Notice historique sue Deneuvre et Baccarat - Extraits
(notes renumérotées)
NOTICE
HISTORIQUE SUR DENEUVRE ET BACCARAT.
Par Ch. Mangin
Pharmacien à Baccarat. 1861.
[...]
DENEUVRE.
LIVRE PREMIER.
GENEALOGIE DES
COMTES DE BLAMONT, SEIGNEURS DE DENEUVRE.
Dom Calmet ne donne
la généalogie des Comtes de Blâmont que depuis la
réunion de cette terre à la seigneurie de Salm, au 12me
siècle. Il parle à la vérité de quelques seigneurs
antérieurs à cette époque ; par exemple, d'un Oliart,
qui vivait en 962 ; d'un Ulric de Turqueistein, en 1002,
et de quelques autres personnages leurs descendants ;
mais on ne trouve aucune filiation dans le peu qu'il en
dit, d'où l'on doit conclure qu'on ne connaît
qu'imparfaitement les premiers possesseurs de ce Comté.
On sait seulement qu'ils le gardèrent jusqu'au 12me
siècle sans interruption. Ce fut alors que cette terre
seigneuriale fut portée dans la maison de Salm, par le
mariage d'Agnès de Langstein (Pierre-Percée) leur fille
unique et seule héritière, avec Herman, ou Hériman de
Salm; mais ces deux familles se séparèrent de nouveau au
13eme siècle. Vers l'an 1240 Ferry ou Frédéric, fils de
Henry II comte de Salm et de Blâmont, impatient de jouir
des biens de sa famille, qu'il regardait comme siens,
chassa son vieux père de son château de Blâmont.
Celui-ci vint à mourir quelques temps après ; alors
Ferry se mit en possession de tout l'héritage de ses
ancêtres. Mais Henri IV, sire de Ribeaupierre, son
neveu, fils de Henri III, décédé comte de Salm, réclama
ce qui lui avenait de la succession de son père. Ferry
lui abandonna Morhanges, Viviers, le château de Salm et
celui de Pierre-Percée, et garda pour son compte la
seigneurie de Blâmont et autres lieux. Ses successeurs
ajoutèrent à leurs titres celui de Cuens de Danubre, de
Danuèvre, comte de Deneuvre, lorsque cette terre leur
fut abandonnée en fief par l'évêque de Metz.
Ce Ferry épousa Jeanne de la maison de Dombasle, de
laquelle il eut trois fils, Henry II, qui lui succéda ;
Thomas, qui fut évêque de Verdun, et un nommé Geoffroy.
1291. HENRY II.
Comte de Blâmont et 1er du nom, seigneur de Deneuvre. Ce
fut ce prince, qui reçut en fief la terre de Deneuvre
des mains de l'évêque Bouchard d'Avesne. Il épousa dame
Cunégonde, qui lui donna trois fils : Henry III, son
successeur ; Jean, qui mourut en bas âge ; et Ancelin.
Sa femme et lui fondèrent la Collégiale de Deneuvre.
13... HENRY III.
Ce prince épousa Valburqe de Fénétranges de laquelle il
eut deux fils : Thiébaut, qui lui succéda, et Olry.
13... THIÉBAUT I».
Il épousa Marguerite de Lorraine qui lui donna un fils,
Henry IV. Ce fut ce seigneur qui fit fortifier la ville
de Deneuvre en 1361.
14... HENRY IV.
Ce comte épousa Isabelle de Lorraine, fille de Ferry
Ier, comte de Vaudémont et de Marguerite de Joinville.
Il mourut en 1441, laissant de son mariage cinq enfants
:
1° Ferry ou Frédéric II, son successeur;
2° Thiébaut, mort sans avoir été marié ;
3° Olry, qui fut évêque de Toul, et dont il sera
grandement question ;
4° Marguerite, morte sans avoir été mariée;
5° Isabelle, qui épousa Jean de la Haye, seigneur de
Passavant.
1441 . FERRY II.
Sa femme fut Bonne de Neufchâtel, de laquelle il eut :
1° Claude;
2° Olry;
3° Guillaume;
4° Louis, qui survécut à tous ses frères morts en bas
âge.
1496. LOUIS 1er.
Ce prince, enfant maladif, mourut en 1503, sans avoir
été marié.
1503. OLRY Ier
La postérité de Ferry II étant éteinte, Olry, troisième
fils de Henry IV, et dernier mâle de l'ancienne maison
de Blâmont, recueillit toute la succession de ses
ancêtres. Elle se composait du Comté de Blâmont, des
Prévôtés de Deneuvre, d'Amermont, de Mandres-aux-Quatre-Tours
et de la terre de Fougerolles. En lui, septième seigneur
de Deneuvre, finit la postérité masculine de son
illustre maison. Elle avait possédé la prévôté de
Deneuvre pendant 215 ans. A sa mort, arrivée en 1506,
tous ses biens passèrent entre les mains des Ducs des
Lorraine, par suite de l'abandon qu'il leur en fit par
son testament.
CHRONOLOGIE.
1078. Prise et sac du
château et de la ville de Deneuvre.
1126. Fondation du prieuré du Moniet (St-Chrystophe).
1139. L'évêque Etienne de Bar reprend la ville et le
château.
1273. Nouvelle prise de Deneuvre.
1291 . La prévôté est donné en fief aux sires de
Blâmont.
1301. Fondation de la Collégiale.
1317. Introduction des commerçants Lombards.
1361 . Deneuvre est entouré de murailles.
1476. Introduction dans la ville de la première famille
juive.
1506. Deneuvre passe sous la puissance des Ducs de
Lorraine.
1546. Grande cérémonie funèbre.
1561 . L'évêque de Metz vend la suzeraineté de la
prévôté de Deneuvre.
1579. Fondation du sanctuaire de sainte Marie-Magdeleine
à la Rochotte.
1635. Blocus et ruine de la ville. .
1698. Abolition de la Prévôté.
1737. Erection de l'église moderne.
1741. Abolition de la recette des finances.
1747. Abolition de la Gruerie.
1761 . Départ des Chanoines de la Collégiale.
1766. Réunion de Deneuvre à la monarchie française.
1855. Abolition de son importance religieuse.
DANORUM OPUS.
DANUBRIUM, DANUBRE, DANUÈVRE,
DENEUVRE.
LIVRE 1er
Chapitre Ier.
L'ancienne ville de
Deneuvre doit-elle son origine aux Danois comme Danorum
opus nous le dit positivement ?
L'histoire nous apprend que ce peuple réuni aux
habitants de la Hongrie et tous confondus sous le nom de
Huns firent de terribles irruptions dans la Lorraine sur
la fin du 9e et au commencement du 10e siècle. Ces
barbares au lieu de fonder des villes brulèrent et
saccagèrent tout sur leur passage : la plus grande
partie .des habitants des trois évêchés, Metz, Toul et
Verdun, périrent dans cette conflagration; la ville de
Saint-Dié, les monastères de Senones, d'Etival et de
Moyenmoutier furent pillés et incendiés ; les églises de
nos contrées ne furent pas plus respectées ; et les
chroniqueurs nous disent que dans ce moment de désordre
le plus grand soin des moines et des prêtres fut de
mettre en sûreté leurs saintes reliques. Voilà comment
ces peuplades barbares signalèrent leur présence dans
notre pays. Devant ces faits peut-on admettre un instant
que ces sauvages aient quitté l'épée pour la truelle, et
que d'implacables guerriers ils se soient transformes
tout-à-coup en paisibles maçons ? (1) Les Danois
n'auraient-ils pas laissé en Lorraine d'autres monuments
que la ville de Deneuvre ? Mais il est inutile de nous
appesantir sur une semblable origine; cette ancienne
cité d'ailleurs est antérieure à ces invasions et n'est
ainsi appelée Danorum opus que par le très-ancien auteur
de la vie de saint Hidulphe, fondateur de l'abbaye de
Moyenmoutier ; tandis que dans les plus vieux titres
cités par Dom Calmet, et dans lesquels il en est fait
mention, cette ville est toujours désignée sous les
différents noms de Danubrium, Danubre, Danuèvre et
Deneuvre dernière dénomination qui a prévalu jusqu'à nos
jours. Jamais ses anciens possesseurs, les évêques de
Metz, ne prirent le titre de Domini Danorum operis, ou
du moins nous ne l'avons jamais vu dans nos recherches.
Jamais non plus les sires de Blâmont, leurs successeurs,
ne s'avisèrent de prendre une telle qualification, ils
s'intitulaient au contraire, Cuens de Danubre, de
Danuèvre, comtes de Deneuvre. Il est donc difficile de
s'imaginer pourquoi l'auteur que nous avons cité
attribue la fondation de cette ville aux Danois. Il
était, ce nous semble, bien plus rationnel d'en faire
hommage aux peuplades également barbares qui vivaient
sur les bords du Danube. (Danubriorum opus ; par
contraction et abréviation, Danubrium; et lorsque le
latin se francisa Danubre, Danuèbre, Danuèvre et enfin
Deneuvre.) La similitude des noms, et peut-être même la
probabilité de l'événement (comme on le verra bientôt)
serait d'un bien grand secours pour soutenir cette
hypothèse. Car on peut facilement admettre qu'une de ces
hordes guerrières, réunie aux légions romaines, a bien
pu camper sur le point culminant occupé depuis par
Deneuvre, et y bâtir la forteresse qui lui donna
naissance. Mais qu'importe l'étymologie des différents
noms donnés à cette ville; ce qui nous intéresse c'est
le passé de ses habitants. Quant à son ancienneté nous
saurons bientôt à quoi nous en tenir lorsque nous nous
occuperons de cette forteresse primitive, dont les
ruines nous sont connues sous le nom de Tour du Bacha.
La seigneurie de Deneuvre quoique sous la régale des
évêques de Metz, était pour le spirituel subordonnée à
l'évêché de Toul et faisait partie de l'archidiaconé de
Port (Saint -Nicolas). La ville était chef-lieu d'un
doyenné qu'on désignait aussi sous le nom de chrétienté
de Deneuvre, Le siège de cette juridiction
ecclésiastique était autrefois à Flin, qui avait aussi à
cette époque sa maison seigneuriale, et qui au XIIIe
siècle déjà formait un bourg assez considérable. Le
doyenné de Deneuvre se trouvait borné à l'orient par
celui de Salm en partie, et les paroisses de Senones, d'Étival
et de Moyenmoutier ; au midi, par le doyenné d'Epinal ;
à l'ouest, par celui du Saintois ; et enfin au nord par
celui de Saint-Nicolas-de-Port. Il avait donc à peu près
sept lieues en longueur sur quatre ou cinq de largeur,
et se trouvait partagé par la petite rivière de Mortagne,
qu'on appelait autrefois l'Agne, tandis qu'au midi il
était resserré par le ruisseau de Leuron et au nord par
la rivière de Meurthe. Le doyenné de Deneuvre comprenait
: 5 abbayes, Autrey ; (2) Beaupré (3) et Belchamp; (4) 6
prieurés; 1 collégiale; 5 hôpitaux; 5 couvents de
religieux, 2 de religieuses; 40 chapelles ou oratoires;
11 ou 12 ermitages et enfin 27 cures et 18 annexes qui
étaient :
Deneuvre, Baccarat, La Chapelle, Thiaville, Glonville,
Flin, Vathiménil, Nossoncourt, Sainte-Barbe,
Rambervillers, Juménil, Houssera, Saint-Benoit, Domptail,
Le Fontenoy, Doncières, Xaffévillers, Roville, Romont,
Saint-Maurice (en Vosges), Magnières, Moyen,
Gerbéviller, Fraimbois, Remenoville, Serauville,
Mattexey, Valois, Giriviller, Venezey, Essey, Froville,
Clézentaines, Dainvillers, Haillainville, Haudonville,
Landecourt, Roselieures, Borville, Franconville,
Moriviller, Clayeures, Einvaux, Brémoncourt et
Haigneville.
Comme on le voit, aucune paroisse située sur la rive
droite de la Meurthe ne faisait partie de ce doyenné.
Comme chef-lieu d'une juridiction ecclésiastique,
Deneuvre était alors ce qu'est aujourd'hui Baccarat
comme chef-lieu de canton ; une distance de sept lieues
séparait quelques cures de leur église-mère, comme
maintenant le même espace sépare quelques hameaux.de
leur justice de paix.
Les annexes de la paroisse de Deneuvre étaient :
Baccarat, La Chapelle, Thiaville, Fagnon, Fagnoncelle,
Humbépaire avec son oratoire et la partie de Badménil
située à l'orient du ruisseau qui divise cet écart. Les
dîmes de la paroisse se, partageaient entre l'abbé et
les religieux de Senones pour la moitié; l'autre
appartenait au curé; mais avant partage le dit abbé
prenait d'abord un préciput de douze paires, seigle et
avoine. Cette part lui avenait sans doute de ce que le
patronage de la cure lui appartenait, il lui avait été
donné par l'évêque de Toul, Jean de Sierck, dans le
courant du 13 siècle; mais dans la suite le supérieur
s'en défit en faveur des chanoines de la collégiale, et
cet abandon fut ratifié en 1334 par l'évêque Bertrand de
la Tour; puis confirmé par Guillaume, cardinal et légat
du pape Clément VII. Le chapitre en était le collateur,
c'est-à-dire qu'il nommait aux diverses fonctions de
l'église dont le patron était déjà saint Remy depuis un
temps immémorial. C'était un des chanoines qui était
prêtre, par conséquent doyen de la chrétienté de
Deneuvre. Mais lorsque le Synode était convoqué,
l'assemblée des desservants avait lieu à Magnières et
non à Deneuvre trop éloigné.
Quant au temporel la terre seigneuriale de Danuèvre
était comprise dans le Chaumontois, division
considérable de la Lorraine qui tirait son nom des
montagnes dégarnies de forêts qui étaient très-communes
dans les Vosges (Montes calvi, Calmontis) aussi
comprises dans ce district. Toutes les villes situées
entre la rivière de Meurthe et la Moselle, depuis leurs
sources jusqu'à leurs confluents en faisaient partie.
L'étendue du Chaumontois était à peu près de vingt-six
lieues; mais sa largeur étant trop inégale, on ne peut
l'évaluer avec autant d'exactitude. Il était borné au
midi par le Saintois, ou comté de Vaudémont; au nord par
le pays Messin et le Scarponois; et à l'ouest par le
Toulois. En faisaient aussi partie les comtés de Blâmont
et de Salm, quoique ces deux seigneuries ne se
trouvassent point dans les conditions indiquées ci-
dessus.
Tel était l'état spirituel et temporel de l'ancienne
ville de Deneuvre. Ce titre de Doyenné qui lui fut donné
au 13me siècle au détriment de Flin, est une preuve de
son importance déjà à cette époque, mais ne nous apprend
rien encore sur ses premiers commencements. Voyons donc
si par l'étude et l'inspection de ses anciens monuments
nous ne pourrons pas remonter à sa véritable origine.
Lorsque les Romains pénétrèrent dans nos contrées, ils
occupèrent militairement tous les défilés de cette
partie des Vosges ; ils y établirent des camps, et l'on
sait ce qu'était un camp formé par les légions. Le
monticule où nous voyons Deneuvre par sa position à
l'entrée de la vallée et dominant le cours de la
rivière, les invitait naturellement à s'y asseoir ; et
ce qui doit nous convaincre de leur présence permanente
en ce lieu, c'est non-seulement cette multitude de
pièces de monnaie romaine en bronze et en argent,
trouvées journellement sur son territoire; mais surtout
les quelques traces du monument qu'ils y avaient élevé,
et que nous nommons Tour du Bacha. Ces ruines, en effet
remontent à l'ère Gallo-romaine, comme nous l'apprend M.
le professeur de Caumont, déjà nommé. Les fragments de
murailles encore debout appartiennent à ce que ce savant
appelle murs de petit appareil. (5) « Le plus souvent,
dit-il, tome deuxième, page 160 et suivantes, on
remarque dans les constructions de petit appareil des
zones horizontales et continues de grandes briques,
évidemment destinées à maintenir de niveau les petites
pierres de revêtement. Ces zones se composent
ordinairement de deux ou trois, parfois de cinq, six et
sept rangs de briques séparées les unes des autres par
des couches de ciment dont l'épaisseur est à peu près
égale à celle des briques la dimension de ces briques
est trop variable pour que je puisse les indiquer d'une
manière absolue ; le plus souvent je leur ai trouvé de
14 à la pouces de longueur sur 8 ou 10 de largeur, mais
il y en a de plus grandes, et j'en ai souvent aussi
remarqué de plus petites... le mortier est aussi
très-épais entre les pierres de l'appareil dont aucunes
ne sont en contact immédiat, mais en quelque sorte
incrustées dans le ciment... les mortiers romains sont
composés de chaux vive mêlée de sable et assez
ordinairement de brique pilée dans des proportions
variables et qu'il serait difficile de déterminer. La
présence de la brique pilée dans ce mortier le distingue
de presque tous ceux que l'on a faits dans la suite.
J'ai souvent remarqué du charbon combiné avec les
briques dans les murs de petit appareil... »
A l'exception de la présence du charbon, qui n'est
jamais qu'accidentelle, tous ces caractères indiqués par
M. de Caumont se rencontrent dans les murs du monument
qui nous occupe : zones horizontales en brique au nombre
de deux superposées, noyées pour ainsi dire dans un bain
de mortier, et mesurant chacune une longueur de 14 à 15
pouces ou 33 à 36 centimètres sur 24 à 25, et
ayant toutes 5 centimètres d'épaisseur. Ces zones assez
régulière ment distancées se font remarquer sur les
fragments de murailles encore debout; et comme les
parements en sont détruits, on peut facilement observer
dans le mortier, qui n'a pas été ménagé, ces débris de
brique indiqués par le savant professeur comme un des
caractères essentiels aux constructions de l'ère
Gallo-romaine.
« Les murs de petit appareil, continue M. de Caumont,
offrent encore une particularité qui mérite d'être
notée; c'est que la plupart sont établis sur des
fondations en pierres volumineuses régulièrement posées
sans ciment, et qui forment une base de la plus grande
solidité. » Mais cette précaution était inutile pour le
château en question, car ses fondations reposent sur un
roc naturel, et sont encore de nos jours dans le plus
grand état de conservation. En effet, qui de nous n'est
pas étonné à la vue de cette admirable maçonnerie qui ne
compte cependant, pas moins de quinze- à seize siècles
?» Les murs de. petit appareil ordinaire ont leurs
parements formés de pierres symétriques à peu près
carrées, quelques-uns sont construits avec plus de
recherche que d'autres. » En effet, la Tour du Bacha
était construite entièrement en moellons calcaires dits
muschelkack, (ou vulgairement pierre froide,) et
cependant nous ne possédons sur notre territoire (à ce
que je crois) aucune carrière propre à fournir de
semblables matériaux. Les moellons proprement piqués et
sensiblement échantillonnés qui forment les assises
inférieures de la partie du monument qui fait saillie
dans le fossé, ont 0,23 cent, de longueur, sur une
épaisseur de 0,115 millim. ; tandis que dans les assises
supérieures, c'est-à-dire, à une hauteur de quatre à
cinq mètres on ne leur trouve plus que 0,47 centim. de
long sur 0,083 millimètres d'épaisseur. On ne voit pas
dans cette partie du monument les zones en brique parce
qu'elles sont recouvertes par les parements du mur; mais
partout où ceux-ci manquent on retrouve la composition
du mortier indiquée par M. de Caumont. Enfin la partie
supérieure de cette admirable bâtisse est formée de
moellons calcaires, en tout semblables à ceux employés
pour les remparts de la ville; ce qui nous indique
qu'elle fut alors reliée aux dits remparts, et qu'à
cette époque, c'est-à-dire en 1361, les ruines de la
tour du Bacha étaient déjà ce que nous les voyons de nos
jours. Mais ce qui nous reste de cet ancien monument
romain, envahi par une multitude de plantes parasites,
finira par disparaître insensiblement sous les efforts
incessants de cette végétation destructive.
Il est donc hors de doute, d'après ce que nous venons de
dire, que la tour du Bacha appartient à l'ère
Gallo-romaine, et qu'on peut en faire remonter
l'antiquité au IIe ou au IIIe siècle au plus tard.
C'était vraisemblablement une station romaine, un poste
militaire fortifié, se reliant à d'autres camps répandus
dans la contrée. C'est ce que nous indiquent d'ailleurs
les traces d'une chaussée également romaine que l'on
voit dans lés forêts de la Rappe et du Fays, et que l'on
retrouve encore sur les différents points du territoire
de Deneuvre. Cette route, sous la protection de la tour
du Bâcha, conduisait au grand pont de pierre, (6)
construit également à cette époque par ces conquérants
et qui traversait tonte la vallée marécageuse formée par
les alluvions de la Meurthe. De là cette chaussée
prenant sa direction vers les Vosges conduisait à
d'autres stations militaires situées dans cette partie
du pays, comme nous l'apprend l'auteur de l'histoire de
l'arrondissement de Saint-Dié. Tout concourt donc à nous
persuader que la forteresse primitive de Deneuvre était
une avant-garde, un poste avancé des légions qui
gardaient cette porte des Vosges ; et qu'à ce séjour des
troupes romaines doit être attribuée la véritable
origine de l'ancienne ville de Danubrium.
Mais après les terribles invasions des barbares, les
romains vaincus et refoulés, virent démembrer leur
empire, et se former les diverses nationalités qui
partagent aujourd'hui l'Europe. Deneuvre après ces
commotions fit partie du domaine des Rois d'Austrasie,
dont Metz était la capitale. Cependant on ne voit pas
figurer cette ville dans le partage territorial qui eut
lieu en 870 entre Charles-le-Chauve et
Louis-le-Germanique, quoiqu'on y trouve la ville et te
comté de Blâmont désignés sous le nom allemand d'Albe-Chowa
(Blanc Mont). Mais c'est qu'alors cette terre
seigneuriale avait déjà ses seigneurs particuliers,
tandis que Deneuvre n'était recommandable que par les
ruines du château qu'y avaient construit ses premiers
possesseurs ; et même il est très-probable qu'à cette
époque elle appartenait déjà aux évêques de Metz, par
suite d'une de ces donations désintéressées dont nous
avons parlé dans l'introduction. Quoiqu'il en soit ce
n'est que sur la fin du XIe siècle, en 1078, sous
l'épiscopat de Herman ou Hériman, 49e évêque de Metz,
que commence l'histoire authentique de l'ancien
Danubrium et que l'on voit figurer cette cité pour la
première fois dans les annales de la Lorraine. Voici à
propos de quoi :
Dans le partage des biens de Gérard d'Alsace, premier
prince héréditaire de la Lorraine, entre ses deux fils
Thiéry et Gérard, celui-ci mécontent de la part qui lui
était échue entreprit contre son frère des hostilités
qui plongèrent notre pays dans la plus grande confusion.
