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Le procès des Baronnies - E. Ambroise
 

 

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Le présent texte est issu d'une correction apportée après reconnaissance optique de caractères, et peut donc, malgré le soin apporté, contenir encore des erreurs.


Mémoire de la Société d'Archéologie Lorraine
1911

LE PROCÈS DES BARONNIES
Etude lorraine
1729 -1835
Par M. E. Ambroise
Membre titulaire

I. - Les Baronnies et le traité de Vienne (1729-1737).

Le duc Léopold, lorsqu'il rentra dans ses États; après la paix de Ryswick, avait à réparer d'énormes ruines, et à récompenser de grands dévouements. Deux des familles qui avaient servi son père ou son grand-oncle furent surtout comblées de ses bienfaits: d'abord celle des comtes de Mercy, qui descendait du héros populaire des guerres de Charles IV, puis celle, non moins connue, et qui allait devenir illustre, des marquis de Beauvau.
Son chef, Marc de Beauvau (1), élevé au poste de chambellan, recevait en 1711 la terre de Morley (2), dans le Barrois mouvant, et en 1712 le village d'Haudonviller, érigé pour lui en marquisat sous le nom de Craon. Enfin, en 1721, le duc se dessaisissait en sa faveur d'un très important territoire situé dans les Vosges moyennes, entre la Sarre et la Vesouze, et que l'on appelait la baronnie de Saint-Georges.
Le marquis de Beauvau, créé cette année même prince d'Empire, arrondissait aussitôt ses nouvelles possessions en achetant des terres voisines, qui chevauchaient sur les limites, fort compliquées en ces parages, de la Lorraine et de la France, et dont plusieurs, celle de Lorquin notamment, portaient aussi le titre de baronnie.
Ainsi s'était constitué le grand domaine seigneurial qui fut appelé depuis lors les Baronnies. Il groupait autour des localités de Lorquin, Hattigny, Saint-Georges, quinze ou dix-huit villages semés dans la plaine ou sur les lisières d'une forêt que les documents administratifs eux-mêmes qualifient d'immense. Elle couvre en effet, sur une surface de plus de 10.000 hectares, les pentes vosgiennes, depuis le Donon jusqu'à la roche pittoresque qui porte la ruine du Turquestein, antique chef-lieu de toute la contrée.
A côté des motifs légitimes qui pouvaient justifier la générosité du duc Léopold, la malignité de sa cour en lisait d'autres, dans la passion qu'aurait inspirée au souverain la femme de son chambellan, la séduisante Marguerite de Lignéville, dame d'honneur de la duchesse et surintendante de sa maison.
Toujours est-il que cette intrigue, dont la plume indignée de la princesse palatine nous a assez étourdiment, semble-t-il, livré le mystère, faillit ruiner la fortune et le crédit que la famille de Beauvau tenait des générosités du prince.
Elle a réussi cependant' à conserver sa haute situation terrienne, mais au prix d'une lutte diplomatique et judiciaire qui n'a pas duré moins d'un siècle, et ne s'est apaisée qu'en 1834 à la suite d'un arrêt solennel de la Cour royale de Nancy.
Rarement on explore avec fruit les grimoires de la basoche, et la saveur douteuse des vieux dossiers n'est goûtée d'ordinaire que par les habitués du prétoire. Cependant la querelle des Baronnies a mis aux prises, sous le couvert des intérêts privés de la famille de Beauvau, les prétentions diplomatiques de la France, de la Lorraine, de l'Autriche ; elle a réveillé la question si poignante pour l'amour-propre lorrain, des droits régaliens de nos ducs et de l'étendue de leur souveraineté. Elle s'est avivée au conflit aigu des lois révolutionnaires avec les institutions du passé; elle a même exaspéré l'âpreté fiscale des gouvernements de la Restauration.
En cheminant, ainsi en des temps si divers, au milieu des grands faits historiques, peut-être a-t-elle dépouillé, à ce contact, un peu de la banalité des vulgaires procès.
Léopold mourait le 27 mars 1729.Presque aussitôt, le 14 juillet, la duchesse régente, obéissant au cri public non moins qu'à son légitime ressentiment, prit les fameux édits de Réunion qui révoquaient et réintégraient au domaine toutes les aliénations faites par le feu duc depuis 1697.
«  On ne peut empêcher un prince de retirer ses bienfaits à sa volonté. » Telle était alors, en Lorraine comme en France, la formule juridique de l'inaliénabilité domaniale.
Personne ne songeait à la contester.
Le prince de Beauvau, directement touché, s'exécuta d'abord sans résistance, et même avec une surprenante bonne grâce; car non seulement il se déporta de toutes les donations qu'il tenait de Léopold, mais il céda même au duc François les terres de Lorquin et d'Harbouey, qu'il avait achetées à de simples particuliers (3). Elles lui furent payées 327.281 livres (4).
Cette soumission, au moyen de laquelle la famille de Beauvau conservait en Lorraine et dans la nouvelle cour une situation considérable, n'était toutefois qu'apparente. Dans les procédures sans fin qui ont suivi, elle s'est complu à l'expliquer «  par une condescendance obligée, de la part d'un grand officier de la couronne envers son souverain, et qui Iut considérée, dit-elle, comme ayant le caractère de la contrainte ».
Toujours est-il elle, dès qu'il en trouva l'occasion propice, M. de Beauvau réclama contre ses propres désistements, et les qualifia d'involontaires. Ses conseils, en effet, ayant fouillé jusqu'au fond du Moyen Age l'histoire particulière des Baronnies; avaient réussi, à l'aide de faits complexes réunis et mis en valeur, à démontrer que ces territoires ne pouvaient faire retour au domaine; et ce, par l'unique, mais péremptoire raison qu'ils n'avaient jamais été des domaines lorrains. Assertion inattendue, insoupçonnée aussi bien des ducs eux-mêmes que de leurs sujets, parce que contre elle paraissait protester la longue et notoire continuité d'une possession séculaire.
Comment expliquer l'équivoque qui, après avoir déterminé le prince de Beauvau-Craon à une soumission si complète, pouvait lui fournir ensuite les moyens d'éluder l'édit devant lequel il s'était d'abord volontairement incliné ? C'est en quelques mots toute l'histoire des Baronnies.
En remontant dans le passé, on trouvait en effet que le vieux château de Turquestein, qui de toute ancienneté donnait son nom à la région boisée dont il était le chef-lieu, a:vait eu certainement pour suzerains les évêques de Metz. Mais, depuis plus de trois siècles, tout avait conspiré à effacer les signes extérieurs de cette vassalité germanique. A la suite d'une guerre malheureuse, un évêque s'était vu contraint de l'engager au comte de Blâmont, vassal lorrain (5) (1344). Puis il avait été racheté (1433) par un autre seigneur lorrain Jean d'Haussonville, déjà possesseur du château de Châtillon (6), voisin et rival de celui de Turquestein. Depuis lors, Turquestein et Châtillon n'avaient plus cessé de graviter dans l'orbite lorraine.
Le plus connu des barons d' Haussonville, African, premier du nom, avait élu sa résidence au château de Zuffal (le Hazard), aux portes de Lorquin, et quand, en 1587, il fut chargé par le duc Charles III d'arrêter les Reîtres déchaînés sur la Lorraine, ce fut sa terre de Turquestein que le baron d'Haussonville vit piller et saccager la première; parce que, pour les Allemands, elle était déjà terre lorraine.
Des trois branches de la maison d' Haussonville, une seule avait laissé une descendance masculine; aussi lorsqu'en 1567 un partage s'imposa pour met.tre fin à cette indivision plus que séculaire, African d'Haussonville dut admettre l'intervention des maris ou descendants de toutes les filles, les sires de Marcoussey, Savigny, Rhodes, Estoges, Nettancourt et du Châtelet, tous seigneurs lorrains. Il faut noter même comme un détail significatif que, dans ce partage de forêts évêchoises, les mesures sont exprimées en arpens lorrains (7).
