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L'arrondissement de Lunéville avant Léopold - 1887


L'arrondissement de Lunéville avant Léopold (1595-1697)
Emile Ambroise
Ed. Lunéville, 1887

CHAPITRE III.
Prévôtés lorraines. - Le comté de Blâmont.

§1er. - Le comté.

Blâmont (Blanc-Mont, albus mons) formait dès l'époque mérovingienne une localité assez importante, pour qu'on la trouve mentionnée à ce titre dès l'année 661 ; elle fut toujours le chef-lieu du pays environnant (pagus albimontis). Son château remonte probablement aux premiers temps de la féodalité, mais la ville ne fut fortifiée qu'en 1361, ce qui donne à penser que c'est vers cette époque qu'elle prit quelque développement comme chef-lieu du comté qui porta son nom.
Les domaines de Salm et de Blâmont appartinrent d'abord à la même famille, sous l'autorité de l'empereur d'Allemagne. Puis l'évêque de Metz acquit la suzeraineté de Blâmont en 1240, et dés lors le comté constitua un fief dépendant du temporel des évêques. Avant comme après cette réunion, le lien qui le rattachait à l'Empire demeura plus nominal que réel. Les seigneurs ou comtes de Blâmont, trop éloignés de l'Empereur pour sentir efficacement son autorité, vécurent à peu près indépendants comme leurs voisins les princes de Salm, ou les évêques de Metz.
Leur puissance s'accrut même bientôt aux dépens de celle de leur suzerain. Les évêques avaient dû confier aux comtes de Blâmont la garde ou vouerie de la place de Deneuvre, forteresse et ville importante qui leur appartenait; mais qui, placée trop loin de la ville épiscopale, et enclavée dans les possessions du duc de Lorraine, ne pouvait être facilement défendue. Le seigneur voué acquérait, nous le savons, des droits et des prérogatives sur la terre ou la ville dont il avait la garde. Mais quand il était aussi puissant que celui dont il tenait ses pouvoirs, il ne tardait pas à convoiter pour lui-même le domaine qu'il était chargé de défendre. C'est ce qui arriva pour Deneuvre. Les comtes de Blâmont, à la suite de diverses péripéties, finirent par devenir les maîtres du château et de la ville de Deneuvre.
Possesseurs de deux citadelles et d'une quarantaine de villages, seigneurs de Mandres-aux-quatre-Tours, voués de l'évêque pour Vic et Marsal, les comtes de Blâmont avaient tout ce qu'il fallait à cette époque, pour être puissants et respectés. Leurs domaines formaient un petit état plus homogène, plus compact, que la plupart des souverainetés d'alors, et moins morcelé par les seigneuries particulières que la Lorraine elle-même.
Il semble que sous la domination des comtes, le pays n'ait pas été trop maltraité; ils ont été en général pacifiques et bienfaisants. Le château de Blâmont, placé au sommet d'une colline, dominait de haut la rivière et les prairies de la Vezouse, et de la terrasse de ses tourelles, dont deux qui subsistent encore, attestent une certaine élégance de construction, le regard embrassait le beau panorama de la chaîne des Vosges, de Dabo à Raon. Nul doute que les fiers possesseurs de cette forteresse n'eussent vu d'un fort mauvais œil l'ingénieur du XIX° siècle qui a osé creuser au pied même de leur donjon, la tranchée par laquelle le chemin de fer emporte, trois ou quatre fois par jour, les planches de leurs forêts.
Cependant, ils n'étaient pas tellement maîtres chez eux, qu'ils n'eussent à subir les embarras d'un voisinage redoutable. Les ducs de Lorraine, fidèles à leur politique traditionnelle, avaient acquis, en ne sait comment, le faubourg de Giroville, aux portes même de Blâmont, et une portion du finage et des maisons de Domêvre. Grâce à ces possessions fort gênantes pour les comtes de Blâmont, ils étaient parvenus à s'arroger certains droits qui, appuyés sur la force, pouvaient servir un jour ou l'autre de prétexte à la conquête. Ainsi tout seigneur de Blâmont, à son avènement, devait prêter serment au duc de ne rien entreprendre contre lui, et ce serment se prêtait précisément sur le territoire lorrain «  ez faubourg de la ville de Blâmont, en la halle d'iceux, sur les fossés et prés de la porte dudit Blâmont, au lieu où la justice du lieu est accoutumée seoir en jugement. » Les habitants prêtaient ensuite le même serment «  par le consentement et ordonnance de MM. de Blâmont leurs naturels seigneurs. »
C'était évidemment une emprise sur l'indépendance des comtes, et une menace constante pour leur sécurité.
