Recueil général
des lois et des arrêts, Volume 14
J-B Sirey
1835
DOMAINES ENGAGÉS. - LORRAINE.
- PRESCRIPTION.
La déclaration du 28 août 1736, par laquelle Louis XV a pris,
lors de la réunion des duchés de Bar et de Lorraine à la France,
l'engagement de respecter les aliénations ou restitutions de
domaines faites par le duc de Lorraine en faveur de certaines
familles, dans l'intervalle écoulé entre la signature des
préliminaires et celle du traité, a eu pour effet de rendre ces
aliénations irrévocables, quel que fût le caractère domanial ou
patrimonial des biens. - Les détenteurs de ces biens ne peuvent
donc être recherchés en vertu de la loi du 14 ventôse an 7 sur
les domaines engagés (1).
Les tiers détenteurs de domaines engagés, qui ont acquis depuis
le Code civil, par juste titre et avec bonne foi, ont prescrit
la propriété contre l'Etat, s'ils ont possédé sans trouble
pendant dix ans (2).(Cod. civ., 2265.)
(Le préfet de la Meurthe-C. la princesse de Poix et consorts.)
Les deux questions ci-dessus avaient été ainsi résolues par un
arrêt de la Cour royale de Nancy, du 14 mars 1834, dont voici
les motifs : - « Considérant que l'art. 2 de la loi du 14 vent.
an 7, dispose que les aliénations du domaine de l'Etat faites
dans les pays réunis à la France avant les époques respectives
des réunions, seront réglées suivant les lois en usage dans ces
pays, ou suivant les traités de paix ou de réunion ;
« Considérant que le traité de Vienne de 1736, en réunissant à
la France les deux duchés de Lorraine et de Bar, a réglé le sort
de plusieurs domaines dont le duc de Lorraine avait disposé
depuis la signature des préliminaires, soit comme domaines
engagés, soit comme étant des biens patrimoniaux, et que de
longs débats diplomatiques se sont élevés sur l'époque et sur la
validité de ces réintégrations ;
« Considérant que les baronnies de Turquestein, Saint-Georges et
Ban-le-Moine, ainsi que les terres de Lorquin et Harbouey y
annexées, faisaient partie de ces aliénations ; que, par un
contrat de rétrocession passé à la chambre des comptes le 18 mai
1736, le duc de Lorraine avait réintégré Marc de Beauveau et son
épouse dans la propriété, possession et jouissance de ces
baronnies et terres, que, loin de les considérer comme faisant
partie du domaine ducal, il avait motivé la rétrocession de ces
terres sur leur patrimonialité, en indiquant qu'elles étaient
situées dans l'évêché de Metz, souveraineté étrangère à la
Lorraine ; qu'elles avaient été acquises à titre particulier, et
que leur réunion au domaine ducal avait été opérée par erreur en
exécution de l'édit du 14 juill. 1729 ;
« Considérant que, dans le cours des négociations diplomatiques
auxquelles les aliénations ont donné lieu, on est tombé
d'accord, après discussion, sur l'acquiescement à donner de la
part de la France à ce qui avait été fait par le duc de Lorraine
en faveur des familles de Craon et de Mercy; mais que la France
a refusé de s'engager relativement aux autres domaines rendus
par le duc de Lorraine ; qu'il a été dressé en conséquence une
déclaration substituée à celle que la France avait refusé
d'admettre, à laquelle il a été donné la date du 28 août 1736,
et qui est ainsi conçue :Le roi traitera selon toute justice et
équité, et le plus favorablement qu'il se pourra, ceux à qui,
depuis la signature des préliminaires, il a été rendu des
domaines; et dès à présent, sa majesté consent à laisser
subsister tout ce qui a été ainsi fait pour MM. de Craon et de
Mercy ;
« Considérant que cette déclaration a été ratifiée par Louis XV
; qu'elle fait partie intégrante du traité de Vienne, et qu'elle
est devenue loi des parties intéressées ; - Considérant,
d'ailleurs, que cette clause du traité de Vienne, rapprochée de
l'acte de rétrocession des baronnies, ne présente ni doute ni
