Recueil des instructions
données aux ambassadeurs ... v.20 1913
Le Duc de Nivernois (1749-1752)
MÉMOIRE POUR SERVIR D'INSTRUCTION AU SIEUR
DUC DE NIVERNOIS, PAIR DE FRANCE, GRAND D'ESPAGNE ET BRIGADIER
DES ARMÉES DU ROI, ALLANT A ROME EN QUALITÉ D'AMBASSADEUR
EXTRAORDINAIRE DE SA MAJESTÉ AUPRÈS DU PAPE.
A Fontainebleau le 10 novembre 1748.
Des preuves si sensibles de l'intérêt que le Roi prend à tout ce
qui regarde le Saint-Siège devraient exciter la reconnaissance
de la Cour de Rome et la porter à profiter avec zèle de toutes
les occasions de faire ce qui peut être agréable à Sa Majesté.
Cependant il s'en faut bien que le Roi ait toujours à se louer
de la façon dont le Pape et ses ministres se conduisent par
rapport aux affaires que Sa Majesté affectionne. Il y en a deux
en particulier dont le cardinal de La Rochefoucauld et l'abbé de
Canilliac ont sollicité successivement l'expédition sans avoir
pu jusqu'à présent l'obtenir. L'une concerne le bref
d'éligibilité promis au cardinal de Bavière et l'autre les
bulles de l'abbaye de Hauteseille
[...]
Quant aux bulles pour l'abbaye de Hauteseille (1), l'expédition
vient encore d'en être suspendue sous des prétextes très
frivoles (2) et au moment où l'on avait lieu de croire qu'elle
ne souffrirait plus ni retardement ni difficultés, surtout après
la lettre que le prince de Salm (3) avait écrite à Sa Sainteté
(4) et par laquelle il a consenti de la manière la plus formelle
que l'institution canonique fût accordée à l'abbé Alliot (5) que
le Roi de Pologne, duc de Lorraine, a nommé à cette abbaye (6).
Le duc de Nivernois, dans ses premières conférences avec le Pape
ou avec le cardinal secrétaire d'État, leur fera connaître de
nouveau combien le Roi désire que les deux affaires dont on
vient de parler soient incessamment terminées conformément aux
intentions de Sa Majesté qui s'accordent parfaitement avec la
justice et avec les engagements contractés par Sa Sainteté et il
ne dissimulera point que le Roi n'est pas disposé à souffrir que
la Cour de Rome qui lui doit plus d'égards, de ménagement et de
reconnaissance qu'à la Cour de Vienne et à toute autre puissance
leur accorde cependant des choses souvent peu régulières et
quant au fond et quant à la forme tandis qu'elle ne marque
qu'éloignement et répugnance pour les demandes raisonnables qui
lui sont faites au nom et par ordre de Sa Majesté.
(1). Le duc de Lorraine, à la mort de l'abbé Henri Le Clerc,
survenue le 13 février 1747, avait nommé abbé commendataire de
Hauteseille l'abbé Alliot. Les moines de Hauteseille
s'opposèrent a l'expédition des bulles en assurant que cette
abbaye n'était pas située en Lorraine, mais qu'elle faisait
partie de la principauté de Salm, quoique enclavée dans la
Lorraine, et qu'elle était par conséquent régie par le Concordat
germanique. Le duc de Lorraine, disaient-ils, n'avait donc aucun
droit de nomination sur elle, malgré l'induit qui lui avait été
accordé par Clément XII. La Cour de Versailles elle-même admit
un instant comme fondée la réclamation du prince de Salm (A. E.