Les ducs de Lorraine n'eurent pas toutefois à employer la violence pour devenir propriétaires de leur domaine. Voici comment ils firent cette conquête pacifique :
Au commencement du XVIe siècle, le comté échut, à la suite de décès successifs, à un certain Olry, alors pourvu de l'évêché de Toul, et par conséquent sans héritiers directs. Le duc René, vainqueur de Charles-le-Téméraire, trouva l'occasion belle pour tenter d'acquérir ce domaine, négocia, et l'obtint en effet par différents traités contre lesquels l'évêque de Metz, suzerain du comté, protesta énergiquement, mais en vain. C'est ainsi que Blâmont et Deneuvre furent annexés à la Lorraine.
Le mercredi 27 mars 1503, René Il prit solennellement possession des deux villes et de leurs dépendances. Il avait député à cet effet le bailli de Nancy, Evrard de Haraucourt, qui reçut le serment de l'envoyé du comte Olry, à charge de conserver aux officiers, bourgeois et habitants à ce assemblés leurs franchises, libertés, us et coutumes. Ceux-ci, après avoir délibéré, revinrent bientôt (dit le procès-verbal officiel), déclarant «  qu'ils étaient bien joyeux..... et qu'ils étaient prêts aussi à faire le serment au duc, sous réserve u de leurs franchises. » On se rendit alors à chacune des portes de la ville. Le commissaire du duc «  mit les mains aux premier et second huisse », reçut les clefs, institua des portiers dont il reçut le serment et, enfin, pénétra dans le château, où il fit sonner la grosse cloche «  que l'on n'a accoutumé de sonner sinon pour quelque allarme ou à la venue d'un nouvel seigneur, ou au trépas du seigneur ». Ainsi se consomma l'annexion.
Possesseur de Blâmont, le duc de Lorraine se trouvait par le fait même, et du chef des comtes auxquels il succédait, vassal de l'évêque de Metz. A ce titre il lui devait l'hommage féodal, prenait rang au nombre de ses vassaux, et participait aux Etats de l'évêché. Pour la même raison il devenait membre de l'Empire, et devait demander l'investiture impériale pour le comté. Il la reçut effectivement; et ses successeurs, jusqu'en 1567, se soumirent à cette formalité, qui paraît incompatible avec leur titre de princes souverains. Mais le cas d'un prince vassal d'un moindre seigneur n'était point rare à l'époque. C'était toutefois une source de difficultés et d'embarras, que la diplomatie s'attacha à faire disparaître. Charles III y parvint en cédant à l'évêque François de Beaucaire ses droits, «  profits et juridiction » sur Hombourg et Saint-Avold, pour recevoir en échange ceux que le prélat possédait sur Albe, Saarbourg, Blâmont, Deneuvre, etc., (25 février 1561).
Le comté de Blâmont était ainsi devenu, sans restriction et sans condition, la propriété des ducs.
Qu'en firent-ils, et comment surent-ils le gouverner ?
La plus grande partie du territoire cédé à la Lorraine était la propriété particulière des comtes. Ils en avaient le domaine direct, et quelques villages seulement appartenaient à des seigneurs vassaux. La conquête était donc assez belle pour que les ducs pussent conserver à ces petits seigneurs leur demi-indépendance, et du reste c'était une des conditions de la cession. Ils se contentèrent donc de créer à Blâmont et à Deneuvre des prévôts, qui reçurent les attributions administratives et militaires consacrées par les usages du duché, et rendirent la justice en leur nom.