L'empereur Henry IV, leur suzerain, fut obligé de
s'entremettre pour faire cesser ce conflit et par suite
de l'accord qui s'en suivit, Gérard obtint en plus de
son premier partage le comté de Vaudémont. Mais alors ce
fut bien pis. Ce seigneur se considérant comme un
puissant monarque s'affranchit de toute vassalité,
contrairement aux usages du temps: et commença par
attaquer et piller les villes et châteaux des barons ses
voisins. C'était un brigand titré qui ne respectait ni
les églises, ni les monastères, laissant partout sur son
passage des traces de sa violence et de ses rapines.
Dans, une de ses courses aventureuses, il vint attaquer
la ville et le château de Deneuvre, sans aucun grief
contre son possesseur, l'évêque Herman. Il s'en empara
et les saccagea de fond en comble ; mais c'est tout ce
que nous savons sur cette malheureuse catastrophe
arrivée en 1078.
Pendant le règne de son frère Thiéry, qùi avait succédé
à son père comme prince de Lorraine, Deneuvre eut
également beau coup à souffrir pendant la guerre qui
survint entre ce prince et le même prélat, à propos de
l'élection de Grégoire VII que Thiéry refusait de
reconnaître comme souverain pontife. On se battit
pendant tout le schisme; les terres de l'évêché furent
ravagées par les troupes lorraines qui, après s'être
emparées de la ville et du château d'Épinal, se
dirigèrent sur celui de Deneuvre. Ils s'en rendirent
bientôt maîtres et le duc Thiéry ne ménagea pas plus les
malheureux habitants que ne l'avait fait son frère.
Enfin dans le cours de cette guerre ridicule, les
monastères, les couvents, les abbayes et les églises
furent généralement pillés et incendiés; car le butin
était le but des conflits de cette époque ; et l'on vit
nos misérables contrées ravagées et mises en cendres à
propos de l'élection d'un Pape.
Tels sont les faits primitifs relatés par les
chroniqueurs touchant la ville de Deneuvre. Nous devons
en conclure que le château qui la protégeait n'était pas
alors aussi important qu'il le devint dans la suite sous
la puissance des sires de Blâmont. Ce monument féodal,
oeuvre d'un évêque de Metz dont le nom nous est inconnu,
était situé à l'extrémité du monticule qui servait
d'assiette à la ville : nous nous en occuperons en son
lieu. Tant qu'il restera entre les mains des évêques,
nous le verrons toujours tomber au pouvoir du premier
aventurier qui se présentera devant ses murs. Mais
malheureusement les annalistes de ces temps reculés
laissent beaucoup à désirer dans leurs relations trop
concises. Comme ils étaient presque tous Moines, ils
s'occupaient naturellement plutôt des dimes ou
redevances dues à leurs couvents, que des détails
historiques qui devaient intéresser la postérité.
Au commencement du XIIme siècle, en 1118, le siège
épiscopal de Metz était occupé par Théogerus ou Théogère
que les historiens nous représentent comme un prélat
savant, ami des belles lettres, mais homme sans énergie
et plus propre à la vie monastique qu'au bruit des
camps. Cet évêque ne pouvait donc se plaire dans un
poste où les armes passaient avant l'érudition. Aussi
résigna-t-il sa charge cette année même pour se livrer à
son goût pour l'étude, s'inquiétant bien peu des biens
temporels de son église. Ces terres abandonnées se
trouvant à la merci des seigneurs voisins, ceux-ci
s'emparèrent sans façon de celles situées à leur-portée.
Le duc de Lorraine, Simon, premier du nom, ne fut pas un
des derniers à profiter de cette anarchie pour augmenter
ses états ; c'est pourquoi il s'empara pour son compte
de la ville et du château de Deneuvre.
Ce pillage du domaine de l'évêché dura deux ans. Enfin
en 1120, Etienne de Bar, fils de Thiéry Ier, comte de
Montbéliard, fut nommé à ce poste important : Sa mère
était soeur du pape Calixte II.
A l'avènement de ce prélat que le bruit des armes
n'intimidait guères, les choses changèrent de face. Son
premier soin fut de retirer les biens dont nous venons
de parler des mains de leurs spoliateurs. En conséquence
Etienne se mit à la tête des troupes de l'évêché, et se
sentant soutenu par quelques-unes de l'empereur, son
suzerain, Frédéric Barberousse, il alla attaquer
séparément et successivement les villes et les châteaux
distraits de son domaine, s'en empara sans grande
difficulté et les réunit de nouveau sous sa puissance.
Ce vigilant évêque ne laissa pas les lorrains jouir
paisiblement de leur rapt; il vint à son tour les
déloger de la forteresse de Deneuvre ; et une fois
maître de la ville, les chroniqueurs nous disent qu'il
châtia sévèrement (7) (Rebelliones Danubrii) ses
habitants. 1159, Il est bien probable que nos ancêtres
s'étaient attiré cette correction pour avoir favorisé
l'entreprise du duc Simon; peut-être même pour avoir
combattu contre leur seigneur naturel, comme on disait
alors, puisqu'il les traite de rebelles. Quoiqu'il en
soit, le duc Mathieu, alors régnant, lui déclara la
guerre; mais après plusieurs succès et revers de part et
d'autre, la paix se fit sous les auspices du comte de
Bar, Renaut dit le Borgne, frère de l'évêque Etienne ;
et celui-ci eut la satisfaction de conserver sa
conquête.
Ce prélat aussi habile guerrier que zélé défenseur de la
foi, se croisa et alla porter ses armes en Palestine. Il
mourut en 1163 laissant son évêché singulièrement obéré
par les emprunts qu'il fut obligé de contracter pour
soutenir les différentes guerres dans lesquelles il se
trouva engagé, et surtout pour fournir aux frais de son
pieux voyage. Cet état précaire de l'évêché de Metz ne
fit que s'aggraver sous l'administration de ses
successeurs jusqu'au temps de l'épiscopat de Laurent,
protonotaire du Saint-Siège.
1269. Pendant tout ce siècle nous ne trouvons plus aucun
fait relatif à notre sujet, ce qui fait supposer que la
ville de Deneuvre jouit enfin de quelques moments de
tranquillité.
A peine Laurent eut-il pris possession de son évêché
qu'il s'engagea par acte au profit de Renaut II, comte
de Bar, à payer les dettes de ses prédécesseurs, pourvu
qu'elles se trouvassent hypothéquées sur les biens
temporels de son église. Mais cette promesse téméraire
dictée sans doute par un sentiment de conciliation ne
lit qu'attirer de nouveaux orages sur le dit évêché. En
effet, ce prélat ayant trop différé, ou ne se trouvant
pas en état de faire honneur à ses promesses, le comte
irrité résolut de lui faire la guerre. Sur ces
entrefaites le duc de Lorraine, Ferry III, qui avait
hérité des prétentions de ses prédécesseurs sur une
partie du domaine de l'église de Metz, se mit aussi en
mesure de faire valoir ses droits ; et enfin pour comble
d'embarras le sire de Blâmont se joignit encore à ces
deux seigneurs, Cependant ils étaient tous trois
feudataires d l'évêché, et comme tels, ils se voyaient
obligés d'après le code féodal, de lui porter secours
lorsqu'ils en étaient requis. Alors pour ne pas
contrevenir à leur serment, et par conséquent ne pas
encourir l'accusation de lèze-féauté, ces personnages
convinrent, quoiqu'ils fussent les assaillants, de lui
envoyer vingt hommes d'armes pour l'aider dans sa
défense. Telle était la manière employée pour éluder les
plus solennels engagements : aucun siècle ne diffère
sous ce rapport.
Après avoir assiégé et pris le château et la ville
d'Épinal, dépendances de l'évêché; après avoir fait
prisonnier le malheureux Laurent dans un combat livré
près de Hadigny en 1273, les troupes alliées se
dirigèrent sur la ville de Deneuvre, qui tomba également
en leur pouvoir. Après ces exploits, les vainqueurs pour
s'assurer de leurs prises se firent remettre des otages
choisis dans les cités conquises, et ceux-ci partagèrent
le sort de l'infortuné Prélat dont la détention se
prolongea un an et demi. Cependant sur ces entrefaites,
le pape Eugène X avait assemblé un concile général à
Lyon. L'évêque Laurent s'empressa d'y faire parvenir ses
plaintes contre ses oppresseurs ; et Renaut et Ferry
sommés de comparaître sous peine d'excommunication se
virent contraints, sous l'empire de ce préjugé, de
répondre à l'appel du souverain pontife. Celui-ci après
avoir écouté, leurs diverses réclamations termina enfin
ce différend par un traité solennel conclu le 6 août
1274. Le comte de Bar consentit à remettre le prélat en
liberté ; lui rendit la ville et le château d'Epinal,
ainsi que Condé-sur-Moselle (aujourd'hui Custine), et
lui quitta en outre tout ce qu'il lui devait, sous
condition toutefois que l'évêché lui payerait dans
l'espace de vingt ans la somme de vingt mille livres,
monnaie de Metz. Le duc Ferry de son côté lui remit
également ce qu'il avait reçu en partage,
c'est-à-savoir, Réméréville, Deneuvre et son château,
ainsi que les otages. Enfin le 7 décembre de la même
année deux arbitres furent chargés par les parties de
régler les autres contestations de moindre importance.
Cependant le duc de Lorraine ne consentit à remettre en
liberté nos malheureux ancêtres que sous là promesse que
Laurent s'engagerait pour eux à ce que à l'avenir aucun
ne se permettrait ni mal ni dommage envers lui ou ses
successeurs ; ni ne chercherait jamais à tirer vengeance
pour ce qui lui était arrivé pendant sa détention. Cette
singulière recommandation nous apprend assez avec quelle
humanité furent traités les bourgeois qui servirent
d'otages. Tel fut le résultat des bonnes intentions de
l'évêque Laurent, dont le domaine, à la suite de ces
conflits, fut encore plus obéré que jamais. Car son
épiscopat fut très-agité par les différentes guerres
qu'il eut à soutenir contre les seigneurs ses voisins,
mais principalement contre le même duc Ferry, dont le
règne fut si long. Enfin ce prélat dégoûté d'un évêché
où il n'avait éprouvé que du désagrément résigna sa
charge et se retira en Italie où il mourut. 1279. Son
successeur fut Jean de Flandre, remplacé lui-même peu de
temps après par Bouchard ou Burchard d'Avesne, fils du
comte de Hainaut et d'Alix de Hollande, soeur du roi des
Romains.
L'évêque Bouchard, héritier de tous les différends
suscités ou soutenus par ses prédécesseurs, vit
également son temporel troublé par plusieurs conflits
sanglants, tantôt avec le comte de Bar, tantôt avec le
même duc Ferry. Cependant en 1284 il fit un
accommodement avec ce prince pour régler leurs anciennes
querelles. Il acquit ensuite le comté de Castres qu'il
paya de la vente de son propre patrimoine et en fit don
à son église de Metz. Mais peu de temps après il le
revendit ou plutôt il l'engagea au duc de Lorraine pour
la somme de vingt mille livres messaines, avec faculté
de rachat. Cette clause devint le sujet d'une nouvelle
guerre. En effet, Bouchard ayant manifesté l'intention
de jouir de ce droit, Ferry s'en offusqua, et pour l'en
détourner résolut de lui faire violence. Il n'eut pas de
peine à attirer dans son parti le comte de Bar, Henry
III, qui avait aussi quelques griefs contre cet évêque
qu'il traitait même de Bâtard. Bouchard pour conjurer
cet orage s'empressa de demander du secours à ses
parents, à ses amis et à ses vassaux. Chacun se prépara
donc à la guerre, et bientôt les belligérants entrèrent
en campagne. La chronique nous apprend que le prélat fit
plusieurs irruptions heureuses sur les terres lorraines,
et en même temps un grand butin ; il battit même le duc
Ferry et fit prisonnier le comte de Linanges. Mais tous
ces exploits ne purent empêcher que sa ville et son
château de Deneuvre ne tombassent entre les mains de
Liébaut-de-haute-Pierre, en 1291. Cette petite guerre
dura environ six ans, puis enfin les partis fatigués
songèrent à faire la paix, et nommèrent d'un commun
accord Jean, sire de Dampierre, arbitre de leurs
différends. D'après les conclusions proposées par ce
seigneur le duc de Lorraine rendit à Bouchard la plupart
de ses prises et par le traité qui s'en suivit nous
apprenons enfin pour la première fois le nom de
l'ancienne forteresse de Deneuvre. Voici les paroles
originales de cet acte important, dans lequel figure
aussi le Seigneur de Forbach, qui avait pris les armes
en faveur de l'évêché :
« Nous Bouchard, par la grâce de Deu, évesques de Mez,
et je Ferry, dus de Lorreigne, et Marchis, fesons savoir
à tous, que de tous les descors qui étaient entre nous,
Nous, Evesques devant dit, et Henry, seigneur de
Fourfach, d'une part; et moi Ferry, dus de Lorreigne et
Marchis, d'autre part; nous nous en sommes accordez et
avons fait bonne pais en la manière que, je dus, devant
dit, doit rendre à l'èvesques de Mez devant nommé, ou à
son certain commandement, Remberviller, lou chastel et
lou bourg et ceu qui append; lou chastel de Deneuvre con
dit Baccarat, lou bourg et ceu qui append ; l'ou chastel
de Condé, etc., etc., fut fait l'an de grâce, mil dous
cents quatre vingt et onze, l'ou macredi prochien devant
feste de saint Martin en yver, au mois de novembre. »
Telle était donc la dénomination sous laquelle l'on
connaissait l'ancien oeuvre des évêques de Metz sur la
fin du 13e siècle. Dans l'historique de la ville de
Baccarat, qui lui a emprunté son nom, nous émettrons
notre opinion sur l'origine de ce nom, donné, selon
nous, primitivement à la tour du Bacha, qui semble n'en
être que l'abréviation.
Le comte de Bar Henry ne fut pas compris dans ce traité,
car le duc de Lorraine en remettant la ville et le
château de Deneuvre à son ancien maître promit en même
temps de l'y maintenir jusqu'à la saint Martin de
l'année suivante. Cependant au milieu de tous ces
conflits les évêques de Metz ne perdaient jamais de vue
l'agrandissement de leur temporel, et si quelquefois les
armes leur étaient infidèles, leurs habiles négociations
souvent précédées de la terrible excommunication ou de
l'interdit, faisaient toujours pencher la balance en
leur faveur. Souvent aussi c'était par voie d'achat
qu'ils augmentaient le revenu de leur église ; et c'est
de cette manière qu'un peu avant les événements que nous
venons de parcourir, l'évêque Jakon ou Jaques de
Lorraine, avait acquis la suzeraineté de la seigneurie
de Blâmont (Albus mons) vers l'an 1240, des mains de
Frédéric, fils de Henry 1er, seigneur de Blâmont et de
Salm. Les successeurs de ce Frédéric conservèrent
néanmoins l'héritage de leurs ancêtres, mais depuis lors
ils furent obligés de faire leurs reprises de leur terre
inféodée en hommage-lige entre les mains des évêques de
Metz. Bouchard, pour les raisons que nous dirons
ci-après, leur fit don de la seigneurie de Deneuvre,
l'année même que Liébaut-de-Haute-Pierre s'en était
emparé. C'est alors que ces sires ajoutèrent à leurs
titres celui de cuens de Danubre, de Danuèvre. Cependant
ce prélat avait réservé pour lui et ses successeurs la
suzeraineté de cette terre qu'il abandonnait- aussi
généreusement. Le premier qui lui en rendit foi et
hommage fut Henry II, comte de Blâmont, premier du nom,
seigneur de Deneuvre, et fils de ce Ferry dont il vient
d'être question. La cérémonie se fit entre les mains du
prélat qui le déclara son voué, et ce titre se perpétua
chez ses descendants jusqu'à l'extinction de cette noble
famille. Voici les paroles prononcées par ce seigneur :
« Je Henry, cuens de Blanmont, fais savoir à tous qui
ces présentes lettres verront, que les châtels de
Blanmont et de Danubre ait tint en fié de Monsignor
Révérend père en Deu Bouchard d'Avesne, évékés de Mez,
ait repris de lui rendables à son besoin et à sa
volonté, etc. » (8)
Dans tous les événements que nous avons passés en revue
depuis l'an 1078 jusqu'à l'épiscopat de l'évêque
Bouchard, nous avons constamment vu la ville et le
château de Deneuvre devenir la proie des ennemis de
l'évêché : il ne pouvait guères en être autrement. En
effet, si l'on veut bien jeter les yeux sur la carte
dressée par M. l'ingénieur Vionnois, indiquant les
possessions lorraines et celles des trois évêchés toutes
plus ou moins enclavées les unes dans les autres, on se
convaincra facilement qu'ils ne pouvaient résister à une
attaque du dehors. (9) La ville de Deneuvre ouverte
alors de toutes parts, défendue seulement par son
château féodal ; entourée de tous côtés par les terres
ducales et trop éloignée du pays messin pour être
secourue à propos, devait nécessairement toujours
succomber. C'est pourquoi l'évêque Bouchard voulant
désormais prévenir de semblables événements, ne crut
mieux faire que de placer cette seigneurie sous la
protection des puissants comtes de Blâmont qui, à cause
de leur proximité, seraient toujours à même de la
protéger et d'accourir à son secours au cas échéant.
Car dans ces temps à demi-barbares, les évêchés, les
abbayes et les riches monastères, pour défendre et
conserver leurs biens, étaient non-seulement obligés
d'entretenir des troupes, mais encore quelquefois de
partager avec les seigneurs une partie de leurs revenus
pour la garantie de l'autre ; ou bien de faire comme
l'évêque Bouchard. C'est de cette coutume que sont venus
les voués, advoués, advocati, c'est-à-dire, défenseurs.
Les comtes de Blâmont devinrent donc les protecteurs de
l'évêché de Metz pour toute la seigneurie de Deneuvre.
Ces avoués, dont le rôle est bien changé de nos jours,
jouissaient de grands privilèges. Les uns commandaient
les troupes épiscopales, les autres rendaient la justice
ou réglaient la police; plusieurs avaient le droit de
gîte chez les sujets et lorsque ces seigneurs
voyageaient, ceux-ci étaient tenus de fournir tout ce
qui était nécessaire à leur entretien ; d'autres encore
possédaient les droits d'entrée d'une ville ou la moitié
et même le quart des amendes imposées par la justice.
C'était donc une sinécure pour ceux qui remplissaient
cette charge, et comme telle sujette à bien des abus.
Ils devenaient même quelquefois si intolérables que les
évêques et les abbés se voyaient souvent obligés de
racheter ce droit pour se mettre à couvert de l'avidité
de leurs défenseurs. De nominatif qu'il était dans le
principe ce poste devint avec le temps héréditaire et
les filles même jouirent de ce droit. Les seigneurs
voués pouvaient remettre leurs charges entre les mains
d'autres nobles, leurs subalternes, qui prenaient le
titre de sous-voués. Mais c'était encore augmenter les
charges et les soucis des évêchés et des abbayes. Aussi
arrivait-il souvent que ces advoués étaient en
dissension avec ceux qu'ils avaient juré de protéger et
défendre ; et la relation de ces différends qui étaient
presque toujours suivis d'hostilités, fait une grande
partie de l'histoire de ces temps barbares. (10).
Bouchard d'Avesne rendit de si grands services à son
évêque que les messins, qui aimaient son caractère
belliqueux, ordonnèrent que tous les ans, le troisième
jour des Rogations, on porterait en procession ses
étendards et cottes-d'armes, sur lesquels ses armoiries
étaient représentées. Dom Calmet nous apprend qu'il
portait d'or à un Lion de sable armé et lampassé de
sinople. Ce prélat, qui mourut en 1296, en abandonnant
aux sires de Blâmont la ville et le haut château de
Deneuvre avec leurs dépendances, changea les destinées
de cette terre seigneuriale. En effet, nous allons voir
cette cité, jusqu'alors si malheureuse sous la régale de
ses anciens maîtres, entrer dans une ère nouvelle; ère
de grandeur, de tranquillité et de prospérité. Nous
verrons son château féodal servir ordinairement de
résidence à quelque prince, soit de la maison de
Blâmont, soit de celle de Lorraine qui lui succéda ;
nous verrons enfin la ville de Deneuvre jouir d'une
grande prospérité et de l'état le plus florissant
jusqu'à la première moitié du 17e siècle, c'est-à-dire
jusqu'à sa destruction.
Après l'abandon de Bouchard, Blâmont et Deneuvre
s'identifièrent complètement. Par acte passé en 1332,
après la Toussaint, entre Isabelle de Saint-Dizier,
veuve d'Egme de Blâmont, et le sire Henri son parent, il
fut convenu d'un commun accord que ces deux villes
seraient désormais communes et indivises ; que les deux
châteaux seraient gardés par le même nombre de soldats;
qu'en temps de guerre les dommages ainsi que les
réparations seraient supportés également ; enfin que les
revenus seraient partagés par moitié. Ces deux anciennes
cités eurent alors la même administration, la même
police et furent régies par les mêmes coutumes : elles
jouirent de la même prospérité comme elles supportèrent
les mêmes revers.
Après la mort d'Adémare de Montil (il sera grandement
parlé de ce prélat dans l'historique de Baccarat) l'un
des successeurs de Bouchard d'Avesne, arrivée en 1361,
le siège de Metz resta vacant. Les chanoines choisirent
alors sept notables personnages de leur corps pour
administrer le spirituel de l'évêché, et nommèrent pour
lieutenant du temporel Thiébaut, sire de Blâmont, fils
de Ferri III. Ce choix était des plus naturels, car ce
seigneur en sa qualité de Voué du dit évêché, avait déjà
rempli les mêmes fonctions pendant le long épiscopat du
guerrier Adémare; (De 1327 à 1361) Il prêta serment le 6
juin de cette année entre les mains du doyen du
Chapitre. (11) Mais si ce seigneur s'occupa
consciencieusement de sa charge, il ne négligea
cependant pas ses intérêts. Il sut au contraire profiter
de cet interrègne et de sa haute position pour faire des
augmentations considérables à ses deux châteaux de
Blanmont et de Danuèvre. Ce fut aussi à ce Thiébaut que
ces deux villes durent à la même époque leur enceinte de
fortes murailles ; et nous apprenons par le bénédictin
Dom Calmet que ces divers travaux lui coûtèrent la somme
de 12,363 florins (500,000 francs environ de notre
monnaie). Mais pour rentrer dans cette somme dont il
avait fait les avances, il fut obligé de guerroyer
contre son suzerain, Jean de Vienne, qui avait enfin
succédé à l'évêque Adémare.
