Le comté de
Salm supérieur dans les Vosges
Par STIEVE (de Saverne)
traduit par Fernand Baldensperger
agrégé a la Faculté des Lettres de Nancy
Extrait du Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne.
Année 1895-96.
SAINT-DIÉ - 1896
LE COMTÉ DE SALM SUPÉRIEUR DANS LES VOSGES (1)
Widerich, comte du district
de Trêves et de Beda, comte palatin d'Aix-la-Chapelle de 877 à
926, est regardé comme l'ancêtre des comtes de Salm.
Giselbert, comte de Luxembourg et de Salm, 1056-1059. Henri Ier,
comte de Salm, 1130-1163, eut deux fils:
FRÉDÉRIC
ancêtre des Salm des Ardennes belges - Vieux-Salm ou
Salm-Inférieur : (saumons et croix de gueules sur champ
d'argent). Branche éteinte avec Henri VIII qui, le 23 Septembre
1408, tomba à la bataille d'Ottrée comme porte-étendard de la
ville de Liège dans sa lutte contre son évêque Jean de Bavière.
Henri VIII avait désigné comme son successeur son plus proche
parent (fils de sa sœur), le comte Jean de Reifferscheid.
Hermann, comte de Salm-Reifferscheid, fut de 1621 à 22
commandant de Saverne au service de l'évêque de Strasbourg
contre Mansfeld.
HENRI II
ancêtre des comtes de Salm-Supérieur dans les Vosges, comte de
Blamont : (saumons d'argent sur champ de gueules semé de
croisette d'argent).
Vers 1200, il eut avec l'évêque de Metz un violent démêlé et
marcha contre lui avec Reginald, comte de Bar. Deux mille
Messins furent massacrés. A la suite d'un arrangement dû à
l'intervention de saint Bernard de Clairvaux, le comte Henri de
Salm rendit une partie de ce qu'il avait enlevé à l'abbaye de
Senones.
L'abbaye de Senones fut fondée en 661 par Gondebert, archevêque
de Sens. Ayant renoncé à l'épiscopat, il s'en vint comme
missionnaire, avec quelques prêtres de son diocèse, dans les
Vosges, au bord du Rabodeau, afin d'y faire son œuvre
d'apostolat suivant la règle des Bénédictins. Dotation du roi
Childéric, en 661. Le nom de Senones vient de Sens.
Sous les Carolingiens, l'abbaye de Senones devint un fief des
évêques de Metz. L'évêque Drogon de Metz était un fils de
Charlemagne. Vers l'an 1000, Gérard de Furkenstein était avoué
de l'abbaye de Senones.
A partir de la fin du XIe siècle, l'avouerie passa à la maison
de Salm-Blamont.
Le château de Blamont étant trop éloigné, le comte Henri II, qui
avait épousé vers 1200 Judith de Lorraine, sœur du duc Ferry,
obtint de l'abbé Gérard de Senones l'autorisation de bâtir un
château dans la vallée de la Bruche, à une lieue environ du
Donon, mais à la condition qu'il n'aurait aucun droit sur les
gens, les eaux, les forêts et autres dépendances de l'abbaye. Il
construisit le château de Salm en 1204.
Le domaine appartenant à l'abbaye était très considérable :
commençant au Donon (chemin des Sarrasins), il comprenait toute
la vallée de la Bruche supérieure jusqu'au-delà du Rabodeau, 30
villages environ, sans compter de nombreuses dépendances en
Lorraine et en Alsace.
Déjà du vivant de Henri II son fils Henri III se fit un devoir
de piller l'abbaye et mit trois moines en prison; il songeait à
conquérir la couronne impériale (1212), à déposer son père et à
s'approprier l'avouerie de l'abbaye de Senones. Mais sa fin fut
malheureuse. Sa femme Sibille (fille du comte de Bar) était
stérile. Les époux se firent donner par leur médecin un remède
qui chez la comtesse fut efficace, mais qui tua le comte. On
l'ensevelit dans l'église abbatiale de Haute-Seille ; le
lendemain, on entendit dans son caveau de sourds gémissements;
on ouvrit le caveau et l'on trouva le comte étouffé, la face
contre terre.
Son père Henri II fut aussitôt après (1240) chassé par son
second fils Frédéric du château de Blamont et mourut au château
de Salm.