Mais telles étaient les mœurs politiques de l'époque qu'on ne songea pas à rattacher la nouvelle province à l'un des trois bailliages du duché. Les prévôtés de Blâmont et de Deneuvre n'ont jamais fait partie du bailliage de Nancy, ni d'un autre; et, suivant l'expression consacrée, elles ne sont de bailliage. Cette particularité entraînait d'importantes conséquences. Les sentences du prévôt n'avaient point pour sanction l'appel au tribunal des assises. Cette juridiction supérieure, à laquelle le duc lui-même se soumettait en tant que seigneur, et qui présentait de réelles garanties d'indépendance et d'équité, n'eut point d'action sur les nouvelles prévôtés. Les sentences de la justice de Blamont étaient portées directement au buffet du duc, c'est-à-dire devant la cour des comptes du domaine, évidemment plus docile aux volontés du maître.
Par application du même système, le village de Verdenal et une partie de celui de Domêvre, qui de tout temps avaient appartenu aux ducs, ne furent pas rattachés à la nouvelle prévôté, bien qu'ils y fussent absolument enclavés. Leurs habitants continuèrent à porter leurs différends devant le prévôt de Lunéville, éloigné d'eux de six lieues.
L'anomalie d'un pareil régime avait des conséquences infinies. Pour n'en citer qu'une, il était interdit aux sujets d'une seigneurie de la quitter pour se marier dans une autre. Il en résultait qu'à Domêvre, dans l'intérieur du même village, les alliances n'étaient point libres. L'intérêt des habitants n'eût point suffi sans doute à provoquer quelque tempérament à la rigueur d'une pareille loi, mais heureusement l'intérêt du seigneur s'y trouvait aussi engagé. De la l'introduction de l'usage du contremand, dont nous connaissons les effets. A Domêvre, celui qui veut se marier dans la seigneurie à laquelle il n'appartient pas, doit coucher la première nuit «  sous le seigneur » qu'il veut servir. Pendant un an, toutefois, il reste franc de toute redevance, et n'a pas de seigneur. Ce temps écoulé, il doit s'adresser à l'abbé des chanoines, qui le déclare sujet de la seigneurie qu'il a choisie.
Cette capricieuse composition des circonscriptions, si fâcheuse pour l'administration du pays a, pour le curieux, l'avantage de laisser subsister la trace des acquisitions successives et des limites anciennes des territoires telles que la féodalité les avait groupés.

§2. - Le domaine et les vassaux.

La juridiction du prévôt de Blâmont s'exerçait directement sur le domaine du duc qui comprenait AMENONCOURT, AUTREPIERRE, BLÉMEREY, REPAIX, CHAZELLES, IGNEY, GONDREXON, la haute rue de HALLOVlLLE, LEINTREY, REILLON, moitié de DOMJEVIN, REMONCOURT, le ban Saint-Pierre â BRÉMÉNIL, GOGNEY, MIGNÉVILLE, partie de NONHIGNY, PETONVILLE pour un quart, une portion de SAINT-MARTIN et FRÉMONVILLE.
Les habitants de ces communes étaient soumis envers le seigneur à des obligations bien précises et presque identiques, ce qui est un fait assez rare, et témoigne d'une organisation administrative qui n'était point partout aussi complète. Ils paient la taille Saint-Remy, «  au bon plaisir de son altesse, doivent accourir â Blâmont en armes, lorsqu'on y fait justice, et en temps d'imminent péril, » enfin ils doivent des laboureurs, des faucheurs, des faneurs, pour les fermes du duc. Une rétribution en nature, consistant ordinairement en une miche de pain, apportait quelque tempérament aux rigueurs de la corvée, que du reste, ceux qui n'étaient point laboureurs pouvaient acquitter en argent. Chaque ménage doit trois poules, l'homme veuf n'en doit pas, mais la femme veuve en doit une et demie; en quelques endroits elle paie même les trois, comme si le ménage était complet.
Quelques communes du comté étaient placées sous la loi de Beaumont, comme REILLON et DOMJEVIN. Elles nommaient elles-mêmes leur maire par élection, privilège précieux, qui constituait le premier échelon de l'affranchissement.
