Cette terminaison de la fièvre en lysis, comme dans la
pneumonie, constitue un dos bons caractères des maladies
infectieuses.
Les frissons du début n'ont pas fait défaut, même alors que la
fièvre affectait, comme cela avait lieu dans les formes
chroniques ou traînantes, un type rémittent ou à reprises, comme
dit le professeur Jaccoud.
d) Ses déterminations ou complications générales si nombreuses
survenues pendant le cours de la maladie et montrant que
l'organisme entier pouvait être imprégné par l'affection
épidémique. C'est ainsi qu'on a noté et que nous avons pu
nous-même constater la plupart de ces complications; du coté du
cerveau, la prostration, le coma et quelquefois un délire
violent (adolescent à cerveau surmené); du côté du coeur de l'endo-péricardite,
de la dilatation du coeur avec asystolie comme Bucquoy l'avait
déjà constaté en 1875, et que nous avons notée aussi dans cinq
cas chez des artérioscléreux; du côté des voies respiratoires,
des congestions et des pneumonies graves ataxo-adynamiques; du
côté des reins, de l'albuminurie ; enfin, quelquefois, des
otites suppurées et des troubles visuels, de la polyadénito
cervicale et du gonflement de la rate ; des hémorragies
diverses, épistaxis, hémoptysies, hématuries et métrorrhagies.
e) Les hypererinies multiples, sudorale, urinaire, intestinale,
survenues vers le déclin de la maladie et indiquant des efforts
faits par l'organisme entier pour se débarrasser.
f) La longueur de la convalescence, même alors que la maladie
avait été de courte durée, en montrant l'atteinte sinon grave du
moins profonde dont l'organisme a été pénétré.
g) Enfin, si du circonscrit et du partiel on peut, par
induction, conclure, jusqu'à un certain point, au général,
l'origine probablement aussi infectieuse de certaines petites
épidémies locales, ressemblant à celles que nous étudions et
dont nous donnerons bientôt un résumé page 92, semble aussi être
un nouvel argument en faveur du caractère infectieux de
l'épidémie actuelle.
Nous voici maintenant arrivé à une des questions les plus
importantes de notre étude, la démonstration de la contagiosité
de l'épidémie qui a sévi à Baccarat et dans les environs, et qui
n'était qu'une expansion de l'épidémie générale qui semble
devoir faire le tour du monde.
Les preuves de cette contagion nous sont données par la marche
générale de la maladie, par la manière dont elle a pénétré à
Baccarat et de là, ensuite, dans les petites localités groupées
autour de cette ville.
I. - Dans sa marche de l'Est vers l'Ouest, on a pu constater que
la période maxima de l'épidémie avait eu lieu:
A Saint - Pétersbourg, dans la deuxième semaine de novembre.
A Stockolm et à Varsovie, dans la deuxième semaine de décembre;
A Vienne, à Berlin, à Kiel et à Dantzig, dans la troisième
semaine de décembre;
A Paris, à Francfort-sur-le-Mein et à Hanovre, dans la quatrième
semaine de décembre;
Puis, si nous suivons cette épidémie vers l'Est, à Nancy, dans
la semaine du jour de l'an, à Lunéville et à Saint-Dié, dans la
première semaine de janvier; à Baccarat, dans la seconde
semaine; dans les villages très rapprochés de cette ville, dans
la troisième et dans les autres, dans la quatrième du même mois.
Cette marche envahissante par foyers successifs, survenus, non
par hasard, mais par suite, ainsi que nous le verrons, de
communications entre les malades et les individus sains,
indépendants de la direction générale des vents, puisque, en ce
qui concerne notre pays, nous le voyons atteint après
Saint-Pétersbourg, après Paris, après Nancy, après Lunéville,
doit, ce nous semble, être interprété comme un argument en
faveur de la contagion plutôt que des causes atmosphériques et
des vents d'Est vers l'Ouest.