Lorsqu'elle s'éteignit, quarante ans plus tard, la famille d'Haussonville laissa dans les vallées de la Sarre et de la Vesouze, une place dont s'empara bientôt un autre Lorrain, François, comte de Vaudémont, devenu par mariage (8) comte de Salm, seigneur de Badonviller et Pierre-Percée (9). Créé en 1613, par rescrit de l'empereur Mathias, prince d'Empire, nanti de tous les droits régaliens, y compris celui de battre monnaie «  de la même manière que le duc de Lorraine ou l'évêque de Metz (10), » il érigea les Baronnies en une manière de principauté indépendante, qui passa après lui à ses fils les ducs Charles IV et Nicolas-François. Depuis lors, on ne les distinguait plus du reste des États lorrains dont ils ne furent d'ailleurs séparés par aucune frontière apparente. Ainsi s'explique que le marquis de Beauvau atteint dans sa possession par les édits de 1729 n'ait pas connu d'abord les raisons juridiques et politiques qui, en dépit des apparences, plaçaient ces territoires dans une situation spéciale, dont on pouvait tirer en sa faveur, des conséquences inattendues. Ce revirement fut l'oeuvre des juristes. Ils soutinrent que les Baronnies, fief d'Empire, ne pouvaient être des terres du domaine lorrain; que les ducs n'en avaient été que les propriétaires et non les souverains ; et que, par conséquent, ils avaient pu les aliéner irrévocablement, comme tous biens particuliers. Leur thèse, renforcée par le crédit que le marquis de Beauveau avait su reconquérir auprès du duc François III, triompha devant la chancellerie lorraine.
Par contrat du 16 mai 1736, le duc rétrocédait au prince de Beauvau et à la princesse sa femme les Baronnies et toutes leurs dépendances. Ils en reprenaient possession les 28, 29 et 30 mai, ainsi qu'en témoignent les procès-verbaux du bailliage de Vic.
Il faut retenir ces dates, car elles marquent l'écueil - inattendu auquel venait se heurter la condescendance du duc François, et le commencement du conflit qui allait éclater au moment même où on pouvait se flatter de l'avoir aplani.
François III n'avait pas aperçu qu'à cette date du 16 mai 1736 il n'avait déjà plus le moyen d'imposer en. Lorraine le respect de ses volontés. Les préliminaires de paix qui devaient aboutir au traité de Vienne étaient dès lors fort avancés. Le 3 octobre 1735 avait été signé un protocole qui impliquait cession prochaine de la Lorraine à la France. Aussi, les agents du.roi Louis XV n'avaient-ils pas manqué d'incriminer aussitôt la rétrocession des Baronnies comme un acte contraire aux engagements déjà pris. Devant leurs protestations bruyantes, le duc François s'était vu dans la nécessité, pour justifier sa bonne foi, de recourir à de longs et pénibles pourparlers diplomatiques, afin d'obtenir la confirmation, au profit de ses sujets lorrains, des rétrocessions qu'il venait de leur consentir imprudemment.
Ces débats épineux sont peu connus, et les dépôts publics qui en gardent les pièces, difficilement accessibles; car, seul, un livre que nous avons tous lu, l'histoire du troisième traité de Vienne, leur consacre une courte mention (11). Tout près de nous cependant, au greffe de la Cour d'appel, on en peut lire la relation dans un arrêt du 14 février 1834; récit précieux auquel on ne saurait, ce me semble, refuser le caractère d'une fidèle et complète analyse, car il est le fruit d'un long délibéré poursuivi au vu des documents eux-mêmes ou de leurs copies authentiques.
Le voici:
«  Le 23 juin 1736 le duc de Lorraine a fait remettre à la conférence de Vienne un mémoire sur les domaines dont il avait disposé, portant pour titre: Éclaircissements sur les domaines de Lorraine et de Barrois; dans ce mémoire, le duc de Lorraine faisait observer que les Baronnies dont il s'agit n'avaient jamais été ni pu être domaniales, qu'elles ne faisaient ni partie ni dépendances (sic) du duché de Lorraine et de Bar... que, n'étant pas domaniales, il les eût également fait rendre au prince de Craon, non pas comme grâce, mais par justice, principe par lequel il a agi dans cette affaire, qui eût été consommée plutôt (sic) si le prince de Craon avait plutôt fait des remontrances. »... Les ministres français, répondant à cette note, n'ont combattu en détail aucune des allégations de patrimonialité invoquées par le duc de Lorraine, relativement aux Baronnies, et, après avoir d'abord refusé de confirmer tout ce qui avait été fait depuis les préliminaires, ils ont bientôt accédé à ce qui concernait les Baronnies et autres biens restitués à la famille de Craon. Le ministre des Affaires étrangères écrivait le 3 septembre 1736 : A l'égard des seuls domaines rendus à Messieurs de Craon et de Mercy, et non à d'autres, nous consentons à les laisser; il ajoutait dans la même dépêche : Vous pouvez passer un acte qui concerne les concessions faites à Messieurs de Craon et de Mercy; il termine enfin par ces mots remarquables : C'en est assez d'acquiescer à ce qui regarde Messieurs de Craon et de Mercy (12).
Dans une dépêche du même jour, adressée comme la première à Laporte-Dutheil, plénipotentiaire français à Vienne, le même ministre qualifiait de restitution ce qui avait été fait en faveur de MM. de Craon et de Mercy.
Enfin, le cardinal de Fleury, écrivant à l'empereur d'Autriche lui-même sur cette difficulté du - traité, lui faisait connaître que les ordres exprès du Gouvernement français ne portaient consentement qu'à ce que Monsieur le duc de Lorraine avait fait pour Messieurs de Craon et de Mercy.
«  C'est à la suite de ces discussions qu'on en arriva à la rédaction d'une déclaration à laquelle a été donnée la date du 28 août 1736 et qui fut ainsi conçue: Le roi traitera selon toute justice et équité et le plus favorablement qu'il se pourra ceux à qui, depuis la signature des préliminaires, il a été rendu des domaines, et dès à présent sa Majesté consent à laisser subsister tout ce qui a été ainsi fait en faveur de Messieurs de Craon et de Mercy. Cette déclaration fut ratifiée par Louis XV; elle fait partie intégrante du traité signé à Vienne le 15 février 1737. »
Telle est la clause fameuse, en dépit de laquelle, on allait disputer ou plaider pendant un siècle, sur la possession des Baronnies.
La confirmation de la famille de Beauvau dans la possession de cette terre était, comme on le voit, l'effet d'une insigne et toute spéciale faveur, formellement refusée à tous autres qui auraient voulu se prévaloir des mêmes raisons. Le roi avait entendu trancher la question par un acte de bienveillance exclusive, nullement par une décision basée sur des principes.
A cette manifestation de sa volonté de monarque absolu, il donnait enfin une forme aussi solennelle qu'insolite, puisque, bien qu'elle ne visât que des intérêts privés, il lui faisait place dans l'acte diplomatique qui rétablissait la paix entre la France et l'Autriche en dépouillant le duc de Lorraine.
François III recevait en échange le grand-duché de Toscane. Il y envoyait bientôt le prince de Beauvau investi du titre de gouverneur, et à ses côtés le baron de Cirey-en-Vosges, René-François du Châtelet, son voisin sur le domaine des Baronnies, qui allait faire son entrée à Florence en mars 1738 à la tête du régiment des gardes lorraines. En leur absence, éclatait sous une forme très aiguë, une seconde phase de la querelle des Baronnies, à laquelle ni l'un ni l'autre ne devait rester étranger.

II. - Les Baronnies et l'abbaye de Domèvre (1730 -1752).

La seconde période du procès des Baronnies s'ouvre en 1730. Elle a duré vingt-deux ans. Sous l'apparence (l'une querelle privée, elle a réveillé une vieille question de frontières, qui sommeillait depuis les temps de l'archevêque Brunon, au Xe siècle; et soulevé, à propos de compétence judiciaire, un débat assez épineux pour que la politique extérieure du duché de Lorraine s'y soit trouvée engagée. Elle a présenté aussi un singulier tableau de l'état lamentable auquel la longue période des guerres avait réduit cette région forestière, et de la confusion qu'elle avait jetée dans les limites des deux pays. De ces frontières, si jamais elles avaient été marquées, il ne subsistait pas de traces matérielles. On admettait que les forêts de Turquestein étaient, comme le vieux château, terres d'évêché, et que les bois voisins, propriété de l'abbaye de Domèvre, étaient lorrains comme le monastère.
