Etrange affirmation de Henry
Contamine dans l'article ci-dessous : « le 1er corps
bavarois, à peine débarqué à Sarrebourg, avait reçu dès le 8
août l'ordre de pénétrer en France, aux environs de Blâmont,
afin d'empêcher par une attaque à l'ouest des Vosges le
transport des forces françaises dans la région de Mulhouse, où
les XIVe et XVe corps entamaient leur offensive. »
Et la source ne provient pas de la référence qu'il cite pourtant
en note « Giraud (Victor), le général de Castelnau, Revue des
Deux-Mondes, 1er août 1921, p. 528-531 » : cet article
n'apporte aucune information entre la mobilisation et le 13
août, et n'évoque pas même le combat de Blâmont les 14/15 août
(on remarque d'ailleurs que Henry Contamine n'y fait aussi aucune
allusion, ne citant que Cirey-sur-Vezouze).
Or, il paraît géographiquement impossible que l'entrée des
Bavarois à Blâmont le 8 août 1914, ait pour fonction d'empêcher
un soutien à la ville de Mulhouse, bien plus aisément accessible
par le territoire de Belfort ou le sud des Vosges. Même le court
mouvement bavarois « dans la région de Bréménil et de
Badonviller » ne peut justifier cette hypothèse.
Une autre analyse prétend que le
Kronprinz Rupprecht envisageait une conquête rapide de la
Lorraine en progressant vers Nancy, mais que le grand état major
allemand le contraignit finalement à se retirer sur Sarrebourg. Là
encore, on comprend mal, si telle était l'idée de Rupprecht,
pourquoi dans les journées qui suivent le 8 août, alors qu'il
n'a pas reçu de contre-ordre, il n'amplifie pas son dispositif
offensif sur sa base de Blâmont. Il sait fort bien que la France
a mobilisé et qu'il va sans doute se heurter aux 1ère et 2ème
armées françaises au grand complet : ce ne sont pas ses faibles
corps de troupes qui occupent Blâmont du 8 au 14 août, notamment
indisciplinés, qui peuvent constituer le fer de lance de sa 6ème
armée. Si la même analyse évoque
la bataille de Lagarde et le soutien demandé à la 7ème armée
(limitée au final aux incendies de Nonhigny, Badonviller...),
elle ne répond pas à la question : que penser de la semaine
d'exactions sur le Blâmontois commencée le 8 août ?
- l'intérêt stratégique pour les Allemands est quasi-nul,
- l'émotion que suscite cette première violation du territoire
français a-t-elle eu tendance a précipiter l'offensive française
?
- le combat de Blâmont dans la nuit du 14 au 15 août est un bien
inutile sacrifice pour les Allemands ; les corps de troupes
bavarois auraient pu se retirer sans difficulté, sans nécessiter
une défense d'arrière garde (bien peu préparée d'ailleurs).
Qu'espéraient les quelques compagnies allemandes en se
confrontant à la 1ère armée française ?
- après la reprise de Blâmont, considérée par les français comme
une première victoire, on voit les régiments français se porter
en hâte pour franchir la frontière, et se diriger rapidement
vers Sarrebourg, où Rupprecht les attend de pied ferme pour leur
infliger une cruelle défaite les 18/19/20 août 1914.
Ainsi, si au fil des documents, on parvient à retracer les
évènements du 8 au 14 août, les motivations allemandes dans
cette première invasion du Blâmontois apparaissent encore
quelque peu obscures...
Annales de
l'Est - 1933
Les batailles de 1914 en Lorraine et en Alsace
Henry Contamine [...] Il
est une exception à l'attitude généralement réservée des forces
allemandes le 1er corps bavarois, à peine débarqué à Sarrebourg,
avait reçu dès le 8 août l'ordre de pénétrer en France, aux
environs de Blâmont, afin d'empêcher par une attaque à l'ouest
des Vosges le transport des forces françaises dans la région de
Mulhouse, où les XIVe et XVe corps entamaient leur offensive.
C'est dans ces conditions qu'une brigade du 21e corps français,
la 25e, combattit dans la région de Bréménil et de Badonviller,
que le régiment bavarois de la Garde occupa le 12 août, sans
avoir reçu l'ordre de pousser aussi loin (1).
L'historique allemand déclare à ce propos que des coups de feu
furent tirés par des Français réfugiés dans des maisons, qu'il
fallut incendier, et se plaint « de la cynique manière de
combattre » de leurs adversaires, à laquelle il oppose le
caractère de loyauté des Allemands. Ces commentaires sont
évidemment destinés à atténuer le mauvais renom que les Bavarois
ont acquis, par leur brutalité, dès les premiers combats. Il est
inutile d'y attacher la moindre importance. Le 1er corps
bavarois, d'ailleurs menacé par l'arrivée sur la Meurthe de
notre 8e corps, se replia dès le 13 août, sa mission temporaire
étant terminée (2).
