Nous avons déjà trop
rapidement évoqué le sous-lieutenant Louis Lucien Roch Desessard,
observateur de l'escadrille MF 33, 2ème groupe
d'aviation, dans l'article
Combats aériens -
1914-1918.
Précisons immédiatement que toutes les variantes de son nom (Desessart,
Des Essarts, etc...) sont erronées : l'acte de naissance
formalise DESESSARD.
Louis Lucien Roch Desessard
est né le 16 août 1885 à La Châtre (Indre), fils de Jean
Baptiste, sabotier, et Solange Cornet.
Horloger de profession, il se marie le 25 janvier 1909 à Fouras
(Charente maritime) avec Jiullard Marguerite Parmentier. Le
couple aura une fille unique, et tient une horlogerie-bijouterie
à Cosne-sur-l'œil (Cosne d'Allier).
Au début de la guerre, il
rejoint le 90ème régiment d'infanterie, mais
gravement blessé en 1916 (Une citation à l'ordre de la brigade
en mars 1916), il passe à l'aviation le 23 octobre 1916 comme
observateur, et rejoint le service actif de la VIème armée le 2
décembre 1916.
Le 5 septembre 1917, il est en
mission de reconnaissance photographique dans le Farman 130 piloté par
le lieutenant Nissim de Camondo, lorsqu'au environ d'Emberménil,
s'engage un combat aérien avec un avion allemand.
A-t-il été tué lors de ce combat, lors d'une collision
en vol avec l'adversaire, ou dans les circonstances
relatées ci-dessous par La Guerre aérienne illustrée ?
Le corps sera inhumé par les Allemands dans le cimetière
de Parroy, et l'avis en sera fourni aux autorités
françaises par la Croix-Rouge de Genève.
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Le Farman 130 de l'escadrille MF 33 piloté par Nissim de Camondo
à Brocourt en mai 1916 (cliché par Camondo, source BDIC Valois
184/129)
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Journal
Officiel de la République française - 11 février 1918
Citation à l'ordre de l'armée
DESESSARD (Louis-Lucien-Roch), sous-lieutenant à l'escadrille F.
33 (2e groupe d'aviation) : le 5 septembre 1917, dans un combat
aérien, a forcé son adversaire à atterrir brusquement dans ses
lignes, mais a trouvé lui-même, dans ce combat, une mort
glorieuse. (Ordre du 24 octobre 1917) |
La Guerre aérienne illustrée - 10 janvier 1918
L'AGONIE DANS LE VIDE
5 Septembre, midi moins cinq ! - En fin de mission, l'avion
français, piloté par le lieutenant de Camundo accompagné du
sous-lieutenant Desessart, paisiblement, paraissait regagner ses
lignes. On l'accompagnait de l'œil, non pour la rareté du
spectacle, mais parce qu'il faut bien se distraire comme l'on
peut dans ces couloirs de terre d'où l'on n'aperçoit qu'une
étroite bande de ciel.
Etouffés, mais très distincts pourtant, avec ce bruit spécial,
sans éclat, qu'ils ont lorsqu'ils se tirent à 2.000 mètres
au-dessus des têtes, des coups de mitrailleuse claquetèrent. Un
combat ?. Ceux qui sommeillaient dans les abris ou rêvassaient,
ou, la plume en main contaient leurs peines aux êtres chers,
d'un même élan furent dehors. Les regards cherchèrent l'ennemi
autour des ailes de France. D'autres l'avaient déjà vu. Ils le
désignèrent. « Là. Là. » Il regagnait son centre, quand le
nôtre, résolument, s'était mis au travers de sa route. Le duel
s'était engagé.
Combien dura-t-il? Peu, sans doute, mais en des circonstances
pareilles, les plus courts instants paraissent interminables.
Les avions aux prises, tournaient se pourchassant, très près
l'un de l'autre, si près, que l'on ne différenciait plus la
croix noire des cercles tricolores. Il fallut que quelqu'un
hurla presque : « Le Boche en a .... le Boche en a .... Regardez, il
fume. ! » pour que l'on se rendit bien compte de la position
respective des deux adversaires. C'était vrai, le Boche en
avait, son réservoir à essence devait flamber. Pourquoi les
flammes se confondaient-elles avec la nue qui brillait de soleil
! On eut tant voulu tenir une certitude, tout de suite, avant la
chute imminente, mais qui était longue, longue, à se produire.