L'importante abbaye de Domèvre, siège de la Congrégation des Chanoines réguliers de Saint-Augustin, réformés par Pierre Fourier, avait alors pour abbé J.-B. Piart (1722-1746). Porté par caractère à tout risquer, jaloux de rétablir la fortune de son abbaye, ambitieux et magnifique, il cherchait du crédit auprès des puissances du jour, en attirant à l'abbatiale, soit les favoris des ducs, soit la Cour elle-même ; il déployait pour ses hôtes de la cordialité, de l'aisance, du bon goût (13). Mais l'abbé Piart aimait les procès. Il plaida sans relâche, en dépit de toutes les interventions pacifiques, contre ses religieux, contre les évêques de Toul, contre ceux de Metz. C'était un esprit opiniâtre, retors, importun.
Au milieu du douzième siècle, la première comtesse de Salm, Agnès de Langstein, avait donné à l'abbaye un canton de forêts aux bords du Donon et du village de Raon-les-Leaux. Les limites en étaient vagues. L'abbé prétendit y tracer celles qui convenaient le mieux à son monastère.
Ses forestiers y rencontrent dès 1724 ceux du comté de Salm, avec lesquels ils ont maille à partir. En 1733 ils se heurtent aux propriétaires de la forêt de Turquestein, à M. du Chatelet d'abord, qui en possède un lot comme baron de Cirey, puis au prince de Beauvau, qui paraît d'autant moins disposé à tolérer leurs entreprises que, depuis plusieurs années, il recherche l'énorme quantité de 2.190 arpents ou 438 hectares, qui manquent à son lot. Tandis que M. du Chatelet s'efforçait avec bonne grâce d'aplanir les difficultés qui s'élevaient à chaque instant, l'abbé, à tout propos, mettait en campagne les hommes de loi; procédé de chicane qui, le 2 mai 1733, lui attirait une verte réponse, où se peint d'un trait le caractère du baron de Cirey, avec son esprit caustique et pratique, ses délicatesses, ses dédains et... son orthographe de grand seigneur (14) :
«  Vous dites, Monsieur, que vous vous voyez obligé de m'écrire... Je vous plains d'autant plus de cette nécessité qu'elle vous a mise (sic) en celle de faire faire un rapport et des frays pour deux écus avant que de m'en informer; précaution digne d'un homme qui en est aussi rempli que vous... Si vous aviez jugé à propos de vous souvenir que lorsque vous avez été dans le même cas avec moi, je vous envoyé (sic) le sieur Ancelle pour sa voir seulement si vous désavouié (sic) l'anticipation de vos gens, quoi que mon officier ne vous ait point demandé d'act (sic) de la parole que vous lui avez donnée, encore moins des arbres propres à faire planches pour des pannes et chevrons; et s'il en avait été capable je m'en serais deffait (sic) dans le moment, car je vous jure, Monsieur, que pour tout mon bien, je ne voudrais pas être l'auteur de votre lettre. Elle donnerait une ample matière non seulement à commentaires; mais à tympanlser. »
Le Marquis du Chatelet (15).

Les sapins coupés étaient extraits d'une minime parcelle de trois arpents que le marquis croyait à lui. De guerre las, il se décida à les réclamer devant la justice locale à Cirey, et, le 1er juin 1735, obtenait une expertise pour apprécier la valeur du dommage. L'abbé s'était volontairement laissé condamner par défaut, comptant bien sur la difficulté qu'aurait son adversaire d'exécuter contre lui, à Domèvre en Lorraine, une sentence rendue à Cirey, en France. Le droit public n'admet pas qu'un jugement rendu à l'étranger soit exécuté avant d'avoir été soit révisé soit entériné par la juridiction du pays; et ces sortes de questions avaient en Lorraine, où pénétraient tant d'enclaves étrangères, une importance d'autant plus grande, que justice et souveraineté s'y mêlaient de cent manières. Toute négligence tolérée pouvait créer de dangereux précédents. C'est pourquoi un fonctionnaire spécial appelé : commissaire général pour les règlements des limites de souveraineté de son Altesse, y veillait incessamment. C'était alors messire Charles de Mahuet, comte de Lupcourt.
Pour contraindre l'abbé à déférer à la sentence de Cirey, M. du Châtelet dut donc s'adresser à la Cour souveraine, et lui demander une autorisation en forme (16).
C'est le moment qu'attendait l'abbé de Domèvre. Il avait, en effet, conçu l'idée géniale d'intéresser à sa cause la duchesse régente et son gouvernement, en usant de son crédit à la Cour pour élever ce mince conflit d'intérêts privés à la hauteur d'une entreprise contre la souveraineté lorraine. Il réclama d'abord des commissaires pour vérifier si les quelques sapins abattus avaient leur souche en France ou en Lorraine, et comme M. de Mahuet lui donna. tort, il importuna de nouveau la duchesse par une requête très tendancieuse (17) : «  Supplie J.-B. Piart... disant que M. le marquis du Chatelet de Cirey, pour s'approprier plus de 300 arpents de bois appartenant au suppliant, de la souveraineté de Lorraine, et les joindre à sa seigneurie de Cirey, terre d'évêché, s'est avisé de faire une difficulté par-devant les commissaires de limites sur 3 ou 4 arpents seulement, Il est de l'intérêt de son Altesse Royale de faire rectifier ce jugement et d'interposer pour ces effets son autorité, pour disposer le Roi très chrétien de nommer un commissaire à l'effet de reconnaître le vaste terrain de 300 arpents que le sieur du Chatelet prétend s'approprier à la faveur de ce jugement donné sans connaissance pour 3 ou 4 arpents. »
L'abbé de Domèvre, en donnant ainsi à la querelle une redoutable envergure, comptait bien mettre en émoi les chancelleries de Lorraine et de France. Mais son insistance parut importune. Au bas de la supplique la Régente ne fit écrire que ces mots décourageants : «  Néant, affaire finie ».
Il restait à l'abbé Piart, comme à tout plaideur, la ressource de jeter le soupçon sur l'impartialité de ses juges. Il ne s'en priva pas. Il prétendit que M. du Chatelet avait reçu chez lui les commissaires, au cours de leurs opérations ; mais il ne dit pas, bien entendu, que M. de. Thomassin, l'un d'eux, ne pouvant se rendre en un jour de Lunéville aux sources de la Sarre, s'était arrêté aussi à l'abbaye et y avait passé la nuit.
Débouté par la Cour souveraine, l'abbé Piart cherche quelque juridiction plus accessible. Il n'a pas confiance dans le parlement de Metz ; il songe à la Cour de Colmar, qu'il dit plus voisine de la forêt litigieuse. En tout cas il n'hésite pas, plutôt que de rendre les trois arpents, à provoquer le bouleversement général de la région, en entrainant dans la querelle tous les détenteurs et, les voisins de la forêt de Turquestein, les villages, le baron de Chatillon, le prieur de Saint-Quirin, et enfin le prince de Beauvau, que les préliminaires du traité de paix viennent de confirmer dans la possession des Baronnies, et qui, nous l'avons dit, recherche 2.190 arpents de forêts, qui manquent à son lot.
Fort imprudemment l'abbé Piart s'en prend à ce voisin très puissant. Il fait commettre quelques menus délits dans ses bois, et l'oblige ainsi, le 26 juillet 1736, à se pourvoir à Vic, juridiction messine ; «  sauf au procureur fiscal à conclure pour revendiquer la souveraineté française, à laquelle les prétentions de l'abbé donnent atteinte » (18). Il devient évident qu'on ne terminera la querelle qu'à la condition de recommencer tout le travail d'arpentage qui a précédé les partages de 1567; les bornes ont disparu, la forêt a de nouveau envahi les tranchées séparatives, on n'en voit plus les traces. On discute même sur le nom des roches et des sommets les plus visibles, qui avaient servi de repères. C'est, encore une fois, la limite des deux souverainetés qui est en jeu.