Ses réclamations appuyées par les armes ayant contraint
ce prélat à entrer en accommodement, il lui fut promis
le remboursement de ses deniers par un traité passé l'an
de grâce de Notre Signor, mil trois cens soixante et
dous, lou mardy lendemain de la décollation de saint
Jean-Baptiste. Mais la somme se trouvait déjà réduite à
10,000 florins, Thiébaut ayant touché le surplus.
Cependant il mourut avant d'être totalement remboursé et
légua ses droits à ses héritiers. Nous allons essayer de
donner un aperçu des travaux exécutés à Deneuvre par ce
seigneur.
Il ne nous reste ni plan ni dessin du château et de la
tour (12) bâtis parles évêques de Metz, restaurés et
agrandis par le comte Thiébaut ; mais on peut facilement
s'en faire une idée en le comparant à ces anciennes
demeures féodales à demi ruinées répandues encore en si
grand nombre dans toute l'Alsace. Cependant si l'on veut
s'en créer un coup d'oeil fictif, il faut se transporter
au 12me siècle et se représenter ce monument isolé s'
élevant majestueusement à l'extrémité du monticule qui
servait d'assise à la ville. Car au commencement de ce
siècle l'emplacement où nous voyons aujourd'hui Baccarat
se trouvait inoccupé. Cette forteresse dégagée de toutes
parts paraissait donc de loin comme une sentinelle
avancée surveillant le cours de la Meurthe et l'entrée
de cette partie des Vosges. Elle occupait tout le
terrain où se voit aujourd'hui l'église moderne, et
celui transformé en un jardin particulier comme on peut
facilement s'en convaincre en parcourant les lieux.
L'épaisseur de la muraille de l'ouest (2 m. 20) dont une
portion sert d'appui à la dite église ; la hauteur de
celle située à l'est, et qui sert encore maintenant à
soutenir ce côté de la montagne, peuvent seules nous
donner une idée de la solidité de cet édifice. Fermé au
nord par de semblables travaux le château de Deneuvre se
trouvait en outre protégé parla grande déclivité du
terrain sur lequel ne s'élevait alors aucune habitation.
Car le château Gaillard (13) qui l'occupe en partie est
moderne, et nous dirons dans l'historique de Baccarat à
quelle époque ses habitants purent s'y établir. Des
poternes, aujourd'hui murées, se trouvaient ménagées
dans le rempart de l'ouest pour la facilité du service;
mais l'entrée principale de cette enceinte fortifiée
était par la porte Saint-Nicolas, vandalisée de nos
jours. A la gauche de ce monument se trouvait ménagé un
passage pour les piétons, que l'on aperçoit à peine
maintenant tant il est obstrué par les débris des
fortifications et les décombres des constructions
modernes ; de même qu'à la droite se trouvait une sortie
particulière aboutissant à un escalier dont on voit
encore les vestiges. Cette porte voûtée était surmontée
naguère de la statue en pierre, moussue et défigurée, du
patron de la Lorraine, saint Nicolas, qui lui a donné
son nom. Elle y avait été placée par les premiers
princes Lorrains qui vinrent habiter Deneuvre, (14) et
l'on peut encore aller la voir entre les mains de son
propriétaire actuel, qui conserve cette relique comme
une précieuse vieillerie de la localité. Enfin de cette
porte on gagnait le grand pont de pierre, contemporain
de la tour du Bacha, et qui traversait, comme il a déjà
été dit, le canal et toute la vallée parcourue par les
eaux de la Meurthe. Ajoutons aussi que dans l'enceinte
de ce château se trouvait un puits taillé dans le roc et
d'une profondeur de 27 à 28 mètres au niveau de l'eau.
Il servait alors aux besoins de la garnison, comme
aujourd'hui à ceux de son propriétaire. Ce puits quoique
moins large et moins profond, mais bien plus ancien que
celui que l'on voyait à Pierre-Percée, n'en diffère
nullement quant au travail : c'est pourquoi l'un a bien
pu servir de modèle à l'autre.
Quant aux fortifications de la ville élevées en 1361 par
le comte Thiébaut, elles consistaient tout bonnement en
une seule enveloppe de murailles, défendue en partie par
un large fossé ; l'enceinte formait un quadrilatère
allongé et irrégulier. Le rempart de l'est, à partir de
la forteresse, (15) s'étendait en ligne droite l'espace
de 600 pas environ. Ce côté de la ville n'avait pas
d'autre défense ; mais il se trouvait protégé
naturellement par une pente extrêmement rapide. Au midi,
la muraille aussi bâtie en ligne droite et suivant les
ondulations du terrain était soutenue par un fossé d'une
largeur de vingt mètres ; mais sa profondeur nous est
inconnue, attendu qu'il se trouve pour ainsi dire comblé
par les ruines du dit rempart et les injures du temps. A
l'est et à l'ouest de cette muraille se voyaient deux
grosses tours, dont l'une défendait la porte d'en bas et
l'autre la porte d'en haut. La première était située sur
le terrain qui domine le chemin des voitures pour aller
à Laitre et l'autre sur le sentier qui conduit au
cimetière des deux paroisses. Mais il reste si peu de
traces de ces monuments qu'il est impossible d'en donner
la moindre notion ; on ne peut que les relater. A
l'ouest c'était le même système de fortification,
c'est-à-dire, muraille haute et épaisse bâtie sur le roc
et défendue par la continuation du fossé qui allait
toujours en diminuant insensiblement jusqu'à l'enceinte
de la citadelle où venait aussi se relier la dite
muraille à l'endroit même où depuis l'on fit une trouée
pour donner passage aux nouveaux habitants. On pouvait
descendre dans ce large fossé (aujourd'hui cultivé) par
une porte ménagée près de la tour du Bacha; on voit
encore les traces de l'escalier sous l'emplacement
duquel se trouve une cavité peut-être moderne, peut-être
aussi les restes d'un puits ou d'une ancienne citerne.
Mais comme la partie supérieure des murs de Deneuvre est
complètement détruite on ne peut dire si leur défense se
complétait par des créneaux, cependant on doit le
présumer. Enfin on remarque que les différents travaux
de maçonnerie exécutés par le comte Thiébaut se trouvent
liés par un ciment qui aujourd'hui a acquis la dureté de
la pierre même : et comme ces remparts ont cinq siècles,
c'est ce long espace de temps qui permit la combinaison
chimique intime de l'acide carbonique de l'atmosphère
avec la chaux employée; d'où la pétrification de ce
mortier.
Tel était l'ensemble des fortifications de Deneuvre ;
c'était l'art dans son enfance. Mais au temps du sire
Thiébaut elles étaient une barrière assez puissante pour
résister avec efficacité aux attaques du dehors. Ce qui
nous reste de ces divers monuments multiséculaires est
encore digne de notre attention. Que de réflexions font
naître ces ruines dont la plupart sont si bien
conservées ! Et pourtant de toutes les générations qui
les ont foulées aux pieds, combien les ont vues avec
indifférence ! On a peine à comprendre aussi que de si
grands travaux coûtèrent si peu ; mais l'étonnement
cesse lorsque l'on sait qu'au 14me siècle un garçon de
charrue gagnait à peine sept francs de gage par année et
consommait pour environ trois ou quatre francs de blé.
Et puis d'ailleurs, les corvées ne furent-elles pas le
moyen le plus puissant et le plus économique employé par
le sire Thiébaut ?
Les hobereaux de Brouvelotte (16) devaient six mois de
garde au château de Deneuvre, comme hommes-liges des
comtes de Blâmont, depuis l'an 1300; ils recevaient pour
ce service trente-quatre livres tournois qu'ils
touchaient sur la recette de la ville. Les abbés de
Senones étaient aussi tenus de pourvoir à sa sûreté,
sans doute par suite d'anciennes servitudes imposées par
leurs suzerains les évêques de Metz. Lorsque ces
défenseurs s'y trouvaient en l'absence du comte ils
avaient le droit de prendre pour leur chauffage du bois
vif ou mort dans la forêt de la Moncelle. Ils furent
encore maintenus dans ce privilège sous l'administration
des ducs de Lorraine; car le duc Antoine leur en donna
des lettres patentes en 1551. Mais en échange de ce
droit ils étaient obligés de donner aux gardes
forestiers, au cas échéant, quatre douzaines de miches
avec quatre quartes de vin, le tout aux dépens du sire
de Blâmont. C'était bien peu pour ces fonctionnaires
dont la position est si enviée de nos jours.
Deneuvre fortifié et désormais à l'abri des insultes de
l'ennemi, devint bientôt une des cités les plus
florissantes de la Lorraine. Aussi sa population
toujours croissante ne pouvant se loger dans l'enceinte
trop resserrée des murailles, de grands faubourgs
s'élevèrent-ils et se prolongèrent-ils insensiblement au
loin vers le midi. L'écart que nous nommons Laitre, et
qui ne figure dans aucuns pouillés, est tout ce qui nous
reste de cette partie de l'ancienne cité. On y voyait
encore en 1705 l'église paroissiale, dont l'emplacement
à peine connu de nos jours, ne nous est indiqué que par
bien peu de vestiges. Il parait que ce monument qui
datait des temps primitifs de Deneuvre n'était pas en
très-bon état au 15me siècle; car Marguerite de
Lorraine, Dame de Blâmont, dit dans son testament écrit
en 1469 : « Item, je donne à l' église parochiale de
Deneuvre pour ayder à faire un ciel de planches à la nef
du moustier, six francs. » Autour de l'église se
trouvait le cimetière commun, (Atrium, d'où Laitre tire
son nom). Or, comme nous savons que jusqu'au siècle
dernier (17) il était de mode d'enterrer dans ces lieux
réservés, les abbés, les prêtres, les laïques même d'une
vie irréprochable, et en général toutes les personnes de
quelque importance, il serait bien à désirer que l'on
retrouvât l'emplacement réel de l'ancienne église de
Deneuvre. Des fouilles bien dirigées révéleraient sans
aucun doute à notre curiosité les tombes de ses anciens
habitants avec les inscriptions funèbres qui les
décorent : inscriptions probablement aussi véridiques
que la plupart des pompeuses épitaphes que nous lisons
dans nos cimetières modernes, et toutes dictées par la
plus sotte vanité. Ce travail qui nous donnerait la
chronologie des habitants primitifs de Deneuvre serait
certes plus intéressant et surtout plus curieux que les
recherches ridicules entreprises au hasard par
d'ignorants particuliers.
Les citadins de Deneuvre jouirent d'une assez grande
tranquillité sous le gouvernement des successeurs du
comte Thiébaut. Ils ne se virent plus exposés à toutes
ces incursions, à toutes ces calamités qui rendent les
commencements de leur histoire si affligeants. Ce n'est
pas à dire qu'il ne s'élevât encore quelquefois de
petits différends entre ses seigneurs et leurs suzerains
les évêques de Metz. Ce fut même pour éviter à leurs
sujets les maux produits par ces conflits toujours plus
ou moins sanglants, qu'en 1436, Dame Marguerite de
Lorraine, dont nous venons de parler, et l'évêque Conrad
Bayer de Boppart, convinrent que désormais leurs
officiers ou fonctionnaires ne pourraient plus retenir
nul des hommes de l'un ou de l'autre pendant l'espace de
cinq ans, excepté cependant pour cas de mariage ; car
alors l'homme, c'est-à-dire, le sujet, restait au
seigneur sur les terres duquel il était allé se marier.
Il fut également convenu que si pendant ce temps il
surgissait quelque guerre entre les contractants, ceux
de leurs sujets qui ne voudraient pas rester dans leurs
domaines, l'un et l'autre ne pourraient leur faire ni
grief, ni extorsion ou toute autre vengeance. On stipula
aussi que si un sujet voulait quitter son seigneur pour
ne pas être exposé aux fureurs de la guerre, l'autre ne
pourrait le recevoir qu'avec le consentement de celui
qu'il abandonnait. Mais cependant il lui était permis de
se retirer ou à Lunéville ou à Raon-l'Etape ou tout
autre lieu de la Lorraine. Ce singulier traité
concernait les habitants de Deneuvre, de Merviller, de
Fontenoy-la-Joute, Brouville, Brouvelotte, Azerailles,
Gelacourt, Glonville, Flin, Montigny, Lintrey, Blâmont
et la partie de Badménil comprise dans la prévôté de
Deneuvre. Ce titre nous apprend jusqu'où s'étendaient
les droits des seigneurs et sous quelle sujétion
vivaient ceux qu'ils appelaient leurs hommes, leurs
femmes. Sauf un traité spécial ils conservaient leur
autorité sur leurs sujets qui les quittaient pour aller
vivre sur les terres d'un autre seigneur et pouvaient
exercer contre eux leurs droits de justice. Nous verrons
dans le cours de cette notice les entraves plus bizarres
qu'extraordinaires inventées par les évêques de Metz
pour retenir leurs hommes sous leur puissance. Ces
sortes de traités entre nobles, se nommaient entremains,
entrecours; mais il arrivait souvent à ces personnages
d'abolir d'un commun accord la faculté qu'ils avaient
accordée à chacun d'aller vivre où bon lui semblait, et
d'obliger leurs hommes et leurs femmes de corps de
retourner dans leurs villages, pour y garder la foi
qu'ils devaient à leurs seigneurs naturels ; comme le
firent Henri dauphin, évêque de Metz, et le duc de
Lorraine, Ferri IV, le 10 décembre 1322. Le seigneur
d'alors pouvait donner, vendre, affermer, enfin disposer
d'une terre ou d'une ville avec ses habitants comme bon
lui semblait. C'est pourquoi Olry, évêque de Toul et
dernier comte de Blâmont usa de ce droit pour donner sa
seigneurie de Deneuvre à la maison de Lorraine. Elle
avait été possédée par ses ancêtres pendant 215 ans qui
semblent avoir été pour ses habitants deux siècles de
tranquillité, sauf toutefois pendant l'époque de la
grande invasion des Bourguignons, dont il sera fait
mention dans l'historique de Baccarat. Tous ces sires de
Blâmont, seigneurs de Deneuvre, s'efforcèrent à l'envi
de rendre cette ville importante : Henry II y avait
fondé une Collégiale qui survécut même quelque temps à
la destruction de la cité; Thiébaut, pour sa sécurité,
l'avait fait entourer de remparts; et leurs successeurs
ne négligèrent aucuns moyens pour y faire fleurir
l'industrie et le négoce, sources de toute prospérité.
Tel était l'état de Deneuvre quand en 1306 il passa
entre les mains des ducs de Lorraine.
La postérité de Ferri II, comte de Blâmont, petit-fils
de Thiébaut, et cinquième du nom, cuens de Danuèvre, se
trouvant éteinte par la mort de son fils Louis, Olry,
oncle de celui-ci, seul mâle restant de cette ancienne
famille, recueillit tout l'héritage de ses ancêtres. Cet
Olry, fils de Henry IV de Blâmont et d'Isabelle de
Lorraine, de la branche de Vaudémont, avait succédé en
1495 comme évêque de Toul à Antoine de Neufchâteau; car
il s'était destiné de bonne heure à l'état
ecclésiastique. Mais il éprouva, quoique fils d'un
puissant seigneur, et seigneur lui-même, de grandes
difficultés avant de posséder un évêché. Il avait
d'abord été nommé à celui de Verdun, puis à celui de
Metz ; mais ces deux élections n'ayant pas été
approuvées par le Saint-Siège, Olry ne put occuper ni
l'un ni l'autre. Cependant le duc de Lorraine, Réné II,
son cousin, ayant bien voulu se mêler de ses affaires,
usa de toute son influence pour lui faire obtenir
l'évêché de Toul, pour lequel ce comte se trouvait
encore en grands démêlés avec Jean de Marades, nommé à
ce poste important par le trop fameux pape Alexandre VI,
si scandaleusement célèbre. Ce prince parvint néanmoins
à faire annuler cette élection et le comte Olry fut
enfin reconnu évêque de Toul. Aussi en reconnaissance de
ce grand service, ce prélat fit-il donation entière de
tout ce qu'il possédait à son parent Réné. Sa succession
se composait des seigneuries de Blâmont et de Deneuvre,
des prévotés d'Amermont, de Mandres-aux-Quatre- Tours et
de Fougerolles: C'était un assez beau cadeau. L'acte
passé en 1499 fut renouvelé et confirmé par son
testament dicté en 1505 dans une des chambres du château
de Deneuvre.
Voici comment s'exprime le comte et évêque Olry :
« Au nom de la sainte et individùe Trinité, du Père, du
Fils, et du Saint-Esprit ; amen.
Nous, Olry de Blâmont, par la grâce de Dieu, et du
Saint-Siége apostolique, évêque et comte de Toul,
faisons savoir à tous qu'en notre bon sens, avis et
mémoire, sain dépensée, de corps et d'entendement,
regardant et considérant qu'en ce mortel monde, n'est
chose plus certaine que la mort, ni chose plus
incertaine que l'heure d'ycelle ; ne voulant pas décédé
de ce monde sans premièrement faire, diviser et ordonner
notre testament et dernière volonté, ni sans disposer
pour le salut de notre âme des biens que Dieu, notre
créateur, nous a prêtés, même par succession paternelle
et maternelle, avons fait, divisé et ordonné, et par ces
présentes fesons, divisons et ordonnons notre testament
et dernière volonté en la manière que s'ensuit :
Premièrement, quand notre âme partira de notre corps,
nous la présentons, rendons et recommandons à Dieu,
notre Créateur, et à sa sacrée Mère, la vierge Marie,
notre particulier refuge, suppliant bien dévotement
qu'ils la veuillent recevoir et colloquer dans leur
paradis... »
Après avoir réglé ses obsèques dans l'église collégiale
de Deneuvre, après avoir fait plusieurs legs et
distribué ses meubles, l'évêque Olry continue :
« Item par ce présent notre testament et dernière
volonté, avons ratifié et agréé, ratifions et agréons,
les donation, cession et transport (18) que par
cy-devant avons faits au dit très-haut et très-puissant
prinxe, Monseigneur Réné, roi de Hyérusalem et de
Sicile, etc. duc de Lorraine et de Bar, notre
très-honoré seigneur et cousin, de toutes et chacune
jadis nos villes, châteaux et prévotés, mairies, terres
et seigneuries, tant dans les dits duchés que dans les
évêchés de Metz, Toul et Verdun ; enfin quelque part que
ce soit, avec toutes leurs censes, rentes, profits et
émoluments, appartenances et dépendances, sans en rien
retenir ni excepter.
Avec ce élisons, fesons, créons, députons et instituons
notre vrai, unique et universel héritier, notre dit
seigneur et cousin en tous nos biens meubles et
immeubles, excepté que tous nos particuliers meubles, à
savoir : vaisselle d'étain, de cuivre, lits, ciels de
lits, couvertures de lits, linceuls (draps), nappes,
serviettes et autres ustensiles de ménage qui seront au
jour de notre trépas dans notre maison épiscopale de
Toul, demeureront à notre successeur, évêque de Toul, et
après nous s'il fait sa résidence au dit Toul, ou dans
les duchés de Lorraine et de Bar et non ailleurs. »
Henri de Lorraine qui en ce temps-là occupait le siège
de Metz, ratifia la même année la donation d'Olry, en sa
qualité de suzerain de la seigneurie de Deneuvre. Mais
l'évêque de Toul s'était réservé, sa vie durant,
l'usufruit des biens qu'il abandonnait ; et même le duc
Réné y ajouta encore les revenus de tout ce qu'il
possédait à « Luxerailles, Gillacourt, Guillonville et
Baudemenil, (19) pour dit l'acte, tenir et posséder en
toute hauteur et seigneurie, hommes, femmes, bois,
rivières, passages, fours, moulins, prés, terres arables
et non arables et tous autres droits quelconques, et de
s'appliquer à lui seul tous deniers, profits, rentes
d'or et d'argent, de blé, de vin, d'avoine, chapons,
gelines, amendes, épaves, confiscations, aides, tailles,
crouées (corvées), charrois et autres choses sans rien
réserver. » Ces autres choses nous disent assez que
cette nomenclature des droits seigneuriaux est
incomplète, et que les pessimistes modernes ont bien
tort de regretter ces malheureux temps où leurs ancêtres
considérés comme bêtes de somme se trouvaient à la merci
de leurs seigneurs eux et leurs biens. Mais il est dit
dans le même acte : « que notre dit cousin l'évêque
traitera » les habitants de la dite prévoté en bonne
justice, les laissant en leurs usages, franchises, us et
libertés, ainsi qu'ils ont été du passé. » Le duc Réné
promit aussi pour lui et ses successeurs de maintenir et
entretenir les bourgeois et manants de Deneuvre dans
tous leurs privilèges et coutumes notoirement observés;
et l'on dit qu'il ne manqua pas à sa parole. Mais
malheureusement nous n'avons plus les actes où se
trouvaient consignées les franchises de nos grands-pères
: ces pièces disparurent sans doute avec une partie des
archives de la ville dans la dernière catastrophe qui en
causa la destruction.
Cependant la donation d'Olry fut attaquée judiciairement
par sa nièce Iolande de la Haye, duchesse de Nemours,
fille de sa soeur Isabelle. Cette princesse qui se
voyait frustrer prétendait que son oncle devait être
exclu de la succession du comte Louis, par les coutumes
de Lorraine et de Bar. Ses partisans accusaient même
hautement cet acte de Simonie; car, disaient-ils,
personne n'ignorait que le seigneur Olry avait passé un
traité secret avec le duc Réné, par lequel celui-ci
s'était engagé à le faire élire évêque en échange de
tous ses biens. Malgré ces raisons spécieuses Iolande
perdit son procès. La chambre impériale qui siégeait à
Spire, et devant laquelle la protestation avait été
portée, adjugea cependant la terre de Fougerolles à son
fils, Louis de la Haye, seigneur de Passavant. Puis
enfin quelque temps après la princesse vendit elle-même
tous ses droits sur les autres seigneuries à la maison
de Lorraine, pour la somme de 12,000 livres tournois.
Mais le duc Réné n'attendit pas la fin de ces débats
pour se saisir de tous les biens qu'on venait de lui
céder. Il nomma pour remplir cet office, Evrart de
Haracourt, chevalier, bailli de Nancy, et Hugues des
Hazards, docteur in utroque, prévot de l'église
collégiale Saint-Georges de Nancy, président de
Lorraine. L'évêque Olry de son côté joignit à ces grands
personnages, Gaspar de Mulhen, écuyer, son maître
d'hôtel et procureur dans les villes cédées. Voici la
relation de la singulière cérémonie de la prise de
possession de la ville et du château de Deneuvre, telle
qu'on la trouve dans les preuves recueillies par le
Révérend père Dom Calmet, pour servir à son histoire de
Lorraine :
Instrument (acte) de la prise de possession de Deneuvré.