Le comte Frédéric agrandit ses domaines aux dépens des abbayes
de Haute-Seille, de Saint-Sauveur et de Senones. Il ne laissa à
l'abbaye de Senones absolument rien que huit personnes
nécessaires au service religieux, et mourut en 1247.
Tout aussi violents furent les procédés de son neveu et
successeur, Henri IV, - enfant posthume de Henri III, - qui
avait épousé Isabelle de Lorraine, et qui détenait en fiefs de
l'abbaye de Senones les châteaux de Salm et de Pierre-Percée,
ainsi que l'avouerie de l'abbaye.
Il découvrit les mines de fer du Donon et les exploita; il y
attira des étrangers qui furent affranchis. Il fonda les
villages de Grandfontaine, Framont, Minières. L'abbé de Senones
se plaignit de ses empiétements auprès de l'évêque de Metz,
suzerain de la vallée de Senones. L'évêque, furieux de ces
usurpations sur .ses droits et ceux de l'abbaye, fit détruire
les constructions commencées par le comte de Salm. Henri, pressé
de dettes et ruiné, vendit à l'évêque de Metz, pour les
reprendre ensuite en fiefs, ses châteaux de Salm et de
Pierre-Percée. Mais il se vengea sur l'abbaye de Senones et la
fit mettre à sac ; il abattit aussi dans les forêts de l'abbaye
une énorme quantité de bois pour ses forges. Henri IV accompagna
en 1268 le jeune Conradin, duc de Souabe, à la conquête du
royaume de Naples. Il put s'échapper à la bataille de
Tagliacozzo et mourut en Autriche en 1271.
Ce fut sous Henri IV que prit naissance, grâce aux nombreux
étrangers qu'il attira sur ses terres, le patois de la vallée de
la Bruche, caractérisé par les nombreuses voyelles a et o, par
exemple : maison, moon; pouvons, poons; couvent, couent, et dont
le premier monument est un contrat de 1261.
Son fils Henri V (marié à Laurette de Bourgogne) était un ami
des arts et des sciences, qui, seul de sa race, vécut en bonne
intelligence avec l'abbaye de Senones.
Par un contrat passé en 1284 avec l'abbé Simon de Senones il
devint co-propriétaire de 80.000 arpents de forêt (mort en
1309).
Viennent ensuite : son frère, Jean Ier;
le fils de celui-ci, Nicolas;
le fils de celui-ci, Jean II.
le fils de celui-ci, Simon;
le fils de celui-ci, Jean III.
Jean III acheta (sous condition d'une possibilité de rachat) à
l'évêque de Strasbourg (1336) la ville et le château de
Schirmeck et, dans la vallée supérieure de La Bruche, tout ce
qui n'appartenait pas à Senones, pour 12.000 florins. C'était un
grand ferrailleur. A la bataille de Ligny contre l'évêque de
Metz, il accompagnait chaque coup du cri: « au parmentier ! »
jusqu'à ce qu'il fut lui-même massacré.
Son fils Henri VI fut d'abord placé sous la tutelle de
Marguerite de Blamont (1368); il tomba dans la lutte contre les
Anglais (compagnies anglaises commandées par Enguerand de
Coucy).
Son fils Henri VII périt en 1431 à la bataille de Bulgnéville
contre le duc Antoine de Vaudémont. Il laissait deux fils, entre
qui le comté fut partagé en 1431:
Henri VIII qui, de concert, avec l'évêque de Strasbourg,
détruisit en 1471 le château de la Roche, près de Bellefosse (castellum
prœdatorium ou château de chevalier pillard).-
Simon qui périt sans enfants au service d'Adolphe de Nassau, et
laissa la moitié du comté à sa nièce Jeanne, femme du rhingrave
Jean de Sommersberg.
Pendant la guerre des paysans (1525), les deux branches
s'unirent avec le duc Antoine de Lorraine, en particulier Henri
VIII, à qui le duc, en récompense, donna en fiefs les
seigneuries de Fénétrange et de Chaligny, et qui bientôt après
devint maréchal de Lorraine et de Bar.
En 1534 furent incendiées l'abbaye de Senones et la plus grande
partie de la ville de Senones. Le fils de Henri VIII, Henri IX,
fut à son tour maréchal de Lorraine, et gouverneur de Nancy en
1550; il se signala en diverses occurrences à la cour de
l'empereur Charles-Quint.