Le fougueux abbé fait front de tous côtés; il a des apostrophes acérées pour chacun de ses adversaires, sans en excepter son confrère de Saint-Quirin, «  cette nouvelle partie, qui depuis longtemps s'affermissait, dit-il, dans son usurpation en jetant la confusion dans les propriétés et les dénominations », Il n'ose s'en prendre ouvertement au prince de Beauvau qui est «  l'homme le plus courtois et le plus chrétien qu'il connaisse », mais il malmène ses hommes d'affaires et surtout le sieur Pierrot, «  le plus échauffé de tous », Ils se réunissent, dit-il, contre lui «  le plus faible de tous les voisins, réduit à ne pouvoir agir par des restes de paralysie, ni se donner les mouvements nécessaires ». Puis il évoque la parole du prophète : ad te levavi oculos et... et surtout il a recours aux arguments de sentiment, suppliant la Cour de ne pas vouloir «  faire passer des biens consacrés à Dieu par la princesse Agnès de Salm, entre les mains de laïques qui n'acquitteront pas les charges de la donation », irrévérence qui n' avait peut-être que le tort de devancer les temps.
La hardiesse de ses moyens s'accroît avec le péril. Domêvre, dit-il, prouvera que non seulement les bois de Raon sont terre lorraine, mais même qu'ils constituent une seigneurie indépendante, qui n'avait jamais dépendu ni relevé d'aucun souverain jusqu'au dix-huitième siècle, époque où l'un de ses prédécesseurs, l'abbé Colin, la soumit volontairement à la souveraineté lorraine. Si on ne veut pas qu'elle soit lorraine, alors elle est redevenue indépendante. Jamais elle n'a reconnu la compétence de Vic pas plus au spirituel qu'au: temporel (19). Et l'on sent poindre, sous la témérité apparente de l'argument, la querelle de l'indépendance des abbayes vosgiennes, qui trouble en ce moment le monde religieux des deux diocèses. Des arguments il passe aux voies de fait, et, pour créer une diversion, fait couper 5 chênes et 190 sapins dans les forêts de M. du Chatelet, puis, dans les écritures de ce nouveau procès (20), affirme que tous les bois, entre la rivière de Plaine, la Vesouze et le ruisseau de Chatillon, sont à l'abbaye, c'est-à-dire en Lorraine, prétention qu'on ne pouvait évidemment accueillir qu'en faisant table rase de tout ce qui s'était dit lors du traité de Vienne sur la situation politique du pays des Baronnies.
L'affaire devient assez grave pour que lit marquise du Chatelet qui, après le départ de son mari pour Florence, a pris en mains la défense de ses terres, n'hésite pas à faire 22 lieues et à séjourner huit jours à Metz pour préparer le succès de sa cause. Elle en prend acte en personne au greffe du parlement (21) et il n'en faut pas plus pour que l'abbé Piart insinue que cette belle Irlandaise, adorée de son mari, et qui nous est connue par quelques détails piquants recueillis à Cirey par Henry Lepage, mésuse de son crédit auprès de M. de Belle-Isle, gouverneur de Metz.
Rien n'y fit cependant. Le 7 mars 1739, la Table de Marbre au souverain, juridiction spéciale aux litiges forestiers, infligeait à l'abbé de Domèvre une condamnation à 500 livres de restitution pour la valeur de 70 pieds de sapin et de 5 chênes, outre l'humiliation de faire effacer les marques de son marteau sur les arbres encore debout (22). Nous savons que les frais de l'incident s'élevèrent à 3.700 livres, par les humbles démarches que fit faire l'abbé Piart auprès de la marquise pour qu'elle lui en quittât la moitié.
Cette diversion malheureuse retardait mais n'épuisait pas le litige si imprudemment provoqué. Il restait à statuer sur les 2.000 arpents manquant à M. de Beauvau. Les retrouvera-t-on dans les forêts de Turquestein, c'est-à-dire en France, ou dans la contrée que la comtesse Agnès a détachée du domaine de Salm, en Lorraine, pour les donner à l'abbaye ?
On dresse une carte (23), on refait les expertises. On trouve d'abord que le prieuré de Saint-Quirin retient indûment 1.500 arpents; et l'abbé Piart de triompher de son collègue «  accablé, dit-il, par l'évidence de ses démonstrations ». Mais il reste encore 400 arpents litigieux; et pour de nouvelles expertises reconnues indispensables, on appelle encore une fois au procès tous les voisins (24).
Alors, du choc de tant d'intérêts contraires, on voit éclore une incroyable floraison d'écritures, grimoires obscurs dont on ne peut conseiller l'exploration qu'à des yeux de procureur, et dont les requêtes ou mémoires, rédigés pour l'abbé Piart, fournissent à eux seuls 261 rôles ou feuillets, soit 522 pages (25).
Mais au moment où tout était prêt pour la bataille, l'abbé mourait, laissant à son successeur, l'abbé Bexon, le fardeau de ce formidable procès. Puis en 1749, le prince de Beauvau se démettait des Baronnies en faveur de son fils qui n'était autre que l'illustre maréchal. De là quelques années de retard, auxquelles s'ajoutèrent les délais imposés par d'autres incidents curieux. Depuis 1567, date des partages de Turquestein, l'étalon qui fixait en Lorraine la longueur de la toise avait, paraît-il, changé. Il était devenu plus long de 1/22. Puis la maîtrise française des Eaux et Forêts prétendit mesurer les montagnes en les réduisant à leur base, sans attention à leur superficie, au lieu d'arpenter à la perche et par développement des surfaces, comme l'avaient fait, disait-on, les géomètres d'African d'Haussonville, en 1567. On dut nommer un autre géomètre qu'un magistrat accompagna sur place et fit travailler sous ses yeux pendant 52 jours et 936 heures, pour retrouver enfin les 413 hectares qui manquaient encore aux Baronnies, dans les forêts occupées par l'abbaye de Domèvre. L'arrêt définitif, conforme à l'avis du commissaire, est du 28 janvier 1752.
Ainsi le gigantesque procès suscité par l'abbé Piart, se terminait, après vingt-deux ans de luttes épiques, par l'échec complet de ses prétentions.
Nous ne nous attarderons pas en réflexions sur ce type devenu rare, mais très fréquent jadis, du plaideur indomptable. Le fait intéressant que nous révèle ce singulier débat, c'est la confusion à peine croyable dans laquelle la longue série des guerres et des misères de toutes sortes avait plongé le pays frontière. Tranchées de limites, bornes séparatives, usages, traditions, et jusqu'aux dénominations usuelles des sommets et des roches les mieux connus, tout y était devenu matière à équivoque. Comment s'en étonner ?
Trente ans après le passage des Suédois, on ne faisait point encore les semailles dans maints villages des Baronnies; les haies et les buissons avaient envahi les champs. Ici il reste sept hommes et une veuve ; là trois laboureurs et cinq manoeuvres ; plus un seul porc au village d'Aspach; un seul habitant à La Frimbolle (26). Au village lorrain de Frémonville, qui est tout proche, il reste six chevaux. La guerre a tout fauché dans les deux pays, en Lorraine comme dans l'évêché.
Dans les villes, le règne réparateur de Léopold avait lentement effacé une partie de ces désastres, mais les contrées forestières et montagneuses ne s'étaient point repeuplées. «  Désert inhabité et presque inabordable », telle est la description que nous font de la forêt de Turquestein toutes les écritures du procès.
Les abbayes avaient moins souffert. A Domèvre, dès 1668, on comptait 18 laboureurs, 16 manouvriers, 5 religieux, 4 frères, et presque au complet, le personnel des serviteurs. Les comptes du châtelain de Blâmont, qui fournissent ces détails, Ile mentionnent pas les forestiers (27); mais il faut supposer que les abbés, protégés par des sauvegardes, avaient pu, mieux que les gentilshommes engagés dans la lutte, préserver leurs terres d'une ruine totale. Peut-être même avaient-ils tiré quelque avantage de l'absence de leurs voisins, puisque c'est aux mains des abbés de Saint-Quirin et de Domèvre que se retrouvèrent, en définitive, les 438 hectares qui manquaient aux Baronnies: Domèvre, en en prenant 80 pour sa part, avait déplacé d'autant la frontière. Le malheur fut que la querelle de limites, sortie du cerveau processif de l'abbé Piart, survécut à sa défaite, et continua à peser comme un nuage de plus sur cette atmosphère alourdie déjà de tant d'équivoques, et par les édits contradictoires du duc François, et par les clauses de faveur du traité de Vienne. Le moindre choc devait y jeter le trouble. Comment s'étonner que le souffle brutal de la Révolution y ait allumé l'incendie ?

