Est-Républicain
4 août 1922
Sauvage agression sur la
grand'route
Lunéville, 3 août. - Ce matin, M. Duhaut, 23 ans. demeurant à
Blâmont, et manœuvre à l'entreprise Pagnier, à Harbouey, a été
trouvé mort sur la route de Blâmont à Harbouey. Il portait à la
tète de profondes blessures. Auprès du corps gisaient sur le sol
deux bouteilles brisées II y a tout lieu de supposer que les
agresseurs du manœuvre lui ont cassé les bouteilles sur la tête
La veille, Duhaut s'était rendu à Blâmont et c'est en revenant
de cette localité qu'il a été attaqué.
A la dernière minute, nous apprenons que ses deux agresseurs ont
été arrêtés.
Est-Républicain
5 août 1922
Le meurtre de la route d'Harbouey
Nous avons annoncé hier que les deux meurtriers du manoeuvre
Duhaut avaient été arrêtés Ce sont les frères Vary. Ceux-ci
avaient passé la soirée de mercredi à Blâmont en compagnie de
Duhaut. Ils rejoignaient tous trois Harbouey, après avoir bu
plus que de raison. En arrivant à l'endroit où fut découvert le
.cadavre du malheureux Duhaut, une discussion se produisit entre
les deux frères et Duhaut. Ici, l'on est obligé de s'en tenir
aux déclarations des frères Vary, la scène du meurtre n'ayant
pas eu de témoin.
Edmond Vary aurait voulu, pour plaisanter, s'emparer d'une,
bouteille de vin bouché que portait Duhaut. Celui-ci se fâcha et
frappa Vary. Les deux frères se jetèrent alors sur Duhaut et-
lui brisèrent, deux bouteilles sur le crâne
Les deux frères Vary ont été amenés au parquet et écroués à la
maison d'arrêt de Lunéville.
Est-Républicain
22 janvier 1923
La session des Assises
s'ouvre aujourd'hui
C'est aujourd'hui à neuf heures du matin que commencera la
session des assises de Meurthe-et-Moselle. Elle sera présidée
par M. Tourdes, conseiller à la Cour d appel de Nancy.
[...] Mardi .après-midi comparaîtront devant la cour d'assise
les frères Edouard Vary, 33 ans, et Émile Vary,25 ans,
manoeuvres à Blâmont qui ont tué un homme pour une bouteille de
vin de Bourgogne !
Le 22 août, ils s'étaient rendus à Blâmont avec leur camarade
Duhaut. Ils passèrent la soirée dans les différents débits et,
au moment de partir, ils achetèrent deux bouteilles de Bourgogne
qu'ils voulaient offrir a leur cantinier, M. Pasqualini, à
l'occasion de sa fête. Ils avaient parcouru environ deux
kilomètres sur leur camion automobile, lorsque Vary Edouard
voulut boire une des deux bouteilles. Duhaut refusa de la lui
donner. Ce fut l'occasion d'une rixe, au cours de laquelle les
frères Vary assommèrent le malheureux Duhaut à coups de
bouteille et lui tranchèrent la gorge.
Les frères Vary seront également défendus par Me Mougin, du
barreau de Lunéville.
Est-Républicain
24 janvier 1923
Cour d'assises de
Meurthe-et-Moselle
Le meurtre de Blâmont
Mardi après-midi ont comparu devant le jury, les frères Edouard
Vary, 33 ans et Emile Vary, 25 ans, nés à Verdenal, manoeuvres à
Blâmont, accusés d'avoir tué un de leurs camarades, M. Duhaut
Paul, âgé de 23 ans, dans des circonstances que relate ainsi
l'acte d'accusation :
Le 2 août 1922, vers la tombée de la nuit, Vary Edouard et Vary
Emile, se rendirent à Blâmont avec leur camarade Duhaut, en
voyageant sur un camion automobile. Ils passèrent la soirée à
boire ensemble dans plusieurs débits.
Vary Emile acheta au débit Bains, deux bouteilles de vin de
Bourgogne, qu'il voulait offrir à M. Pasqualini, cantinier, à
l'occasion de sa fête. Il mit l'une des bouteilles dans sa poche
et confia la seconde à Duhaut. Vers 22 heures, ils quittaient
Blâmont.
Après s'être éloignés de deux kilomètres environ de cette ville,
ils se trouvèrent sur le territoire de la commune de Barbas, la
bouteille de vin bouché dont Duhaut était porteur devint
l'occasion d'une discussion. Vary Edouard, qui voulait boire,
demanda à Duhaut de lui donner la bouteille qu'il portait.