Ce fut vers cette époque (quand Metz fut cédée à la France) que
la maison de Salm s'affranchit du vasselage des évêques de Metz.
Le rhingrave Jacques de Salm avait, en 1460, prêté serment de
féodalité pour la dernière fois, entre les mains de l'évêque
Georges de Bade, pour les châteaux de Salm et de Pierre-Percée.
En 1473, l'empereur Frédéric III lui donna l'investiture, et
tous ses successeurs la reçurent des empereurs d'Allemagne.
L'abbé de Senones, de son côté, reconnaissait la suzeraineté des
ducs de Lorraine.
Le rhingrave de Salm-Sommersberg avait en 1540 embrassé le
calvinisme. Les comtes de Salm ne possédaient encore rien à
Senones. Profitant de la mort de l'abbé Padoux et de l'élection
de son successeur, l'abbé Raville, ils mirent une garnison dans
l'abbaye et contraignirent l'abbé de reconnaître leur
suzeraineté, 1564. Ils firent arracher les armes de Lorraine
pour les remplacer par celles de l'Empire (1566), et
proclamèrent leur souveraineté de la manière suivante, le 30
Septembre 1571:
Les comtes Jean IX (branche aînée) et Frédéric, comte sauvage du
Rhin et de Salm convoquèrent au couvent toute la population des
domaines de l'abbaye : 20 villages se rendirent en masse à cet
appel, le reste se fit représenter par ses magistrats. Les
comtes firent promesse d'un gouvernement tout paternel; le
peuple jura fidélité et obéissance. Un notaire fut appelé, et
l'acte qu'il dressa fut signé par les comtes et par les villages
suivants : Labroque, Lesquerelles, Froide-Fontaine, Salm,
Saint-Blaise, Ban de la Roche, Vipucelle, Albet, Fréconrupt,
Vacquenoux, Grandfontaine, Plaine, Poutay, Dispach, Saulxures,
Champenay, Senones, le Ménil, Saint-Maurice, Vermont, Saulcy,
Petite-Raon, Moussey, Chatas, le Puid, Bellevault.
Protestant contre ces procédés révolutionnaires, l'abbaye
demanda protection au bailli impérial Polwiller à Haguenau, dont
la décision fut favorable à l'abbaye. Les comtes firent appel au
tribunal d'Empire de Spire. L'empereur Maximilien II prit en
1572 l'abbaye de Senones sous sa protection et chargea l'évêque
de Strasbourg d'effectuer la restitution (1573). Mais les choses
restèrent en l'état. L'abbaye perdit 116.000 arpents de forêts,
les forges de Framont, les villages, les moulins, fours à chaux,
scieries. Les églises servirent aux deux confessions, la branche
aînée de Salm étant restée fidèle à l'ancienne foi.
La branche aînée s'éteignit d'ailleurs avec ce comte Jean IX
dont nous avons parlé. Sa fille et héritière Christine épousa,
en 1597, le duc François de Lorraine, comte de Vaudémont,
ancêtre de la maison impériale autrichienne actuelle. Ce mariage
fut l'occasion, les 8 et 9 Septembre 1598, d'un partage de la
communauté qui subsistait depuis 1431; ce partage, qui eut lieu
à Baudonviller, la capitale du comté, ne fut cependant pas une
véritable division du territoire, mais simplement la
délimitation de la part qui revenait à chaque branche dans les
divers éléments constitutifs du comté.
Cet acte porte les signatures suivantes:
Jan Conte de Salm et Fri Reingraff (Frédéric). Il se trouve
reproduit dans le Bulletin de la Société philomatique vosgienne,
Saint-Dié, 1894, p. 370-399. Cf. Gravier. Histoire de Saint-Dié.
Epinal, Gérard, 1836.
En dépouillant l'abbaye (1571), les comtes avaient atteint leur
but vis-à-vis de celle-ci; aussi ne tardèrent-ils pas à abjurer
le calvinisme qu'ils avaient embrassé à cette époque. Déjà le
fils du rhingrave Frédéric, Philippe Othon, rhingrave de Salm,
fit son abjuration et fut élevé par l'empereur Ferdinand II, le
8 Janvier 1623, à la dignité princière. Par l'acte (reproduit p.
400-403 du Bulletin ci-dessus), « Philippe Othon, Comte sauvage
de Dhaun et de Kirbourg, Rhingrave de Stain et comte de Salm;
conseiller en notre conseil de guerre et un de nos colonels, » à
cause des services rendus aux empereurs Rodolphe II et Mathias,
à l'empereur Ferdinand lui-même dans sa lutte contre les Turcs,
dans la guerre de Trente-Ans et ailleurs, est, en sa qualité de
souverain du comté de Salm et avec le droit de transmission au
fils aîné, élevé à la dignité de Prince du Saint-Empire. La
principauté tout entière redevint catholique.