III. - Les Baronnies et la Révolution (1790-1835).

Le maréchal de Beauvau s'éteignait en son château du Val, à Saint-Germain-en-Laye, le 21 mai 1793. Aussitôt, toutes les gazettes, les feuilles révolutionnaires elles-mêmes, consacraient à sa mémoire des articles élogieux. «  Malgré son nom et ses dignités, disait l'une d'elles, l'ascendant de ses vertus et de ses bienfaits l'a environné de respect jusqu'à la fin de sa carrière. » On se souvenait de sa gloire militaire, mais plus encore peut-être de son hardi libéralisme. Aux côtés du prince de Craon, son neveu, qui allait devenir après lui le chef de la famille, il avait été acclamé à Haroué, le 31 octobre 1788, à cause de son attitude énergique en faveur des parlementaires frappés par le ministre Loménie de Brienne -; et l'on avait crié : «  Vive le Maréchal, le protecteur et la gloire des Lorrains (28). » Par une rare et heureuse fortune, les trois premières années de la Révolution, funestes à tant de popularités non moins légitimes, avaient passé sans porter atteinte à celle du maréchal. Il n'avait eu à défendre sérieusement ni sa liberté ni sa fortune. Il avait même acheté des biens nationaux, notamment la principauté de Lixheim, à l'adjudication du 13 avril 1792... Sa fille et seule héritière, duchesse de Noailles et de Mouchy (29), mais que la région forestière des Vosges ne connaît que sous le nom de princesse de Poix, recueillit paisiblement sa succession. Elle y trouvait, avec les Baronnies, le germe de l'éternel procès qu'elles portaient en elles.
En effet, si la Cour de Lorraine, après la mort de Léopold, s'était montrée sévère à l'égard des aliénations du domaine, trop facilement consenties par le duc défunt, la Révolution, dès ses débuts, n'attaqua pas moins vivement les aliénations ouvertes ou déguisées consenties par les rois. Ce fut là une des plus urgentes préoccupations de l'Assemblée constituante, irrésistiblement entraînée par un courant d'opinion passionné. Le 22 novembre 1790, elle affirmait, dans une loi organique, sa conception de l'inaliénabilité du domaine: le domaine public appartient à la nation; la faculté de l'aliéner réside également dans la nation. Si elle a voulu en suspendre pour un temps l'exercice, cette faculté est de plein droit abolie dès que la nation manifeste une volonté contraire. Donc toute distraction du domaine public est essentiellement et indéfiniment révocable (30). En conséquence, les détenteurs devront déposer leurs titres entre les mains du directeur général de la liquidation. Ils pourront être dépossédés, mais recevront une indemnité préalable.
Moins de deux ans après, l'Assemblée législative, jugeant trop lente la dispersion des biens domaniaux, et «  considérant que les intérêts de la nation commandent sa plus prompte réintégration dans les biens abusivement concédés », avait déclaré révoquer de plein droit ce que la Constituante n'avait déclaré que révocable (31). Les détenteurs qui se croiront dans quelque cas d'exception, seront tenus de se pourvoir devant le tribunal du district. Ces cas d'exception, que la complexité des situations faisait innombrables et épineux, devaient à eux seuls susciter une foule de résistances au moins dilatoires. Chacun, en présence d'une confiscation à peine déguisée, se défendit comme il put, et l'on vit éclore des procédures sans fin, que la Convention impatiente trancha par la méthode révolutionnaire. Le 30 novembre 1793 (32), elle décrétait la mainmise générale du séquestre de l'État sur tous les domaines engagés ou aliénés depuis 1566, quand bien même les détenteurs se seraient conformés aux déclarations prescrites par les lois précédentes. Pour toute compensation, elle leur offrait des estimations confiées à trois experts dont deux nommés par l'État ou ses magistrats, mais qui ne pourraient être ni d'anciens agents ou fermiers des ci-devant privilégiés, ni même des hommes de loi; mais seulement de simples agriculteurs et artisans. Libre carrière était ainsi laissée aux fantaisies de l'incompétence comme à la satisfaction des rancunes locales; et l'on comprend qu'en dépit des violences, des confiscations, des ventes hâtives sur lesquelles se jeta une spéculation effrénée, ces lois de circonstance et de passion ne s'exécutèrent point.
Spécialement en ce qui concerne la princesse de Poix, les agents du séquestre mirent la main d'abord sur le domaine de Morley, qu'elle possédait dans le Barrois, et bientôt après sur les Baronnies. La princesse réclama des experts qui reconnurent que la terre de Lorquin n'était pas domaniale parce que Léopold n'en avait pas été seigneur (33), mais qui, n'osant la rendre à la princesse, renvoyèrent l'affaire devant la Convention qui, semble-t-il, ne s'en occupa plus.
Le Directoire, à son tour, pour sortir d'une situation qui s'affirmait inextricable, imagina une sorte de transaction qui, à défaut de justice, pouvait avoir le mérite de l'ingéniosité. Les détenteurs de biens déclarés nationaux pourraient enfin les conserver ou les recouvrer, mais à la condition de payer le quart de leur valeur. C'est à ce taux... modéré qu'était ainsi pesé, à forfait, le scandale des dilapidations royales (34). Et encore cette concession étrange ne s'appliquait-elle pas aux forêts de plus de 150 hectares. L'État les gardait provisoirement, ce qui fut le cas de la forêt de Turquestein. Quant à la somme à verser au Trésor pour échapper à la confiscation, elle serait fixée par une série d'expertises faites à trois points de vue différents: valeur actuelle, valeur d'après le montant de la contribution foncière en 1793, et enfin valeur d'après les baux faits en 1790, s'il y en avait. Bien entendu, aucun ci-devant noble, ni agent ou fermier d'un ci-devant noble, aucun détenteur ou ancien détenteur de biens nationaux ne pouvait accepter la mission d'expert, sans s'exposer personnellement à 300 livres d'amende; enfin, entre les trois estimations résultant de ces expertises expurgées, on devra choisir, dit brutalement le texte; «  le résultat le plus avantageux pour la République (35
) ».
La princesse de Poix, mise en demeure de fournir la déclaration de ses terres, résista, puis elle invoqua cette rétrocession de 1736 qualifiée par le duc François lui-même de restitution, non par grâce mais par justice, les déclarations de Louis XV au traité de Vienne, les faveurs spéciales consenties à la famille de Beauvau par ce traité. Le cas parut, et il était en effet, tout particulier. Un arrêté des consuls, ayant égard à la prétention de patrimonialité, dessaisit l'administration du séquestre et renvoya l'affaire devant les tribunaux (36).
Telle fut l'origine de la dernière phase de ce procès retentissant; mais trente-quatre ans nous séparent encore de la solution dernière. On débuta par une intéressante escarmouche à propos de cette terre de Morley, située dans le Barrois mouvant, que Léopold avait donnée à Marc de Beauvau, en 1711, et que les concessions arrachées à Louis XV lors du traité de Vienne, avaient, tout comme les Baronnies, laissée par pure faveur à M. de Beauvau. Du tribunal de Bar, l'affaire vint au tribunal d'appel de Nancy qui déclara, conformément aux idées qui avaient toujours eu cours en Lorraine, que les terres du Barrois, même dans la partie mouvant au parlement de Paris, étaient soumises au principe de l'inaliénabilité, parce qu'elles étaient domaniales, nos ducs y étant souverains; et elle confirma par conséquent la mainmise de l'État français héritier des ducs.