D'autres, sans jouir du droit d'élection, avaient cependant l'avantage de n'être pas jugées directement par le prévôt. Leur maire et des échevins, bien que nommés par le représentant du duc, rendaient la justice en premier ressort, mais le prévôt connaissait des appels. FRÉMONVILLE, notamment, vivait sous ce régime.
A FRÉMONVILLE, il avait existé anciennement une Tour où les habitants étaient tenus de faire le guet. C'est sans doute cette construction massive qui se voit encore prés de l'Église, et qui, sous les transformations que cinq siècles lui ont fait subir, conserve cependant en partie les traces de sa destination première. Les épaisses murailles ont été éventrées et garnies de fenêtres tantôt ogivales, tantôt carrées ; la porte sculptée, qui s'ouvre sur un perron moderne, paraît dater du XVe siècle; enfin une sorte de guérite en saillie, percée d'une double fenêtre à ogives, évidemment ajoutée après coup, donne à cette construction un aspect particulier qui ne manque pas de pittoresque. La Tour cessa de bonne heure de servir à la défense, mais pour tenir lieu du guet qui n'avait plus sa raison d'être, le village fut imposé de six resaux de blé, et les paya jusqu'à la Révolution.
A REPAIX, il existait une petite seigneurie particulière composée de trois maisons et d'une masure, avec droit de troupeau, de colombier, et de chasse pour le seigneur et un ami seulement.
DOMJEVIN vivait sous un régime assez curieux. Ce village obéissait à deux maîtres. La rue haute appartenait au duc de Lorraine, l'autre au comte d'Haussonville, dont elle porte encore le nom aujourd'hui. Ces deux portions de village étaient soumises à des autorités absolument différentes ct étrangères les unes aux autres. Il y avait deux maires. Chacun d'eux «  avait ses gens à part, par rue, l'un pour son altesse, l'autre pour les sieurs d'Haussonville. » Ceux de la rue haute avaient dans les forêts certains droits dont ne jouissaient pas les autres. Les fours banaux appartenaient en commun aux deux seigneurs, ainsi que le pont ; et, chose rare pour l'époque, ceux-ci étaient parvenus à s'entendre, en 1650, pour le réparer à frais communs, moyennant 989 livres et 8 gros, non pour la commodité des habitants, mais «  pour faciliter le charroi des sels venant de Dieuze », qui payaient naturellement le passage.
Les vassaux du comte de Blâmont étaient les seigneurs de FRÉMÉNIL, de BARBAS, d'OGÉVILLER, les sires de LANNOY, possesseurs d'une portion de HERBÉVILLER, et les seigneurs du ban de ST-CLÉMENT, qui comprenait Laronne et Chenevières, mais appartenait pour partie à l'évêque de Metz.
Les titres de la seigneurie de Lannoy existaient encore au château d'Herbéviller il y a deux ou trois ans, ainsi que le sceau du tabellion. Dans ce château, dont les constructions un peu délabrées conservent cependant un aspect tout féodal, on peut voir une immense salle carrée terminée par une chapelle de style gothique, curieuse par les nervures entrecroisées de ses ogives. L'autre partie du village formait la seigneurie de la Tour, et dépendait de l'évêché de Metz. Elle fut donc soumise à la France prés de deux cents ans avant la première. Les ruines de «  la Tour », situées à droite du chemin de Saint-Martin, présentaient encore, il y a peu d'années, un pan de muraille soutenant une échauguette en encorbellement. Un spéculateur les a achetées pour en tirer de la pierre, et la dépression du sol, à l'emplacement du fossé, en sera bientôt la dernière trace.
La seigneurie de BARBAS avait quelque importance, et le nom de cette famille se rencontre souvent dans l'histoire de Lorraine. Avec MONTREUX, une partie de NONHIGNY et de MONTIGNY, qui en dépendaient, elle formait un domaine étendu.