Rome, Corr., v. 801, fo 234, Puysieux à La Rochefoucauld, 14
novembre 1747). Celui-ci se désista plus tard de son opposition;
mais le Pape, sous prétexte de consulter l'avocat Forti, fit
traîner les choses en longueur et la difficulté n'était pas
encore résolue lors de l'arrivée du duc de Nivernois à Rome. -
Voir A. E. Borne, Corr., v. 803, fo 216, Difficultés proposées
par les officiers de la daterie de Rome par rapporta la
nomination faite par le Roi de Pologne, duc de Lorraine et de
Bar, à l'abbaye de Hauteseille en vertu de l'induit que lui
accorda le Pape Clément XII et Réponses.
(2) Dans une lettre du 2 octobre 1748, reçue à Versailles le 17
du même mois, trois semaines avant la signature de cette
instruction. l'abbé de Canilliac mandait que l'avocat Forti
avait été reçu le vendredi précédent par le Pape au sujet de
l'affaire de Hauteseille. Benoît XIV avait dit a Forti « qu'il ne
pouvait pas décider cette affaire que lorsqu'il serait certain
si la principauté de Salm où on lui a supposé que l'abbaye de
Hauteseille est située faisait partie du duché de Lorraine ou de
Bar, attendu, ajouta-t-il, que l'induit accordé au Roi Stanislas
ne pouvait avoir d'effet que pour les abbayes situées dans ces
deux duchés, qu'au surplus il désirait voir par lui-même le plan
dont il était parlé dans un des mémoires qui lui avaient été
remis pour prouver la situation de la principauté de Salm dans
la Lorraine, ainsi que la convention qui avait été faite a cet
égard dans le traité de paix signé par les Cours de France et de
Vienne en 1736, que ces deux pièces lui paraissaient nécessaires
pour décider la question, que cependant, sans exiger qu'on
prouvat l'incorporation de cette principauté de Salm au duché de
Lorraine dans le temps de la concession de l'induit, il se
contenterait qu'on lui fît connaître l'état présent des choses
». Forti répondit que Hauteseille était « située dans le comté
de Blamont qui faisait sûrement partie du duché de Lorraine
comme on le prouve parle pouillé de l'évêché de Toul, imprimé en
1711 ». Le Pape, sans se rendre à cette raison, voulait en outre
« examiner avant que de rien conclure si la collation de
l'abbaye de Hauteseille appartenait au Saint-Siège, preuve
nécessaire, dit Sa Sainteté, pour qu'elle pût soutenir la
nomination faite par le Roi de Pologne en vertu de l'induit ».
Voir A. E. Rome, Corr., v. 803, fo 6, Canilliac à Puysieux, 2
octobre 1748.
(3) Nicolas-Léopold de Salm-Hoogstraten, né le 25 janvier 1701,
marié le 25 mars 1716 à Dorothée-Françoise-Agnès de Salm,
héritière de la principauté de Salm. Prince de Salm-Salm le 14
janvier 1739, il fut créé duc de Hoogstraten en 1741, vendit
Neufville à la France en 1751 et mourut le 4 février 1770.
(4) Voir cette lettre A. E. Rome, Corr., v. 802, fo 74, le
prince de Salm au Pape, 5 mars 1748.
(5) Joseph-Nicolas Alliot, petit-fils du médecin de Louis XIV,
et fils de Pierre Alliot, conseiller aulique et chargé de
l'administration de la maison de Stanislas, était alors élève au
séminaire de Saint-Sulpice à Paris. Quand benoît XIV eut accordé
son induit, Stanislas dut renouveler la nomination d'Alliot et
il le fit par une lettre au Pape du 18 décembre 1749. Rome fit
encore quelques oppositions de forme et Alliot n'obtint ses
bulles qu'en avril 1750.
(6) Après de longues instances faites auprès de lui par le duc
de Nivernois, Benoît XIV accorda cet induit le 18 novembre 1749
(on le trouvera A. E. Rome, Corr., v. 804, fo 858). Cet induit
était une ampliation de celui de Clément XII. Voir à son sujet
une curieuse lettre de Benoît XIV à Tencin, 19 novembre 1749
(Correspondance de Benoît X.IV, t. I, p. 528).
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