Mais la princesse de Poix se pourvut en Cour de Cassation et, par une habile interversion des rôles, sut placer la question sur un tout autre terrain. Cette question de la souveraineté des ducs de Lorraine sur le Barrois mouvant n'avait jamais cessé d'être agitée. Elle avait été surtout débattue, à l'époque de Charles III, dans les conférences tenues à Sainte-Menehould et à Paris, en 1563 et 1570. A la faveur du crédit dont jouissaient alors les princes lorrains, ces débats avaient abouti, non à une solution définitive, mais à une quasi-reconnaissance d'un état de fait, plutôt favorable aux prétentions des ducs (37). Toutefois, les juristes français, avec une inlassable ténacité, avaient toujours réservé le fond du droit (38). Il suffit donc à la princesse de Poix de reprendre la thèse française et de se l'approprier, pour en tirer, en faveur de sa cause, les conséquences les plus embarrassantes pour les prétentions de l'État. Les ducs de Lorraine, dit-elle, n'ayant jamais été reconnus par la France comme souverains dans le Barrois mouvant, n'ont jamais pu posséder dans ce pays des terres soumises à la règle die l'inaliénabilité domaniale. N'ayant possédé que comme particuliers, ils ont pu aliéner irrévocablement comme tout particulier. Nouveauté fort douloureuse au point de vue lorrain et qui froissait les souvenirs encore vivants de notre indépendance; mais argument singulièrement embarrassant pour les magistrats français, héritiers des doctrines si jalousement affirmées et défendues par les parlementaires de l'ancien régime.
Ce fut le procureur général Merlin (39) qui prit en personne la cause du fisc français. Il la défendit en avocat, bien plutôt qu'en magistrat gardien de l'orthodoxie juridique; car; sans souci des traditions qui, en l'espèce, se retournaient contre les prétentions du fisc, il chercha le succès de sa cause là où il en trouvait les chances, dans la thèse de la souveraineté des ducs de Lorraine sur le Barrois mouvant.
Dans deux plaidoyers imprimés en 374 pages (40), il développa cette thèse avec toute l'âpreté et la fougue de son talent, toute la puissance de sa dialectique, et aussi toute la finesse d'un rusé procédurier. Si Morley n'était pas un bien domanial, disait-il, est-ce par lettres patentes que Léopold l'aurait donné ? Non; il se serait adressé à un notaire comme font les particuliers. Pour infirmer la portée des déclarations faites au nom de Louis XV au traité de Vienne, il ne craignit pas d'avancer que le Roi avait été surpris «  par de fausses assertions » et des déclarations «  contraires à la bonne foi », Pour faire accepter de telles hardiesses, il ne fallait rien moins que l'autorité personnelle du célèbre procureur général, auteur du Code des délits et des peines, et de presque toutes les grandes lois de l'époque. Cette autorité personnelle, il n'hésita pas à la jeter dans la balance et s'écria :
«  C'est abuser des moments de la Cour que nous arrêter aux déclarations des demandeurs; il n'y a pas un mot qui mérite une réponse (41). »
Malgré tout, la Cour ne fut point ébranlée. Il est vrai qu'elle éluda la solution théorique qui l'eût obligée à opposer les doctrines des vieux parlementaires français à la thèse lorraine si inopinément exhumée en faveur de l'intérêt actuel du fisc impérial. Mais elle trouva, en se cantonnant sur le terrain des faits diplomatiques, le biais favorable qui menait au même résultat. «  Considérant, dit-elle, que par lettres patentes du 23 avril 1736, la terre de Morley avait été rendue à la famille de Beauvau, avec déclaration qu'elle n'avait jamais été domaniale; que le roi de France, en déclarant par l'organe de son ministre qu'il laissait subsister tout ce qui avait été fait pour M. de Beauvau, a pris l'engagement de reconnaître que cette terre n'avait jamais été domaniale, et s'est interdit de le contester jamais... Considérant que les lois sur les domaines engagés sont inapplicables à une terre dont la patrimonialité a été reconnue par la puissance souveraine, et est devenue la condition sous laquelle la Lorraine et le Barrois ont été cédés à la France, d'où il suit qu'il y a... violation du traité de paix de 1736. (42)... » La Cour cassa l'arrêt de Nancy, et confirma la princesse de Poix dans la possession de la terre de Morley. Les déclarations royales, plus fortes que les théories des juristes, s'imposaient ainsi comme vérité, et la Cour contresignait l'acte d'insigne et spéciale faveur, auquel la famille de Beauvau devait, depuis 1736, la conservation de ses biens.
Cependant un jour devait venir, où il faudrait bien trancher l'épineuse question du principe lui-même. Ce fut en 1819, à l'occasion d'un litige où n'entrait pour rien la situation spéciale de la famille de Beauvau. Obligée cette fois d'entrer dans le vif du débat théorique, la Cour de Cassation n'hésita plus et confirma cette prétention traditionnelle des parlementaires, que l'inaliénabilité domaniale était inapplicable dans le Barrois mouvant, les ducs n'y ayant jamais été souverains, et que, en conséquence, les détenteurs devaient être remis en possession, sans avoir à se soumettre aux conditions de la loi de ventôse an VII (4 mars 1799) (43).
Ces deux arrêts de la Cour suprême constituaient, en faveur des Baronnies, le plus heureux des préjugés. Si on refusait aux ducs de Lorraine la souveraineté dans leurs terres du Barrois mouvant, comment la leur reconnaître sur un fief messin, où notoirement ils n'avaient exercé certains droits régaliens qu'en vertu d'une concession expresse et limitée faite par l'empereur Mathias à François de Vaudémont ? Ces décisions souveraines semblaient fixer a fortiori le sort des Baronnies. Mais l'État ne s'arrête pas à de tels scrupules. Le fisc impérial, puis les ministres des Finances des deux Restaurations déployèrent au contraire, pour dépouiller la famille de Beauvau, plus d'ardeur et de ruse procédurière que n'avait fait le séquestre révolutionnaire. C'est un spectacle étrange que celui que nous offre la série interminable des procès entamés, de 1815 à 1840, contre les familles titrées que la Révolution avait dépouillées et qui, semble-t-il, auraient pu compter sur la protection ou du moins la bienveillance de la monarchie restaurée. Les embarras du Trésor, en cette période difficile, semblent avoir paralysé toute velléité d'apaisement. Au zèle de ses liquidateurs, le gouvernement de Louis XVIII ne sut imposer qu'un frein dérisoire, dans la loi de finances du 28 avril 1816 et celle des 12-17 mars 1820. La première autorisait la restitution des forêts demeurées sous séquestre, mais sous condition de paiement du quart de leur valeur; la seconde limitait à trente années à partir du 14 ventôse an VlI (4 mars 1799) le délai pendant lequel le fisc pourrait encore rechercher et inquiéter les détenteurs (44).
L'approche de l'échéance du délai de forclusion ne fit que stimuler l'âpreté des recherches et déterminer le service des Domaines à précipiter les poursuites différées jusque-là dans la crainte d'un échec:
Ce fut donc le 10 février 1829, à la veille même de la prescription accomplie, que la Régie lança ses sommations à la princesse de Poix, et risqua contre elle son dernier atout (45).
Cette fois ce fut en faveur de la princesse que s'employèrent la science et l'éloquence des premiers jurisconsultes du temps. Les mémoires rédigés pour elle, portent les signatures de Dupin et d'Odilon Barot (46). Ils dévoilent avec rudesse les raisons politiques qui avaient éperonné l'inlassable opiniâtreté du fisc : «  Depuis le procès jugé en 1807, disent-ils, ce sont toujours les mêmes moyens que l'on reproduit avec cette seule différence que les circonstances de l'affaire actuelle les rendent infiniment plus défavorables; on n'est ni découragé par la défense ni éclairé par la jurisprudence. Quelle serait la fin de ces procédures si la loi de 1820 n'avait mis un terme à la faculté de les intenter ? Il serait impossible de le prévoir... On ne peut se rendre raison de l'action engagée contre Mme de Poix et de tant d'autres actions aussi peu fondées qui surchargent les rôles des tribunaux, qu'en considérant la situation dans laquelle le ministre des Finances s'est placé. On a porté en recette au budget de l'État des sommes considérables comme devant provenir des domaines engagés. On s'aperçoit que les produits restent, fort au-dessous des évaluations, et l'on se trouve... forcé... de saisir les tribunaux d'une foule de contestations afin de pouvoir dire : la. Régie a plaidé; l'événement n'a pas répondu à son attente. Voilà pourquoi la recette ne s'est pas élevée au niveau des prévisions (47). » «  Depuis un siècle, ajoutaient les conseils de la princesse, la famille de Beauvau possède patrimonialement plusieurs terres appelées autrefois les Baronnies. La propriété de ces, terres lui a été solennellement garantie par une convention diplomatique; l'irréfragable puissance de ce titre a été reconnue à toutes les époques, sous tous les régimes, par toutes les autorités. Les lettres patentes du duc François portaient que les Baronnies étaient situées dans une souveraineté étrangère, acquises à titre particulier, et n'avaient pu être comprises dans la réunion d'es domaines.... On ne peut posséder à titre domanial que dans l'étendue des terres dont, on est souverain.