OGÉVILLER, avec RECLONVILLE et une portion de SAINT-MARTIN, avait plus d'importance encore. C'était un bourg, protégé par un château. Deux de ses tours qui restent debout donnent une idée assez exacte de ce qu'étaient ces demeures féodales: au rez-de-chaussée une sorte de cellier voûté; au premier, une salle également voûtée, éclairée par deux étroites fenêtres percées dans un mur épais de deux mètres. La cheminée. la pierre d'évier, l'emplacement de l'escalier tournant donnant accès aux étages supérieurs sont encore parfaitement visibles. On n'accédait à cette salle que par les galeries aujourd'hui démolies qui reliaient les tours entre elles. Des meurtrières permettaient d'en défendre les approches. Le château d'Ogéviller a été démoli en 1636 par ordre du roi de France, sans avoir, semble-t-il, opposé de résistance.
Le nom des comtes d'0géviller se rencontre jusqu'à la fin du quinzième siècle (1474). Puis la seigneurie se trouva partagée en quatre, et donna lieu plus tard au morcellement compliqué qu'on trouve ainsi décrit dans les comptes du domaine de Lorraine. «  Le prince de Salm et MM. les comtes de Salm sont seigneurs hauts justiciers, pour 1/4 conjointement avec Mgr le prince d'Havri, MM.Thirion et de Roquefeuille pour les trois autres quarts. Les justiciables sont divisés en deux seigneuries dont l'une est auxdits seigneurs princes de Salm et à M. Thirion, comme acquéreurs des comtes de Salm ; l'autre auxdits sieurs d'Havri et de Roquefeuille. Ils ont chacun leur justice et leurs officiers sur les lieux, à l'exception du juge-garde, du procureur, du greffier et du tabellion qui sont communs. L'emplacement de l'ancien château appartient pour 1/4 à chacun des seigneurs. On n'en tire rien, n'y ayant que des débris de moellons et quelques pierres de taille calcinées. L'emplacement des anciennes halles appartient à tous les seigneurs chacun pour 1/4. »
Un petit village, enclavé dans le comté, formait comme un état à part. C'était SAINT-MAURICE. On étonnerait sans doute les habitants de cette localité si on leur rappelait que, faisant exception au régime commun, ils ne payaient pas l'impôt de la Saint-Remy, acquitté par tous leurs voisins «  au bon plaisir de son altesse, » qu'ils étaient jugés non par le prévôt de Blâmont, mais par des, juges de la localité même, sur lesquels ni le bailli ni le prévôt n'avaient d'action, qu'enfin ils n'étaient pas «  cotisables aux aides généraux et autres subsides ». Saint-Maurice était un franc-alleu, c'est-à-dire que le seigneur du lien ne devait hommage à aucun suzerain, et gouvernait son petit état à sa guise. Les chroniques ne disent pas si les habitants de Saint-Maurice étaient sous ce régime moins malheureux que leurs voisins. Du reste, en 1710, la seigneurie de Saint-Mamies fut acquise par le duc de Lorraine, et rattachée à la prévôté de Salm.
N'ayant point à parler ici de l'abbaye de Domêvre, puisqu'elle dépendait de la prévôté de Lunéville, nous avons ainsi parcouru toutes les communes du comté de Blâmont. Ses limites vers l'est ont servi, à peu de chose près, à la délimitation moderne des cantons de Lorquin et de Blâmont. Ailleurs elles présentaient tant d'irrégularité et de confusion que les circonscriptions actuelles n'en ont point tenu compte.

§ 3. - La ville de Blâmont.

Maintenant que nous connaissons de quoi se composait le domaine, entrons dans la ville qui en était le centre et qui s'intitulait «  château, ville fermée, bourg, ban et finage de Blâmont ».
Le château est fort ancien. Remanié à différentes époques, il était au seizième siècle une demeure spacieuse et opulente, fréquemment habitée par les ducs. La reine Christine de Danemark, mère du duc Charles III, l'avait fait réparer et aménager, et l'on a, aux archives de Nancy, la description des bâtiments, salles et galeries qui le composaient.
En 1545, le duc François, conseillé par ses médecins, voulut habiter un lieu chaud et sec, et choisit le château de Blâmont. Mais il n'en fut que plus malade, ce qui n'est pas étonnant, car on était au mois d'avril, et, à cette époque de l'année, Blâmont ne mérite guère la préférence dont l'honorèrent les médecins du duc. Aussi reconnaissant leur erreur, ceux-ci ne conclurent «  meilleur remède que de le faire baigner à Plombières. » On l'y transporta en chaise à bras, mais sans plus de succès.