Philippe Othon, prince de Salm, mourut en 1634.
Son fils Louis fut tué sous Piccolomini (1636) au siège de
Saint-Omer, sans laisser d'enfants.
Son frère Léopold prit sa place à la Diète de Ratisbonne (1654)
non sans soulever la protestation de plusieurs princes. Il
mourut en 1663.
Son fils Charles fut le gouverneur de l'empereur Joseph IL Le
duc François de Lorraine, à qui passa la branche aînée de Salm,
et qui mourut en 1632, eut pour successeur son fils, le duc
Charles IV, qui, durant la guerre de Trente-Ans, resta fidèle à
l'empereur contre la Suède et la France. Les Suédois sous
Bernard de Weimar occupèrent l'Alsace et pénétrèrent jusqu'à
Saint-Dié, en traversant le comté de Salm. Le duc Charles les
rejeta en Alsace et prit position près de Saverne. Oxenstiern se
plaignit auprès de Louis XIII, et Richelieu en profita pour
faire publier par le Parlement de Paris, le 30 Juillet 1663, un
arrêt qui enlevait le duché de Bar au duc Charles parce qu'il
n'avait pas prêté serment de vasselage au roi de France.
C'est à cette époque que se placent les plus féroces violences
des Suédois en Lorraine et la destruction du château de Salm.
Les Suédois réduisirent Saint-Dié en cendres en 1635. La famine
et la peste ravageaient les populations. En 1640 Charles quitta
son duché : les Suédois, maîtres désormais du malheureux pays,
commirent les sauvageries les plus barbares. Saint-Dié fut
saccagé plus de vingt fois, durant la guerre de Trente-Ans, par
les armées françaises, suédoises et impériales, et abandonné par
les habitants. Les Suédois détruisirent vers 1640 le château de
Salm.
Louis XIV acquit à la paix de Nimègue (1679) les évêchés de
Metz, Toul et Verdun, et le Parlement de Metz (chambre de
réunion) revendiqua les quatre monastères vosgiens, Senones,
Moyenmoutier, Etival et Saint-Dié, comme dépendances de Metz et
de Toul. Le grand conseil de France attribua à l'abbaye de
Senones la moitié du comté de Salm, au roi de France l'autre
moitié. Mais le traité de Ryswick (1697) annula ce partage : le
prince Charles de Salm avait protesté. Le prince Léopold de
Lorraine fut rétabli dans ses états; il conclut avec le prince
de Salm le contrat de 1709, suivant lequel, tout comme dans le
partage de 1598, l'abbaye de Senones devait se trouver sous la
commune suzeraineté des parties contractantes. Plus tard, en
1712, il fit don à son frère François de sa part de l'abbaye.
Le duc Léopold mourut en 1729. Son successeur fut François III.
En 1733 éclata la guerre de la Succession de Pologne. Par le
traité de Vienne, 5 Janvier 1736, la Lorraine fut attribuée en
propriété à la France, en usufruit au roi Stanislas de Pologne,
beau-père de Louis XV. Le duc François reçut la Toscane ;
ensuite, comme époux de l'impératrice Marie-Thérèse, il monta
sur le trône impérial sous le nom de François Ier.
Ere de félicité pour la Lorraine sous Stanislas le Bienfaisant.
En 1744 (guerre de la Succession d'Autriche) le prince Charles
franchit le Rhin, prit Wissembourg, Haguenau. L'armée française,
traversant Saint-Dié, pénétra en Alsace par les cols de
Schirmeck, de Sainte-Marie-aux-Mines et du Bonhomme.
L'abbé de Senones (évêque) de Macra écrivit un traité de
justificatione.
L'abbé Petit-Didier mourut en 1728. Il eut pour successeur le
célèbre historien lotharingiste Dom Calmet (1728-1757), dont les
œuvres, travail de bénédictin s'il en fut, sont encore
aujourd'hui la pierre angulaire de la science historique
lorraine.