D'après les accusés, Duhaut aurait refusé et donné des coups de
poing à Vary Edouard.
Quoi qu'il en soit, Vary Edouard se jeta sur Duhaut, lui arracha
la bouteille des mains et s'en servit pour le frapper à la tête
; Vary Emile se précipita sur le malheureux Duhaut et le frappa
aussi avec la bouteille dont il était resté porteur. Duhaut
roula dans le fossé et commença à râler. Vary Edouard, avec une
sauvagerie révoltante, se mit à piétiner le moribond pour
l'achever, puis il lui trancha le coup avec son couteau de
poche.
L'autopsie pratiquée par M. le docteur Hanriot, a révélé que la
victime avait été frappée avec la dernière brutalité et portait
les traces d'une plaie au crâne ; d'une fracture à la tempe
gauche ; d'un coup de couteau tranchant la carotide ; de
nombreux coups de bouteilles avec lesquels le crâne avait été
réduit en bouillie.
Après avoir essayé de nier les faits, les frères Vary ont
finalement reconnu leur culpabilité.
Les accusés n'ont pas d'antécédents judiciaires. Ils ont la
réputation d'avoir un caractère violent.
L'INTERROGATOIRE
De grande taille, assez robuste, le visage allongé, les lèvres
ombragées d'une fine moustache blonde, le regard sournois,
Edouard Vary est vêtu d'un pantalon de velours et d'un veston
usagé. L'échancrure du gilet laisse apercevoir une chemise sans
col. Edouard Vary répond d'une voix timide aux questions qui lui
sont posées et il gardera pendant toute la durée des débats, une
attitude correcte.
Son frère Emile, qui paraît plus distingué, a une physionomie
ouverte, presque sympathique. Il est vêtu d'un pardessus à col
de velours et ses cheveux sont coquettement séparés dans le
milieu par une raie. Il tient en main un mouchoir derrière
lequel il cache parfois son visage..
M. le président évoque tout d'abord les antécédents des accusés,
qui sont tous deux célibataires.
Leurs parents étaient d'origine alsacienne, ils habitaient
Verdenal. Leur père est décédé, mais leur mère vit encore.
Dès leur jeune âge, ils furent livrés à eux- mêmes. Ils
travaillaient comme garçons de culture chez différents fermiers
de la région de Blâmont. Les uns disent que Vary Edouard était
assez doux de caractère, mais qu'il s'attardait parfois dans les
cafés. Il a eu pendant la guerre une conduite honorable. Il fut
blessé trois fois et cité à l'ordre de l'armée. Versé dans le
service auxiliaire, il demanda a repartir au front. Il a eu un
frère tué à l'ennemi. Après l'armistice, il travailla sur les
chantiers de reconstruction à Blâmont On dit qu'il avait un
penchant pour la boisson et il était médiocrement considéré.
Vary Emile a eu, lui aussi, une belle attitude pendant la
guerre. Il servait dans l'intanterie et fut cité à l'ordre du
régiment. Fait prisonnier en 1918, il vint après l'armistice,
travailler avec son frère dans la région de Blâmont. On le
représente comme étant un peu sournois et querelleur après
boire. M. le président ajoute que les renseignements recueillis
sur la victime, Paul Duhaut ne sont pas des meilleurs. Il
passait, lui aussi, pour un violent et il était redouté à
Blâmont. Il devint cependant l'ami des frères Vary.
En jour, à la suite d'une discussion, Duhaut exerça des
violences sur Edouard Vary. Ils se réconcilièrent devant une
bouteille de bière et tous les dimanches, ils se rendaient
ensemble à Blâmont.
M. le président fait ensuite un long exposé des faits et gestes
des accusés dans la journée du 2 août. En compagnie de Paul
Duhaut ils fréquentèrent de nombreux cafés et dansèrent même
ensemble. Le soir, ils étaient en état d'ébriété. Les frères
Vary voulurent entrer chez leur soeur. Elle les engagea en
termes assez vifs à regagner la cantine où ils étaient en
pension. Duhaut, mécontent, lança alors une bouteille vide
contre les volets.
Ensuite ils se dirigèrent tous trois vers Barbas, où ils
logeaient. A deux kilomètres de Blâmont, une discussion éclata
entre eux et Duhaut fut tué dans les circonstances que l'on
sait.
L'interrogatoire des accusés qui consiste surtout en un long
monologue de M. le président, n'apprend rien de nouveau.