Et soudain un même cri de douleur impuissante, jaillit de ces
poitrines oppressées. Un poilu, un jeunet de la classe dix-sept,
sanglota presque : « Le Français est coupé. il tombe !. il tombe
!. » puis il se voila le visage de ses deux mains.
La vision qui suivit, fut horrible. Le bleu n'en avait eu que
les prémices. Affolé, ayant perdu le contrôle de ses commandes ;
peut-être aussi parce qu'il se sentait perdu et qu'il subissait
l'irrésistible poussée de cette exaltation intérieure qui hausse
l'individu jusqu'aux actes de suprême héroïsme, le germain avait
foncé sur son ennemi et passant dessous, l'accrochait. Sectionné
au niveau du siège de l'observateur, le fuselage de l'oiseau
français, se pliait en deux. Un homme, le lieutenant Desessart,
le corps dans le vide, se cramponnait désespérément aux débris
de toile et d'acier. Le hasard mauvais, n'avait pas voulu qu'il
fût tué par le terrible choc, mort douce que celle-là, à
laquelle tous ceux qui sillonnent les airs aspirent, si l'heure
de dormir leur dernier sommeil est venue. Au contraire, est-il
agonie morale plus atroce que celle où l'on a conscience de
l'inéluctable, quand cet inéluctable est le trépas. Sentir
sourdre en soi toutes les énergies, vivre toutes les espérances
et, brusquement, n'être plus qu'un malheureux être balloté par
des forces impitoyables, impuissant à libérer sa chair ardente
du néant qui la tire à lui. Quelle désespérante pensée et de
quelle farouche, de quelle magnifique volonté n'était-il point
doté, celui qui, là-haut, trouvait assez de vigueur pour lutter
contre la fatalité dernière, alors qu'il avait la certitude de
n'y point échapper. Il lutta, cependant. On le vit ne lâcher
prise qu'après la chute de la partie arrière du fuselage. Ses
doigts crispés, tenaient encore des lambeaux de toile qui
voletaient. Il vint s'abîmer tout près des lignes boches, en
avant de leur réseau de fils de fer.
Haletants, le cœur bouleversé par ce que cette scène avait
d'horrifiant, chacun maintenant avait reporté ses regards sur
l'appareil mutilé. Délesté de la moitié de lui-même, comment se
comporterait-il?
On pensait qu'il allait choir ainsi qu'un
LE LIEUTENANT DE CAMUNDO
Le lieutenant de Camundo, pilote, fut tué le 5 septembre 1917
dans un combat aérien, l'ennemi qu'il attaquait ayant heurté et
coupé son appareil.
LE SOUS-LIEUTENANT DESESSART
Le sous-lieutenant Desessart qui accompagnait comme observateur
le lieutenant de Camundo fut précipité hors de la nacelle dans
la chute.
bloc de plomb. C'était ne point connaître l'homme qui le
maniait. Lui et son compagnon étaient de la même trempe. Camundo
ne se déroba pas au défi que lui jetait l'adversité. A quelques
secondes de la mort, il prétendit ne point se laisser dominer
par elle.
Déséquilibrée, désaxée, sorte de chose informe et folle, sa
machine n'était plus qu'une proie pour le vide. Il voulut
qu'elle lui obéit encore.
Miracle ! Aux yeux de tous, elle parut domptée. Beaucoup
affirmèrent qu'elle descendit, décrivant de larges spirales à
l'allure des avions qui piquent volontairement. Elle disparut
derrière un bois épais, alors qu'elle était fort rapprochée du
sol. Mais on vit, à l'endroit où elle avait dû s'abattre, une
grande flamme s'élever.
L'héroïsme engendre l'héroïsme, encore que nos soldats n'aient
point besoin de stimulant pour faire abnégation d'eux-mêmes. Si
l'on ne pouvait courir au secours du pilote, tombé trop loin en
terre asservie, peut-être réussirait-on à ramener auprès de ses
compagnons d'arme la dépouille mortelle de l'observateur ?