Il n'y a pas lieu d'insister sur une autre action de détail,
celle de Lagarde une brigade de notre 15e corps, la 59e, avait
poussé une partie de ses bataillons jusqu'à ce village, situé en
Lorraine annexée (3). Ils furent attaqués le 11 août par une
dizaine de bataillons du XXIe corps allemand, celui de
Sarrebruck, qui remportèrent un beau succès, prenant 2.300
prisonniers et 8 canons, ainsi qu'un drapeau. Une fois de plus,
l'historique allemand fait état à ce propos « des procédés
perfides des Français » à l'en croire, nos troupes se
débarrassaient de leur uniforme pour combattre plus facilement
ils « tombaient la veste », comme disent nos compatriotes du
Midi les paysans prenaient part au combat, on avait inculqué aux
fantassins français l'idée de tirer dans le dos de leurs
adversaires, une fois blessés et prisonniers Ces accusations
sont d'un caractère purement légendaire, et c'est l'honneur de
l'ouvrage français de ne point reprendre les récits plus ou
moins véridiques qui ont jadis couru sur les méthodes de combat
de nos adversaires. On sait enfin que l'affaire de Lagarde fut
l'origine des polémiques au sujet de la conduite de nos troupes
du Midi, qui furent lancées par un article retentissant du
sénateur Gervais dans le Matin.
III. L'offensive française.
Le 14 août vit le début des
opérations importantes en Lorraine. Dès lors, la VIe armée
allemande commence à se replier vers la ligne Teterchen-Sarreguemines,
tandis que la VIIe se rassemble entre Sarrebourg et Saverne, et
que des détachements de landwehr construisent des ouvrages de
campagne derrière la Nied, entre le camp retranché de Metz et
Bouzonville.
De son côté, Joffre juge avantageux aux opérations de sa gauche,
les principales, de pousser sa droite en avant, afin d'attirer
et de tromper l'adversaire. Il croit que la situation est
désormais éclaircie en Lorraine, que l'ennemi n'y a laissé que
six corps d'armée (4) c'est pourquoi il fixe au 14 août le début
de l'offensive de nos 1re et 2e armées. A cette date, il espère
encore que l'armée d'Alsace se portera rapidement sur Colmar et
Sélestat, et il ne semble pas soupçonner que Mulhouse marquera
le terme de sa progression, grâce à la prudence, peut-être
excessive, du général Pau. Il était entendu que la marche de la
1re armée vers Obersteigen devait s'effectuer rapidement, que la
2e armée la couvrirait face au nord et progresserait la droite
en avant. Dubail comme Castelnau étaient d'ailleurs fort sages :
ils rappelaient tous deux la nécessité de ne lancer d'attaque
d'infanterie qu'avec l'appui de l'artillerie, d'organiser les
positions conquises (5). Il faut noter en outre que le général
de Castelnau eût préféré une défensive stratégique aux
conceptions offensives qui prévalaient en 1914 dans notre haut
commandement (6). Quant au général Dubail, sa mission était
particulièrement difficile, puisqu'il devait engager la majeure
partie de ses forces dans les forêts vosgiennes, et qu'il
jugeait assez aléatoire la poussée de l'armée d'Alsace vers
Colmar, mouvement prescrit par le Grand Quartier général, mais
dont il est difficile de dire s'il était réalisable ou non.
La marche en avant de la 1re armée commença donc le 14 août elle
fut marquée par l'échec de la 26e division devant Cirey, attaqué
par une charge d'infanterie lancée prématurément : cet incident
conduisit Dubail à reprocher fort vivement au général Alix,
commandant le 13e corps, de n'avoir ni dirigé l'action, ni
employé ses six batteries d'artillerie lourde (7). Les Bavarois
évacuèrent d'ailleurs Cirey au cours de la nuit suivante. Par
contre, le 21e corps remporta ce même jour un brillant succès
dans la vallée de la Bruche, que barraient six bataillons de la
30e division de réserve, détachée de la place de Strasbourg. Les
Allemands, leur général hors de combat, se trouvèrent débordés,
écrasés par nos batteries (8) ils reculèrent en désordre,
abandonnant huit canons, avec une perte de 1.700 hommes, dont
1.000 prisonniers. Le 1er bataillon de chasseurs avait pris, à
Saint-Blaise, un drapeau ennemi ! Cet heureux engagement permit
l'occupation du Donon, la descente au delà de Schirmeck. Nos
adversaires s'étaient repliés sur la feste Wilhelm II, qui
barrait la vallée de la Bruche près de Mutzig. Plus au sud, les
cols de Sainte-Marie et du Bonhomme avaient déjà été occupés, à
la suite d'actions de détail plus ou moins vives. [...]
(1) Cf. Giraud (Victor), le général de Castelnau,
Revue des Deux-Mondes, 1er août 1921, p. 528-531.
(2) Le général de Castelli, commandant le 8e corps, avait même
poussé une division au nord de la Meurthe et se préparait à
contre-attaquer. Mais Dubail lui reprocha d'avoir ainsi
éparpillé ses troupes. Il ne voulait engager son armée que
toutes forces réunies, et ses subordonnés, Legrand-Girarde et de
Castelli, ont critiqué sa conception dans leurs mémoires. Cf.
DUBAIL (Général), Journal de campagne, I, p. 30 et 31.
CASTELLI (Général de), Le 8e corps en Lorraine, p. 7. (Éditions
Berger-Levrault.)
(3) Guerre mondiale, I, 1re-3e parties, p. 246. Après avoir reçu
un compte rendu de Castelnau, Joffre remplaça à la tête de la 2e
D. C. le général Lescot, par le général Varin. Cf. Mémoires, I,
p. 269.
(4) Ibid., I, p. 243-253.
(5) Armées françaises, 1, 1re partie, annexes, p. 216.
(6) Cf. Giraud (Victor), le général de Castelnau, Reçue des
Deux-Mondes, 1er août 1921, p. 528-531.
(7) Armées françaises, I, 1re partie, annexes, p. 311.
(8) Guerre mondiale, I, 1re-3e parties, p. 275. |