L'Histoire ecclésiastique et civile de Lorraine (1728), 3 vol.
in-fol. Nancy.
L'Histoire des Hommes illustres de Lorraine, 2 vol. in-8.
Bruxelles (1758).
La bibliothèque du couvent était riche de 15.000 volumes. Dom
Calmet vivait fort simplement, ne consentit jamais à occuper
l'appartement du supérieur, était ennemi de tout apparat en
dehors du service religieux ; il refusa les évêchés qu'on lui
offrait. Voltaire lui-même, le nihiliste du XVIIIe siècle, se
sentit à tel point attiré par ce modeste savant, qu'en 1748, il
alla à Senones, où il passa trois semaines, vivant à la façon
d'un moine, prenant part à la procession de l'Ascension : il eut
même l'intention de louer le bâtiment abbatial. On montre encore
aujourd'hui, dans l'abbaye transformée en fabrique, les chambres
habitées par Voltaire. Ce fut sous Dom Calmet que la façade fut
ajoutée à l'église abbatiale de 1534 (basilique à trois nefs).
La ville de Senones reconnaissante a érigé dans l'église un beau
monument funéraire à son bienfaiteur (2); on y lit l'inscription
suivante composée par Dom Calmet lui-même:
HlC JACET F. AUGUSTINUS CALMET,
PATRIA LOTHARIUS, RELIGIONE CHRISTIANUS,
FlDE CATHOLICO-ROMANUS, PROFESSIONE MONACUS,
NOMINE ABBAS HUJUS MONASTERII.
LEGI, SCRIPSI, ORAVI, UTINAM BENE!
HlC EXPECTO, DONEC VENIET IMMUTATIO MEA.
La principauté de Salm subit le 21 Décembre 1751, un nouveau
partage entre les rois de France et de Pologne d'une part,
Nicolas Léopold, premier prince de Salm-Salm d'autre part, qui
se donna ce nom pour rappeler son mariage avec Dorothée-Agnès,
née princesse de Salm.
Mais cette fois le partage fut territorial. Le ruisseau la
Plaine marqua la frontière, le prince de Salm à gauche, les rois
à droite; ceux-ci recevaient en outre les baronnies de
Fénétrange, Anceviller et quelques autres villages.
La principauté de Salm comprenait désormais : le ban de Salm,
les montagnes et forêts du Donon, les forges de Grandfontaine,
Labroque, Vipucelle, etc.; le ban de Plaine avec les villages de
Celles, Raon-sur-Plaine, le bailliage de Saint-Stail, etc.; le
ban de Senones, la ville de Senones (élevée par l'acte de
partage à la dignité de résidence), l'abbaye, les villages du
Ménil, Saint-Maurice, Petite-Raon, etc.; en tout 32 villages
avec 10.000 habitants.
Le règne des princes de Salm fut bienveillant et
quasi-constitutionnel. Le régime municipal (magistrat communal)
comportait l'élection par la commune de trois candidats, parmi
lesquels le prince en choisissait un. Les maires ainsi nommés
exerçaient la police et désignaient les juges de paix, précédent
remarquable au décret de l'Assemblée nationale du 24 Août 1790:
« Les juges seront élus par les justiciables. »
Les conseillers du prince vivaient sur un pied d'égalité avec le
reste dès citoyens. Le budget annuel variait de 25 à 30.000
francs. Le plus haut budget, celui de 1778, était réparti comme
suit:
Contribution au Saint-Empire, Cercle du Haut-Rhin et autres
charges (invariables) 25.000 francs.
10 pompes à incendie à distribuer. 500 -
Entretien des autres pompes 100 -
Médecin des indigents 300 -
Chirurgien 300 -
Messager 170 -
Ponts, routes, inspecteur et piqueur. 4.000 -
30.370 francs.
Les forêts, champs, prairies, forges, moulins, rentes, etc.,
rapportaient aux princes un revenu annuel d'environ
175.000 francs.
Le budget était partagé tous les ans par le Conseil du prince
entre les 32 communes. Les maires faisaient les déclarations,
lesquelles étaient examinées par des commissaires élus par le
peuple.
Les procès, fort rares d'ailleurs, étaient tranchés par le
grand-bailli, qui était à la fois intendant.
