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1916 - Secteur de Parroy-Vého


Jean-Auguste-Gustave Binet (1875-1940), dit Binet-Valmer, est né à Genève, mais en 1914, il se fait naturaliser français, et s'engage dans l'armée le 11 août 1914. En 1916, il est sous-lieutenant au 3ème groupe d'automitrailleuses de la 8ème division de cavalerie du général Baratier qui occupe le secteur de la forêt de Parroy du 30 avril au 23 juillet 1916.


Mémoires d'un engagé volontaire,
par Binet-Valmer, citoyen genevois
Ed. Paris 1918

FORÊTS DE LORRAINE.

Les marins nous ont quittés. Le capitaine Cigli est retourné à la brigade. Nous avons eu du chagrin... Ce départ était inévitable, nous l'attendions, il faut des matelots sur les chalands toujours plus nombreux, qui patrouillent dans la mer du Nord; mais, privés de nos «  demoiselles » et de notre chef, nous perdons confiance.
Dans cette guerre, la cavalerie et les formations qui lui sont rattachées souffrent d'angoisse morale.
Inutiles, méprisés parfois, nous travaillons plus que les autres. On nous demande de rester une troupe mobile, apte à la poursuite, au service en campagne, métier délicat. On interrompt notre entraînement pour nous envoyer aux tranchées boucher les trous. (Censuré)...
Hommes et gradés font demande sur demande afin d'être employés ailleurs. Le personnel de l'aviation a été vivifié par les apports de la cavalerie, les cadres des chasseurs à pied regorgent d'anciens dragons. Ouvrez l'annuaire, l'infanterie nous dépasse à peine dans la proportion des morts.
- Il faut nous en aller, dis-je à Colonna.
L'isolement où nous a laissés la perte de Cigli nous rapproche davantage. Notre nouveau capitaine, tout chamarré de croix, est un de ces heureux qu'une grande blessure reçue au début de la campagne, a tenu depuis lors à l'écart des combats.
- Patience! répond Colonna.
Et, dans l'intervalle des manoeuvres, nous jouons avec nos chiens.
J'ai ramené de permission un bull-dog. Il se nommait Rostand. Je l'ai appelé Rostie par déférence pour le poète. Il n'est pas très beau, mais il a des attitudes amusantes, de gros yeux qui comprennent, des épaules larges, écrasées par une lourde nuque et une tête puissante. Mon ordonnance Bourdon l'adore, et je l'aime, moi aussi. Le fox-terrier Jim est son compagnon. Bien des villages de Lorraine se souviennent des deux officiers mélancoliques, éternellement suivis par Jim qui gambade, et Rostie dont la silhouette attire le regard.
Nous ne nous sentons plus une troupe d'élite. La guerre de mouvement s'éloigne, tel un paradis. Ce printemps 1916 exige de la patience. D'une permission à l'autre, on compte les jours. Une mauvaise bronchite me jette au lit, au moment que notre groupe va cantonner à Lunéville. La 8e division est chargée de garder la forêt de Parroy.
Pendant ma maladie, j'ai le temps de réfléchir. Qu'ai-je fait depuis un an ? Rien, et ce n'est pas la volonté qui me manque. Ma section, trois voitures blindées, vaut la section de Colonna. J'ai essayé d'être un bon officier, mais quels services ai-je rendus ? N'aurais-je pas été plus utile en employant pour la France le peu de talent que j'ai et la sonorité que dix volumes ont donnée à mon nom ? Question des compétences ! Peut-être est-elle insoluble ? Je regrette mon passé, je n'aperçois pas d'avenir. Est-ce donc fini ? Dans ce lit où l'on me pose des ventouses, ce n'est plus le beau visage de la mort qui m'apparaît, c'est la porte noire, l'escalier vers l'oubli. Est-il donc deux espèces de mort, l'une qui épouvante, l'autre qui attire ? Sont-ils vraiment heureux, les jeunes guerriers tombés dans l'ivresse de la charge ? Oui, heureux ! Ils n'ont pas donné du front contre l'obscurité de l'âge et ne verront jamais les années du déclin. Que ne suis-je resté au vallon d'Ethe ? Tout ce que j'aime s'écroule, le monde est une caserne, j'obéis à des galons et non pas à une intelligence. Je ne me sens pas grandi par mon sacrifice, mais diminué. Allons, c'est la fièvre ! ll faut se secouer, s'intéresser aux détails de la vie. A peine guéri, je suis monté en forêt de Parroy.
Le rôle que j'ai tenu, les fonctions d'officier mitrailleur que j'ai remplies, organisant tout le secteur de Goutelaine, l'importance que semble prendre aujourd'hui cette partie du front jadis si calme, m'interdisent de continuer pour cette époque de ma vie militaire le récit quotidien de mes aventures. Je suis resté des semaines dans la belle forêt. Sous les ordres du commandant de Vauchier, le plus intelligent des hommes, j'ai repris en travaillant le goût de vivre, j'eus plaisir à me rendre utile, et je crois y avoir réussi. Nous avons transformé un système de défense qui était bien insuffisant quand nous arrivâmes. Le 3e corps de cavalerie nous a félicités.
Je voudrais vous donner l'atmosphère où nous vivions. Permettez-moi d'intercaler dans ces Mémoires quelques pages publiées au Journal en février 1918. Cette petite oeuvre prend la forme d'un conte. Vous y trouverez des initiales au lieu de noms exacts, l'imagination habille parfois le fait précis, mais je n'ai pas inventé l'épisode qui donne à cette courte nouvelle son émotion.