L'aspect actuel du vieux château permet de penser qu'il avait été mis en état de supporter l'attaque de l'artillerie. On y voit, comme à Moyen, l'emplacement de ces terrasses et boulevards dont l'adjonction, imaginée au XVIe siècle, servit à la fois à renforcer le pied des vieilles murailles féodales, pour les protéger contre les effets du tir direct (le seul qu'on employait alors), et à permettre la manœuvre des pièces que l'assiégé opposait au canon de l'assaillant.
La ville, fortifiée en 1361, s'étendait au pied des murs du château. Elle avait, semble-t-il, quatre portes extérieures : la porte d'Azie, la porte de Vezouse (Vizuse), la porte d'en haut, et celle d'en bas. Mais il en avait existé d'autres dans l'intérieur, car, aux premiers temps du moyen-âge, la ville, le bourg et le faubourg avaient constitué trois enceintes distinctes, garnies chacune de portes et de tours. Cette division d'une même bourgade en quartiers séparés et fermés était alors assez commune; elle contribue encore à donner à certaines villes d'Alsace, à Ribeauvillé, par exemple, un cachet très pittoresque; mais elle a encombré longtemps l'intérieur de Blâmont de pans de murs et de restes de tours dont on trouve encore plus d'un vestige. Au siècle dernier les capucins réclamaient déjà l'autorisation de démolir ceux qui déparaient leurs jardins.
Une confrérie de cinquante arquebusiers formait la garnison permanente, qui s'augmentait naturellement de tous les manants de la ville et de la banlieue, lorsque le péril était proche, «  que l'enseigne de Blâmont marche, et qu'on y fait justice ». Les arquebusiers recevaient vingt-cinq francs par an et une gratification consistant en un demi-cent de carpes pêchées dans les étangs de son altesse.
Les simples bourgeois ne recevaient rien, mais payaient beaucoup. Les laboureurs doivent la corvée dans les domaines du duc, à raison de deux jours par an. Ils sont tenus de mener au moulin les grains de son altesse, «  étant prévenus le soir pour le matin, » et de les rapporter aux greniers. Les manouvriers portent les sacs. Ils doivent le charroi des bois, pierres, chaux et sable pour l'entretien du château, des greniers, des moulins, des halles, et «  autres usines princiéres ». Ils sont obligés de fouler le chanvre, de piller l'orge «  au battant qui est joindant le neuf moulin ». Ils paient une livre de pain pour trente deux qu'ils cuisent, etc. Il est vrai que la corvée ne se fait pas absolument sans compensation. Le seigneur fournit les miches de pain, les aulx et le fromage; et quand les laboureurs ont conduit «  sur chacun étang, lorsqu'on veut les pécher, les bateaux, filets, etc, on leur donne, par reconnaissance..... deux jeunes poissons ».
Ces pauvres gens n'étaient pas bien heureux, et leur humble langage peint en traits frappants leur pénible situation. En les annexant à la Lorraine, on leur avait promis de respecter leurs franchises, et René II, tant qu'il vécut, n'y porta pas atteinte. Mais le duc Antoine, pressé d'argent, voulut exiger d'eux le paiement des aides générales du duché, dont ils avaient été exempts jusque la. C'est alors que les bourgeois représentèrent humblement «  qu'ils n'étaient que 934 ménages; que lorsque le duc était allé les voir, ils lui avaient donné de bon cœur sa bien-venue, ce qui leur avait fait dépenser beaucoup d'argent, et qu'ils étaient bien pauvres ». Inutile de dire que leur touchante supplique fut froidement accueillie, et qu'il fallut payer.
Tel était le régime auquel était soumis les bourgeois en général. Mais chaque corporation de métiers avait en outre ses chartes particulières, dont le sens général était encore le paiement d'un impôt représentant le prix du monopole garanti à la corporation.