Les finances se trouvaient entre les mains d'un receveur
général, d'un conseiller auditeur des comptes et d'un second
conseiller.
La force armée consistait en 30 hommes ; c'était moins un
article de luxe que le contingent fourni par la principauté au
Cercle du Haut-Rhin. Elle avait un triple service à remplir :
aux frontières, à l'intérieur, à la garde du château dans la
résidence de Senones.
La construction du château de Senones fut commencée peu après
1751. Un passage voûté conduit de la place du marché à la vaste
place du château. C'est aujourd'hui une filature, d'architecture
insignifiante d'ailleurs. Une colonne commémorative du centième
anniversaire de la réunion de la principauté à la France se
dresse devant la façade; elle porte d'un côté le chiffre 1793
avec les armes de Salm, de l'autre le chiffre 1893 avec le coq
gaulois.
Sous le gouvernement patriarcal du comte, le peuple était
heureux et fidèle. Le prince Nicolas-Léopold de Salm-Salm, qu'on
appelait le prince-père, mourut en 1770. Il eut de son premier
mariage dix-huit enfants. Comme le fils aîné était déjà mort, il
désigna par testament le fils suivant, Louis, comme son
héritier. Mais, comme celui-ci avait déjà reçu les ordres
inférieurs, son frère Maximilien lui disputa la succession. Les
deux frères finirent cependant par s'accorder, Louis laissant à
Maximilien la principauté de Hoogstraten.
Le .prince Louis de Salm-Salm fit le voyage de Rome pour obtenir
une dispense pour se marier. Il ne l'obtint point et mourut en
1778.
II eut pour successeur son neveu Constantin, fils de Maximilien,
sous la tutelle de Guillaume de Salm, évêque de Tournai, le fils
cadet du prince Nicolas-Léopold.
C'est avec le prince Constantin que le pouvoir des princes de
Salm dans les Vosges prit fin, comme aussi l'existence de
l'abbaye de Senones. Tous deux furent absorbés par la grande
Révolution française. Et voici comment:
1792 fut une année de disette. Par un décret du 8 décembre 1792,
la Convention nationale de Paris interdit sous peine de mort
l'exportation des grains. Or, la principauté de Salm formait une
enclave entièrement entourée par le territoire français. Le
prince Constantin, qui résidait à Strasbourg, ne pouvant, avec
la meilleure volonté du monde, adoucir la misère de ses sujets,
ceux-ci envoyèrent une députation à Paris avec la prière qu'on
voulût bien faire en leur faveur une exception à la défense
d'exporter les grains. Mais naturellement on les éconduisit
grossièrement, et la Convention décida le 16 février 1793 «
qu'il n'y a pas lieu à délibérer. » Là-dessus les sujets du
prince écrivirent à leur souverain, qui, depuis le 15 Août 1791,
avait, avec sa famille, ses domestiques et son intendant Noël,
transporté sa résidence au château d'Anholt (Westphalie)
l'adresse suivante datée du 23 février 1793:
« Monseigneur... Les menaces de nos voisins, la pénurie des
bleds, et la nécessité d'une union fraternelle entre les
Français et nous, ont réuni les habitans en assemblée générale,
et le résultat est le vœu d'une réunion à la France. -
Souverain! nous ne craignons point vos reproches, car vous êtes
juste; mais quels regrets ne nous causent pas vos vertus et-
celles de vos ancêtres Princes si chéris! »
Sur la demande déposée le 2 Mars 1793 par les députés de
Senones, la Convention Nationale décida sans plus tarder, le
même jour : « La ci-devant principauté de Salm est réunie au
territoire de la République et fait partie provisoirement du
département des Vosges...» Des commissaires, parmi lesquels le
fameux Couthon, furent nommés pour prendre possession du pays et
organiser l'administration; ils firent disparaître les armes de
Salm, pillèrent l'abbaye et les archives et rendirent compte de
leur mission le 22 Mars 1793.
Tous les documents sont reproduits dans le Bulletin précité, p.
201-248.