AU-DESSUS DES SENTIMENTS HUMAINS

Le boyau s'enfonce dans les bois. Tout à l'heure il était à leur lisière, il venait de la plaine, où le chaud soleil du mois de mai rendait son ombre agréable; il a gravi la colline, il se perd sous la futaie. De l'autre côté du vallon, le boyau allemand imite son dessin. Ils se rejoignent à l'abri des frondaisons, séparés seulement par les toiles métalliques, dressées contre les arbres, et dont les mailles renvoient la grenade. Au niveau de la clairière, tous deux sont reliés à des petits postes masqués par les herbes du printemps.
Le secteur est calme ; l'ennemi, ce sont des troupes de landwehr. On serait disposé à ne point se faire de mal. Les jeunes feuilles et les oiseaux ont de la tendresse, et le coeur des hommes n'est pas encore tellement séparé des poètes qu'il ne s'amollisse au crépuscule du soir, au chant du rossignol. Nous regardons l'écureuil se balancer sur la cime des chênes, et les projectiles qu'il laisse tomber sur la table où nous dînons, nous rapprochent de notre enfance. Comme lui, nous avons de la gentillesse. Nos gars disent:
- Oh ! par ici, Fritz n'est pas méchant !
Ne croyez pas que l'on fraternise. Ce n'est point l'habitude des cavaliers. Mais on se laisse aller à oublier la guerre, on fourbit les armes pour qu'elles brillent et non pour qu'elles soient prêtes, et le coup de fusil qui déchire le silence pourrait bien être le jeu de quelque braconnier. A des heures précises, connues, nos canons et les leurs envoient quelques obus sur les états-majors, projectiles qui n'atteignent pas ces messieurs, mais dont nous écoutons le fracas avec un sourire complice. On interrompt une seconde la partie de bridge, on nomme le village qui doit être touché, et, par esprit de discipline, l'on fait des rondes avant de s'endormir.
Près des bouleaux, à cent mètres de l'endroit où se croisent à angle aigu la lisière allemande et la française, où se confondent les réseaux barbelés des deux camps, il y avait un block-house de mitrailleuses, flanqué de deux emplacements éventuels. C'est de là que j'ai suivi le drame dont s'épouvantèrent la nature et les hommes.
Notre quiétude ne pouvait durer. Au quartier général de l'armée on répétait:
- Il ne se passe rien dans la forêt de X...
Et il fallait qu'il se passât quelque chose pour obéir aux circulaires qui ordonnaient d'avoir de l'activité.
Sous bois, impossible d'agir. Restait le vallon. On nous commanda d'y faire des patrouilles. Ce n'est pas ennuyeux. De jour, on choisit un point de repère dans la plaine : ce clocher, cette masure, cette haie; on discute jusqu'au soir le moyen de s'y rendre, et, la nuit tombée, avec des cavaliers choisis, on rampe, ne risquant guère que de s'écorcher les genoux. Une fusée éclairante monte au ciel, on se tapit. Si les Allemands tirent, nos mitrailleurs, prévenus de notre escapade, nous protègent par des rafales qui imposent silence. On revient et l'on met sur le rapport: «  Eté à tel endroit, rien à signaler. » Fritz fait exactement la même chose que nous. Je me rappelle l'admirable comédie du crocodile.
On nomme crocodile un tuyau de fonte, long de quatre à cinq mètres, rempli de mélinite et qui porte à ses extrémités des mèches par quoi l'on peut le faire exploser. Le crocodile sert à détruire les réseaux. Le difficile sera d'allumer la mèche. Elle s'éteint le plus souvent. Les Allemands amenèrent presque à nos lignes un de ces engins qui n'éclata pas. Nous le trouvâmes, nous remîmes les amorces, nous l'avons porté chez les Boches; il n'a pas davantage éclaté. Fritz nous le rendit deux jours après, sans aucun succès. Cela aurait pu durer des semaines, si l'état-major ne s'était fâché.
- Des coups de main ! Des prisonniers à tout prix !
On organisa le coup de main. Le lieutenant Z... en fut chargé. Naturellement, ceux-là mêmes qui redoutaient d'être choisis l'envièrent aussitôt. Le lieutenant Z... était le fils d'un général commandant une division voisine. Il n'avait pas encore la croix de guerre. Hé! qu'il aille la gagner !
Il ne la gagna point. Chez les Allemands il y avait eu relève, les Bavarois remplaçaient la landwehr. Le détachement commandé par Z... se heurta à une patrouille exceptionnellement mordante. Désordre, retraite précipitée, et le lendemain deux Français ne répondirent pas à l'appel. Le compte rendu de Z... manqua de clarté, des bruits coururent. Un capitaine de l'armée arriva; il interrogea notre camarade. Après cette entrevue, Z... avait le visage raidi, les sourcils contractés, les lèvres pâles.