Vary Edouard déclare que s'il a tranché le cou à Duhaut s'est
parce qu'il craignait qu'il ne fasse usage de son revolver après
avoir reçu les coups de bouteille.
M. le président. - On n'a pas retrouvé de revolver sur Duhaut et
c'est la première fois que vous donnez cette excuse.
Les frères Vary expriment des regrets du meurtre qu'ils ont
commis.
On procède ensuite à l'audition des témoins.
LES TÉMOINS
M. le docteur Hanriot a procédé à l'autopsie de Paul Duhaut. Il
a constaté de nombreuses plaies qu'il décrit minutieusement.
M. Léon Hainzelain, maire de Barbas, fut prévenu le lendemain
matin par les frères Vary qu'ils venaient de découvrir sur la
route le cadavre de Duhaut.
Les gendarmes portèrent aussitôt leurs soupçons sur eux, et,
quand on eut retrouvé les vêtements ensanglantés des frères Vary,
ils avouèrent.
M. Mayer Fraimann, cafetier à Blâmont, reçut dans la soirée du 2
août la visite des frères Vary avec Duhaut. Ils étaient ivres et
dansaient ensemble. Il refusa de les servir, en raison de leur
état.
Louis Duhaut, 30 ans, menuisier à Blâmont, est le frère de la
victime. Il dit qu'un jour avant le meurtre il refusa de laisser
sortir son frère parce que Vary Emile était pris de boisson et
avait pris une attitude menaçante.
Il estime que les Vary n'étaient qu'en apparence les. amis de
son frère, mais qu'ils avaient du ressentiment contre lui à la
suite d'une ancienne algarade. Il qualifie les frères Vary « de
lâches assassins » et s'écrie qu'ils sont des menteurs quand ils
prétendent que Paul Duhaut avait un revolver.
M. Charles Bain, restaurateur à Blâmont, a vu dans son
établissement les frères Vary et Duhaut le 2 août. Ils n'étaient
pas dans leur état normal.
M. André Bernier, chauffeur à Seichamps, et. M. Victor Denis
n'apprennent rien de nouveau.
LE VERDICT
M. Guyenot, avocat général, retrace dans son réquisitoire la
scène du meurtre et montre que Vary Edouard en fut bien le
provocateur lorsqu'il voulut s'emparer de la bouteille destinée
au cantinier. Les frères Vary en assommant Duhaut et en
l'égorgeant ensuite ont commis un crime lâche et odieux.
Toutefois, en raison de leur brillante conduite pendant la
guerre, il ne s'oppose pas à ce que les jurés leur en tienne
compte. Mais une sanction sévère n'en doit pas moins leur être
infligée.
Me Mougin, présentant la défense des frères Vary, dit qu'ils
ont, sous l'empire de la crainte et.de l'ivresse, commis un acte
irréparable qu'ils regrettent profondément.
Il estime qu'en raison du caractère violent et querelleur de
Duhaut il est probable que c'est bien lui qui frappa le premier,
comme l'affirment les frères Vary. C'est pourquoi il demande à
la cour de poser aux jurés la question subsidiaire d'excuse par
provocation qui permettrait de descendre à une peine
d'emprisonnement.
Après des répliques de l'accusation et de la défense, les deux
accusés demandent l'indulgence du jury qui se retire, à 6 heures
45, dans la salle de ses délibérations. Il en revient à 7 heures
10 avec un verdict de culpabilité mitigé par les circonstances
atténuantes mais rejetant la question d'excuse par provocation.
En conséquence la cour a. condamné Vary Edouard et Vary Emile à
six ans de réclusion chacun.
Journal de
Lunéville
28 janvier 1923
LE MEURTRE DE BLÂMONT
Edouard Vary, 33 ans, manoeuve, Emile Vary, 25 ans. manoeuvre,
tous deux à Blâmont
M. Guyenot occupe le siège du ministère public.
Me Mougin, avocat à Lunéville, assiste les deux accusés.
Acte d'Accusation
Le 2 Août 1922, vers la tombée de la nuit, les accusés Vary
Edouard et Vary Emile se rendirent à Blâment avec leur camarade
Duhaut, en voyageant sur un camion automobile. Ils passèrent la
soirée à boire ensemble dans plusieurs débits. Vary Emile
acheta, au débit Bains, box bouteilles de vin de Bourgogne,
qu'il voulait offrir à un sieur Pasqualini, cantinier, à
l'occasion de sa fête. Il mit l'une des bouteilles dans sa poche
et confia la seconde à Duhaut.