Si un souverain possède en pays étranger, ce ne peut être qu'à titre privé et patrimonial. »
Si ces vives et justes apostrophes ne devaient pas troubler les liquidateurs de l'avenir, du moins savons nous qu'elles ont ému la Cour de Nancy, et qu'au cours des cinq audiences qui furent consacrées aux plaidoiries, elles ont fort embarrassé l'avocat (c'était pourtant Me Volland), chargé du rôle ingrat de justifier les poursuites. On reprochait à la Régie de reproduire toujours les mêmes moyens depuis l'arrêt de 1807. Pour rajeunir sa thèse elle ne trouva mieux que d'exhumer du vieil arsenal de l'abbé Piart, l'argument séculaire dont on avait tant usé naguère pour passionner le procès. Tout à coup, sans conclusions préalables, et à l'étonnement général (48), Me Volland plaida que les ci-devant Baronnies n'avaient jamais dépendu de l'Evêché de Metz, mais de la Lorraine; qu'elles étaient donc domaniales et n'avaient pu être valablement aliénées.
Il faut dire que, au cours même du procès, un précédent nouveau était venu réveiller, en faveur de ce système condamné en Cassation, l'attention et les doutes. Il avait été hardiment repris et défendu, à propos de l'une des nombreuses revendications du même genre introduites par le fisc, par un magistrat qui ne devait pas tarder à devenir presque célèbre, M. Troplong, alors avocat général à Nancy (49).
A ce propos, il avait composé et fait imprimer un mémoire extrêmement remarquable, documenté à toutes, les sources diplomatiques et judiciaires, et dans lequel, par l'ingéniosité savante de ses déductions, il avait entièrement renouvelé ce vieux débat. Il concluait à la domanialité, c'est-à-dire à l'inaliénabilité du domaine ducal, même dans le Barrois mouvant, et la Cour royale l'avait suivi dans cette voie contraire aux arrêts de cassation.
On pouvait donc escompter un revirement. Mais il ne se produisit pas. Les déclarations formelles de Louis XV et de François III au traité de Vienne, la volonté de ces deux monarques absolus de créer en faveur de la famille de Beauvau une exception aux théories de leurs jurisconsultes, s'imposèrent de nouveau comme un acte souverain plus fort que le droit. La Cour répéta «  qu'il n'était plus possible de douter que le traité de Vienne eût reconnu le caractère patrimonial des Baronnies, parce qu'elles étaient terres d'évêché, et non terres lorraines, et, en conséquence, elle annula poursuites et sommations (50).
C'est dans cet arrêt remarquable que nous avons copié, au commencement de ce récit, l'analyse des documents diplomatiques échangés lors du traité de Vienne, et dont on avait mis sous les yeux de la Cour les copies authentiques.
La Régie, que le découragement n'atteint jamais parce que les procès ne lui coûtent rien, porta l'affaire en Cassation. Elle n'en rapporta qu'un arrêt confirmatif, le 4 février 1835.
Telle est la date qui marque la fin de cette querelle séculaire, curieux procès, dont la responsabilité première pourrait bien remonter jusqu'à ces partages du dixième siècle qui avaient fait de la Lorraine et de l'Évêché de Metz des voisins mal séparés, et qui, par les voies de la diplomatie, de la chicane et de la politique, imposait en définitive à la France moderne, et en plein dix-neuvième siècle, la juste solidarité des complaisances diplomatiques de Louis XV pour les faiblesses du duc Léopold.

Les vastes domaines de la princesse de Poix furent démembrés presque au lendemain de la victoire judiciaire qui fixait leur sort. Le morcellement et l'exploitation du massif forestier de Turquestein ont provoqué dans la contrée une fièvre de spéculation effrénée. Des fortunes s'y sont édifiées et des ruines consommées dont le souvenir fut longtemps légendaire. Mais le temps a passé; et l'on ne saura bientôt plus pourquoi, aux abords du vieux château que les vents et les orages achèvent de niveler, la forêt porte encore le nom de bois des Baronnies.


(1) Marc de Beauvau, second fils de Louis-Marc de Beauvau et d'Anne de Florainville, Il avait épousé, en 1704, Anne-Marguerite de Lignéville ; il eut pour fils Marc-Just de Beauvau-Craon, maréchal de France né à Lunéville le 10 novembre 1720, mort en 1793.
(2) On trouve écrit Morlay, Morleix, Morlaix et Morley.
(3) Actes de Pierrot, tabellion à Lunéville, du 11 février 1730, contrôlés et insinués à Vic, le 13 novembre. Procès-verbaux de prise de possession au bailliage de l'Évêché à Vic
des 14, 15, 16, 17, 18 novembre 1730 (papiers de la baronnie de Chatillon, obligeamment communiqués par M. le baron Jean de Klopstein).
(4) Les baronnies rapportaient 18.340 francs en 1732, 8.640 francs en 1735 (Arch. de Meurthe-et-Moselle, B. 1726).
(5) CALMET, t. IV. p. 394, 479, 521, 527, 591. etc., Histoire de Metz par les moines bénédictins, t. II., p. 31.8-320; BEAULIEU., Notice sur Dagsbourg, p. 32 (J.A.L, 1896. p. 128-129); Trés. des Chartes, B. 424: f° 104 v° 150 v°; Lay, Blamont, t. I, p. 101 et t. Il, p. 2; Fiels, p. 54; Domaine, B. 346, f° 72.
(6) Le château, de Châtillon forme aujourd'hui avec le village du Val-de-Bon-Moutier la commune de Val-et-Châtillon, canton de Cirey; arrondissement de Lunéville.
(7) Il existe aux Archives plusieurs copies intégrales de ce partage, notamment H. 1415.
(8) Il avait épousé en 1398, Christine, fille de Jean VIII, corn te de Salm.
(9) Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 1280-1264, f° 90, et H. 1450. - LEPAGE, Notice sur Turquestein (M. Arch. Lor 1887, p. 149).
(10) Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 463, V° 30.
(11) Stanislas et le troisième traité de Vienne, par M. Pierre Boyé, p. 398.
(12) Il s'agit de la famille de Florimond de Mercy, feId-maréchal de l'empereur Charles Vl, qui fut tué à la bataille de Parme en 1734. Cette famille était représentée en 1736 par Ignace-Charles-Augustin de Mercy, neveu et légataire universel du maréchal.
Florimond de Mercy, dont les ancêtres avaient servi avec éclat les ducs Charles IV et Charles V, puis l'empereur Charles VI, était rentré en Lorraine avec Léopold. Il avait trouvé son château de Mercy rasé et ses biens ravagés. Léopold lui donna la haute-justice de Preuvin (21 avril 1705) puis (1708) la moitié de la haute-justice des cinq villes du duché de Bar. Mais, en 1709, le comte de Mercy cédait tous ces droits au duc contre une rente de 10.500 francs, qui fut portée en 1714 à 15.000 francs. Le 8 juillet 1718, Léopold fit don de tous ces biens au marquis de Beauvau-Craon, pour en jouir à la mort du maréchal et les érigea en comté. Mais après la mort du maréchal (1734) son neveu «  voulant conserver une terre titrée de son nom » obtint du duc François que ce comté lui fût concédé. Il fallait pour cela l'assentiment du prince de Beauvau. Le duc François l'obtint en lui donnant à titre d'indemnité la baronnie de Saint-Georges, qui avait fait retour au domaine après l'extinction de la descendance masculine du sieur Roussel précédent aliénataire de cette baronnie. Mais ces conventions ne furent signées que le 27 février 1736, après les préliminaires du traité de Vienne, et elles soulevèrent pour ce motif, les protestations de la France. Il fallut l'active intervention de l'Empereur pour obtenir de Louis XV, que les faveurs consenties à M. de Beauvau fussent étendues au comte de Mercy, On trouve ces détails dans un mémoire imprimé en 1767, à l'occasion d'un procès du comte de Mercy contre la ferme générale. (Bibliothèque de Nancy. Fonds lorrain, 6903. ZZ.170-19.)