Nous n'avions pas beaucoup de sympathie pour ce jeune homme. Un peu efféminé, joli garçon, avec des taches de rousseur tout autour d'un regard bleu, il marquait de la vanité et s'abstenait des plaisanteries où l'on descend si volontiers pendant la campagne. Il était musicien et nous agaçait de son violon joué en sourdine.
Il oublia de jouer ce soir-là. Il prévint mes mitrailleurs qu'il sortirait devant les lignes.
- Seul, mon lieutenant ?
- Seul.
A son ordonnance, il expliqua:
- Je vais chercher les morts.
Il ne pouvait croire que ses deux hommes eussent été faits prisonniers.
- Je vous accompagne, mon lieutenant ?
- Non.
Nous achevions notre bridge, quand la mitrailleuse allemande claqueta. Les nôtres répondirent. Une fusée demanda le tir de barrage. Le 75 fit son bruit. Quand il se tut, nous étions dans les postes. Nous écoutâmes le silence. Tout à coup, un faible gémissement, une voix portée par la brise:
- Au secours, à moi !
En guise de réponse, des balles viennent s'écraser contre les sacs à terre.
Le sous-officier de Z... accourt, vite dépassé par l'ordonnance. Ils s'élancent dans la chicane... Ils ne sont jamais revenus.
Les Allemands tiraillent sans trêve. Les fusées montent. Par intervalles, la mitrailleuse fauche.
Aux minutes de répit, on entend la plainte:
- Au secours, à moi!
Quand l'aube naît et que la brume sort de la terre humide, nos cavaliers se glissent dans les herbes. Un seul échappe à la fusillade, les autres sont tués. Mais celui-là nous raconte que Z... est dans les fils de fer allemands, et qu'il râle.
Nous l'avons vu, lorsque le jour agrandi. Il avait la nuque accrochée à un piquet; le corps, mou, pendait vers le sol, et l'envergure des bras lui donnait l'apparence d'un crucifié.
- Nous irons le prendre ce soir, nous dit le chef d'escadrons qui nous commandait.
Nous essayâmes. Nous perdîmes du monde. Nous ne réussîmes pas.
- On recommencera demain, au petit jour.
Mais, pendant la longue nuit, le père de notre camarade arriva. Le général Z... ne ressemblait à son fils que par la finesse des traits et la distance qu'il imposait à qui voulait l'approcher.
Il vint au poste de mes mitrailleuses. Son porte-fanion et un officier d'état-major l'accompagnaient.
Notre commandant le rejoignit:
- Demain, à l'aube, mon général...
- Attendez que je me sois rendu compte.
Il posait les coudes sur les sacs à terre. Il prêtait l'oreille, et, comme la nuit s'avançait, je crois bien qu'il murmura:
- Mon pauvre enfant!
Derrière nous, l'escouade qui devait sortir se préparait. Les figures étaient dures, décidées, crispées de colère froide.
- On ne l'entend pas, dit le général.
Des balles folles crépitaient. J'osai répondre:
- On ne l'entend plus depuis hier soir.
Il se tourna vers moi.
- Vous étiez son ami ?
Je fis l'éloge du mort. L'aube touchait le faîte des collines.
- Regardez, on le voit.
Et le père prit les jumelles pour reconnaître son fils.
Le cadavre était à l'endroit où je vous ai dit que les lisières s'unissent à angle aigu. Sa tête balancée dominait les hautes herbes à cinquante mètres de la ligne rugueuse des tranchées allemandes. Le brouillard blanc cachait à demi le torse et les bras.
- Aller le chercher là-bas, ce n'est pas possible, fit le général à demi-voix.
- En rampant, on pourrait essayer. Cependant, hier...
- Combien avez-vous perdu de monde ?
Nous lui dîmes un chiffre bien inférieur à la réalité. Il nous regardait droit, et il se frottait continuellement la nuque, là où le cadavre devait avoir mal.
Silencieux, il reprit les jumelles. Nous étions respectueux et glacés.
- Faites rentrer vos hommes, commandant. Le lieutenant est mort. Je défends que l'on risque la vie de ces braves pour mon enfant.
Et, d'un brusque mouvement, franchissant les sacs à terre, debout, en pleine vue des lignes allemandes, il salua haut son fils crucifié; puis, sans ajouter une parole, il s'en alla.
La grandeur est une chose simple à la guerre.
Ce geste surhumain ne nous étonna pas, pas plus que ne nous surprit la désobéissance de nos dragons qui, la même nuit, décrochèrent le corps et le rendirent à sa famille.
Et la forêt, un instant héroïque, est redevenue douce à nos méditations.