Vers 22 h, ils quittaient Blâmont. Après s'être éloignés de deux
kilométrés environ de cette ville, ils se trouvèrent sur le
territoire de la commune de Barbas. La bouteille de vin bouchée,
dont Duhaut était porteur, devint l'objet d'une discussion. Vary
Edouard, qui voulait boire, demanda à Duhaut de lui donner la
bouteille qu'il portait. D'après les accusés, Duhaut avait
refusé et donné des coups de poing à Vary Edouard. Quoi qu'il en
soif, Vary Edouard se jeta sur Duhaut, lui arracha la bouteille
des mains et s'en servit pour le frapper à la tète. A son tour,
Vary Emile se précipita sur le malheureux Duhaut et le frappait
aussi avec la bouteille dont il était resté porteur Duhaut roula
dans le fossé et commença à râler. Vary Edouard, avec une
sauvagerie révoltante, se mit à piétiner le moribond pour
l'achever, puis il lui trancha le cou avec son couteau de poche.
L'autopsie, pratiquée par M le Dr Hanriot, de Blâmont, a révélé
que la victime avait été frappée avec la dernière brutalité et
portait les traces : 1° d'une plaie au crâne, 2° d'une fracture
à la tempe gauche, 3° d'un coup de couteau tranchant la
carotide, 4° de nombreux coups de bouteille avec lesquels le
crâne avait été réduit en bouillie.
Après avoir essayé de nier les faits, les frères Vary ont
finalement reconnu leur culpabilité. Les accuses n'ont pas
d'antécédents judiciaires. Ils ont la réputation d'avoir un
caractère violent.
Les deux inculpés
De bons renseignements sont donnés sur les parents, ouvriers à
VerdenaL La famille se composait de nombreux enfants, aussi
l'éducation leur fit défaut ; il parait même que la fameux
vivait d'aumônes.
Vary Edouard a donc dû travailler jeune, et, à ce sujet, ses
anciens patrons donnent de bons renseignements On lui reproche
cependant de boire un peu, et ceci dès qu'il se sentait un peu
d'argent en poche. On dit mime qu'il payait très facilement à
boire à ses camarades
De l'enquête faite, les renseignements recueil is sont bien
contradictoire». Les uns déclarent qu'il ne buvait pas, les
autres déclarent qu'il se livrait à la boisson.
Il a fait la guerre avec le 156 régiment d'infanterie où il a eu
une excellente attitude militaire. Très brave, il a été cité.
Comme il avait eu un frère tué à l'ennemi, il fut dirige sur un
régiment d'artillerie. Après une nouvelle blessure, il demanda à
retourner au 156 ce qui lui fut accordé. De nouveau il se fit
remarquer par son « cran ». Après il demanda à entrer aux chars
d'assaut.
Il prétend avoir été cité neuf fuis et proposé pour la Médaillé
Militaire.
Mais l'instruction na pu réunir les renseignements justifiant
les déclarations de l'accusé.
Le président fait cependant remarquer qu'il semble néanmoins que
l'accusé a bien fait son devoir au front.
Emile Vary pendant la lecture de l'acte d'accusation cache sa
figure dans son mouchoir.
Il est ne à VerdenaL De même que son frère, il n'a pour ainsi
dire reçu aucune éducation ; il ne sait lire ni écrire ou si peu
Il a été incorporé au 169 d'infanterie, avec lequel il a fait la
guerre. Fusillier-mitrailleur. il a eu une belle attitude ainsi
que l'indique le texte d'une belle citation dont le président
donne lecture.
Au point de vue conduite dans la vie civile, on a d'assez bons
renseignements sur l'accusé bien qu'on lui reproche d'être un
violent et un querelleur
La victime, Duhaut Paul, était un camarade des frères Vary. Les
renseignements donnés sur la victime ne lui sont pas favorables
: c'était un paresseux « t un violent.
Il se serait même livré à des violences sur le frère de Vary
Edouard.
C'est cette vieille querelle qui pourrait, à bon droit, être
considérée comme le point de départ de cette haine qui devait
inciter celui ci au crime. Cependant après la scène, Duhaut et
Vary Edouard auraient cependant renoué leurs liens d'amitié,
mais il semble bien que ces sentiments étaient factices.
L'interrogatoire
Le présidant s'adressant à Edouard Vary lui dit :
Vous avez eu une fois une violente querelle avec Duhaut?
R. - Oui. mais tout cela était oublié et nous étions redevenus
camarades
Le président rappelle ensuite à Emile Vary que le 2 août il a
invité Duhaut à l'accompagner à Blâmont puis il pose cette
question : « Votre frère Edouard est allé vous rejoindre ? ».