Au nom de Dieu, Amen.
« Par la teneur de ce présent publique instrument, à
tous appère clérement et soit chose notoire, que l'an de
l'incarnation de Notre Seigneur mil cinq cents et trois,
l'indiction septième, le dimanche vingt-septième jour du
mois de mars, l'an premier du pontificat de notre
Saint-Père en Jésus-Christ, notre seigneur Jules par la
divine providence pape secondi; en la halle de la ville
de Deneuvre, au diocèse de Toul, environ les dix heures
avant midi, et incontinent après la messe parochiale du
dit lieu, les officiers, bourgeois, manants et habitants
du dit Deneuvre ici assemblés par et en communaulté, en
présence de nous Notaires publics et des témoings
soubscrits spécialement aux choses qui s'ensuivent
appelés et requis ; vinrent devers les dits officiers,
bourgeois, manants et communaulté, noble, vénérable et
circonspecte personne Messire Evrart de Haracourt,
chevalier, bailly de Nancy, et maître Hugues des Hazards,
docteur en chacun droit, prévot de l'église collégiale
Saint-Georges de Nancy, président de Lorraine, ambedeux
(tous deux) procureurs et commissaires de très-haut et
très-puissant prince Réné, roi de Hyérusalem et de
Sicile, duc de Lorraine, de Bar, etc., et aussi noble
homme Gaspart de Mulhen, escuyer, seigneur du dit lieu,
maître d'hôtel et procureur en cette partie du Révérend
père en Dieu, monseigneur Olry de Blâmont, évesques et
comte de Toul, des procurations des qu'eux a
suffisamment apparut à nous Notaires.
« Lequel Gaspart dit et déclara aux dits officiers,
bourgeois, manants, habitants et communaulté que le dit
révérend père en Dieu l'avait envoyé devers eulx,
remontrer qu'il avait dès maintenant donné, cédé et
transporté au dit sieur roi, la dite ville, terre,
prévoté et seigneurie de Deneuvre, afin qu'après son
décès et trépas la dite seigneurie et les habitants ne
tombassent en guerre et inconvénient pour les débats qui
pourraient en survenir à l'advenir entre ceulx qui
voudraient se dire ses héritiers, et les entretenir en
bonne paix, repos et tranquillité. Et comme il les
avait, ensemble tous les vassaux, officiers et sujets de
la dite prévoté et seigneurie de Deneuvre, quittéz et
défaits en vertu de la dite procuration, les quittait de
leurs serments, et que le dit révérend père en Dieu
voulait que doresnavant ils fussent sujets bons, loyaux
et obéissants au dit seigneur roi, leur mandant ainsi le
faire. Et a, le dit sieur Président adressant la parole
à yceux officiers, bourgeois et manants et communaulté,
dit et déclaré semblablement comment le dit seigneur
Révérend père en Dieu, monsieur Olry de Blâmont, évesque
et comte de Toul, avait donné, cédé et transporté audit
seigneur Roi, pour lui, ses héritiers, successeurs et
ayant-cause, toutes ses terres, villes, châteaux et
prévotés et seigneuries à lui appartenants, et qu'il
avait quitté tous ses vassaux, officiers et sujets de
leurs serments, voulant que le dit seigneur Roi prit la
possession réelle et actuelle des dites terres, villes
et châteaux, prévotés et seigneuries, ainsi que plus
amplement il était contenu dans les lettres que le dit
Révérend père en Dieu en avait faites et passées, ce que
a été cause que le dit seigneur Roi avait envoyé le dit
sieur Bailly et lui pour prendre possession de la ville,
château, prévoté et seigneurie du dit Deneuvre, comme
ils verraient par la procuration du dit sire Roi, que
pareillement il leur faisait lire. Par quoy le dit sieur
bailly et lui comme Procureurs du dit seigneur Roi, les
réquirent, que en suivant ce que dessus, ils voulsissent
faire le serment à iceluy seigneur Roi, de lui être
bons, loyaulx et obéissants sujets ; et que ce fait,
feraient aussi le serment à eux. au nom du dit seigneur
Roi en vertu du pouvoir à eulx attribué par la dite
procuration, que le dit seigneur Roi les garderait en
leurs franchises, libertés, priviléges, us et coutumes ;
lesquelles choses ainsi dites et déclarées, iceux
seigneurs président et bailly dirent à honorable homme
Humbert de Vidranges, secrétaire du dit seigneur Roi, là
présent, qu'il lut ycelles lettres de don, cession,
transport et procuration cy-devant mentionnées. Ce que
le dit secrétaire fit à haute et intelligible voix, en
manière que chacun des dits officiers, bourgeois,
manants, habitants et communaulté (20) pust clairement
entendre. Après lesquelles lettres et procurations lûtes
par le dit secrétaire, oyës par les dits officiers,
bourgeois, habitants et communaulté, les dits sieurs
bailly et président leur demandèrent s'ils les avaient
bien entendues, les qu'eux » répondirent que oûy, et
qu'ils se voulaient un petit peu retirer, et avoir avis
et délibération ensemble, priant au dit Gaspart d'aller
avec eux pour les aider et conseiller, et se retirèrent
avec le dit Gaspart à l'autre bout de la halle, là où
ils furent un espace de temps ; puis retournèrent tous
vers les dits sieurs bailly et président, et dirent
qu'ils avaient ordonné au dit Gaspart de déclarer ce
qu'avait été par eux délibéré et conclud, priant qu'il
voulût ainsi le faire.
« Et alors le dit Gaspart adressant ses paroles au dit
président et bailly, dit que les dits officiers,
bourgeois, manants, habitants et communaulté étaient
bien joyeux de tout ce qu'il avait plu au dit seigneur
Révérend père en Dieu faire en cette partie et qu'ils
seraient loyaux et obéissants sujets au dit seigneur
Roi, à ses héritiers, successeurs et ayants-cause, et
qu'ils feraient volontiers le serment, ainsi qu'ils
avaient été requis; priant aux dits sieurs bailly et
président de faire pareillement le sairement comme
Procureurs du dit seigneur Roi, de les entretenir en
leurs franchises et libertés, comme ils avaient dit, et
qu'ils en eussent lettres du dit seigneur Roi; ce que
par les dits bailly et président leur fut octroyé.
« Adoncques le dit sieur président leur dit : Messieurs,
levez tous les mains devers le ciel, et jurez par vos
parts de Paradis et par tout ce que vous tenez de Dieu,
que dorésnavant vous serez bons, loyaulx et obéissants
sujets du Roi de Sicile, duc de Lorraine et de Bar,
notre très-redoubté et souverain seigneur, à ses
héritiers, successeurs et ayants-cause, ducs de
Lorraine. Lesquels officiers, bourgeois, habitants et
communaulté tenant les mains élevées en hault, dirent :
OUI, nous le jurons.
« D'autre part, les dits seigneurs bailly et président
comme Procureurs du dit seigneur Roi, jurèrent par les
saintes évangiles de Dieu, au nom et en l'âme du dit
seigneur Roi, en vertu du pouvoir à eux attribué par sa
procuration, que le dit seigneur Roi les gardera et les
entretiendra en toutes leurs franchises, privilèges, us
et coutumes, et les en laissera jouir, ainsi qu'ils ont
fait du passé, promettant que le dit seigneur Roi leur
en donnera lettres.
Et en outre, les dits sieurs bailly et président dirent
que pour ce qu'ils étaient bien et duëment informés que
les prévost, échevin, justice et autres officiers de la
dite ville et prévoté du dit Deneuvre étaient gens de
bien, souffisans et ydoines (propres) à porter leurs
charges, il les y remettaient et remirent chacun en son
office jusques au bon plaisir du dit seigneur Roi;
ordonnant aux dits bourgeois, habitants et communaulté,
être obéissants aux dits officiers par eux remis et
établis en leurs offices, comme dict est.
« De et sur lesquelles choses les dits sieurs bailly et
président, comme Procureurs et commis du dit seigneur
Roi; et aussi les dits bourgeois, manants et habitants
de leur part, demandèrent et réquirent à nous Notaires,
et à chacun de nous, instruments publiques; un ou
plusieurs présents : vénérables, nobles et honnestes
personnes messire Olry Autrepart, prévot de l'église
Saint-George du dit Deneuvre ; messire Henry Valence et
messire Nicole Sibille, chanoines de la dite église;
messire Didier Warin prêtre; Thiébaut de Barbey;
Melchior de Blonmenket, tous deux écuyers; Claude Jaquet,
châtelain de Baccarat; Jean Pandel, maire de Baccarat;
Olriet Peltier, doyen, et Jean Richier du dit Baccarat,
témoings à ce appelez et requis.
« Conséquemment au départir de la dite halle, les dits
sieurs bailly et président avec Gaspart, maître d'hôtel
et grand nombre de gens avec eulx, s'en allèrent à la
porte de la ville de Deneuvre que l'on appelle la porte
dessus, et là iceux arrivés, le dit maitre d'hôtel fit
apporter les clefs de la porte par le portier d'ycelle
porte, et lui dit que le Révérend père en Dieu, messire
Olry évesque, avait donné la ville, terre, prévosté et
seigneurie de Deneuvre au Roi de Sicile, duc de Lorraine
et de Bar, et l'avait déchargé de son serment; et que
les gens du dit seigneur Roi, illecques présents,
étaient venus pour en vertu du don que le Révérend père
en Dieu en avait fait au dit seigneur Roi, de ses terres
et seigneuries, prendre la possession des dites ville,
prévosté et seigneurie de Deneuvre ; et lui aussi y
était venu pour leur délivrer de la part du dit Révérend
père icelle seigneurie et possession. Et alors le dit
maitre d'hôtel prit les clefs de la dite porte, et les
mit dans les mains des dits sieurs bailly et président,
disant que de la part du dit Révérend père en Dieu,
monsieur Olry de Blâmont, et comme son procureur à ce
établi et commis, il leur délivrait la seigneurie et
possession de la dite ville de Deneuvre, terre, prévoté
et appartenances d'ycelles; des mains duquel les dits
sieurs bailly et président prinrent et reçurent les
dites clefs au nom que dessus : puis demandèrent au dit
portier s'il voulait servir le dit seigneur Roi en cet
office de portier, lequel répondit qu'oüy; alors le
remirent et députèrent au dit office et fit le serement
dans les mains des dits bailly et président, par sa part
de paradis, d'y servir le Roi, duc de Lorraine et de
Bar, bonnement et loyalement comme au dit office
appartient.
« Et ce fait, les dits sieurs bailly et président mirent
les mains aux premiers et seconds huisseries, verroux et
sarratures de la dite porte, et rentrèrent en la dite
ville, disans, déclarans et protestants que par ces
actes et solennités ils prenaient et appréhendaient la
seigneurie et possession corporelle et actuelle de la
dite ville, terre, prévoté, seigneurie et appartenances
du dit Deneuvre, pour et au nom du dit seigneur Roi, duc
de Lorraine, de et sur lesquelles choses ils réquirent
et demandèrent à Nous Notaires susdits, et un chacun de
nous instrument publique.
» Ces choses furent faites les an, indiction, mois,
jour, heures et lieux, et présents que dessus.
« En après de ce même contenu, les dits sieurs bailly,
président et Gaspart de Mulhen, maître d'hôtel,
accompagnés de plusieurs et diverses gens s'en allèrent
à l'autre porte de la dite ville, appelée et nommée la
porte d'en bas, ou fut dit, déclaré, fait et célébré,
tant par le dit maître d'hôtel, que en ycelles cy-devant
; recevant par les dits sieurs bailly et président; en
députant le dit portier de nouveau en son office ;
recevant le serment touchant les portes, verroux, et
sarrures ; entrant en la dite ville, comme autrement, au
nom que dessus ; en réquirent de Nous Notaires, et un
chacun de nous, instrument.
« Fait les an, indiction, mois, jour, lieu, pontificat,
et présents que dessus.
« Et de ce même pas et en continuant à la saisine et
appréhension de la dite seigneurie et possession les
dessus nommés sieurs Procureurs avec multitude de gens,
se transportèrent aux portes et porteries du château du
dit Deneuvre ou le dit Gaspart maître d'hôtel dit,
déclara, et fit tout ainsi et pareillement qu'il avait
dit, déclaré et fait aux premières et secondes portes et
porteries de la dite ville. Et là aussi, c'est à,
savoir, aux portes du dit château, les dits sieurs
bailly et président reçurent les clefs des portes du dit
château, mirent et députèrent le portier, reçurent le
serment de lui, et lui consignèrent les dites clefs,
touchèrent les portes, verroux, sarrures d'icelles
portes du dit château et entrèrent dedans.
« Sur quoi le dit Gaspart, maître d'hôtel et procureur
du dit révérend père en Dieu, dit que ce qu'il faisait
et avait fait était par l'ordonnance de son dit Seigneur
et Maître, et en vertu de sa dite procuration ; et ce
pour délivrer réalement et de fait la seigneurie et la
possession delà dite ville, château, terre et prévoté de
Deneuvre, des appartenances et dépendances d'icelle. Et
pareillement yceux seigneurs bailly et président dirent
et déclarèrent que les actes et exploits qu'ils
faisaient et avaient faits, étaient pour l'actuelle,
réelle et corporelle appréhension de la dite seigneurie
et possession des dites ville, chasteau, terre et
prévosté de Deneuvre des appartenances et dépendances d'icelles,
pour et au nom du dit seigneur Roi, duc de Lorraine.
« De et sur lesquelles et chacune d'icelles les dits
sieurs bailly et président demandèrent et requirent à
nous les dits Notaires, et chacun de nous, un ou
plusieurs instruments. Fait les an, indiction, jour,
mois, lieu, pontificat, et présents les témoings dessus
nommés.
« Le mardy en suivant vingt sixième jour du dit mois,
l'an de l'incarnation de Notre Seigneur, mil cinq cents
quatre (21) Mathis Jehan Didier, prévot ; Colin Peltier,
échevin ; Claude Perrin et Warnesson, jurés de la
justice du dit Deneuvre; et Claude Baudinot, prévot de
Luxerailles, avertis et acertenés, comme ils disaient,
des choses faites et exploitées cy-devant déclarées,
même qu'ils étaient déchargés du serement qu'ils avaient
fait au Révérend père en Dieu, se présentèrent aux dits
sieurs bailly et président, au château de Deneuvre, au
petit palais, auprès la grande chambre haute, eux
s'offrant vouloir servir au dit seigneur Roi si c'était
son bon plaisir. C'est pourquoi yceux seigneurs, bailly
et président, confians qu'ils seraient toujours gens de
bien, et qu'ils serviraient le dit seigneur Roi
bravement el loyalement, les remirent en leurs dits
offices, et reçurent les serements d'eux et de chacun d'yceux.
Sur lesquelles choses, les dits sieurs bailly et
président, aussi les dits officiers, en ont demandé et
requis de Nous Notaires, instruments. Fait an,
indiction, mois, jour, pontificat et lieu que dessus.
Présents : Gérardin, Thévenot, Bouchier, Savary de
Moustier et La Flèche, serviteurs du dit Révérend père
en Dieu, et autres à ce appelés et requis. »
« Nicolas Gauthier et Burjet notaires. »
Tel est le précis de cette singulière cérémonie à la fin
de la quelle les habitants de la prévoté de Deneuvre
eurent l'honneur d'être sujets lorrains. Ce changement
se fit sans secousse et sans occasionner la moindre
plainte; aucun fonctionnaire ne fut révoqué; la donation
de l'évêque Olry n'aboutit donc pour les dits habitants
qu'à une substitution seigneuriale. Mais ce
procès-verbal est d'autant plus curieux qu'il nous
apprend que l'emplacement de la ville où nous voyons
aujourd'hui la croix de mission, était couvert
autrefois; et que ce hangar, cette halle servait de lieu
de réunion aux citadins dans les grandes circonstances :
c'était en un mot leur maison communale. Et puis,
peut-on s'empêcher de sourire lorsque l'on voit ces bons
bourgeois et manants demander la permission de se
retirer à l'autre bout de cette halle pour délibérer sur
la volonté de leur Seigneur et Maître ? Leur décision ne
devait pas laisser l'ombre d'un doute dans l'esprit des
commissaires du duc Réné.
Après avoir opéré dans la ville de Deneuvre, Evrart de
Haracourt et Hugues des Hazards accompagnés de Gaspart
de Mulhen allèrent observer le même cérémonial dans les
autres seigneuries cédées et à Blâmont, ou après avoir
pris possession du château, « et afin que chacun, tant
de la ville que de la terre en fut adverti, ainsi qu'on
avait accoutumé quand il y avait un nouvel seigneur, ils
firent sonner la grosse cloche du dit château, que l'on
a accoutumé de sonner, sinon pour quelqu'alarme, ou à la
venue d'un nouveau seigneur, ou au trépas du seigneur. »
Mais avant la donation d'Olry, ses prédécesseurs avaient
déjà perdu leur indépendance; car en 1422, le 26
septembre, Thiébaut de Blâmont et Marguerite sa femme,
avaient prêté foi et hommage pour toutes leurs terres au
duc de Lorraine, Charles Ier, pour eux et pour leurs
successeurs. Cette cérémonie dont les seigneuries de
Blâmont et de Deneuvre étaient le motif se passa ez
faubourgz de la ville de Blanmont, en la hallette d'yceux,
sur les fossés et prez de la porte du dit Blanmont, en
lieu ou la justice d'ycelle at accoustumé sévir en
jugement. Nous n'avons pas cru devoir omettre ce serment
prononcé par un ancien seigneur de Deneuvre. Le voici
tel qu'il fut dit à haute voix par ce Thiébaut devant
les notaires réquis et les commissaires du duc Nicolas :
« Nous, pour nous et pour tous nos hoirs successeurs et
ayants-cause, avons accordé et accordons par ces
présentes avec notre très-redoubté seigneur, Monseigueur
duc de Lorraine et Marchis, que nous ne pouvons ni ne
devons nul jamais, pour quelque cause, occasion, ni par
quelque titre ou manière que ce soit, ou puisse être,
aucune chose demander, réclamer, avoir, poursuivre, ni
requérir en toute la duchié de Lorraine ; ni dans les
appartenances ni dépendances d'ycelle ; ni aussi en
toutes ses terres et seigneuries et pays gîte notre dît
seigneur tient et possède à présent ; ni aussi en ce
qu'il pourrait au temps à venir, acquérir; ni aussi en
tout ce que ses hoirs et successeurs ducs de Lorraine
pourraient à toujourmais tenir et posséder de par notre
dit seigneur, soit à cause de sa succession ou
aultrement.
» Et avec ce, moi Thiébaut, ay promis et juré par ces
présentes, par la foy et serment de mon corps, sous mon
honneur, pour moi, pour mes hoirs, successeurs et
ayants-cause, pour toujoursmais, que moi ni mes dits
hoirs ne seront à rencontre de mon dit seigneur de
Lorraine ; et que nul mal ni dommage n'en viendra, ni
sera fait, porté ni pourchassé à mon, dit seigneur de
Lorraine, ni à ses hoirs, ni à leurs choses, par moi,
par mes hoirs, successeurs et ayants-cause, ni par mes
bonnes villes et forteresses de Blanmont et de Deneuvre
en quelconque manière, ni en quelconque cause, ou
occasion que ce soit ou puisse être. Et en outre, toutes
et quantesfois qu'il advenrat qu'après mon décès, ou
pendant mon vivant, un nouvel seigneur serait et
viendrait en mes dites terres, soit par succession ou
aultrement, le dit seigneur devrait et serait tenu de
jurer et créanter toutes les choses dessus dites, de la
manière que dit est.
« Et aussi dès maintenant jureront par manière de
communaulté pour eulx et pour tous leurs hoirs, toutes
les justices, hommes, habitants et communaulté de mes
bonnes villes et forteresses de Blanmont et de Deneuvre
qu'ils ne souffriront ni ne laisseront entrer aucun
nouvel seigneur en mes dites forteresses et bonnes
villes, qui viendra après moi; ni aussi ne lui obéiront
ou feront serement d'obéissance quelconque, ni le
tiendront pour seigneur, jusqu'à ce que le dit seigneur
ait fait ce serment, tout par la manière que je le fas à
présent.
« Et avec ce, je promets par toutes ces présentes que
tous les édits, cris, ordonnances et commandements
généraux que par mon dit seigneur de Lorraine seront
faits et ordonnez en toute la duchié de Lorraine et ses
dépendances, tant ordonnance de monnaye, comme des
vivres et marchandises, moi et mes hoirs tanront et
seront tenus de tenir, garder et observer de point en
point par toutes mes terres et seigneuries, sans
aucunement aller au contraire, en quelconque manière que
ce soit, soit par la forme et manière que les dits cris,
édits et ordonnances seront donnés, criés et publiés. »
Ce serment prononcé les commissaires du duc Nicolas
s'adressèrent à l'assemblée et dirent :
« Vous, justices, hommes, bourgeois, habitants et
communaulté des villes et forteresses de Blanmont et de
Deneuvre, par le consentement et ordonnance de
Messeigneurs de Blanmont et de Deneuvre, voz naturels
seigneurs, jurez par vous et par tous vos hoirs, par la
foy et serment qu'avez fait à Dieu et à vos seigneurs,
par le serrement qu'avez fait en l'ordre de mariage, et
par votre part de paradis, que vous ne soufferez, ni
laisserez entrer aucun nouvel seigneur, qui en ces dites
bonnes villes et forteresses vanront après nos seigneurs
d'aprésent; aussi ne leur obéirez ni obéiront vos dits
hoirs ; ni ne ferez obéissance quelconque ; ni ne les
tanrez pour seigneurs jusqu'à ce que le dit ou les dits
nouvels seigneurs auraient fait le serment qu'ils
doivent et sont tenus de faire.