D'autre part, l'épidémie, à partir du moment où elle a pénétré
dans Baccarat, s'y est développée, par unités successives au
début et à la fin, et par groupes au moment de son apogée. Une
fois entrée dans une famille, s'il y a eu un grand nombre de
malades atteints; d'habitude, ils ont été pris successivement à
un ou quelques jours d'intervalle et non pas simultanément. Ce
fait doit être rapporté comme un bon argument en faveur de la
contagion. Quant au développement par groupes ou par masses,
comme cela a eu lieu surtout dans les grandes villes, au moment
surtout de la période maxima de l'épidémie, il ne doit pas être
considéré comme, une preuve de non-contagion; puisqu'il a été
précédé, comme cela a pu être constaté dans les petites
localités, d'une période pendant laquelle les cas de maladie
épars et disséminés ont été rattachés à la contagion, et alors,
à un moment donné, sous l'influence de causes prédisposantes
atmosphériques et individuelles, il a pu y avoir, encore par
contagion, des masses d'individus tombés malades dans une même
journée.
II. - D'autre part, l'épidémie a pénétré à Baccarat à la suite
de nombreuses importations dont voici le résumé.
Première observation. - A la date du 14 décembre 1889, M. B.,
étant revenu de Saint-Cyr atteint par l'épidémie régnante,
communiqua la maladie, quelques jours après son arrivée, aux
enfants Charles S., Joseph F., Albert M. et Nicolas M., de sa
maison, qui la portèrent dans leur famille, d'où l'affection se
répandit dans les maisons voisines; et ainsi se développèrent,
dans plusieurs quartiers de l'ancien Baccarat, des foyers
multiples qui devinrent à leur tour des centres de contagion.
2° Sur un des points tout différents de la ville, rue de
Frouard, nous vîmes de même, à la suite d'une visite faite par
Mme B., le 18 décembre, à Lunéville, où commençait à régner
l'épidémie, la maladie se propager, par cette dame atteinte le
19. dans sa famille, autour de chez elle et dans les familles D.
et T. qui fréquentaient tous les jours sa maison.
3° Henri G.,revenu malade du lycée de C., le 20 décembre 1889,
et en proie à un délire violent suivi de phénomènes catarrhaux
de grande intensité, communiqua le germe de son affection à
quatre personnes de sa famille sur six jusqu'alors très bien
portantes et qui furent successivement atteintes à un ou trois
jours d'intervalle.
4° Un autre collégien, Emile G, renvoyé du lycée de N. où il
était à l'infirmerie depuis huit jours, n'ayant encore que des
phénomènes nerveux avec un peu d'angine et une toux très légère,
communiqua de même la maladie à trois personnes sur six de sa
famille, habitant une maison située au centre de la ville, dans
un quartier différent de ceux habités par les précédents. De là,
la grippe infectieuse passa successivement dans les familles
voisines C. et H. et dans celles de leur parenté B., Z. et N.
5° Enfin M. S..alors bien portant, habitant une maison située à
l'extrémité du faubourg de H. et distante de plus d'un kilomètre
des quartiers précédents, fut frappé le lendemain du jour (4
janvier 1890) où il était allé à Saint-Dié, dans sa famille où
régnait l'épidémie. Il eut une fièvre catarrhale intense avec
broncho-pneumonie. Le 7, ses deux enfants, jusque-là
parfaitement sains, furent atteints, et le 8, ce fut le tour de
la domestique. Aucun d'eux n'était sorti de la maison. Toutes
les maisons de la même rue furent ensuite visitées par
l'épidémie.
III. - De Baccarat surtout et des autres pays contaminés,
l'épidémie a pénétré rapidement dans les villages environnants.
Au point de vue qui nous occupe, ces derniers peuvent être
divisés en trois groupes. Ceux, au nombre de quatre, dans
lesquels la maladie a eu peu d'intensité et n'a pu être suivie
pas à pas; ceux, comme Bertrichamps-Deneuvre qui envoient tous
les jours, à l'usine de Baccarat, plusieurs centaines d'ouvriers
et dans lesquels la grippe a pénétré pour ainsi dire d'emblée,
ne permettaient pas, à l'observation, la dissociation rigoureuse
des cas et partant la recherche de leur origine. Nous
n'insisterons pas sur les communes appartenant a ces deux
catégories. Voici, pour les autres, des faits de contagion
intéressants.