L'entreprise était périlleuse et c'était presque tenter
l'impossible, mais chez nous, on connaît peu l'hésitation. Un
sous-lieutenant s'offrit. Ils s'offrirent tous. L'officier
choisit trois volontaires : un sergent et deux hommes. Quoiqu'il
fit grand jour, la petite troupe partit.
En ce point du front, nos tranchées sont fort éloignées des
tranchées allemandes. Quinze cents mètres environ. C'était un
peu plus d'un kilomètre que les braves avaient à parcourir et
presque partout à découvert. Rampant, utilisant les moindres
dépressions de terrain pour dissimuler leur marche, les herbes
hautes, ils arrivèrent en vue du cadavre. Encore deux cents
mètres, encore cent, plus que cinquante et ils allaient le
tenir, l'emporter. Le destin leur fut contraire. Aperçus, l'on
dirigea sur eux le feu des mitrailleuses. Un soldat tomba pour
ne plus se relever. Blessé le sergent ! blessé le second homme
qui l'accompagnait ! Seul, le sous-lieutenant demeurait indemne.
On dut songer à la retraite. Elle s'effectua, pénible,
douloureuse. On compta près de deux heures entre le moment où la
troupe était partie et celui où elle revint. Deux heures : pour
faire deux kilomètres.
De Camundo ! Je le revois lors de la cérémonie, au cours de
laquelle le général Franchet d'Esperet, remis la Croix
d'officier de la Légion d'Honneur à Guynemer. Sous son apparence
flegmatique, on devinait l'émotion profonde. Je l'entendis
murmurer par deux fois : « Quel chic petit bonhomme !... » Et ce
simple compliment dans la bouche de ce mince jeune homme, peu
prodigue de paroles et qui savait lui aussi se dévouer, en
disait plus, pour la grandeur et la sincérité de l'éloge que
bien des dithyrambes.
Quatre citations, dont deux à l'ordre de l'armée avaient été
jusqu'à ce jour l'apanage du lieutenant de Camundo. La première,
obtenue tout au début des hostilités, alors que le titulaire
n'était encore que maréchal des logis de hussards, dépeint déjà
le soldat. Elle se libelle ainsi :
« Le 24 août 1914, étant en patrouille de découverte avec quatre
cavaliers, est reçu à coups de fusil au village de Mellet. Il le
contourne et met pied à terre pour relever un hussard démonté.
Au retour, il aborde résolument une patrouille allemande de onze
cavaliers et la met en fuite. »
Nous ne donnerons le texte que d'une seule des citations qu'il
mérita dans la cinquième arme où il était devenu un remarquable
observateur photographe.
Elle est caractéristique et peut résumer les deux autres.
« Officier qui joint à une très grande habileté professionnelle,
les plus hautes qualités de courage, de hardiesse et de
sang-froid. A rendu des services exceptionnels en exécutant au
cours de la bataille de l'Aisne, tant comme observateur que
comme pilote de monoplace des reconnaissances photographiques
particulièrement dangereuses et à très faible altitude sans se
soucier des attaques des avions, ni du feu de terre de l'ennemi.
Le 26 avril 1917, son appareil étant gravement endommagé par le
feu de l'artillerie ennemie, n'est rentré qu'ayant terminé
entièrement sa mission. ».
Pour moins longue que celle du lieutenant de Camundo, la
carrière du sous-lieutenant Desessart, dans l'aviation, n'en fut
pas moins bien remplie. Nombreuses furent les reconnaissances
qu'il effectua à toute hauteur et par tous les temps. Alors
qu'il était officier d'infanterie, il fut blessé très grièvement
et devint aussitôt l'objet d'une brillante citation. Celle qui
lui a été dévolue comme observateur quelques semaines avant de
disparaître si tragiquement doit être connue.
« Grièvement blessé de l'infanterie et classé inapte, a demandé
à servir dans l'aviation. A fait preuve des plus grandes
qualités professionnelles de sang-froid et de bravoure au cours
des dernières opérations et notamment les 7 et 27 mai 1917, où,
malgré le feu très violent de l'artillerie ennemie qui a atteint
à plusieurs reprises son appareil, il a rempli entièrement ses
missions photographiques.»
De pareils hommes, honorent le pays qu'ils défendent. Il serait
injuste que leur nom tomba dans l'oubli, car il n'est pas de
plus bel exemple que celui qu'ils donnent.
POL. FIQUÉMONT. |