« Lesquels justice, hommes, bourgeois, manans, habitants
et communaulté de Blanmont et de Deneuvre, illec étant
présents, dirent tous et répondirent conjointement
ensemble et d'un commun accord et consentement que ainsi
ils le juraient et promectaient ; et en démontrance et
signification de ce, levèrent tous les mains, disant
ainsy : Nous le jurons et le promectons. »
Le 22 décembre 1472, deux ans avant l'invasion des
Bourguignons, le duc Nicolas manda à Lunéville Ferry et
Olry de Blâmont, fils du comte Henry IV, pour y
renouveler ce serment fait par leur grand'père. Ces deux
seigneurs s'y rendirent et jurèrent pareillement de
reconnaître pour souverains les ducs de Lorraine; de les
servir de leurs personnes et de leurs forteresses;
étaient présents l'évêque de Toul Henry de Ville, et
Thiéry d'Ogéviller, abbé de Moyenmoutier. Puis après les
formalités d'usage, Robert Morel, conseiller du duc, et
Jean de Bézanges, lieutenant-général du bailliage de
Nancy, furent envoyés comme commissaires de Nicolas dans
les seigneuries de Blâmont et de Deneuvre pour y faire
prêter serment aux juges de ne recevoir aucun seigneur
qu'il n'eut préalablement juré d'accomplir les promesses
faites par ses ancêtres, ainsi dès l'année 1422 les ducs
de Lorraine pouvaient déjà se considérer comme
souverains de ces deux villes, puisque leurs cris et
ordonnances y étaient promulgués et reconnus et que leur
monnaie y avait cours forcé.
Cependant par suite de la cession faite par son cousin
Olry, le duc Réné devenu feudataire de l'évêché de Metz
pour les terres de Blâmont et de Deneuvre, se vit dans
l'obligation d'en jurer foi et hommage en 1499 entre les
mains de son oncle Henry II de Lorraine, qui occupait
alors ce siège (de 1484 à 1501). Son fils et successeur
Antoine, dit le Bon, rendit le même devoir à son frère
Jean, aussi évêque, en 1513. Mais en 1561 François de
Baucaire de Péguillon qui occupait cette place
importante, voulant acquitter certains engagements qu'il
avait contractés sur ses châtellenies de Remberviller,
Hombourg-l'Evéque, Saint-Avold et de Baccarat, ne crut
mieux faire pour se tirer d'embarras que de vendre la
suzeraineté des villes de Blâmont et de Deneuvre. Le duc
de Lorraine Charles III, alors régnant, en fit
l'acquisition pour la somme de 20,000 fs, et cette
transaction fut ratifiée l'année même par Charles,
cardinal de Lorraine, et administrateur du temporel de
l'évêché. On comprend cet empressement de la part d'un
parent ; mais le Chapitre des chanoines qui ne voyait
pas avec plaisir ce démembrement de la puissance
épiscopale ne sanctionna ce marché que l'année suivante.
Enfin à dater de cette époque, les ducs de Lorraine
furent affranchis de ce serment de vassalité et se
virent possesseurs paisibles et en toute souveraineté de
ces deux anciennes cités.
Mais si la puissance de ces seigneurs ne fut que
sensiblement augmentée par l'abandon d'Olry, ils ne
pouvaient cependant recevoir avec indifférence des
villes renommées depuis longtemps déjà pour leur
industrie. Deneuvre se recommandait par son commerce qui
était déjà très-étendu au commencement du 14e siècle, et
qui ne fit que s'accroître lorsque ses habitants
jouirent enfin d'une grande sécurité qu'ils devaient à
la prévoyance du comte Thiébaut. En 1317 on y voyait des
Lombards (22) et l'on sait que ces banquiers ne fixaient
jamais leurs établissements que dans les cités les plus
commerçantes. Ce fut le sire de Blâmont Henry III, qui
leur permit de s'y établir et d'y exercer leur
industrie, en lui payant annuellement 80 livres de petit
tournois (monnaie de cuivre). Ces étrangers faisaient
par privilège le commerce, le change et l'usure qu'ils
partageaient avec les juifs ; et leurs établissements
n'étaient autres que nos monts- de-piété actuels, dont
ils sont sans doute les inventeurs. Ils recevaient sous
la police des magistrats les dépôts de bijoux,
d'argenterie, d'effets et de marchandises, en payant en
échange une valeur approximative, moyennant un intérêt
pour l'année, le mois, le jour. Enfin lors de leur
installation, ces Lombards se trouvaient exempts pendant
dix années de toutes tailles, quêtes, aides et
chevauchées. Nous avons dit qu'ils partageaient l'usure
avec les juifs. Ceux-ci, par l'étendue de leurs
relations étaient devenus les courtiers de toute
l'Europe et le comte Ferry II de Blâmont qui savait
apprécier les avantages produits par le négoce ne
craignit pas d'avoir recours à quelques-uns. Il
n'ignorait pas que leurs opérations s'étendaient
jusqu'aux dernières classes de la société et voulait par
leur exemple habituer ses sujets au commerce. A cette
époque on prêtait généralement à douze dans tous les
pays de l'Europe, mais les juifs prêtaient à vingt pour
cent, et cette malheureuse nation y était obligée parles
absurdes préjugés du temps; car ils ne pouvaient obtenir
le droit de commercer qu'à prix d'argent et même celui
d'avoir un domicile. En effet un édit de 1733 les
chassait tous des états du duc de Lorraine, et ils ne
purent s'y maintenir qu'en se cotisant pour payer une
somme de dix mille francs, moyennant quoi on les laissa
tranquilles. On sait d'ailleurs que ce moyen était assez
souvent mis en usage dans tous les pays catholiques; et
ce vol passait pour un acte politique.
Par lettres patentes du 20 novembre 1476, le duc Ferry
II fidèle à ses principes et se moquant des préjugés de
son temps, prit sous sa protection le juif Moïse, Bel sa
femme, leurs enfants et leurs biens, et lui permit de
s'établir dans sa bonne ville de Deneuvre pour y exercer
son commerce, mais moyennant une redevance de deux
florins d'or par année. (23) Tels sont les jeux de la
fortune que l'histoire n'a pas daigné enregistrer le nom
du fondateur de la forteresse de Deneuvre, tandis
qu'elle nous a conservé celui du premier israélite qui
vint brocanter dans les murs de cette ancienne cité. Les
Lombards et ce Moïse devaient se trouver dans leur
sphère pour leurs opérations, car il y avait différentes
branches d'industrie. On y voyait une papeterie,
plusieurs fabriques de draps, des taillanderies mais
surtout un grand nombre de tanneries et combien d'autres
genres de commerce qui nous sont inconnus, et dont les
produits se répandaient sur tous les marchés de la
Lorraine. Il y avait une fonderie de cloches et cette
usine semble même avoir joui d'une grande réputation,
puisque ce fut elle qui en 1508, sous la direction d'un
habile ouvrier de l'endroit, un nommé Jean Lambert, fut
chargé de refondre celles de l'église Saint-Epvre de
Nancy.
En 151, les taillandiers de Deneuvre érigèrent
conjointement une meule pour aiguiser les instruments
tranchants et les divers outils fabriqués dans leurs
forges, et aujourd'hui encore un canton de cette
ancienne seigneurie a conservé la dénomination de La
Meule. Ces désignations historiques plaisent et ne
laissent pas l'imagination vide et stérile comme les
noms de Gueule le Loup ou du Loup (24) et autres aussi
ridicules donnés, on ne sait par qui ni pourquoi, à
différentes parties du territoire de Deneuvre. Qu'on
nous permette même de dire à ce propos que nous ne
connaissons rien de plus curieux que les histoires sans
fin de nos chasseurs ; mais en même temps rien de moins
instructif. Lorsqu'on entend tous ces émules de Gérard
débiter avec une certaine volubilité tous ces noms
baroques qui leur sont si familiers, noms donnés à
chaque borne, à chaque haie et à tout bout de champ, on
croirait assister à un cours d'allemand; ou plutôt on se
figurerait entendre le vieux jargon de Nemrod, leur
premier père et patron.
Les tanneries de Deneuvre luttaient avec les
établissements de ce genre exploités à Blâmont, à Raon,
à Badonviller et à Baccarat ; car ce commerce était
très-considérable dans toutes ces localités. On
comprenait alors dans le même corps de métier les
corroyeurs, les maîtres et compagnons bottiers et
cordonniers ; ils formaient tous ensemble une
corporation qui avait sa bannière et ses statuts, selon
l'usage. Voici le règlement qui leur fut accordé le 25
mars 1615 parle duc de Lorraine Henry II, dit le Bon :
Statuts du Han (corporation) des Tanneurs,
des Bottiers, Cordonniers et Corroyeurs
de Blamont et de Deneuvre.
Premièrement, il y aura un Maître et Doyen dans chaque
ville, commis et députés, lesquels prêteront le serment
de bien et fidèle ment maintenir tous les droits du Han.
Il ne sera permis à aucun tanneur, corroyeur ni autre de
mettre en vente marchandise dans notre comté de Blâmont
que première ment ils ne soient hantés et n'ayent payé
les droits du dit han, à peine de 50 francs d'amende et
confiscation de la marchandise.
Nul ne pourra vendre cuir de semelle par bandes que les
carrelures n'ayent le pied de même mesure, à peine de
neuf gros d'amende.
Nul ne pourra doresnavant se mêler du métier de tanneur
et corroyeur au dit comté et ailleurs dans les terres et
pays de notre obéissance, et y faire trafic de cuir de
boeufs, vaches, peaux de veaux, moutons, boucs et
chèvres en poil, qu'il ne soit hanté dans l'un des dits
métiers de tanneur, corroyeur, ou cordonnier, à peine de
50 francs d'amende.
Ceux qui voudront être reçus au dit han payeront vingt
francs d'entrée, les deux tiers à Nous et l'autre aux
dits Maîtres et Compagnons, avec une livre de cire pour
employer à la décoration de l'autel de saint Crépin; et
ne sera permis à aucun cordonnier quelqu'il soit de
pouvoir tenir boutique, ni vendre souliers que
premièrement il ne soit reçu au dit han, à peine de
confiscation de la marchandise. Seront toutefois les
fils de Maîtres cordonniers reçus au dit han en payant
seulement une livre de cire au dit autel saint Crépin et
quatorze pots de vin aux maîtres et compagnons.
Il ne sera permis à aucun maître et compagnon cordonnier
de prendre un apprenti qu'il n'ait, avant de toucher la
besogne, donné une livre de cire pour être employée au
dit autel saint Crépin, et deux pots de vin pour être
distribués aux maîtres et compagnons, excepté les fils
de maîtres du dit comté.
Il ne sera permis à aucun cordonnier du dit han
d'entremêler de cuir de vache en fesant des bottes à
genouillère, à peine de neuf gros d'amende, les deux
tiers à Nous et l'autre tiers aux maîtres et compagnons
du dit han.
Nul ne pourra mettre du cuir de cheval en quartellant
une empeigne de vache, à peine de telle amende que
cy-dessus est dit.
Nul ne pourra mettre première semelle de basane à un
soulier au-dessus de cinq points, à peine de neuf gros
d'amende, les deux tiers à Nous et l'autre tiers aux
maîtres et compagnons du dit han.
De même ne pourra être semelle à un soulier au-dessus de
cinq points que ce ne soit du bon cuir, à peine de
pareille amende que cy-dessus est déclarée.
Nul ne pourra mettre première semelle de cuir vieil, ni
de même doublure, à peine de l'amende prédite.
Il ne sera pas permis de laisser deux points rompus l'un
suivant l'autre, à peine de l'amende prédéclarée.
Finalement les dits maîtres et compagnons bottiers,
tanneurs et corroyeurs vendront et débiteront leurs
denrées à prix raisonnable et non excédant celui des
cordonniers étrangers, lesquels étrangers pourront être
reçus à exposer leurs dites marchandises en vente en
payant les droits du dit han.
Chaque année, le lundi après les Rois, la Corporation
des Drapiers nommait son Doyen et deux autres
personnages qu'on appelait Sercheurs sur les draps. Les
nouveaux élus prêtaient serment entre les mains du
Prévot de la ville qui, après la cérémonie, leur offrait
un gala, mais dont il ne faisait pas les frais ; car les
compagnons du métier en payaient la moitié, tandis que
l'autre était prise sur le produit des amendes imposées
à ces mêmes compagnons et aux apprentis.
En 1509, le successeur du duc Réné, le bon duc Antoine
établit à Deneuvre une foire qui se tenait le jour de la
saint Vincent d'été. (19 juillet) Mais par une
restriction digne de ce temps, pendant ce jour de foire,
il était expressément défendu aux commerçants de
Baccarat d'ouvrir leurs boutiques et d'étaler leurs
marchandises en montre . Cependant ils avaient le droit
de les transporter dans cette ville et de profiter de ce
jour férié qui attirait toutes les populations
environnantes. Cette prohibition n'était qu'un calcul de
la part des ducs de Lorraine, à qui Baccarat fut presque
toujours engagé par ses maîtres les évêques de Metz ;
car il était de leur plus grand intérêt de rassembler à
cette époque dans leur bonne ville de Deneuvre, le plus
grand nombre possible de traficants et de commerçants.
Ceux-ci étant obligés de payer des droits d'entrée,
d'étalage, d'aunage et autres, ces contributions
servaient à alimenter leur trésor particulier.
Enfin dès l'année 1610 il s'était formé dans les murs de
cette ancienne cité une compagnie d'arquebusiers, en
tout semblable à celle que l'on voyait à Blâmont, mais
de moitié moins nombreuse. On n'y comptait que
vingt-cinq membres auxquels le trésorier de Lorraine
fournissait une subvention annuelle pour leur donner
sujet de s'exercer au profit des armes et se rendre
capables de faire service à son Altesse, le cas échéant.
Ceux de Blâmont qui étaient au nombre de cinquante
recevaient vingt-cinq francs, plus, en temps de carême,
une haute paie de sept livres, ou bien, un demi-cent de
carpes pêchées dans les étangs de Monseigneur le Duc.
Les arquebusiers de Deneuvre étaient exempts de toutes
rentes et impots dus par les habitants : ces milices
citoyennes ont toujours joui de quelques priviléges,
comme nous le voyons encore aujourd'hui par nos
compagnies de pompiers. Cependant ces bons bourgeois s'
exerçant à l'arquebusade ne faisaient aucun service dans
la ville ni dans la forteresse. Celles-ci se trouvaient
gardées au contraire par des hallebardiers et des
baudriers, (sic), tandis qu'un nombreux corps
d'officiers civils étaient chargés de la police et de
l'administration de toute la seigneurie. Nous ne devons
donc pas être surpris si ce château servait souvent de
résidence à ses seigneurs et maîtres les sires de
Blâmont, puis à leurs successeurs les princes de
Lorraine. Les hobereaux des environs se faisaient un
devoir d'y aller faire leur cour et ces allées et venues
ne contribuaient pas peu à l'animation de la ville. Le
prince Nicolas de Vaudémont, frère du duc François, y
passa la plus grande partie de son existence; et c'est à
cette circonstance que les bourgeois et les manants de
Deneuvre durent d'être témoins d'une des plus grandes
cérémonies qui eut jamais lieu dans les murs de leur
cité. 1456.
Ce duc de Lorraine, François Ier, étant tombé
inopinément
malade dans l'abbaye de Notre-Dame d'Avenay, près de
Rheims, se fit d'abord transporter à Bar pour s'y faire
soigner, puis de là à Nancy. « Huit jours après avoir
fait son entrée dans cette ville, dit Edmont du Boulay,
dans la vie et trépas des deux princes de paix, le bon
duc Antoine, et le sayge duc François, fut conseillé par
les Docteurs Médicins qu'il avait très sçavants et
experts, de changer d'air et se retirer en lieux chaultz
et secz, ce qu'il fit ; car à la my apvril du dit an mil
cinq cents quarante cinq, il alla en sa ville de Blâmont
au pied du mont de Vosge, ou il demoura environ trois
semaines, toujours diminuant de santé et multipliant en
la maladie de colique, entremellée de fiebvre et
finalement d'apopléxie et perclusion de membres. Pour à
quoy remédier, furent mandez tous les médicins de
Lorraine et de Barroys qui avaient état de lui . Après
toutes les contestations ne fut conclu meilleur remède
que de le faire baigner aux bains de Plumières
(Plombières) et voulant adhérer (pour sa santé
recouvrer) au conseil de tant médicins, se fit porter en
une chaise à bras (à cause qu'il ne pouvait endurer la
litière) depuis Blâmont jusqu'en sa ville de Remimont...
» mais malgré le remède infaillible indiqué par ces très
sçavants médecins la maladie du duc François ne fit
qu'empirer, et enfin, après bien des souffrances, cet
infortuné prince succomba, bien jeune encore, à une
dernière attaque d'apopléxie. Il mourut dans cette ville
à l'âge de vingt-huit ans laissant deux enfants en bas
âge et une épouse enceinte de six mois. Ses entrailles
furent enterrées dans l'église des Dames chanoinesses,
et le duc embaumé, fut, par ordre de Nicolas de
Vaudémont, transporté sous la conduite de Jean, comte de
Salm et maréchal de Lorraine, dans l'église collégiale
de Deneuvre, où il resta eu dépôt. (25) Car alors on
avait la singulière coutume de n'enterrer les princes
qu'un an après leur décès. Lorsque le corps y fut
arrivé, les prélats et les abbés convoqués lui rendirent
les honneurs funèbres pendant trois jours. Puis ensuite
la veuve de François, Christine de Danemarck, (veuve
déjà de Francisque Sforce, duc de Milan) et l'évêque de
Metz son oncle, le prince Nicolas de Lorraine,
quittèrent la ville de Remiremont pour se rendre
également au château de Deneuvre, afin d'y traiter des
affaires concernant l'administration du duché. En
conséquence ils y convoquèrent pour le 6 août de la même
année tous les nobles et les ecclésiastiques. Ces
personnages s'occupèrent des difficultés qui s'étaient
élevées entre la duchesse Christine et son beau-frère,
le comte de Vaudémont; cette princesse prétendait
gouverner seule et se faisait appuyer dans ses
prétentions par l'empereur d'Allemagne. Le seigneur
Nicolas de son côté défendait les clauses testamentaires
du duc défunt, dans l'intérêt des jeunes princes et pour
d'autres causes politiques. Enfin après bien des débats
et des pourparlers, l'assemblée les nomma tous deux
conjointement Régens du duché de Lorraine, pendant la
minorité du duc Charles III ; et l'on possède encore des
jetons frappés à propos de cette double élection.
Cependant la cérémonie des obsèques du prince François
fut différée jusqu'au 17 août 1546, tant à cause des
couches de Christine que de l'absence de plusieurs
membres de la maison de Lorraine. Nous allons emprunter
à Dom Calmet, qui lui-même l'a prise dans Edmont du
Boulay, la description de la marche du cortège, et celle
des cérémonies religieuses observées dans l'église
collégiale de Deneuvre.
L'époque étant arrivée, « on fit partir de Nancy le
second jour du mois d'août, les Maréchaux-des-logis, les
Fourriers et les Controleurs, pour préparer les logis et
le séjour à Lunéville, pour le soir de ce jour. Après
midi, le prince Nicolas, évêque de Metz, partit de Nancy
avec une grande quantité de Nobles du pays, vingt-cinq
Gentilshommes de sa maison, le Grand-Maitre, les Maîtres
spirituels et temporels des cérémonies et les
Maitres-d'hôtel ordinaires. Le même jour partirent aussi
les Gentilshommes et Chevaliers qui portaient les
enseignes, guidons, étendards, lances, écus, cornettes
et panons, et les hérauts-d'armes qui marchaient après
la troupe du prince Nicolas. Après eux venaient les
Aumoniers et Clercs de chapelles, le Maitre de la
chapelle ducale, les chantres et les enfants de choeur ;
puis l'écuyer menant le cheval de secours et six pages
d'honneur montés sur autant de chevaux couverts de
velours noir, à grandes croix blanches, pendant jusqu'à
terre, et caparaçonnés comme le cheval de l'écuyer; puis
encore un autre écuyer, conduisant le grand cheval de
bataille, bardé, suivi de l'écuyer menant le cheval
d'honneur, houssé et caparaçonné de velours noir pendant
jusqu'à terre, parsemé de grandes croix de satin blanc
et les quatre coins de la housse tenus par quatre valets
de pied, vêtus de velours noir.
« Après eux partirent les seigneurs de Savigny et de
Harenges, représentant les comtes de Vaudémont et de
Blâmont ; puis venait le char funèbre couvert de velours
noir, pour transporter le corps du feu prince, trainé
par six chevaux, couverts aussi de velours noir, à
grandes croix blanches. Suivaient ce char, le comte de
Salm, maréchal de Lorraine et du Barois, les Sénéchaux
de Lorraine et Barrois, les quatre comtes, les baillys
et chevaliers qui devaient porter ses armes,
cottes-d'armes, ordres de France, les quatre coings du
drap d'or et du dais sur le corps du prince. Ensuite
venait un commissaire accompagné de deux cents pauvres
vêtus de deuil, ayant devant et derrière eux les armes
du prince, et portant chacun deux clochettes pour sonner
pendant la cérémonie du transport du corps. Toute cette
foule arriva sur le soir à Lunéville, puis on partit le
lendemain dans le même ordre pour se rendre à Deneuvre.
« A deux heures après midi, l'évêque de Metz, prince de
grand deuil, se rendit en cérémonie avec sa suite, à
l'église où reposait le corps du prince François, et
après les Vigiles dont les leçons furent solennellement
chantés par des abbés mitrés et crosses, il retourna au
château dans le même appareil qu'il en était parti.
« Aussitôt après on servit à souper devant le corps du
feu prince, avec le même cérémonial que s'il eut été
vivant. Le grand-maître précédé des hérauts-d armes et
des trompettes, et suivi des quatre maîtres d'hôtel
ordinaires, de l'écuyer tranchant, des pages d'honneur
qui portaient les viandes, entra dans la salle, et après
les cérémonies ordinaires et l'essai des plats, on mit
les mets sur la table à un bout, tandis qu'à l'autre on
en servait pour le prince Nicolas évêque de Metz, qui y
mangea seul. A chaque service on observait le même
cérémoniel, et les plats qui avaient été destinés au feu
prince étaient aussitôt donnés à l'aumonier et aux
clercs de chapelles pour être distribués aux pauvres.
« Le lendemain 4 août on fit les services solennels dans
l'église collégiale de Deneuvre. Les abbés de
Haute-Seille et le prévot de Saint-Diez y chantèrent
trois messes. Celui-ci parce qu'il était mitré célébra
la dernière et fit les ablutions sur le corps. Pendant
cette dernière messe, l'aumônier du feu prince prépara
sa chapelle et son siège, comme s'il eut été vivant;
puis célébra une messe basse ou l'abbé Saint Martin,
comme maître spirituel des cérémonies, présenta le livre
à baiser au prince défunt, après l'évangile, et
l'aumônier lui offrit le corporal et l'eau bénite à la
fin de la messe, comme c'était la coutume. Enfin une
demi-heure avant le diner, le héraut-d'arme annonça à
haute voix la mort du prince et invita Messieurs des
trois états à son convoi.