(13) Histoire de l'abbaye de Domèvre, par M. l'abbé CHARTON (M.. Arch. Lor., 1898 p. 27).
(14) René-François du Chatelet, créé marquis de Grandseille en 1748, général-major du grand duc de Toscane en 1741, chevalier, baron de Cirey-en-Vôge, feld-maréchal de l'Empereur; épouse en 1710 Marie-Catherine Fléming, d'origine irlandaise. Il mourut en 1756.
(15) Archives de Meurthe-et-Moselle, H. 1415. Papiers de l'abbaye de Domèvre. C'est dans cette liasse volumineuse et celles portant les nos 1412 et 1416, que nous avons puisé les détails de notre récit. Les pièces n'y sont ni numérotées ni classées par date, ce qui ne nous a pas permis de donner des références plus précises.
(16) Ordonnance de Pareatis, du 15 juin 1735. Rapport des commissaires MM. de Thomassin, seigneur de Chazelles, lieutenant général au bailliage de Lunéville, et Stofflet, subdélégué à Sarrebourg de l'intendant de Metz, 15 février 1736. Sentence conforme de M. de Mahuet, le 12 mars. Arrêts de la Cour, par défaut le 29 mai, définitif le 30 juillet 1736.
(17) 25 avril 1736.
(18) Devant le bailliage de Vic, l'abbé Piart persiste dans sa procédure dilatoire. Il fait défaut dans l'instance qu'il a lui-même introduite. Il voit son appel déclaré péry et désert, suivant la formule pittoresque, spéciale, croyons-nous, à cette vieille juridiction féodale (Arch. de Meurthe-et-Moselle. Bailliage de Vic, n° 1501, Sentence du 4 février 1738).
(19) Mémoire de 1737.
(20) Appel du 29 octobre 1738, sur un jugement de Cirey.
(21) Acte de voyage pris au greffe de la Table de Marbre.
(22) Archives de Meurthe-et-Moselle, H. 1412., n° 14.
(23) Sentence de Vic, du 22 août 1740; désistement de Domèvre, 28 novembre 1740; désistement de Saint-Quirin, 3 décembre 1742; condamnation au profit du prince, interlocutoire 24 janvier 1744, définitive 8 août 1 ?44.
(24) Arrêts du 5 juin 1743, du 20 juillet 1744, du 14 novembre 1744.
(25) Requête du 17 janvier 1742 en 76 rôles, requête du 28 novembre 1743 en 46 rôles; réplique du 23 janvier 1744 en 64 rôles; duplique du 18 mai 1751 en 67 rôles, et triplique en 75 rôles.
(26) Comptes du domaine des Baronnies en 1665 (Arch. de Meurthe-et-Moselle, B. 889, 112, 113, 116, 1505, 1510, 11043., 9535 etc.
(27) Comptes du châtelain de Blâmont, à la bibliothèque du comice agricole de Lunéville, année 1668.
(28) Chr. PFISTER. L'Agitation parlementaire en 1788, dans M.A.S., 1910, p. 127, 140, 155.*
(29) Anne-Louise-Marie de Beauvau+Craon, épouse de Philippe-Louis-Marie-Antoine de Noailles et de Mouchy, prince de Poix.
(30) L'Assemblée nationale n'invoquait le principe d'inaliénabilité que pour l'abolir après en avoir fait profiter la nation: «  La maxime de l'inaliénabilité devenue sans motif, serait préjudiciable à l'intérêt public, puisque des propriétés foncières livrées à une administration générale sont frappées d'une sorte de stérilité, tandis que dans la main de propriétaires actifs et vigilants elles se fertilisent... »
(31) Loi du 3 septembre 1792, préambule et article 5.
(32) Décret du 10 frimaire an Il., articles II, VIII, etc.
(33) Rapport du 20 août 1794. (3 fructidor an II).
(34) Loi du 4 mars 1799. (14 ventôse an VII), notamment art. 14 et 15 § 2
(35) C'est l'article 19. Ces règles sont celles à appliquer aux terres et forêts, elles différaient quelque peu pour les maisons.
(36) Mémoire déposé par la princesse, relativement à Morley, le 18 mai 1800 (28 floréal an VIII). Bibliothèque de Nancy, fonds lorrain, 6689. Arrêté des consuls du 7 août 1801 (19 thermidor an IX).
(37) L'inaliénabilité résultait, pour la France et le Barrois, d'une ordonnance du 19 septembre 1318; pour la Lorraine, d'un grand nombre d'édits, dont ceux du 28 décembre 1714 et 14 juillet 1729 sont les plus importants, pour les trois évêchés du traité de Cateau-Cambrésis, 1559 (Pandectes françaises, v° Domaine, n° 19; FOUCAULT, Droit public t, II; p. 184; DOMAT, Droit civil, Iiv. 1, titre Il., sect. VIII, n° 5).
(38) CALMET, t. III, col. 1356-1357.
(39) MERLIN (de Douay) 1754-1838, avocat, puis député aux États généraux et à la Convention, ministre de la Justice en 1795, l'un des cinq Directeurs, 1797-1799. Substitut, puis procureur général à la Cour de Cassation jusqu'en 1815. Exilé comme régicide et rentré en France après 1830. Ses ouvrages sur la législation de l'époque intermédiaire font autorité.
(40) Bibliothèque de Nancy, fonds lorrain, 6690.
(41) Cette fière assurance devait être plus tard assez sévèrement jugée, quand, en 1834, on s'aperçut que, lorsqu'il avait fait usage de la pièce capitale visée au traité de Vienne et portant le titre: «  Éclaircissements sur les domaines de Lorraine et Barrois », la copie qu'il en avait produite portait : Éclaircissements sur les domaines engagés de Lorraine et Barrois, addition gratuite dont il avait trop facilement tiré de triomphantes déductions.
(42) Arrêt du 27 janvier 1807. SIREY, Recueil des lois et arrêts à sa date; et DALLOZ, Dom. engagés, page 211 et la note.
(43) Arrêt de Cassation de 1821 sur appel de Nancy de 1819. DALLOZ (Alph.), V° Domaines engagés, loc. cit.
(44) Article 9. - A l'expiration de trente années à compter de la publication de la loi du 14 ventôse an VII, les domaines provenant de l'Etat, cédés à titre d'engagement ou d'échange antérieurement à la loi du 1er décembre 1790, autres que ceux pour lesquels auraient été faites ou seraient faites jusqu'à l'expiration des trente années les significations et réserves réglées par les articles 7 et 8 ci-dessus, sont déclarés propriétés incommutables entre les mains des possesseurs actuels.
(45) Ce n'était plus seulement le quart de la valeur du fonds que le fisc réclamait alors aux engagistes de forêts, c'était en outre la valeur entière des arbres de futaie. Cette aggravation énorme des exigences de la loi de ventôse an VII résultait d:un avis du Conseil d'État du 3 floréal an XIII, étendu aux grands massifs forestiers par une loi du 25 mars 1817. Cf. MEAUNE, Commentaire du code forestier, n°5.
(46) Mémoires en 107 et 15 pages du 12 mars 1834. Bibliothèque de Nancy, fonds lorrain, nos 6687-6688.
(47). Mémoires pour la princesse de Poix. Bibliothèque de Nancy, fonds lorrain, nos 6687-6688-6689, ZZ, 173-3.
(48) Voir les qualités de l'arrêt.
(49) De la souveraineté des ducs de Lorraine sur le Barrois mouvant, etc... imprimé chez Grirnblot, place Stanislas à Nancy, février 1832.
(50) Cet arrêt du 22 février 1834 est aux Archives de la Cour à sa date. Il confirmait deux jugements de Sarrebourg des 21 juin et 31 août 1832, frappés d'appel par le procureur général. Il porte la signature de M. de Metz, premier président, à l'assistance de MM. Breton d'Arbois, Mathieu de Vienne, Morey, Vaultier, Collignon, Collinet de la Salle, Pierson, conseillers; de Bouvier, conseiller auditeur; Bouchon, substitut.
 

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