6° Obs.-Gelacourt est un petit village de cent soixante-dix-huit
habitants, à quatre kilomètres de Baccarat. La famille D., très
nombreuse, a eu deux de ses enfants (ce sont les seuls de cette
localité qui travaillent à la cristallerie) atteints par
l'épidémie, le 4 janvier 1890, au moment où les autres ouvriers
tombaient malades par cinquante à soixante-dix par jour. De
retour dans leur famille, ils durent garder le lit pendant trois
à cinq jours (formes nerveuse et respiratoire). Leurs autres
frères et soeurs, au nombre de quatre, furent frappés à leur
tour et successivement ; puis la maladie envahit les familles
voisines: T., dans laquelle il y eut cinq personnes atteintes
sur sept, et V. en ne laissant que le père indemne sur quatre.
De là la maladie se répandit dans le village et atteignit
environ un tiers de la population.
7° A Pettonville, autre petit village de cent soixante-cinq
habitants, l'épidémie fut importée par un sieur P., meunier,
qui, en voyageant, avait pris le germe de sa maladie à Domjevin,
grosse localité où régnait déjà l'épidémie, venant de Lunéville.
Il garda le lit du 8 au 12 janvier (formes gastrique et
catarrhale), transmit son affection à deux personne; de sa
famille, puis aux personnes (familles V. et T.) habitant autour
du moulin. Celles-ci communiquèrent ensuite la maladie a tout le
quartier.
8° Un peu après, mais provenant de la même source, la grippe
épidémique envahit le petit village de Reclonville (canton de
Blamont), par deux quartiers opposés. Dune part, C. marchand de
vins, et bien portant, étant allé, le 14 janvier 1890, à
l'enterrement d'un de ses amis habitant le village important de
Marainvilliers (canton de Lunéville) où régnait l'épidémie
grippale, se mit au lit le lendemain, eut une forme catarrhale
grave avec congestion pulmonaire, asphyxie et dilatation du
coeur, suivie de guérison.
Le surlendemain son fils aine fut grippé, puis le 18,ce fut le
tour de la mère et, le 21, de deux autres enfants. Deux familles
voisines ayant des relations journalières avec la famille C.
eurent aussi des malades atteints de la même affection. D'autre
part, la femme V., coquetière, se rendant pour son commerce
toutes les semaines à Lunéville,y prit le germe d'une grippe
infectieuse qu'elle communiqua a sa famille, jusque-là bien
portante, et à quatre autres familles de son quartier.
9° Il y eut aussi une autre importation contagieuse dans le
village de Vaxainville, due à l'arrivée, le 2 janvier 1890,dans
sa famille d'une jeune fille pensionnaire d'une école de
Baccarat. Se plaignant depuis quelques jours de céphalalgie
fronto-orbitaire avec fièvre par moments et courbature générale,
elle se coucha en arrivant chez elle, donna la maladie à sa soeur
et à sa mère; puis, à la suite, aux familles G. M. et A.,
pparentes de la jeune fille qu'elles allaient voir tous les
jours; enfin, l'épidémie se généralisa dans toute cette petite
localité.
10° Plus loin, nous trouvons un autre village, Vacqueville, du
canton de Baccarat, également contaminé par une importation très
nette. Le 10 janvier 1890, alors que l'épidémie était à son
apogée dans cette dernière ville, Emile V, maréchal ferrant,et
tout à fait bien portant, y étant venu chercher du fer, dût
s'aliter dès le lendemain à la suite de courbature avec fièvre,
toux et vomissements bilieux. Il communiqua sa maladie à deux
personnes de sa famille, puis à la plupart des personnes de son
quartier.
Comme V. est en même temps épicier, une femme M.,habitant à
l'autre extrémité du village, vint chez lui le 14 janvier, y
prit aussi le germe de son affection, la communiqua aux familles
N. C. et F. et ainsi se dissémina dans tout le village
l'épidémie de Baccarat. Il y eut environ moitié de la population
malade, sans aucun décès.