Lorsque par la paix de Lunéville (9 Février 1801) toute la rive
gauche du Rhin fut cédée à la France, les princes de Salm-Salm
furent au nombre des souverains dédommagés par décision des
députés de l'Empire (27 Avril 1805) aux frais des princes
ecclésiastiques allemands. Le prince Constantin eut treize
enfants de ses trois femmes, dont la première était une
princesse de Lœwenstein, la deuxième une comtesse de Sternberg,
la troisième une jeune Strasbourgeoise du nom de Catherine
Bender : les enfants de cette dernière s'appelaient comtes de
Salm-Hoogstraten; ils ne s'éteignirent qu'après la guerre de
1870-71 ; les autres princes de Salm-Salm, en qualité de nobles
médiatisés, appartiennent, d'après l'article 14 de l'acte de la
Confédération germanique, à la haute aristocratie allemande.
La guerre de 1870-71 a divisé le comté de Salm entre la France
et l'Allemagne suivant une délimitation différente du partage de
1751. Des considérations militaires ont fait adopter comme
frontière la ligne de partage des eaux entre la Bruche et le
Rabodeau, et attribué en conséquence la plus grande partie du
comté à la France, la plus petite à l'Allemagne. Mais même dans
la moitié restée française, le souvenir du règne des princes de
Salm est loin d'être éteint. Les deux saumons ornent de nouveau
la mairie de Senones et l'enseigne de nombreuses auberges. Ce
particularisme historique est entretenu particulièrement par la
très méritoire Société Philomatique de Saint-Dié, dont les
travaux ont été utilisés à plusieurs reprises dans la présente
étude (3).
ARMES DES COMTES DE SALM D'ARDENNES
(Vieux Salm ou Salm-Inférieur.)
Sur le casque une sirène
tenant dans chaque main un saumon rouge (4).
ARMES DES COMTES DE SALM D'ARDENNES
(Vieux Salm ou Salm-Inférieur.)
Deux saumons de gueules sur
champ d'argent; sur le casque une couronne d'or d'où sort une
queue de saumon rouge (5).
ARMES DES COMTES DE SALM DES VOSGES .
(Salm-Supérieur.)
Saumons d'argent sur champ de
gueules semé de croisettes d'argent (6).
STIEVE (de Saverne).
(Traduit de l'Allemand par M. Fernand BALDENSPERGER).
(1) Nous avons vu dans le N° XI (1895) du
Jahrbuch fur Geschichte Sprache und Litteratur Elsass-Lothringens
herausgegeben von dem Historisch-Litterarischen zweigverein des
Vogesen-Clubs une intéressante notice de M. Stieve, de Saverne,
sur le Comté de Salm-Supérieur dans les Vosges.
Comme nous pensons qu'il est utile de recueillir et de
centraliser dans notre Bulletin tous les travaux qui sont de
nature à mieux faire connaître notre pays vosgien et à en
éclairer l'histoire, nous avons demandé à M. Stieve
l'autorisation de faire paraître sa notice, comme nous avions
fait déjà pour celle du Dr O. Bechstein sur les Antiquités du
Donon. A notre prière, M. Fernand Baldensperger, agrégé à la
Faculté des Lettres de Nancy, a bien voulu, cette fois encore,
se charger de la traduction. Nous lui adressons ici tous nos
remercîments, ainsi qu'à M. Stieve qui, avec toute la bonne
grâce possible, nous a autorisé à reproduire sa notice. H, B.
(2) Ceci n'est pas tout à fait exact. C'est à notre cher
collègue, M. Frédéric Seillière, que revient l'honneur et le
mérite d'avoir recherché et retrouvé les restes de dom Calmet,
afin de pouvoir élever à l'illustre historien de la Lorraine un
monument digne de lui. C'est sur son initiative que, dès 1868,
se forma un comité chargé de recueillir les fonds nécessaires
pour cet objet. H. B.
(3) On ne saurait trop recommander l'excursion à pied dont voici
l'itinéraire: Schirmeck, ruines du château de Salm, Katzenstein
(belvédère), Champenay (Cheval Blanc), auberge Hans (frontière
allemande), à Senones (hôtel Bardol), et de là, par la
ravissante vallée du Rabodeau, par Moyenmoutier et Étival, à
Saint-Dié. Retour par Saales. Voyemont, Lebateux, le Climont,
Ranrupt, ruines du Chàteau-de-la-Roche, Waldersbach, Rothau,
Schirmeck.
(4) Cf. FAHNE, Geschichte der Fürsten Salm-Reifferscheid
(Cologne 1866, Heberlé), p. 43.
(5) Cf. FAHNE, op. cit., p. 43.
(6) Cf. FAHNE, op. cit., p. 56 |