Je l'appelle douce, cette forêt où mon activité me rendait joyeux. Sur d'autres points du front, je les ai vues déchiquetées, ces grandes dames de la nature. Pourquoi les Allemands ont-ils ménagé mon amie ? Est-elle trop touffue, trop serrée ? Les obus qui la pénètrent disparaissent dans ses branchages, et la végétation recouvre leur trace.
L'ennemi ignore où sont les centres de résistance et les postes de commandement. Voilà pourquoi je suis tellement discret quand je parle de mon séjour dans son ombre, un très long séjour, le plus long que j'aie fait aux tranchées, tout le printemps 1916. Que ne puis-je vous raconter! Ma mémoire fourmille d'anecdotes. Les plus familières mettraient en scène le fidèle Bourdon, mon ordonnance, et Rostie, mon bull-dog. Ce dernier avait une étrange manie, le goût d'aller à l'aventure au delà des couverts, et, sa large gueule s'ouvrant vers le ciel, d'aboyer férocement après le sillage des projectiles.
Jamais on ne vit chien moins peureux. Non seulement les plus gros rats ne lui faisaient pas peur, mais le sifflement des balles et l'éclatement d'une bombe le mettaient dans une sorte d'état héroïque où ses yeux lui sortaient de la tête, jetaient des flammes, et son poil se hérissait, tandis que ses oreilles dressées, les innombrables rides de son visage, lui donnaient l'apparence d'une bête de l'Apocalypse.
Il eut l'occasion de ce courroux le soir que les Allemands firent exploser la terrible mine de Vého. Si vous vous rappelez mon esquisse du pays lorrain, vous vous souvenez que Vého se situe au sud de la forêt. Il est séparé d'elle par le vallonnement où se trouve Emberménil. Notre poste de commandement n'était pas loin de la lisière. Quand se produisit la catastrophe qui engloutit à jamais deux sections d'infanterie et une section de mitrailleuses, nous pûmes croire que le sol s'entr'ouvrait sous nos tranchées.
L'emploi des mines dépasse en ignominie toutes les abjections utilisées par les stratèges modernes. Ce genre de guerre n'entraîne ni la victoire, ni même de grands succès, tout au plus peut-on dire qu'il use le moral de l'ennemi. Vous entendez travailler sous terre, des bruits sourds se rapprochent chaque nuit, et c'est en vain que nos sapeurs travaillent eux aussi. Arriveront-ils les premiers ? Quel jour se produira le cataclysme, à quelle heure ? La boue elle-même, ce refuge, n'est plus secourable.
On prétend que les Allemands ont préparé pendant des mois la galerie longue de plusieurs centaines de mètres qui leur a permis d'accomplir leur méfait de Vého. Ils ensevelirent des hommes, ils occupèrent quelques instants les lèvres de l'énorme entonnoir, ils en furent chassés. Donc, à quoi bon ? A nous infliger une torture nouvelle ? Après vingt heures de terrassement, on retira un soldat qui vivait encore. Il ne put dire un mot. Il regardait la lumière. Et nous avons lu dans ses yeux une terreur que l'au-delà seul peut créer. Puis il mourut. Pensez que le même effroi demeure dans les yeux de ses camarades qui ne revirent pas le soleil.