11° Voici maintenant comment fut envahi par la même épidémie un
autre village des environs, Pexonne, situé à 2 kil. de
Badonviller, son chef-lieu de canton, infecté lui-même à partir
du 8 janvier 1890, avec période maxima du 20 au 25. Dans cette
localité de Pexonne, où se trouve une importante usine de
faïence opaque occupant près de cinq cents ouvriers, la grippe
épidémique y pénétra par trois points principaux:
a) Par la famille F., dans laquelle arriva, déjà malade, de
Lunéville où régnait en plein l'épidémie, madame G.,le 4 janvier
1890. Cette dame dut se mettre au lit dès son arrivée; et trois
jours après tombèrent successivement malades trois de ses
petits-enfants et les deux domestiques, qui, jusqu'à ce moment,
étaient tous bien portants.
b) Par un aiguilleur de la gare de Pexonne, le sieur P. tombé
malade (forme nerveuse et catarrhale) le 8 janvier, le lendemain
du jour où il était monté pour lui serrer la main dans le
compartiment de l'un de ses camarades, également aiguilleur, à
la gare de Badonviller, le nommé D.,alors fortement grippé et
revenant de Baccarat où il était allé consulter le médecin. Il
communiqua aussi la maladie à deux personnes de sa famille et
aux employés de la gare.
c) Enfin, par les ouvriers de Badonviller, travaillant à l'usine
de Pexonne et qui, tous les matins, au nombre de près de deux
cents, se rendent à leur travail. De tous ces différents foyers,
l'épidémie rayonna dans tout le village et atteignit un bon
tiers de la population.
12° Voici encore un exemple de contagion épidémique qui nous a
été fourni par un jeune homme F. Auguste, habitant avec sa
famille une des quatre maisons de ferme de V. (canton de
Rambervillers). A la suite d'une visite chez ses parents,
habitant Baccarat, où étaient couchées ses deux soeurs atteintes
de bronchite grippale, il tomba malade, eut tous les symptômes
d'une grippe catarrhale et gastrique et donna ensuite le germe
de l'épidémie aux personnes des familles V. et S., demeurant à
côté de chez lui et qui étaient venues le voir à tout instant.
Nous venons de démontrer que l'épidémie actuelle de Baccarat et
des environs avait revêtu un caractère infectio-contagieux.
Cette doctrine de la contagion de la grippe n'a été jusqu'ici
appuyée que sur un petit nombre de faits, rapportés par les
docteurs Blanc, à Dijon (1860); Champouillon (1867), Hérard
(1868), Desplats (1873), Bertholle (1876), A. Ollivier
(1875).Nous pensons cependant que de nouvelles preuves de
contagiosité ne tarderont pas à être fournies, par l'observation
clinique d'abord puis par l'examen microscopique et les
cultures.
Aujourd'hui, si l'on ne connaît pa,s encore le microbe
spécifique de la grippe, on sait du moins qu'il existe dans le
sang, les organes et certaines sécrétions plusieurs bacilles,
entre autres le streptocoque et le pneumocoque de Friedlander et
de Talamon (Ch. Bouchard, Leyden, Vaillard, du Cazal, etc);et
les observations ultérieures montreront sans doute s'il ne
s'agit pas là, comme le pensent le professeur Bouchard, MM.
Chantemesse et Widal, de microbes développés en nous par
infection secondaire et y résidant, inertes, à l'état normal.
En résumé si, comme nous l'espérons, le caractère infectio-contagieux
de l'épidémie actuelle est démontré par les observations
ultérieures de nos confrères, nous ne voyons pas pourquoi la
grippe, comme les autres pyrexies, ne mériterait pas, la
dénomination de fièvre grippale. De cette façon pourraient
peut-être se trouver satisfaits ceux qui, frappés de certains
caractères symptomatiques insolites de l'épidémie régnante,
comparée à la grippe catarrhale vulgaire, si bien mis en
évidence par M. Bucquov, voudraient, malgré l'insistance de MM.
Brouardel, L. Colin, Le Roy de Méricourt, adopter à la place du
mot grippe celui d'influenza ou encore celui de dengue.
Addenda
Nous avons dit plus haut que le caractère infectieux de la
fièvre grippale pouvait tenir à des émanations putrides.
Depuis vingt ans, nous n'avons vu se développer, à Baccarat (et
je crois qu'il en est de même dans beaucoup de villes), aucune
épidémie locale de fièvre grippale, semblable au point de vue
symptomatique à l'épidémie régnante.