« Vers une heure après midi le corps fut levé par vingt
gentilshommes et porté du coeur de l'église sur le char
funèbre qui l'attendait devant le portail, puis chacun
commença à marcher suivant l'ordre marqué par les
maîtres des cérémonies. On alla à pied de Deneuvre
jusqu'au grand chemin, ou chacun remonta à cheval sans
cependant rompre son rang, puis le cortège se dirigea
sur Lunéville. »
Nous ne pousserons pas plus loin la description de cette
marche funèbre; ce serait sortir des bornes de notre
sujet. Ajoutons cependant que le corps du duc François
fut conduit à Nancy et inhumé avec ses ancêtres dans le
caveau de la chapelle des Cordeliers.
Telle est la relation de ce qui se passa dans la ville
de Deneuvre dans ces tristes circonstances. Cette foule
d'illustres personnages et de Nobles venus de toutes les
contrées de la Lorraine ; l'appareil pompeux de la
cérémonie ; le son lugubre des quatre cents clochettes
agitées par cette multitude de pauvres que les clercs de
chapelles traînaient à leur suite, durent bien
impressionner les bourgeois et surtout les manants de la
ville. Et cependant ils étaient pour ainsi dire habitués
à tout ce grand mouvement; car à la nouvelle de la mort
du duc François, l'empereur d'Allemagne, Charles-Quint,
s'était empressé d'envoyer au château de Deneuvre l'abbé
saint Vincent de Luxeuil, pour offrir ses compliments de
condoléance à l'inconsolable Christine. Le roi de
France, Henri II, parrain du prince défunt, y envoya
pour la même cause le sieur Desmortiers, maître des
requêtes. Le roi de Hongrie; le roi des Romains; la
princesse d'Orange, et bien d'autres maisons royales et
seigneuriales se firent un devoir d'y envoyer aussi
leurs ambassadeurs. Au nombre des personnes qui
formaient la cour de Christine de Danemarck, se
trouvaient le prince Nicolas de Lorraine et le comte de
Vaudémont ; Charles, archevêque de Rheims; Dorothée de
Danemarck, comtesse palatine, sa soeur; Jean, cardinal
de Lorraine et plusieurs autres seigneurs de moindre
importance. On peut maintenant se faire une idée de la
grandeur du château de Deneuvre puisque cette foule
d'illustres personnages y étaient fêtés et logés en même
temps.
Christine y fit ses couches au commencement de septembre
1545 et donna le jour à une princesse qui reçut le
baptême dans l'Eglise paroissiale de la ville, située
hors des remparts, comme nous l'avons vu. Cette enfant
eu pour marraine la comtesse palatine, Dorothée de
Danemarck, sa tante, qui lui donna son nom. Mais la
cérémonie se fit sans faste et fut loin de ressembler au
pompeux appareil qui fut déployé lors du baptême des
deux autres enfants du prince François. Cette princesse
née à Deneuvre épousa en 1575 Eric de Brunsvick, et dans
son contrat de mariage qui est rédigé en latin, elle
prend la qualité de Domina Danubrii vidua, princesse
orpheline de Danubre.
La duchesse Christine en épousant le prince François
avait reçu en don de la part de son beau-père, le bon
duc Antoine, la rente annuelle de 15,000 livres tournois
à prendre sur les seigneuries de Blâmont et de Deneuvre.
Mais à la mort de son mari, ces deux terres lui furent
données en douaire, à condition toute fois qu'elle
entretiendrait en bon état les châteaux, maisons
seigneuriales et autres monuments qui s'y trouvaient.
C'est en vertu de cette clause qu'en 1586 cette
princesse fit réparer à neuf le grand pont de pierre qui
conduisait à la porte Saint-Nicolas, la seule entrée de
Deneuvre du côté de l'est. Ce monument que l'on
connaissait sous le nom de Pont des Fées comme nous
l'apprend la tradition populaire, était contemporain de
la tour du Bacha. C'était un ouvrage romain auquel nos
ignorants ancêtres attribuaient une origine mystérieuse,
de même qu'aujourd'hui on appelle Pont du Diable les
arches délabrées de l'ancien aqueduc que l'on voit à
Jouy; ces deux monuments sortis des mêmes mains dataient
sans doute de la même époque. Le pont de Deneuvre
traversait comme il a été dit, toute la vallée de la
Meurthe et allait aboutir sur un roc situé à l'extrémité
nord de la prairie que nous nommons la papeterie.
Christine n'épargna rien pour sa restauration ; elle
envoya son architecte sur les lieux et celui-ci qui
n'était autre que le célèbre florentin Drouin, aussi
habile sculpteur que savant dans son art, dirigea et
surveilla tous les travaux. Mais ce vieux monument fut
entièrement détruit soixante-huit ans après sa
réparation, de même que l'usine qui était un peu
au-dessus, et qui donna son nom à tout ce territoire,
l'avait été quelque temps auparavant. Dans l'historique
de Baccarat nous parlerons du phénomène qui le fit
disparaître. Dom Calmet nous apprend que de son temps on
voyait encore assez de vestiges de ce grand pont ; mais
ce serait en vain qu'aujourd'hui l'on se donnerait la
peine d'en rechercher quelques traces ; le peu qu'il en
reste en amont de la Meurthe, à l'endroit désigné plus
haut, ne mérite même pas le nom de ruine.
Christine qui habita le château de Deneuvre à peu près
une année, abandonna cette ville qui lui rappelait de si
douloureux souvenirs, pour se rendre à Blâmont ; mais
elle n'y termina pas ses jours. Comme la régence de la
Lorraine lui avait été enlevée par le roi de France,
Henry II, cette princesse se réfugia en Flandre,
craignant le sort de son fils ainé Charles III qui lui
avait été enlevé par ce monarque. Nous allons citer un
règlement qui fut rédigé par son ordre en son château de
Blâmont, et qui concernait tous les habitants de son
douaire. Cette loi somptuaire produite par les
circonstances, fut mise en vigueur en 1587 pour porter
remède autant que possible aux maux qu'enduraient les
habitants, en proie aux horreurs de la famine.
« La chéreté excessive des vivres, notamment du pain et
du vin, provenant de l'avarice et malice débordée des
hôtelliers, taverniers et cabaretiers, et de la
continuelle fréquentation dans leurs hôtelleries,
tavernes et cabarets par les débauchés, et par les
gourmandises et yvrogneries qui s'y commettent
journellement ; voulant remédier à ces maux :
« Il est défendu aux cabaretiers, hôtelliers et
taverniers de recevoir, de loger et de traiter aucun
individu quelqu'il soit du domaine de Blâmont; ils
pourront toutefois loger les étrangers voyageant pour
leurs affaires et leur négoce. Défense est faite à tous
les particuliers d'aller prendre leurs repas, boire ou
manger dans les hôtelleries et cabarets. Il est ordonné
à ceux qui fréquentent les foires et marchés des villes
et des villages distants d'une lieue ou deux de leurs
domiciles, de partir aussitôt après la tenue des dites
foires et marchés et de ne pas s'arrêter dans les
hôtelleries, tavernes et cabarets. Sont prohibés tous
banquets de fêtes annuelles des villes et des villages,
et des paroisses, les banquets de fiançailles,
épousailles, nopces, baptêmes, obits et enterrements.
Cependant pour les fêtes de nopces et fiançailles, les
pères et mères et autres parents peuvent s'assembler au
nombre de trente-six s'ils ont la qualité de Nobles, ou
d'Officiers de justice supérieurs ; si, bourgeois,
marchands, officiers de justice inférieurs, au nombre de
vingt-cinq; si, artisants, gens de métiers, valets et
chambrières et manans jusqu'au nombre de douze, sans
compter le marié et la mariée, etc. » Mais il était
ordonné que les repas se fissent dans la maison des
mariés, ou de leurs pères et mères, ou parents, et même
dans celle d'un voisin ou d'un ami, et non, sous peine
d'amende dans une auberge ou hôtellerie. Ce moyen de
parer à la famine figurerait très-bien à côté des
utopies de la plupart des économistes modernes. Par ce
beau règlement la duchesse Christine qui voulait donner
du pain à tous ses sujets, l'ôtait à quelques-uns et
n'en donnait à personne. Mais tel était le bon plaisir
de cette ancienne douairière de Deneuvre dont le nom est
à peu près inconnu à mes compatriotes.
Sous le règne de son fils, le duc Charles III, le plus
bel homme de son temps, disent ses historiens, Deneuvre,
comme tout le duché de Lorraine, jouit d'une assez
grande tranquillité. Il est vrai que ce prince passa la
plus grande partie de son existence à la cour de France.
Ce fut lui qui introduisit dans ses états la réformation
du calendrier ordonnée par le pape Grégoire XII; car
avant cette mesure nos pères commençaient l'année, les
uns le jour de Noël, les autres le 25 mars, et d'autres
encore le jour de Pâques. Ce fut pour obvier à tous ces
inconvénients et apporter une parfaite uniformité dans
les dates que le prince Charles par son édit du 15
novembre 1579 ordonna que l'année commencerait le
premier janvier suivant et que l'on dirait 1580. Ce fut
lui aussi, comme nous l'avons déjà vu, qui acquit pour
la somme de vingt mille francs, près de l'évêque de
Metz, François de Baucaire, la suzeraineté des deux
villes de Blâmont et de Deneuvre. Mais l'histoire ne
nous apprend pas si cette dernière posséda jamais son
souverain dans ses murs, quoiqu'elle fut alors arrivée à
l'apogée de sa grandeur et de sa prospérité. Son état
heureux ne se démentit point pendant tout le cours de
son long règne et celui de son successeur, Henry II,
jusqu'au temps des grands démêlés qui survinrent entre
le roi de France et le duc de Lorraine, Charles III,
plus connu sous le nom de Charles IV. Mais avant
d'aborder le récit de cette lamentable époque qui causa
la ruine de Deneuvre, qu'il nous soit permis de dire un
mot sur l'ancienne maison de Salm dont le nom est si
répandu dans nos contrées. Comme ces seigneurs, parents
des comtes de Blâmont, vinrent souvent habiter la ville
dont nous essayons d'esquisser l'historique, nous
n'avons pas cru devoir les passer sous silence, car il
est bon de faire connaissance avec tous les hôtes de la
maison.
On ne sait rien de certain sur l'antique généalogie de
cette famille qu'on dit venir du pays de Luxembourg. Un
de leurs descendants, de la branche fixée en Ardennes,
un nommé Herman, étant venu s'établir dans les Vosges en
1081 forma la tige des comtes de ce pays. Cependant le
château ne datait pas de cette époque, car il ne fut
construit qu'en 1225 par un de ses successeurs, Henry
II, qui le fit bâtir sur un terrain nommé Bruch-Strall,
dépendant de l'abbaye de Senones. Ce fut aussi ce même
prince qui découvrit les mines de fer de Framont (ferri
mons) et qui le premier en entreprit l'exploitation.
Mais comme elles étaient situées sur un terrain
appartenant à la même abbaye, Henri fut obligé de passer
au mois de novembre 1261, un traité par lequel il fut
convenu que cette exploitation se ferait de moitié avec
la communauté.
Le moine Richerius ou Richer qui au 13me siècle vivait
dans la dite abbaye, nous a laissé la relation d'une
terrible aventure arrivée dans la famille de ce même
Henri. Nous allons la rapporter pour donner une idée des
moeurs de cette époque.
Ce seigneur avait eu de son mariage deux fils, Henry et
Ferry ou Frédéric, qui tous deux portèrent le titre de
Cuens de Danubre. Le premier de ces princes, dit notre
chroniqueur, joignait à une grande ambition le caractère
le plus violent, dont ses père et mère étaient les
premières victimes. Il se mit un jour en tête le beau
dessein de les dépouiller de leur petit état, puis de
les confiner dans un couvent, selon la coutume. Mais
Dieu ne permit pas qu'il vécut assez longtemps pour
mettre à exécution son abominable projet ; il tomba
malade et mourut peu de temps après, ou du moins on le
crut mort. La comtesse sa mère en étant instruite le fit
transporter incontinent dans l'abbaye de Haute- Seille
fondée par ses ancêtres et l'y fit enterrer aussitôt.
Mais pendant la nuit on entendit des bruits sourds qui
semblaient sortir de son tombeau, ce qui obligea de le
déterrer le lendemain. On vit avec horreur que ce prince
s'était retourné dans son cercueil, car on lui trouva le
visage en bas, tandis qu'on l'avait inhumé le visage en
haut : circonstance qui fit penser à chacun que ce
mauvais fils n'était qu'en léthargie lorsqu'on
l'enterra. Le moine Richer se contente d'enregistrer le
fait sans ajouter aucune réflexion sur ce cas tragique,
laissant à son lecteur le soin d'apprécier la conduite
de la comtesse. Cependant cette fin malheureuse ne
ramena pas à de meilleurs sentiments son frère Ferri ;
car celui-ci n'eut pas honte de forcer ses vieux parents
d'abandonner leur château de Blâmont dont il s'empara.
Ce fils dénaturé vit partir à pied et suivis d'un seul
domestique, les auteurs de ses jours qui se retirèrent
dans celui de Pierre-Percée qui leur appartenait
également, et où l'infortuné père rendit l'âme en 1240.
Il fut inhumé dans l'église de l'abbaye de Senones près
du tombeau de l'abbé Antoine, l'un des fondateurs du
prieuré du Moniet (St-Christophe).
Le prince de Salm Henri IV, pour le service de son
château échangea à l'abbé Gérard, supérieur de cette
abbaye, un pré qu'il possédait sur le ban de Deneuvre,
contre un autre situé à Plaine.
Il était le voué, le défenseur de cet important
monastère que ses successeurs dépouillèrent le plus
qu'ils purent pour l'agrandissement de leur seigneurie,
ce qui était un motif de démêlés continuels entre ces
deux voisins. C'est aussi vers cette époque que la même
abbaye était gouvernée par un nommé Conon, curé de
Deneuvre, que les religieux avaient nommé leur supérieur
à cause de ses grandes richesses. Mais ce choix ne fut
pas heureux; ce prêtre n'ayant jamais pratiqué la règle
de saint Benoit et ignorant entièrement les exercices du
cloître, ne pouvait donner l'exemple à ses subordonnés.
Conon, au contraire, était un mondain qui ne portait
même pas l'habit de son ordre, et vivait dans l'abbaye
comme un séculier; portant ses éperviers et ses oiseaux
de chasse dans le cloître et même jusque dans le choeur
de l'église. Cette singulière conduite, quoiqu'assez
commune à cette époque dans tous les couvents, offusqua
cependant si fort les moines de Senones, qu'ils le
chassèrent honteusement et lui donnèrent un successeur.
Conon reprit le chemin de Deneuvre et vint y étaler de
nouveau son luxe et satisfaire ses goûts fastueux bien
faits pour scandaliser les âmes dévotes. Mais telles
étaient les moeurs du 13me siècle : on voyait des
prélats et des abbés, tel que Baudoin qui fut également
supérieur dans cette abbaye, voyager avec des filles
publiques, les introduire dans leurs appartements et
enfin en qualité de seigneurs temporels, avoir des
bouffons pour amuser les étrangers qu'ils recevaient à
leur table, (D. C.)
Les princes de Salm édifièrent aussi le château de
Langstein, qui ne prit le nom de Pierre-Percée que
lorsqu'on eut percé la roche à coups de marteau pour y
creuser un puits. Son assiette et ses fortifications en
faisaient un des forts les plus inexpugnables de nos
contrées; et cependant en 1220 il s'était laissé
surprendre par une troupe d'aventuriers, trop communs à
cette époque. Ces brigands, semblables à des oiseaux de
proie, s'élançaient de ce repaire et portaient la
terreur dans tout le canton. Mais l'évêque de Metz,
Etienne de Bar, dont nous avons parlé, le reprit sur ces
voleurs de grand chemin après un siège qui dura un peu
plus d'un an. Il fut obligé de l'entourer de trois forts
au moyen des quels ils les serra de si près qu'ils
furent contraints de se rendre ou de l'abandonner à
cause de la famine. A peu de distance de cette
forteresse se voyaient encore naguère les ruines d'un
autre château, Damegaule, que les gens à imagination
plus active que sensée faisaient correspondre par un
souterrain avec celui de Pierre-Percée. Mais comme
personne n'a jamais vu cette communication n'est-il pas
plus raisonnable d'attribuer ces ruines à l'un des
ouvrages élevés par Etienne ? Le château de Langstein
fut inféodé par l'un de ses possesseurs, à l'évêque de
Metz, Jakon de Lorraine en 1258. Vingt ans auparavant le
même prélat avait déjà acquis la suzeraineté de la
seigneurie de Blâmont, comme nous l'avons vu. Enfin le
château de Pierre-Percée fut détruit au 17e siècle avec
les autres forteresse de la Lorraine; et par le
dénombrement de 1641 il fut constaté que cette ancienne
demeure féodale servait alors d'asile à deux mendiants
et encore l'année suivante il ne s'en trouva plus qu'un.
Il y a donc aujourd'hui 220 ans que ces ruines sont
complètement abandonnées. Le beau puits que l'on y
voyait et qui exigea tant de travail et de patience ne
tardera pas à être comblé ; car chaque visiteur se fait
pour ainsi dire un devoir d'y laisser tomber quelques
pierres détachées des vieilles murailles; et enfin c'est
à peine si de nos jours il reste assez de vestiges de
l'ancien oeuvre du comte Henri pour satisfaire la
curiosité du touriste et le dédommager d'un fatigant
voyage.
Les princes de Salm avaient pour capitale de leur comté
la ville de Badonviller, à l'exception du faubourg de
Lorraine. Cette partie de la localité avait été donnée
au prince François lors de son mariage avec une fille de
Salm, la comtesse Christine; et ce seigneur y faisait
son séjour ordinaire. Badonviller, entouré de murailles
et de fossés, était très-renommé pour sa fonderie de
canons, ses ateliers d'arquebusades où se fournissaient
les ducs de Lorraine, et autres métiers de ce genre tous
propres à la guerre : c'était un véritable arsenal. Il y
avait aussi un atelier monétaire où les princes de Salm
firent frapper ces pièces que l'on conserve dans les
collections numismatiques; et nous avons encore vu les
deux portes en forme de tours qui donnaient accès dans
la ville ; L'une autrefois était gardée alternativement
pendant une semaine par un portier et un bourgeois pour
le guet de nuit ; tandis que les pâtres salariés
gardaient la seconde. Ceux-ci étaient obligés de corner
à chaque heure de la nuit, pour annoncer aux habitants
qu'ils faisaient bonne garde. Mais cette singulière
coutume fut remplacée depuis par des gardiens ambulants
dont les cris monotones ne manquaient jamais d'éveiller
les dits habitants tout en les invitant à dormir
paisiblement; et ces moeurs féodales se retrouvent
encore dans quelques cantons de l'Allemagne. Les
habitants de Badonviller s'étaient jetés dans les bras
de la Réforme, à l'exemple de leur seigneur et Maître le
prince de Salm, et au grand scandale de leurs voisins
restés fidèles à la foi romaine. Ceux-ci mirent tout en
oeuvre pour extirper l'hérésie de cette localité. Le
Bien heureux père Fourier s'y rendit dans ce but et
laissa même son nom à une petite source qui se trouve
entre cette ville et le village de Fenneviller. Le
vénérable curé de Mattaincourt ramena sans doute au
giron de l'Église-mère quelques brebis égarées; mais
malgré l'exemple de ses vertus; malgré son éloquence
persuasive, le plus grand nombre resta sourd à ses
exhortations et continua à fréquenter le prêche. Il ne
fallut rien moins que la présence d'un Vicaire du
Saint-Siège pour lutter contre le démon qui soufflait la
Réforme. Les moyens de rigueur, selon la louable
habitude, et mieux encore, l'abjuration de leur
seigneur, le comte Philippe, firent plus de conversions
que tous les sermons de ce grand dignitaire. Ensuite le
duc François obligea ceux de ses sujets qui voulaient
conserver la religion protestante à sortir de la ville.
Cet acte d'intolérance seyait bien à ce prince dévot qui
fit à pieds nus le pèlerinage de Notre-Dame-de-Sion ; et
cependant tous ces moyens furent insuffisants, car l'on
compta longtemps encore de nombreux prosélytes à
Badonviller.
Le comté de Salm confinant au duché de Lorraine, des
contestations journalières s'élevaient entre les
officiers civils des deux pays; car les limites
territoriales n'étaient pas bien définies. Pour obvier à
ces inconvénients un arrangement survint le 21 décembre
1751 entre les ayant-droit, le duc Stanislas et le roi
de France, Louis XV, son gendre, d'une part; et Nicolas
Léopold, premier du nom. de Salm-Salm, par son mariage
avec Dorothée Agnès sa cousine, d'autre part. Il fut
convenu que la rivière de Plaine servirait désormais de
limite aux deux pays ; par conséquent tout ce qui se
trouva à la droite de ce cours d'eau fut annexé à la
Lorraine. Par suite de cet accord la ville de
Badonviller fut distraite du comté de Salm, et cette
localité florissante perdant son seigneur vit bientôt
disparaître sa prospérité et tomber son industrie.
Léopold eut en échange toute la vallée de Senones avec
la ville de ce nom, dont auparavant il ne possédait que
la moitié ; puis partout où la rivière ne put servir de
démarcation, on y suppléa par des bornes aux armes de la
maison de Salm, et dont il doit encore rester
quelques-unes. Enfin le 2 mars 1792 cette principauté
qui comprenait en tout trente-deux villes et villages
fut abolie par la Révolution et réunie au territoire de
la République : son dernier possesseur fut le prince
Constantin, dont les descendants se retrouvent en
Allemagne. Telle fut la fin de cette ancienne seigneurie
qui comptait 711 ans d'existence et qui eut la gloire de
régénérer au 12me siècle la maison de Blâmont. Mais il
est temps de revenir à Deneuvre.
Nous avons laissé cette ville, riche, heureuse et
tranquille, malgré quelques chamailles avec les gens de
Baccarat, dont nous parlerons quand nous nous occuperons
de ceux-ci; ses habitants s'adonnant à l'industrie et au
négoce, sources de leur bien-être et de leur prospérité
; mais tout cet état florissant disparut dans la
première moitié du 17me siècle. Chacun sait que c'est
l'époque la plus fatale des fastes de la Lorraine ;
aussi les divers historiens de cette belle province se
sont-ils exercés à l'envi à retracer le sombre tableau
des souffrances et des calamités endurées par nos
malheureux ancêtres. Et cependant de toutes ces misères
il en sortit un grand bienfait ; car si plusieurs cités
furent détruites elles entraînèrent dans leurs ruines le
singulier régime féodal. C'est donc après avoir bien
compulsé, après avoir bien compilé les relations du
temps que nous allons mettre sous les yeux de nos
lecteurs tout ce que nous avons pu butiner touchant la
destruction de la ville dont nous esquissons
l'historique.