ambiguïté; qu'elle distingue clairement deux classes
d'aliénataires auxquels il a été rendu des domaines depuis la
signature des préliminaires ; que les aliénations faites à tous
autres que MM. de Craon et de Mercy ne sont pas confirmées ;que
le roi promet seulement de les traiter selon toute justice et
équité, et le plus favorablement qu'il se pourra ; que, quant
aux sieurs de Craon et de Mercy, le roi de France fait plus : «
il consent, dès à présent, à laisser subsister ce qui a été
ainsi fait en leur faveur. »
« Considérant qu'il résulte du texte de cette déclaration du 28
août, que le roi de France, se reportant ainsi à ce qui avait
été fait par l'acte de rétrocession du 18 mai 1736, a pris
l'engagement de reconnaître que les baronnies dont il s'agit
n'avaient jamais été domaniales, et que, conséquemment, c'est à
titre de patrimonialité que ledit sieur Beauveau Craon les
possédait ; - Considérant que, si de l'interprétation naturelle
du texte de cette déclaration on passe à l'examen des actes
diplomatiques qui l'ont préparée, la conviction vient se
fortifier de toute l'énergie du langage des représentans des
puissances contractantes ;
« Considérant, en ce qui concerne les portions de biens
dépendant de la terre dite le Hazard ou Zuffal, que, la
princesse de Poix et les possesseurs antérieurs l'ayant acquise
de bonne foi et par juste titre, depuis la publication du Code
civil, la prescription de cette terre, dégagée de toute charge
domaniale, est acquise à l'intimée, tant de son chef que de
celui de ses auteurs, aux termes des art. 2227,2265, 2266 et
2268, Cod. civ. »
Pourvoi en cassation par le préfet de la Meurthe, au nom de
l'Etat.
ARRET
LA COUR ; - Sur les moyens relatifs aux ci-devant baronnies de
Saint-Georges, Turquestein, Lorquin, Harbouey et Ban-le-Moine :
- Considérant que la déclaration du 28 août 1736, concernant les
domaines aliénés par le duc de lorraine entre la signature des
préliminaires et celle du traité de paix portant réunion à la
France des duchés de lorraine et de Bar, a été expressément
approuvée par le roi de France, et qu'elle a été insérée dans le
traité de paix et de réunion, dont elle est devenue, dès lors,
partie intégrante ; que, par cette déclaration, obligatoire
comme le traité lui même pour les parties contractantes, Louis
XV a consenti à laisser subsister ce qui a été fait depuis le 3
oct. 1735, jour de la signature des préliminaires, en faveur de
MM. de Craon et de Mercy ; Qu'il suit de là que, quel que fût le
caractère domanial ou patrimonial des biens dont le duc de
Lorraine avait disposé en faveur de M. de Craon, par l'acte de
rétrocession du 18 mai 1736, la disposition était irrévocable ;
que, par conséquent, la loi du 14 ventose an 7 ne leur était pas
applicable;
Sur le moyen de prescription relatif au domaine du Hasard ou
Zuffal: - Considérant que l'arrêt attaqué déclare, en fait, que
Crousse, Drouville et la dame de Beauveau ont possédé le domaine
dont il s'agit, avec juste titre et bonne foi pendant plus de
dix ans; que, dés lors, en décidant que la prescription était
acquise, la Cour royale a fait une juste application de l'art.
2265, Cod. civ. ;Rejette, etc.
Du 4 fév. 1835. - Ch. req. - Prés., M. Zangiacomi. - Rapp., M.
Briére-Valigny - Concl., M. Nicod, av. gén.-Pl., M.
Teste-Lebeau.
(1) La Cour de cassation avait rendu un arrêt semblable le 27
janv. 1897, sur le pourvoi de Me de Poix.(V. cet arrêt au Bull.
off)
(2) La question, après vive controverse, est aujourd'hui sans
difficulté (v. tom. 34. 1.633), et les arrêts qui y sont indiqués
- Aussi, dans l'espèce actuelle, le domaine s'attachait-il
seulement à établir, d'après diverses circonstances de fait, que
les tiers détenteurs ne pourraient être réputés possesseurs de
bonne foi. |