Le 15-2
pendant la grande guerre : de l'Alsace aux Flandres, 1914-1918
A. Bailly
Éd. Berger-Levrault (Nancy), 1919
LA SECONDE BATAILLE DE LA MARNE DEVANT LA RUÉE BOCHE
Bois de Bonnes, Monthiers, Belleau, Torcy, Lucy-le-Bocage (30
mai-4 juin 1918)
...A Belleau les
heures sont graves.
Tout cède devant Attila,
Mais le vieux Quinze-Deux est là.
La vague meurt devant ses braves.
(Chant du régiment.)
[...] Ce n'est que dans la
deuxième quinzaine de décembre que le 15-2 quitta Verdun. Il
devait embarquer pour la Lorraine après un court séjour à Louppy-le-Petit
(Meuse). Le 15-2 avait espéré jusqu'au dernier moment qu'on lui
réserverait quelque secteur de la Thur, et qu'il passerait le
quatrième hiver de la guerre, comme les hivers précédents, au
milieu de ses amis alsaciens. Il n'en fut rien. Ce fut dans la
région de Lunéville que le 15-2 devait vivre pendant quatre mois
dans l'attente de la grande offensive allemande.
L'année 1918 s'annonçait comme la dernière année de la guerre.
L'inquiétude était grande chez les Alliés. Ils savaient qu'ils
ne seraient pas en mesure de passer à l'offensive avant que
l'armée américaine fût au point. Par contre, le Boche, qui avait
hâte d'en finir, était bien décidé à profiter de la défection
russe pour prendre, avant l'arrivée de l'armée Pershing, une
vigoureuse offensive sur le front anglo-français. La question
était de savoir sur quelle partie du front il déclencherait ses
attaques massives. Les avis étaient partagés. La prudence
conseillait en tout cas de redoubler partout de vigilance et
d'activité. Le 15-2 aurait pu couler des jours heureux, dans le
secteur relativement calme de la forêt de Parroy. Le 15-2 fit au
contraire comme si ce secteur de Lorraine, négligé depuis le
début des hostilités, et qui n'avait été le théâtre que de
quelques coups de main sans importance, devait recevoir le
terrible choc. Les organisations défensives, d'ailleurs assez
précaires, étaient presque exclusivement limitées à la première
ligne. Les abris, tout en superstructure, n'offraient aucune
sécurité. Certes, les projets ne manquaient pas, ni les plans.
Mais la main-d'oeuvre avait toujours fait défaut dans ce secteur
très étendu, et les troupes qui y séjournaient étaient à peine
assez nombreuses pour garnir les tranchées et en assurer
l'entretien. Le 15-2 devait en quelques mois, grâce à un labeur
continu, changer du tout au tout la physionomie du terrain.
Tandis que les bataillons en ligne, principalement le bataillon
d'Emberménil, repoussaient de violents coups de main, exécutés à
la faveur de barrages à obus à gaz (le Boche multipliait ses
coups de sonde sur tous les points du front, aussi bien pour
tâter l'adversaire que pour l'obliger à se tenir partout sur ses
gardes), le bataillon de réserve s'attelait à une besogne
écrasante, et, en quelques semaines, transformait un simple
tracé en une position de soutien solide, aux tranchées
profondes, aux défenses minutieusement combinées, aux abris
multiples relativement sûrs : la position 1 bis.
Ce n'est pas en Lorraine que les Boches déclenchèrent leur
première et foudroyante offensive de 1918, mais tandis qu'ils
réussissaient en direction d'Amiens à percer le front anglais et
à couper l'armée britannique de l'armée française, ils se
livraient sur tous les points du front à une activité
inaccoutumée, dans le but évident de nous dérouter et de nous
contraindre à éparpiller nos réserves. Plusieurs jours, ils
bombardèrent le secteur de Lunéville avec violence, et usèrent
très largement des obus à ypérite. Le 15-2 ne broncha pas. De
pied ferme, il attendit l'attaque. Cette attaque n'eut pas lieu.
Le sort du régiment était clair. L'ère des grandes batailles
commençait. Puisqu'il ne se passait rien en Lorraine, le 15-2
n'y resterait pas.
Et de fait, quelques semaines plus tard, le régiment était
relevé à Marainviller par le 171e régiment d'infanterie. Avant
son départ, il avait exécuté en avant de Vého un très brillant
coup de main. L'honneur de cette opération, vivement et
habilement menée, revint à la 11e compagnie, que commandait un
des plus jeunes officiers du 15-2, mais un des plus braves, un
brillant cavalier devenu fantassin fervent, le lieutenant Hervé
de La Rochefordière. La 11e compagnie fit merveille. Le 15-2
était en forme. Il n'allait pas tarder à montrer qu'il était
toujours égal à lui-même.
Quelques jours avant son départ de Marainviller, le 15-2 avait
perdu le colonel Barrard. Celui-ci, nommé sous-chef d'état-major
du général de Castelnau, avait brusquement quitté le régiment et
cédé sa place au chef d'état-major de la 164e division, le
lieutenant-colonel Meilhan.
Ainsi, le colonel Meilhan était appelé à prendre le commandement
du 15-2 à l'heure où la bataille avait repris entre les Alliés
et l'Allemagne, plus violente, plus âpre que jamais. Le colonel
Meilhan mesurait d'avance la somme d'efforts qu'on allait
demander en 1918 à son régiment. Il était sûr que tout le monde
ferait son devoir. Mais il n'eût pas osé rêver, à ce moment,
qu'il allait vivre un si splendide lendemain, conduire le 15-2
de succès en succès et avoir la joie immense et méritée de fêter
avec lui la victoire. Le colonel Meilhan n'ignorait pas la
popularité du colonel Barrard et les regrets qu'il avait laissés
au régiment. Il ne tarda pas à prouver au 15-2 qu'une fois de
plus on l'avait gâté, et qu'on avait mis à sa tête un chef digne
de lui. Cet homme du monde, qu'on pouvait croire hautain et
distant, fut, comme le colonel Barrard, l'ami du poilu, l'ardent
défenseur de ses intérêts, le gardien jaloux de sa gloire. Dès
les premiers jours, ils se donna tout entier à son régiment.
S'il eut quelques regrets à quitter le petit béret de chasseur
dont il ne s'était pas séparé depuis le début de la guerre, ce
fut avec une joie réelle qu'il arbora, dès sa prise de
commandement, le képi or et rouge du fantassin. Les lignards du
15-2 lui surent gré de ce geste. L'élégance du colonel Meilhan
fit école. Le 15-2, plus fier que jamais, plus pimpant, plus
alerte, conserva en 1918, malgré les fatigues d'une vie errante
et l'absence presque totale de repos, cette allure dégagée,
cette irréprochable tenue, que les Parisiens avaient admirées le
14 juillet 1917.
Comme le 15-2 se préparait à quitter son cantonnement d'Haussonville
en avril 1918, une terrible épidémie de grippe s'abattit sur la
164e division et l'immobilisa plusieurs semaines dans la région
de Lunéville. Le 15-2, après avoir échappé longtemps à
l'épidémie, fut frappé à son tour. Les hommes tombaient les uns
après les autres, et chaque jour il fallait en évacuer un grand
nombre. Mais le temps pressait, et il n'était pas possible de
laisser plus longtemps inoccupée une division d'élite et de
choc. Il fallut partir. Le 15-2 embarqua à Bayon. Quand il
arriva dans l'Oise, après deux journées de chemin de fer, il dut
laisser sur place un nombre considérable de nouveaux « dingués »
(c'est ainsi qu'on appelait les fiévreux). [...] |