C'est vers la fin du seizième siècle que les chartes de métiers furent renouvelées par le duc Charles III. On y voit régner le même esprit; c'est-à-dire qu'au moyen de certains droits prélevés sur les artisans étrangers à la corporation, on assurait à celle-ci le monopole des prix et des procédés de fabrication ; mais qu'en même temps on faisait payer ce privilège, afin d'assurer au seigneur des revenus qui n'étaient pas la moindre raison de son libéralisme. Qu'on ne s'exagère pas l'importance des corporations. A Blâmont, où il y avait 934 ménages, il existait des corporations de bouchers, de drapiers, de serruriers, de pelletiers, de merciers, de cordonniers. Chacune d'elles ne devait par conséquent réunir que bien peu de maîtres, et leur puissance ne pouvait s'étendre bien loin.
Tout nouveau venu payait un droit de Han, en argent et en nature, que la corporation partageait avec le duc dans des proportions déterminées. Mais le fils du patron devenait maître lui-même à meilleur compte. Il en était quitte pour une livre de cire pour l'autel du saint, et quatorze pots de vin aux maîtres et compagnons.
La corporation devait maintenir la loyauté des procédés de fabrication. Il était défendu, par exemple, «  a aucuns cordonniers d'entremêler du cuir de vache en faisant des bottes à genouillères ; d'introduire du cuir de cheval dans «  les empeignes, de mettre une semelle qui ne soit de bon cuir, ou de laisser deux points rompus l'un suivant l'autre », le tout à peine d'amende. Prescriptions rassurantes pour le public, mais bien minutieuses, et qui devaient fréquemment s'éluder dans une petite ville, où l'entente était facile entre les artisans. Le privilège ne devait donc servir le plus souvent qu'à favoriser l'impunité, la fraude et la routine. Il est vrai (espérons que cela suffisait) que chaque année le maître et le doyen prêtaient solennellement serment de maintenir les droits et les lois de la corporation.
Blâmont, au temps de la duchesse Christine de Danemark, mère du duc Charles III, connut une ère de prospérité et de splendeur. Le séjour de la duchesse douairière y attira le passage et la visite de personnages importants, et l'on y célébra même les fiançailles d'une fille du duc avec un prince de Bavière. Les bourgeois, réunis en armes pour faire cortège aux grands seigneurs, virent avec étonnement le spectacle fastueux des tournois, des danses et des festins. C'est à la même époque que des bâtiments neufs, des terrasses, des jardins, ajoutés aux vieilles constructions du château, en firent, au témoignage peut-être un peu complaisant d'un contemporain, une résidence vaste et magnifique, (arx diffusa et magnifica). Mais cette époque de grandeur ne précédait que de vingt ans le commencement de ses malheurs et de sa décadence.
En 1587, l'armée des protestants d'Allemagne, sous les ordres du duc de Bouillon, traversait la Lorraine pour se porter sur la Loire, au secours des Huguenots de France. L'histoire n'a pas attaché une grande importance à cette invasion germanique, vengée du reste immédiatement par les exploits de l'héritier de Lorraine, le jeune marquis de Pont-à-Mousson (1). Mais le chroniqueur lorrain ne saurait l'oublier, car elle passa par Baccarat, Blâmont et Lunéville, et ravagea la première de ces trois villes. Les deux autres, bien défendues par leur gouverneur, purent échapper à l'incendie. La résistance de Blâmont dirigée par Mathias Klopstein fut des plus honorables, et il en reste un glorieux témoignage, celui du duc Charles III lui-même. Une ordonnance de 1590, inspirée par le désir «  qu'il y ait quelque marque et mémoire pour servir de témoignage, à eux et leur postérité, de la fidélité, diligence et valeur dont iceulx bourgeois, manants, et habitants de Blâmont ont usé pour la défense et conservation de ladite ville », les autorisa à imposer à leur profit les vins étrangers passant par leur ville.
Les habitants de Blâmont surent mettre à profit ces bonnes dispositions du duc. Dix-neuf ans après, ils invoquèrent encore les souvenirs du siège de 1587, pour obtenir des réformes dans l'organisation de la justice locale. Ils les obtinrent, mais bien modestes, et continuèrent, comme on va le voir, à vivre sous un régime qui n'était guère qu'un tempérament aux rigueurs du servage primitif, et qui ne peut rappeler en rien la presque autonomie dont quelques grandes villes avaient joui au moyen-âge.