Tout homme qui a un peu lu, sait que Gaston d'Orléans,
frère du roi de France, Louis XIII, ne pouvant
s'assujettir au despotisme du ministre Richelieu,
s'enfuit de la cour et se retira d'abord en Champagne,
puis à Nancy près du duc Charles. Cette fuite n'eut
d'abord d'autre résultat que de le rendre éperdument
amoureux de la duchesse Marguerite, soeur du duc de
Lorraine, et une des personnes les plus accomplies de
son temps. Puis ayant obtenu satisfaction sur la plupart
de ses plaintes et de ses réclamations, il retourna à
Paris; mais ce ne fut pas pour longtemps. 1629. En 1631
il abandonna de nouveau son frère pour se retirer à
Orléans ; d'où il vint à Besançon dans le dessein de se
rendre en Lorraine, où l'attirait cette malheureuse
passion qui allait plonger notre province dans les plus
grandes calamités, il fut reçu à bras ouverts par le duc
Charles qui lui accorda bientôt sa soeur en mariage avec
une dot de cent mille pistoles. La cérémonie se fit
clandestinement dans l'abbaye de la Consolation à Nancy,
dans le parloir de l'abbesse et en présence de Catherine
de Lorraine, abbesse de Remiremont, tante de la mariée.
C'était braver le courroux du Monarque français qui
avait menacé le duc Charles de venir aux noces à la tête
de ses meilleures troupes. Sur ces entrefaites, comme ce
prince avait fait alliance avec l'empereur Ferdinand II
en guerre contre la Suède, la France de son côté s'allia
avec cette dernière pour punir la Lorraine. On leva des
troupes de part et d'autre ; celles du roi de France
réunies aux bandes de Gustave, qu'il avait appelées,
envahirent cette province et se saisirent de plusieurs
places importantes. Charles, qui était en Allemagne
accourut au secours de ses états ; mais se trouvant dans
l'impossibilité de résister à de si puissants alliés, il
alla se jeter aux pieds de Louis XIII et promit
solennellement tout ce que la France exigea de lui. Mais
à peine les difficultés semblaient-elles aplanies que ce
prince s'empressait de protester contre les actes qu'il
venait de signer et de rassembler des troupes pour
chasser de son pays l'ennemi qui tenait plusieurs places
pour garantie de sa parole. Cette conduite plusieurs
fois réitérée indisposa tellement le Monarque français
qu'il résolut d'en finir avec toutes les tergiversations
de ce prince inconstant. En conséquence l'ordre fut
donné au cardinal Lavalette et au maréchal Schomberg
d'envahir et d'occuper définitivement la Lorraine. 1635.
Le malheureux duc de Lorraine chassé de ses états alla
implorer le secours de son allié Ferdinand. Après
plusieurs événements (tous étrangers à notre sujet et
qu'on peut lire dans l'Histoire de Lorraine) ce prince à
la tête de ses fidèles soldats s'en vint camper aux
alentours de Rambervillers ; car cette ville murée,
défendue par vingt-quatre tours pouvait lui servir de
point d'appui. Son armée qui se montait à vingt mille
hommes environ était accompagnée d'un si grand nombre de
femmes, dit Dom Calmet, qu'elles seules fortifièrent le
camp de leurs mains et sans la participation d'aucun
soldat ; il ajoute qu'elles firent cette besogne dans
l'espace de quinze jours. (26) Ce fut dans cette ville
que le général Galas lui amena les secours promis par
l'empereur Ferdinand, et cette jonction fit monter
l'armée lorraine à des forces si imposantes que le
maréchal Schomberg qui occupait Moyen, Deneuvre et
toutes les petites villes murées des environs n'osa pas
l'attaquer et se retira laissant des garnisons dans ces
petites places.
En effet, au commencement de ces guerres, en 1632, les
Français logés à Baccarat, s'étaient rendus maîtres de
Deneuvre, après avoir détruit par le fer et la flamme
les faubourgs qui s'étendaient au midi, la porte d'en
bas et toute la partie des remparts comprise entre les
deux tours. C'est pourquoi nous voyons les
fortifications de ce côté de la ville en si mauvais état
; leurs ruines servirent à combler en partie le fossé,
et à donner accès à l'ennemi. Au reste à cette époque
les murailles de Deneuvre n'étaient plus capables
d'arrêter un corps d'armée accompagné de canons ; ce
moyen de destruction avait remplacé tous les engins
employés par les anciens. On avait à peu près perdu
l'usage des balistes, catapultes, béliers, tours
mouvantes et autres machines de guerre imaginées pour
l'attaque ou la défense des villes fortes ; et même un
changement extraordinaire dans les armes à feu s'était
opéré au commencement de ces commotions politiques,
puisque ce fut vers l'an 1630 que l'on remplaça
l'incommode arquebuse par le fusil à silex. Ainsi donc
les français occupaient cette ville depuis trois ans
déjà quand les troupes impériales et lorraines se voyant
en force résolurent de chasser l'ennemi et d'occuper à
leur tour toutes les places en son pouvoir. Un fort
détachement se porta de Rambervillers sur la ville de
Deneuvre où commandait pour le roi de France le sieur d'Halaincourt.
Ce gouverneur livré à ses propres ressources depuis la
retraite du maréchal Schomberg ne se laissa pas
intimider; il s'enferma dans la ville avec la ferme
résolution de la défendre jusqu'à la dernière extrémité.
Mais comme on avait négligé de réparer tous les dégâts
faits aux remparts et que le temps hâtait, il ordonna au
sieur De La Garde ,qui commandait la garnison, d'élever
le plus promptement possible de fortes barricades depuis
la porte d'en bas jusqu'à la tour du Bacha. Il fit
également entourer par de semblables obstacles, les
abords de la forteresse qui avait été aussi
très-maltraitée à la prise de la ville ; car elle avait
entièrement perdu sa porterie. Ainsi donc dans l'espace
de trois ans les habitants de Deneuvre allaient voir se
renouveler les horreurs d'un second siège.
Les Français et les Suédois d'un côté ; les Lorrains et
les Impériaux de l'autre se conduisaient dans la
malheureuse Lorraine comme en pays conquis ; le pillage
et l'incendie les suivaient partout sur leur passage.
Non-seulement cette province se trouvait à la merci de
toutes ces troupes, mais il s'était encore formé des
bandes particulières d'hommes armés qui s'emparaient
pour leur propre compte des châteaux qu'ils pouvaient
surprendre, et d'où ils se répandaient dans le pays pour
le piller et le saccager. Elles se composaient de
Hongrois, de Suédois, d'Allemands, d'Espagnols, de
Suisses et de Français, tous déserteurs, et auxquels
venaient encore se joindre les mauvais sujets du pays.
On les connaissait sous le nom de Cravates ou plutôt
Croates ; et malgré la différence de leurs idiomes, ils
s'entendaient assez lorsqu'il s'agissait de faire le
mal. Ils pillaient et incendiaient les églises et les
monastères ; massacraient les filles après les avoir
violées ; en un mot, ces bêtes féroces se rendaient
coupables de tous les crimes et de toutes les
abominations dont l'imagination peut se repaître.
Cependant les armées régulières, qui ne se conduisaient
guère mieux, les poursuivaient rigoureusement; le
premier arbre venu servait de potence à ceux dont ils
parvenaient à s'emparer. On peut bien penser que dans
cette conflagration générale, les terres de l'évêché,
enclavées dans la Lorraine, ne furent pas plus
respectées que les possessions ducales. Mais ceux qui
souffrirent le plus de ces calamités furent les
malheureux habitants de la campagne et des bourgs non
fermés. Le cultivateur se vit dans la nécessité
d'abandonner sa charrue et de se réfugier dans les
forêts; les terres restèrent en friche; une horrible
disette s'en suivit; et le blé qui se vendait
ordinairement huit valut jusqu'à cent francs le resal.
Les malheureux faisaient nourriture de tout et les
historiens nous apprennent que plusieurs habitants se
virent réduits à se nourrir de chair humaine. Le Père
Gaussain, jésuite, et confesseur de sa Majesté Louis
XIII, témoin oculaire de tous ces événements, disait,
que jusqu'alors il ne connaissait aucun pays dans le
monde entier, où l'on ait vu autant de misères et
d'atrocités réunies que dans la misérable Lorraine. Au
reste nos lecteurs n'ont qu'à lire les relations
authentiques laissées par les historiens de l'époque,
pour se faire une idée de l'affreuse misère qui décima
si fort la population. Mais si les habitants de la
campagne avaient à supporter de si cruelles souffrances,
quel était donc le sort des citadins renfermés dans
leurs villes assiégées ?
Les troupes détachées de la grande armée impériale pour
venir s'emparer de la ville de Deneuvre, arrivèrent sous
ses murs dans le courant de juillet de l'année 1635. Ils
la serrèrent de si près que les habitants n'osèrent plus
sortir de leurs murailles sans se voir exposés à la mort
ou à la prison. Tout le pays environnant fut entièrement
ravagé par ces bandes obligées de battre la campagne
pour se procurer des vivres. Les villages restèrent
inhabités; les moulins de Deneuvre, de Baccarat, d'Axerailles
furent détruits par le pillage et l'incendie; et
l'établissement extra muros des taillandiers de la ville
où se trouvait une meule tournoyante propre à aiguiser
leurs instruments tranchants, ne fut pas plus respecté.
Cependant tous ces maux réparables n'auraient pas
affecté les citadins de Deneuvre, si la famine ne
s'était fait bientôt sentir. D'abord les Lorrains et les
Impériaux à leur arrivée s'étaient empressés de couper
les corps qui conduisaient l'eau dans la ville, croyant
la priver de ce nécessaire. Mais on y suppléait
facilement au moyen des quelques puits et des nombreuses
citernes dont il reste encore quelques-unes. D'ailleurs
ces corps furent réparés par les charpentiers qui
reçurent pour cette besogne périlleuse la somme de vingt
francs des mains de Jean Rognon, alors Receveur de la
prévôté. Mais comment se procurer des vivres ? Ceux qui
avaient le bonheur d'avoir seulement le strict
nécessaire s'ingéniaient pour le mettre à l'abri de la
rapacité d'une population et d'une soldatesque affamées.
En effet, pendant les derniers temps du blocus de
Deneuvre, le capitaine De Lagarde, à la tête d'un
détachement de sa petite garnison se permettait tous les
huit jours une visite domiciliaire chez tous les
particuliers, pour découvrir ou du blé, ou d'autres
denrées alimentaires.
Lorsque cet officier était assez heureux pour faire une
trouvaille de ce genre il s'en emparait sans façon et la
faisait transporter dans les greniers de la forteresse,
malgré les gémissements de ceux qu'il condamnait à
mourir de faim. Personne n'était à l'abri de ces
recherches; ainsi le Receveur du domaine, dont nous
venons de parler, et son confrère le Comptable de la
ville, tous deux fonctionnaires lorrains, pour se
soustraire aux horreurs de la famine, avaient caché dans
des tonneaux chacun douze resaux de blé et les avaient
fait enfouir soigneusement dans leurs caves. Mais cette
précaution ne leur servit à rien; l'affamé capitaine
éventa leur provision, la fit saisir, et transporter
incontinent au château, pour subvenir, disait-il, à la
substention de la garnison. Non contents de prendre le
blé, ses soldats enlevèrent en même temps à ces
malheureux officiers plusieurs coffres renfermant les
meubles, le vestiaire et les objets précieux qu'ils y
avaient entassés, et dont ils furent à jamais
dépouillés. Ils regardèrent sans doute comme de bonne
prise ce vol fait à deux sujets du duc Charles, leur
ennemi. Telle était la conduite des Français à l'égard
des malheureux habitants de Deneuvre, dont le nombre
diminuait journellement. En proie à toutes les horreurs
d'un long blocus, à la merci d'une soldatesque insolente
et effrénée, décimés par la famine et la guerre, ces
infortunés se virent encore atteints par un autre fléau.
La peste, l'horrible peste apportée et propagée par les
troupes de l'empereur Ferdinand, y fit les plus grands
ravages. Au nombre des victimes fut ce même Jean Rognon,
qui fut enlevé le 17 décembre 1635, après neuf années
d'exercice, comme nous l'apprend son frère qui lui
succéda après la guerre ; tous les autres officiers
civils, le Maître Prévot, le Gruyer, le Contrôleur, le
Greffier et les trois quarts de la population le
suivirent dans la tombe. Enfin, ces trois plus grandes
calamités humaines, la famine, la guerre et la peste
enlevèrent, dit-on, les trois cinquièmes des habitants
de la Lorraine ; et le dernier de ces fléaux ne
s'arrêta, pour ainsi dire, que faute d'habitants. Les
pestiférés de Deneuvre et de Baccarat, bannis des lieux
où reposaient leurs ancêtres, furent inhumés à la
jonction des routes actuelles de Lunéville et de
Blâmont, dans un terrain silico-argileux où se voit
petite chapelle placée sous l'invocation de sainte
Catherine, cependant le gros de l'armée du duc Charles,
également décimée par tous ces maux ne quittait pas son
cantonnement, et se contentait de faire des courses
inutiles dans les environs. Mais pendant cette inaction,
les Français d'abord trop faibles et obligés de se
retirer, reçurent des renforts et ne tardèrent pas à
venir lui offrir la bataille. Le duc de Lorraine, plein
d'espoir et ne doutant point du succès, voulait qu'on en
vint aux mains; mais le maréchal Galas gagné peut-être
par l'argent de Richelieu, ou plutôt obéissant à des
ordres secrets de son maître, refusa le défi. Cette
conduite singulière fut un des plus cuisants chagrins du
valeureux Charles, qui se vit alors obligé d'abandonner
ses états et de se réfugiera Besançon. Quant au général
allemand il se mit à la tête de ses troupes décimées par
les maladies, et regagna son pays en passant par
l'Alsace. La dispersion de cette puissante armée livra
la Lorraine à la merci de ses ennemis ; mais cette
province saccagée se trouvait pour ainsi dire sans
habitants. Ses campagnes étaient en friche; six cents de
ses villages étaient détruits; son vainqueur ne
possédait donc que des ruines. (27) Brouvelotte et
Mervaville (28) dans nos environs furent à jamais
effacés de la carte; Badménil avait été abandonné par
ses habitants; de même que le village d'Angomont où se
voyait une jumenterie établie à grands frais par les
ducs de Lorraine. Il n'y avait plus que deux habitants à
Axerailles, deux à Flin avec le maire, deux à Emberménil,
etc., enfin toutes les localités de nos environs étaient
plus ou moins privées de leurs populations; ce dont fait
foi l'état du domaine de la Lorraine, dressé peu de
temps après cette calamiteuse époque.
La retraite des Impériaux et des troupes Lorraines amena
la délivrance de la ville de Deneuvre, sans procurer
beaucoup de soulagement au peu d'habitants qui avaient
résisté à tous ces maux. Le gouverneur D'Halincourt et
le capitaine De Lagarde eurent donc la satisfaction de
conserver leur conquête; mais quel était l'état de cette
malheureuse cité à la fin de ces terribles épreuves !
Tous ses grands établissements industriels avaient
disparu avec leurs propriétaires; les tanneries
n'avaient plus laissé aucunes traces de leur existence ;
la fonderie de cloches, les fabriques de draperie et de
taillanderie étaient à jamais détruites; et enfin les
grands faubourgs et la plus grande partie de la ville
n'étaient plus qu'un monceau de ruines et de cendres.
Voici ce que dit de ces faubourgs l'auteur du temporel
des paroisses pour 1705: « oà (à Laitre) l'on assure
qu'il y avait beaucoup d'habitants et de maisons qui
s'étendaient jusqu'au bas du vallon et à l'entour, où il
en reste encore quelques-unes. Dans ce faubourg est
l'église paroissiale avec son cimetière; on nomme ce
faubourg. Le village de Laitre ». (29) Il est bien
étonnant que cet établissement religieux ait résisté aux
brigandages commis dans ces temps déplorables. L'auteur
que nous venons de citer n'entendait probablement parler
que de l'édifice resté debout, mais dévasté et privé de
tous ses ornements. Le frère de Jean Rognon qui lui
succéda, nous a laissé aussi des documents
administratifs concernant la profonde misère des
habitants de la seigneurie de Deneuvre. Cet
officier rapporte dans ses comptes pour 1636, qu'en
cette année on ne fit aucune moisson ni labour dans
toute la prévôté, et qu'il lui fut impossible de faire
rentrer aucunes rentes dues, soit par les bourgeois de
la ville, soit par les habitants de la campagne
dépendant de sa juridiction. Tous les fléaux que les
grandes guerres de cette époque avaient entraînés avec
elles avaient été si funestes aux populations que
d'après le recensement opéré par les soins de ce
fonctionnaire, il ne se trouvait plus que six bourgeois
dans la ville, un seul charpentier ; et que le nombre
des autres ouvriers y était si diminué et ceux-ci
devenus si rares, qu'il se plaint amèrement de
l'augmentation de la main-d'oeuvre : car, dit-il, on
faisait plus autrefois avec un sou qu'aujourd'hui avec
douze. Quand ce Rognon voulut mettre en adjudication à
la criée, comme c'était la coutume, la ferme du marché
de Deneuvre, celles du four banal, du passage des bois
flottants et la location des prés appartenant à
monseigneur le Duc, il ne se présenta personne ; tant on
avait peu de foi dans l'avenir. Enfin lorsqu'il songea à
réparer le moulin de la ville, il voulut profiter d'un
accord fait le 2 juillet 1521 entre les délégués du duc
Antoine et les commissaires de l'évêché de Metz, par
lequel les meuniers de Deneuvre et de Baccarat avaient
le droit de prendre dans la forêt de la Moncelle les
bois qui leur étaient nécessaires. Ce fut en vain qu'il
en donna l'ordre, on ne put trouver de chariots pour y
aller chercher les six pièces qui avaient été jugées
indispensables pour cette opération. Tous les véhicules
de ce genre avaient servi aux besoins des habitants ou
plutôt à ceux de la garnison pendant l'hiver. Telles
furent pour l'ancienne et opulente ville de Deneuvre les
conséquences du mariage clandestin de Gaston d'Orléans,
une des principales causes de ces terribles commotions.
Le dernier siège ou plutôt le blocus de cette cité dura
depuis la fin de juillet 1635 jusque fin de janvier 1636
: nous en avons assez dit pour qu'on se fasse une idée
de tous les maux qu'endurèrent nos malheureux aïeux.
Aussi l'invasion dévastatrice des Français et des
Suédois a-t-elle laissé longtemps de douloureux
souvenirs dans toute la province : cent ans après ces
événements le nom de ces étrangers y était toujours en
exécration ; et aujourd'hui encore la mémoire des
atrocités qu'ils y commirent n'est pas entièrement
effacée.
L'ancienne demeure féodale des seigneurs de Blâmont
subit le sort commun. Le château de ces sires, qui
furent le sujet d'une si longue dispute littéraire entre
deux .savants du 18me siècle pour savoir à quelle époque
ils se parèrent du titre de comte, ce château, dis-je,
devenu la propriété de la maison de Lorraine, fut
assiégé et pris en 1656 par le comte de Saxc-Weimar, au
service de la France. Le gouverneur Klopstein s'y était
renfermé après avoir incendié la ville; mais ce fut en
vain qu'il s'y défendit vaillamment; la place fut
emportée d'assaut et Weimar se déshonora en faisant
pendre ce brave gentilhomme à la porte de la forteresse
et passer la garnison au fil de l'épée. (30) Deux ans
après cette catastrophe Monsieur de Feuquières (31) s'en
empara de nouveau ; mais cette fois il le ruina par le
pillage et l'incendie suivant en cela les ordres de la
cour de France. Le palais des comtes qui n'en était pas
éloigné fut également dévasté et détruit; et c'est
depuis cette fâcheuse époque que ces deux monuments ne
représentent plus qu'un monceau de ruines.
Enfin, maître de la Lorraine, Louis XIII, ou plutôt son
ministre Richelieu, se conduisit dans cette province
comme il avait fait antérieurement dans la Champagne et
dans les autres grands fiefs de la couronne. Par
délibération du 1er février 1636 il ordonna la
démolition des châteaux et forteresses répandus dans le
pays, pour le rendre désormais incapable de lui porter
ombrage, (bien peu furent conservés; entr'autres le beau
château de Haroué.) Les tours et la forteresse de
Deneuvre n'échappèrent pas à la proscription ; et c'est
de cette époque que datent leur disparition et la ruine
des remparts. Dans la suite le duc Léopold donna au
Chapitre de la Collégiale l'emplacement occupé par la
dite forteresse, et ce fut avec les propres matériaux de
ce monument féodal que les chanoines firent commencer
vers l'an 1740 l'église moderne de Deneuvre qui ne fut
achevée qu'en 1748. Mais sa construction fut un grand
sujet de contestation entre les gens de Baccarat, de
Deneuvre et les habitants de la Collégiale, comme on
s'en convaincra en lisant le procès-verbal ci-après
rapporté.
Enfin le calme succéda insensiblement à ces grandes
commotions et l'on vit les habitants des campagnes
quitter leurs retraites et regagner leurs villages plus
ou moins saccagés. Comme ils se trouvaient dénués de
toutes ressources, le successeur du duc Charles se vit
dans l'obligation de leur faire des avances en grains et
toutes sortes de semences pour les encourager à
reprendre leurs travaux champêtres. L'administration de
la prévôté de Deneuvre se réorganisa et fonctionna
quelque temps encore. Mais par édit du mois d'août 1698
le duc Léopold réunit ce tribunal à la prévôté de
Lunéville, ainsi que celles de Blâmont et d'Axerailles ;
la prévôté de Salm y fut incorporée également sous le
Roi Stanislas. Ce dernier prince priva aussi la ville de
Deneuvre en 1741, de sa recette des finances, qui
dépendait de celle de Saint-Dié, et l'ajouta à la
recette de Lunéville. Enfin en 1747 Stanislas y abolit
également la gruerie qui fut absorbée parla Maîtrise des
eaux et forêts de la même ville ; puis lorsque quatre
ans après l'on forma le grand Baillage de Lunéville,
Deneuvre fut nécessairement compris dans la centaine de
bourgs et villages qui en dépendaient. Toutes ces
localités appartenaient au diocèse de Toul pour le
spirituel et suivaient les coutumes de Lorraine publié
le 1er juin 1595; quatre ans avant que Deneuvre ne
devint lorrain. Ces coutumes, sauf dans certains cas où
l'on suivait les us particuliers propres à chaque terre
seigneuriale, remplacèrent celles qui régissaient nos
ancêtres sous l'administration des comtes de Blâmont, et
formèrent la nouvelle législation de la seigneurie de
Deneuvre jusqu'au temps de la réunion de la Lorraine à
la couronne de France, après la mort si malheureuse du
bon duc Stanislas arrivée le 23 février 1766.