Ah ! Rostie peut aboyer après la voûte des obus qui passent au-dessus de nous, cette nuit où tout le secteur s'incendie ; il joue, et notre guerre de Parroy est un jeu d'enfants, à côté de celle que me décrivent les fantassins avec lesquels nous sommes en liaison. Ils arrivent de Verdun, de la cote 304, et, si les yeux de l'enseveli reflétaient une terreur inconnue, leur visage à eux est comme derrière un voile, leur rêve se souvient avec une incroyable intensité, leur rêve les enveloppe.
Ils disent:
- Chaque fois que nous montions, nous savions que nous ne redescendrions pas avant d'avoir perdu le quart de notre effectif, et l'on comptait les morts, et (censuré) pour redescendre plus vite.
Ils sont très jeunes, presque des enfants. Ils ont des figures puériles, jolies, mais quelle gravité dans l'expression des traits, dans le son de la voix, dans l'affection qu'ils se témoignent les uns aux autres ! Ils ont de la pitié pour eux-mêmes. Il leur faut du repos, et, quand Vého saute, quand la ligne s'embrase, ils murmurent:
- Voilà que ça recommence !
Et ils voûtent les épaules, ils plient la-nuque, c'est trop !
Aimables ombrages, oserai-je à présent me vanter du labeur accompli dans le parfum de vos feuilles humides et la tiédeur de l'été. Le hasard m'a fait voir beaucoup de choses, je raconte, mais, ayons de l'humilité, qui n'a pas porté le sac sur les croupes de Verdun sera toujours au second rang parmi les acteurs de la tragédie.
Elle nous a coûté si cher que l'on songe à combler les vides. A peine la 8e division de cavalerie a-t-elle quitté le secteur que le bruit court de sa dissolution prochaine, et le jour arrive des adieux du général Baratier. Je m'étais rapproché de lui en forêt de Parroy, mais la tristesse de le quitter était doublée par l'inquiétude de la vie errante que j'allais reprendre. Une division noblement commandée ressemble à une famille. Que va-t-on faire de notre groupe ? Temporairement nous sommes affectés à la 6e division de cavalerie. Elle est au repos, nous l'y suivons, et le travail recommence, l'éternelle promenade de village en village, de cantonnement en cantonnement.
- Entraînez-vous pour la grande offensive de la Somme. Cette fois ce sera la percée. On masse la cavalerie dans les environs de Beauvais.
Irons-nous ? Serons-nous encore tenus à l'écart ? Alerte! on réclame deux sections de mitrailleuses pour boucher un trou aux tranchées de Vého. C'est mon tour de les y conduire. J'emmène Bourdon et Rostie.
Le poste où nous sommes a une certaine valeur stratégique, augmentée par le petit nombre de ses défenseurs. Les nuits sont pénibles, les grenades éclatent dans les fils de fer, les hommes ne peuvent quitter la crosse de la mitrailleuse, et Rostie, en ma société, chasse le rat jusqu'à l'aube. A notre droite s'ouvre le cratère de la mine. Quelques soldats croient entendre le bruit d'une sape. Nos chefs sont inquiets, je ne dors guère, et Bourdon veille.
Il écrit d'interminables lettres à la bien-aimée du moment. Bourdon est un amant très apprécié. Notez qu'il est d'une bravoure parfaite, cité à l'ordre pour action d'éclat, mais il a de la sentimentalité, et pourquoi n'en aurait-il pas ? Au fond, nous étions heureux, Bourdon, Rostie et moi, dans le péril de Vého, quand un ordre qui nous enchante nous ramène à l'arrière: le troisième groupe d'auto-mitrailleuses part pour la Somme.

 

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