Au contraire, dans les villages du voisinage, il n'est guère
d'années où nous ne puissions observer quelques foyers de grippe
infectieuse, comparables, pour les signes cliniques, à la
maladie dont nous venons de tracer l'histoire. Pourquoi cela ?
Si les autres conditions étiologiques, météorologiques (froid,
humidité, brouillards, vents d'est) et individuelles
(affaiblissement de l'organisme, surmènement, tares diverses du
coté des muqueuses respiratoire et gastrique) sont les mêmes
dans les petites communes envahies que dans celles qui ne l'ont
pas été, il faut bien que, dans les premières, il y ait autre
chose; c'est l'existence d'émanations miasmatiques. Sans parler
des causes générales d'insalubrité, fosses à purin et fumiers
placés près des habitations, conduits d'égouts souvent obstrués
et traversant les maisons, eaux de boissons fournies par des
pompes ménagères, souvent contaminées par des infiltrations de
voisinage, (dans un des villages réputés les plus sains, nous
avons trouvé, sur 128 pompes ménagères 78 donnant par
intervalles rapprochés de l'eau manifestement souillée par des
matières organiques), il est d'autres localités qui nous ont
présenté, au moment où nous avons observé les épidémies
circonscrites de fièvre grippale dont nous avons parlé, d'autres
causes particulières d'insalubrité (dépôts de matières végétales
en décomposition, ruisseaux et mares d'eau marécageuses aux
extrémités-des villages, etc.).
Parmi les épidémies circonscrites de grippe infectieuse que nous
avons observées depuis 1871, nous indiquerons seulement les
suivantes: 1° épidémie d'Ogeviler 1873 (568 habitants,) survenue
le 15 mars, ayant atteint, jusqu'au 2 mai, 125 personnes avec 6
décès consécutifs à la bronchite et à la pneumonie et causée
principalement par des dépôts en voie de fermentation de pelures
d'osier disséminés dans le village.
2° Epidémie de Hablainville 1875 (420 habitants) ayant atteint
81 personnes dont 17 décès, par pneumonies, soit 1/25 de la
population totale du 28 janvier au 25 mai suivant. Cette
épidémie, la plus cruelle que nous ayions observée, et qui a été
publiée dans les Archives générales de médecine [nos de sept, et
oct. 1883 et tirage à part, chez Asselin (Considérations sur
l'étiologie de la pneumonie lobaire, p. 38 et suivantes] a
surtout été remarquable, outre sa mortalité excessive, par ce
fait que les pneumonies, au lieu de survenir vers le déclin de
l'épidémie, se sont montrées uniquement au début à cause du
froid vit avec vent du N.-E., ciel pur et persistance de dépôts
de neige dans les fossés et les montagnes voisines ; à la fin, à
raison de la reprise du froid au moment des premiers travaux de
la campagne. Nous lui avons attribué aussi, indépendamment des
causes banales, une origine miasmatique, en rapport avec les
fossés de drainage laissés à découvert dans toute la partie du
village où a existé l'épidémie et remplis de tuyaux en bois
pourri imprégnés de substances organiques.
3° Epidémie de Vacqueville 1875, (754 hab. ) qui détermina 38
cas de maladie et 8 décès. Elle fut causée par les émanations
provenant d'une mare d'égouts placée au N.-E. du hameau de
Xermamont et propagées par les vents d'Est, car les autres
parties du village placées plus au nord avaient été totalement
épargnées.
4° Epidémie de Fontenoy 1880 (612 hab.), avant atteint 48
personnes, sur lesquelles il y eut 4 cas de mort, par pneumonie,
habitant toutes, à l'exception de six, autour d'une mare d'eau
servant d'abreuvoir aux animaux.
5° Epidémie de Meuil, près Rambervillers, 1887 (720 hab.) ayant
porté sur 40 malades, habitant le môme quartier et en rapports
journaliers. On compta 7 décès sur 9 personnes atteintes par
pneumonie et bronchite capillaire. Au bas de ce quartier est
aussi une mare d'eau, continue au ruisseau.
6° Epidémie de Menarmont 1883 (180 hab.) ayant déterminé 68 cas
de maladie. Ce village est particulièrement malpropre, enfoncé
avec un ruisseau marécageux. |