Ces pertes successives furent le coup de grâce pour
l'ancienne et opulente ville de Deneuvre. Sans garnison,
sans industrie, sans commerce et pour ainsi dire sans
habitants ; privée de ce qui pouvait encore lui donner
un peu de vie, par l'abandon de tous ses officiers
civils et même des chanoines de la Collégiale qui se
retirèrent en 1761, cette malheureuse cité tomba
insensiblement dans ce grand état de misère et de
délabrement où elle croupit encore aujourd'hui. Son état
misérable était encore bien pis en 1705, car d'après le
dénombrement fait à cette époque on n'y comptait plus
que trente ménages y compris ce qui restait de ses
faubourgs. C'était donc à peu près une population de 150
à 180 personnes environ de tout âge; tandis
qu'aujourd'hui Deneuvre d'après le dernier recensement
fait nombre de 1080 habitants. Quant à son importance
religieuse nous la vîmes disparaître de nos jours.
D'abord au commencement de ce siècle, en 1802, cette
ville, autrefois centre d'un doyenné, se vit enlever la
plupart de ses filles spirituelles; elle n'avait plus
conservé de toutes ses annexes que la commune de
Baccarat avec ses écarts ; et encore celle-ci s'en
est-elle définitivement séparée en 1855 après l'érection
d'une église et d'un presbytère dans son intérieur.
Avant cette séparation qui fut le comble de la ruine
temporelle et spirituelle de cette ancienne cité,
Deneuvre avait deux vicariats qui avaient été érigés, le
premier par ordonnance de Charles X, en date du 15
octobre 1829 ; et l'autre par décision ministérielle du
23 juin 1851.
Lorsqu'aujourd'hui l'histoire à la main, l'on parcourt
les rues sales et silencieuses du vieux Danuèvre
autrefois si peuplées et si bruyantes, c'est à peine si
(a l'exception des remparts) l'on retrouve quelques
vestiges de la ville des sires de Blâmont. On y voit à
la vérité quelques grandes et belles maisons jadis
occupées par les officiers civils de la seigneurie; mais
toutes ces habitations généralement bien bâties et
annonçant l'aisance chez leurs anciens propriétaires, ne
remontent pour la plupart qu'à la seconde moitié du 17me
siècle, c'est-à-dire, après la ruine de la cité, comme
nous l'apprennent les dates incrustées sur la façade de
quelques-unes. Et même le plus grand nombre ne furent
construites que dans le courant du siècle dernier, sous
le règne bienfaisant du bon duc
Léopold, lorsque ce prince réorganisa l'administration
des villes de son duché tant ébranlé par les grandes
guerres de son aïeul. Cependant on remarque encore une
très-ancienne maison située à peu près vis-à-vis la
Collégiale et formant un des angles où se trouvait la
fameuse halle des citadins. Sa construction qui annonce
la plus grande ancienneté, n'a aucune ressemblance avec
celles dont nous venons de parler. Si nous avions sous
les yeux le nobiliaire de Lorraine, avec les armes de
chaque famille, il nous serait facile de dire à nos
lecteurs quel seigneur la fit bâtir et l'habita ; car un
écusson à demi-brisé se pavane maintenant encore au
dessus de la porte d'entrée. Tout ce que nous avons pu
apprendre c'est qu'au moment de la Révolution elle était
occupée par la famille De Ravignat. Ce monument délabré
et en grande partie défiguré a sans aucun doute été
témoin de la plupart des faits que nous avons rapportés;
mais depuis longtemps déjà les salles d'armes des
gentilshommes et les salons des nobles dames de l'ancien
Danuèvre, sont transformés en ateliers d'artisans, ou
servent d'abri aux animaux domestiques : On ne voit plus
aujourd'hui que l'ombre du tableau, et quelle ombre,
grand Dieu !
Deneuvre comme toutes les anciennes cités possède ses
légendes mystérieuses, aussi y parle-t-on de certains
souterrains qui y existeraient; tout le monde le dit,
tout le monde y croit, et cependant personne n'en a
jamais vu ; tant on est porté au merveilleux lorsqu'il
s'agit de ruines qui comptent déjà quelques siècles ! on
ne réfléchit pas que toutes les cavités trouvées jusqu'à
ce jour, et dans quelques-unes desquelles était du blé
caché, (32) mais noirci et détérioré ; on ne réfléchit
pas, dis-je, que ce sont tout bonnement les caves des
anciens habitants. Car il faut bien nous persuader que
la ville actuelle n'est pas le Danubrium des comtes de
Blâmont et encore moins le Deneuvre des ducs de
Lorraine. Après sa destruction par le fer et la flamme,
Deneuvre n'a plus été rebâti comme il était avant cette
catastrophe. C'est pourquoi l'on rencontre de ces caves
ou de ces souterrains dans plusieurs endroits
aujourd'hui cultivés et sur lesquels s'élevaient
autrefois de nombreuses habitations. Mais comment
persuader ceux qui sont imbus de tous ces racontages qui
servirent à bercer leur enfance ? on n'abandonne pas
facilement la croyance aux contes mystérieux, que l'on a
pour ainsi dire sucés avec le lait de sa nourrice. On
raconte aussi à qui veut l'entendre que Deneuvre fut
pris et détruit par stratagème. Un convoi de tonneaux,
dit-on, s'introduisit clandestinement dans la ville;
mais au lieu de vin ou de sel, ces tonneaux renfermaient
des guerriers qui, sortant tout-à-coup de leurs
cachettes firent main basse sur la garnison et
s'emparèrent de la citadelle. Il est bien fâcheux que
l'on ne cite pas le nom de ces guerriers, ni l'époque à
laquelle arriva cette étonnante aventure ; car ce beau
conte avec ses accessoires ne ressemblerait pas mal à
ceux que les anciens nous ont transmis sur ces fameux
temps héroïques où l'on prenait sans façon les villes
assiégées avec des chevaux de bois. Nous connaissons du
moins ceux des braves qui entrèrent dans les flancs du
grand cheval qui servit à la chute de Troie ; Rabelais
nous en a conservé la liste et ceux de mes lecteurs qui
aiment à rire en s'instruisant n'ont qu'à lire le
chapitre XL du livre IV de ce grand philosophe. Ils y
trouveront la longue énumération de tous ces preux. Il
est bien probable que le premier qui débita une
semblable histoire sur la ville de Deneuvre avait laissé
sa raison au fond d'un tonneau. Mais cessons ces
plaisanteries; et pourquoi chercherions-nous à désabuser
nos concitoyens ? les contes mystérieux, les histoires
impossibles ne font-ils pas le charme des innocentes
veillées, surtout lorsque le narrateur sait joindre à
son récit l'intonation, le geste, en un mot, toute
l'expression nécessaire pour ébranler un auditoire
attentif et avide d'émotions ? tout habitant de Deneuvre
se berce aussi de l'espoir de découvrir un jour quelque
trésor caché ; car tous sont persuadés que leur
territoire renferme enfouis les trésors des anciens
citadins. Nous ne pouvons cependant nous dissimuler
qu'il n'en existe quelques-uns enterrés lors des grandes
guerres de Charles IV ; mais les découvertes de ce genre
faites jusqu'à ce jour n'ont pas eu une bien grande
importance pour les numismates. Ainsi au mois de mars
1842, en travaillant dans un champ situé au lieu dit,
derrière l'église, on découvrit un pot en terre rouge et
de forme ronde renfermant un grand nombre de pièces d'or
et d'argent, mais du XVme et XVlme siècle seulement. Il
y en avait de différentes contrées, de la Lorraine, de
la France, de la Suisse, de l'Espagne et de l'Autriche;
car tous ces peuples bataillèrent dans notre province.
Cette trouvaille était les économies d'un citadin,
cachées par ce malheureux qui périt victime ou de la
guerre, ou de la peste, et ou bien même de la famine,
pendant le blocus de Deneuvre. On y trouve aussi de
temps en temps quelques pièces de monnaie romaine; les
unes en bronze, les autres en argent. C'est la preuve la
plus irréfragable de la présence de ces conquérants sur
l'emplacement occupé depuis par cette ville.
Une des plus anciennes que j'ai vues et possédées était
à l'effigie de l'empereur Gordien le jeune, troisième du
nom, assassiné l'an 244 de notre ère, après quatre
années d'un règne heureux. C'est vers cette époque que
nous faisons remonter la construction de la Tour du
Bacha, et par conséquent l'antiquité même de l'ancien
Danubrium.
PRÉVOTÉ,
ORGANISATION, REVENUS, POLICE, COUTUMES.
D'après l'état du
domaine chaque conduit (ménage) de Deneuvre devait à
Monseigneur le duc de Lorraine une taille de trois gros
(cinq sous environ) et deux poules ; chaque charrue deux
resaux d'avoine. Ce prince y avait également le droit de
tabellionage; celui d'office de greffier; de taverne
fixé à dix francs; celui du battant à draps ; la moitié
du sceau qu'on appliquait sur les draps (l'autre
appartenait aux compagnons du métier) ; enfin
Monseigneur possédait aussi l'impôt sur les tanneries
fixé à dix francs chacune ; et celui sur le passage des
bois flottants ; le droit sur les fours banaux, etc.,
etc. Il faisait exercer la justice dans toute la
seigneurie par un Prévot, aidé d'un Lieutenant et d'un
Greffier avec un substitut du Procureur général. Ce
prévot connaissait en première instance de toutes les
causes civiles et criminelles; excepté cependant en ce
qui regardait les personnes privilégiées. On pouvait
appeler de ses arrêts au grand baillage de Lunéville et
de là à la cour souveraine de Nancy. Cet officier qui
avait six villages sous sa juridiction jouissait de
plusieurs droits, entr'autres celui d'investiture ou
révestiture sur la cure de Brouville. On appelait ainsi
ce qui était dû au seigneur ou au curé par les héritiers
de quelqu'un qui décédait dans une commune. Ainsi
lorsque le pasteur de Brouville venait à mourir, son
successeur, considéré comme son héritier, devait au
prévot de Deneuvre deux deniers de cens. Mais en 1522 le
chapitre de Saint-Dié vexé de cette servitude en demanda
l'annulation, prétextant que depuis cette époque la
paroisse de Brouville avait été réunie au dit Chapitre.
Les forêts de la prévôté étaient régies par une Gruerie
instituée en 1605 par le duc Réné II. Ce tribunal se
composait de tous les officiers commis à la sûreté et à
l'administration des bois domaniaux situés dans la
seigneurie, et les délits s'y jugeaient selon la
pratique établie dans ces institutions. Nous avons déjà
vu que ces forêts étaient gardées par quatre personnes;
elles étaient choisies par le Grand-Gruyer le jour des
plaids-annaux. (Comme cette cérémonie était à peu près
la même dans le duché de Lorraine que dans l'évêché de
Metz, nous en parlerons à l'article Baccarat). Les
fonctions de ces agents étaient annuelles ainsi que
celles des Banwards ou Gardes champêtres; et pendant le
temps de leur gestion ils étaient exempts de toutes
rentes dues à Monseigneur le Duc. Enfin nous connaissons
depuis longtemps déjà le genre de rémunération que ces
forestiers recevaient lorsqu'ils fournissaient du bois
aux gardiens du château de Deneuvre et nous avons même
remarqué que ces fonctionnaires se contentaient alors de
bien peu.
De la communauté de Biens et Donations entre deux
conjoints.
[Coutumes du comté de Blâmont.)
Acquetz faits entre deux conjoints pendant leur mariage
seront communs à l'homme et à la femme, soit celle-cy
dénommée dans les contraux ou non.
L'homme ne pourra doresnavant vendre, engager, ni autre
ment aliéner valablement le bien naissant en propre de
sa femme, sans son exprès et libre consentement ; et
s'il le fait pour le bien de leur communauté ou aultres
raisonnables raisons, il ne pourra par ce moien se les
approprier ni aux siens en fraulde de sa dite femme ou
de ses enfants.
L'homme et la femme conjoints en mariage peuvent, par
donation simple ou mutuelle, s' entredonner leurs
meubles et l'usufruict de leurs acquetz, à la charge d'entreténement,
qu'ils aient enfans ou non de leur mariage ou aultre
précédent.
L'homme ayant enfans ou non, ha, pendant la communaulté
d'entre luy et sa femme, l'administration et libre
disposition des meubles et acquetz.
Le survivant de deux conjointz succède aux meubles de la
communaulté; aussi est-il chargé des debtes passives
personnelles, les hypothécaires demeurantes à la charge
de celuy à cui les biens hypothéquez par exprès
appartiennent, s'il n'y a choses traictées au contraire
dans les pactes et conventions de mariage.
Du Douaire aux Femmes.
La femme survivante son mary, ha pour douaire à son
choix, ou la moitié du mary dans les acquetz de la
communaulté, ou de son ancien bien aussi longtemps
qu'elle continue en viduité; pas sante en secondes
nopecs, en abandonne la moitié, à moins qu'il n'y ait
sur ce ou aultrement pour le dit douaire, convention
contraire ou différente au traicté de leur mariage.
Successions et Tutèles.
Une personne mourant sans hoirs procréez de son corps,
sans frères ou soeurs germains ou non germains ou
représentants d'yceulx, mais laisse seulement des oncles
et des tantes ou des cousins de ces deux lignées, ses
biens meubles et acquetz appartiennent aux dits cousins
par moitié, en chacune de ces lignées paternelle et
maternelle, et les anciens biens à ceux de la lignée de
laquelle ils sont advenus au défunt, privativement des
oncles et des tantes.
Les enfants de divers mariages succèdent à leurs pères
et mères par tètes autant l'un que l'autre également, et
non par litez, et s'en font les partages à frais
communs, puis sont jetez à loths (arrangés par lots)
sans préférence de choix aux uns plus qu'aux aultres.
Les pères et mères peuvent par testament ou aultrement
advantager un ou plusieurs de leurs enfants sur leurs
meubles ou acquetz ou aultrement. ,
Les pères ont la tutèle de leurs enfants et les fruicts
des biens de ceux-ci sont leurs, sans obligation d'en
rendre compte, à la charge, au reste, de la nourriture
et de l'entretènement. De même appartient aux mères la
tutèle de leurs enfants, et les fruietz de ceux-cy sont
leurs, aussi longtemps qu'elles demeurent en viduité-
passant oultre en aultres nopces, perdent cette
prérogative.
A défault de pères et mères, ou lorsque leurs dites
mères passent en secondes nopces, les parents assemblez
et ouys, sont les ayeulx ou ayeules, oncles, cousins ou
aultres parents trouvés à ce capables, instituez en
cette charge; et y sont les ayeulx et ayeules
préférables, s'il n'y a cause de caducité ou aultre
raison les en empêchant ou y excusant.
Police.
Aucun bourgeois ne doit être emprisonné pour faits de
simples délits, desquels la peine ne peut être que
pécuniaire; à moins qu'il n'ait le moien de fournir
caution bourgeoise suffisante pour assurance de la peine
et des dépens; ou bien que l'acte se trouve accompagné
et revêtu de circonstances importantes, scandale, ou
mauvais exemple au publique; auquel cas, et malgré que
la peine n'en doibve être que pécuniaire, ne délaissera
d'être jeté en prison et ferme, en haine du dit
scandale, le Procureur de la prévoté ce réquérant.
En cas de crime ou aultres choses disposéz à
emprisonnement ne devra toutefois y être procédé que ce
ne soit à la requête de partie formelle, conjointement
avec le Procureur fiscal, ou du dit Procureur fiscal
seul, après information préalable, à moins que le
prévenu ne soit suspect de fuite ou pris en flagrant
délit. Et en cas des dits emprisonnements il ne sera
loisible au juge d'en ordonner l'élargissement que le
dit Procureur n'ait été sur ce ouy sur son consentement
ou non.
Un arrêt du conseil d'état de Stanislas du 22 mars 1743;
ordonna l'enregistrement dans les greffes de la cour
souveraine de Nancy et dans ceux du baillage de
Lunéville et de la prévoté de Blâmont, des coutumes de
ce comté que suivaient nos ancêtres de Deneuvre. On y
enrégistra aussi les lettres patentes du duc Charles
III, du 19 mars 1596, confirmatives des- dites coutumes
pour ycelles être suivies et observées dans le comté de
Blâmont en leurs dispositions auxquelles il n'aura été
dérogé par les ordonnances postérieures, et y avoir
recours au cas échéant.
[...]
(1) Ce sont ces malheurs qui donnèrent
cours à la fable des Ogres, dont le nom n'est que la
corruption de Hongrois.
(2) Fondées 1550, par Etienne Evêque de Metz,
(3) en 1135, par Folmar II, comte de Lunéville ;
(4) en 1219, par Jean d'Apremont, évêque de Verdun.
(5) Cours d'antiquité monumentales ; ère Gallo-romaine ;
seconde partie. Paris, 1831.
(6) Pont des Fées.
(7) Preuves de l'histoire de Lorraine, par D. C.
(8) De semblables reprises furent faites par Olry de
Blâmont en 1471; Ferry en 1487 ; et Louis,
l'avant-dernier seigneur de cette maison en 1498 .
(9) Sur 714 communes que l'on compte dans le
département, 501 étaient lorraines; 14 mi-partie de
Lorraine, mi-partie des évêchés; 199 étaient françaises,
savoir 186 des évêchés, 1 de Champagne, 12 d'Alsace. (Vionnois,
mémoires sur les routes du département de la Meurthe).
(10) De simples Bannerets ou Chevaliers, jouissaient
aussi de certaines voueries. Dans les preuves de
l'histoire de Lorraine données par Dom Calmet, on lit le
titre du rachat suivant fait sur un habitant de Deneuvre
par l'évêque de Metz, Jaques de Lorraine, celui que nous
avons déjà vu acquérir la suzeraineté de la terre de
Blâmont : « Je Xerris, chivalier, dit Vosgiens, de
Danuèvre, fait connaissant à tous ke je ai venduy per
tous los et per tout vaut (volonté) de signor Huart et
Simonin, mes dous enfants, ma vouerie de Condey et de
Faux et de tous les leus qui y appentent et kan ke
j'avais en la dite vouerie en tous us et en toutes
manières, à Monsignor Jakon, per la grâce de Deu,
évesques de Mez, de cui je tenoye la devant dite Vouerie,
por trois cens trente trois livres et VI sols et oct
(huit) deniers de Métens (Messins) desquels je suis
payez en monnaye loyal et nombrée. C'en fut fait la
vigile de Noël kan ly miliares corrait per mil dous cens
et cinquante et trois. 1253. »
Le vendredi après l'Annonciation, l'an 1271, les enfants
de ce bon chevalier confirmèrent la donation qu'il avait
faite à l'abbaye de Senones, de prendre tous les ans six
quartes de blé sur son moulin de Bertrichamp.
(11) En 1366, Thiebaut fut nommé lieutenant-général du
duché de Lorraine par le duc Jean Ier.
(12) La tour s'élevait sur la partie saillante des
remparts situés à l'est.
(13) Nous regrettons de n'avoir pu, malgré nos
démarches, nous procurer aucun renseignement sur ce
monument.
(14) Derrière l'épaule droite de cette sculpture se voit
le millésime 1547; mais ces chiffres sont si mal faits
qu'on semble lire 1147. Le saint est privé de la main
droite et l'on aperçoit plus que la partie inférieure de
la crosse épiscopale dans la main gauche.
(15) Le raccordement est très-distinct ; mais une
remarque que l'on ne fait pas généralement c'est que les
remparts du château qui datent des premiers évêques
possesseurs de Deneuvre, sont bien mieux conservés que
les travaux exécutés par le comte de Blâmont ; et
cependant ils leur sont antérieurs de plusieurs siècles.
(16) Ces seigneurs avaient dans ce village une maison
forte avec rempart et fossé.
(17) L'inhumation dans les églises fut défendue le 10
mars 1777.
(18) Je n'ai pas cru devoir rapporter ces différents
actes qui se trouvent assez expliqués dans ce testament
; on peut les lire dans Dom Calmet.
(19) Ces villages avec Flin composaient la prévoté d'Axerailles
appartenant à la Lorraine .
(20) C'était la communauté paroissiale; c'est-à-dire,
tous les habitants des annexes de Deneuvre.
(21) Il y a erreur dans la rédaction, c'était le 29 mars
1503.
(22) On appelait généralement ainsi à cette époque tous
les habitants du nord de l'Italie.
(23) Le florin d'or valait vingt et un sous d'argent (21
fr. environ). Cette monnaie tire son nom de la ville de
Florence qui fit frapper les premiers.
(24) C'est la corruption de Meule du Loup, à cause de la
proximité de cet établissement près de la foret.
(25) L'auteur de l'histoire des Bénédictins de Senones
dit que ce fut dans les caveaux du château ; mais c'est
une erreur, comme on va s'en convaincre.
(26) On lit dans une ordonnance de Charles III : « Nul
homme de guerre ne pourra y mener aucune femme
particulière, si ce n'est sa femme légitime; toutes
autres femmes qui seront à formée seront publiques, à
raison de huit par compagnie. » Telle était la tolérance
pour la vie militaire au 16me siècle : Venus a toujours
été la compagne de Mars.
(27) M. Auguste Bigot dans ses recherches sur l'ancienne
population de la Lorraine cite les noms de 84 villages
entièrement disparus ou representés au jourd'hui par des
censes ou fermes.
(28) Le prieure de Mervaville (Mirabilium Villa) avait
été fondé en. 1224 par Catherine, épouse de Valéran 1er
de Limbourg. II était de l'ordre de saint Benoit sous
L'invocation de sainte Marie. Cette dame donna peur
cette oeuvre tout ce qu'elle possédait dans les bans de
Mervaville et de Rulles ou Reuilles et ordonna qu'il y
aurait dans l'intérieur de la chapelle, une lampe
perpétuellement allumée. C'était autour de ce prieuré
où, dit la relation, s'opéraient d'étonnants miracles,
que s'était groupé le village aujourd'hui anéanti . On
ne voit plus également rétablissement religieux; et de
nos jours le plus honteux charlatanisme a succédé à ces
étonnants miracles.
(29) Les étymologistes font dériver ce nom d'Atrium, qui
veut dire cimetière.
(30) La famille encore existante possède le portrait de
ce malheureux officier. On le voit dans le château d'Apremont,
près de Saint-Mihiel, appartenant à la famille La Croix,
alliée aux Klopstein. (Lepage)
(31) C'est ce seigneur qui passa le traité d'alliance,
au nom de Louis XIII, avec ces terribles Suédois après
la mort prématurée de leur roi, Gustave le Grand.
(32) Pendant le blocus de 1635.
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