Le duc accordait aux bourgeois de Blâmont le privilège de n'être plus jugés par son prévôt, mais par leur maire, assisté d'un maître-échevin et de deux échevins.
Le Maître-Échevin était sinon élu directement, du moins présenté au choix de son altesse. Quant au maire, on ne voit pas très clairement si sa nomination par le peuple échappait au contrôle du duc. Quoi qu'il en soit, le prévôt ne devait plus aucunement «  s'entremettre ni avancer » dans le jugement des causes, et les échevins purent conserver trois ans leurs fonctions. Du système antérieur qui limitait ces fonctions à une année, il était résulté que, «  avant qu'ils fussent entrés à la connaissance des choses dépendantes de leurs charges, ils étaient à la sortie d'icelles », ce qui devait exposer la justice à de grossiers écarts, malgré la présence des vingt hommes et l'avis des quatre jurés qui assistaient ces juges improvisés.
La suppression de ce concours plus tumultueux qu'éclairé, source de mille «  prolongations et partialités, » fut accueilli par de grandes marques de reconnaissance.
Toutefois le duc, en renonçant aux privilèges de son prévôt, ne perdait pas beaucoup de son influence sur la justice locale, car le nouveau tribunal fut assisté d'un procureur fiscal chargé de veiller aux intérêts du souverain. Quant au prévôt, il conserva sa juridiction sur les nobles, et son ingérence dans les litiges où leurs intérêts se trouvaient en conflit avec ceux des bourgeois. Il ne fut pas non plus désarmé vis-à-vis de ceux-ci dans tous les cas où le bon ordre paraissait engagé. Ainsi, tout en concédant «  que les bourgeois ne peuvent être emprisonnés pour faits de simples délits dont la peine ne peut être que pécuniaire » l'ordonnance ajoute «  à moins que le délit ne se trouve accompagné et revêtu de circonstances importantes, et scandale ou mauvais exemple en public » ; expressions vagues qui dans la pratique devaient rendre bien illusoires les garanties déjà si précaires de la charte.
Nous avons déjà dit que les appels des sentences de Blâmont ne se portaient pas aux assises, mais directement au buffet, c'est-à-dire à la Cour des comptes.
Deux fonctionnaires municipaux, gouverneurs de ville, complétaient l'organisation locale. Leur nom semble défier tous les efforts des étymologistes. Ils s'appelaient les imbultz.
Telle était la petite ville de Blâmont au commencement du XVIIe siècle, lorsqu'elle fut atteinte et bientôt ruinée, comme toutes les villes lorraines, par la guerre de Trente ans. Assiégée en 1636 par le comte de Saxe-Weimar et les allemands au service de France, elle succomba. Du moins le dernier trait mémorable de son histoire fut-il honoré par la vigoureuse conduite des habitants, et la fière attitude du gouverneur. L'ennemi, qui n'entra dans la place qu'à la suite d'une capitulation, souilla sa victoire en violant la convention qui la lui livrait. Le gouverneur, payant de sa vie la belle résistance de la petite ville lorraine, fut pendu à la porte du château. Depuis cette catastrophe, il ne faut plus demander à l'histoire de Blâmont que les tristes témoignages des ruines irréparables que la guerre y a causées. Les églises, les halles, les trois fours, les maisons furent entièrement réduits en cendres; tous les titres furent perdus, au point que, en 1700, la ville ne pouvait plus établir ses droits de propriété dans les forêts. Plusieurs moulins incendiés ne se relevèrent jamais. Trente ans après ce pillage, on n'avait pas encore pu remonter les cloches, et l'état des portes était tel qu'on ne les faisait plus fermer.
Le dernier gouverneur de Blâmont se nommait Jean Klopstein. Son nom, qui a survécu à la ruine du château et de la ville, n'a cessé d'être dignement porté et universellement respecté dans le pays qu'il a défendu.

(1) Henry Martin. Tome X, page 48.

 

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