R. - Oui.
On en arrive à la scène du meurtre et le président souligne la
férocité des inculpés
Edouard Vary. - Je me demande comment j'ai fait cela. J'ai agi
dans un moment d'énervement.
Le président. - Vous dites avoir agi sur le conseil d'Emile.
L'inculpé hérite on instant, puis fait un geste affirmatif.
L'autre le regarde d'un air fort surpris et se lève, mécontent :
« C'est faux ! dit-il. Je ne lui ai rien dit.
Le président demande aux accusés s'ils reconnaissent avoir
frappé Duhaut à coups de talon.
Edouard Vary le nie formellement. Emile Vary qui se met à
pleurnicher, assure qu'il ne se rappelle de rien : « J'avais
trop bu, dit-il, et je ne savais pas ce que je faisais ».
Comme le président insiste, Emile Vary recouvre subitement la
mémoire et affirme qu'il n'a pas frappé Duhaut quand celui-ci
était à terre.
Le président rappelle que les inculpés furet arrêtés dès le
lendemain du drame. On les avait vus jusqu'à une heure avancée
de la nuit en compagnie de Duhaut, et dans le pays on savait
que, bien qu'ils fussent parfois ensemble Duhaut et les frères
Vary ne s'aimaient pas-
Ceux-ci ne pouvaient d'ailleurs nier, car on trouva chez eux des
vêtements ensanglantés, et c'étaient ceux qu'ils portaient la
veille.
Le président. - Regrettez-vous au moins d'avoir assassiné ce
malheureux Duhaut ?
Emile Vary (s'épongeant les yeux avec sen mouchoir). - Oh oui Si
c'était à refaire...
L'ainé. Edouard, qui est reste très froid et, disons le mot,
insensible pendant l'interrogatoire, se contente d'un petit
geste de tête qu'on ne peut certes traduire comme étant
l'expression de regrets.
Les témoins
On passe à l'audition des témoins. Le premier qui s'avance à h
barre est M. Hanriot, médecin à Blâmont, qui fut appelé à
examiner le cadavre, il fait part de ses constatations.
Une discussion s'engage sur un fait allégué par les inculpés.
D'après eux, Duhaut. après avoir reçu deux coups de bouteille
qui l'étendirent à terre, se serait relevé, et alors ils se
seraient crus... en état de légitime défense.
Le président au témoin - Croyez vous qu'après avoir été frappé,
Duhaut ait pu se relever.
M. Hanriot. - Je ne le crois pas.
Edouard Vary. - En donnant, le coup de couteau je ne voulais pas
l'achever. C'est quand je l'ai vu se relever que j'ai sorti mon
couteau. C'était pour me défendre.
Le président. - A un certain moment, pendant l'instruction,
Edouard Vary a prétendu qu'il avait frappe Duhaut d'un coup de
couteau, alors que sa victime était debout Est-ce possible ?
Le docteur Hanriot. - La carotide ayant été sectionnée, on
aurait remarque du sang ailleurs qu'à l'endroit où gisait le
cadavre. A mon avis, Duhaut a reçu le coup Je couteau alors
qu'il était à terre.
Edouard Vary prétendant avec insistance qu'il a dit au cours de
l'un de ses interrogatoires à Lunéville, qu'il n'a frappé que
parce que Duhaut serait relevé : le président fait donne lecture
de cette pièce. On n'y retrouve pas trace de l'affirmation
d'Edouard Vary.
L'inculpé. - Alors, c'est parce qu'on n'a pu tout mis.
M. Léon Hainzelin, cultivateur à Barbas et maire de cette
commune a reçu le lendemain matin la visite d'Edouard Vary.
Celui ci venait lui annoncer la découverte du cadavre de Duhaut...
M. Fraimain, débitant à Blamont, se souvient que le soir du 2
août, Duhaut et Emile Vary étaient ivres. Edouard Vary n'était
que légèrement pris de boisson.
Le témoin ayant déclaré que les inculpes étaient d'humeur
batailleuse, le défenseur proteste et demande des faits précis
M. Fraimain. - Le 2 août, Emile Vary a voulu me gifler.
Le défenseur - Ce n'est qu'un geste malheureux. Je constate
qu'en ne peut apporter la preuve que mes clients étaient
querelleurs.
L'avocat général. - Vous n'irez tout de terme pas jusqu'à dire
que ce sont des moutons !
On appelle Louis Duhaut. menuisier à Harbouey et frère de la
victime
Sa déposition est importante, car elle fait la lumière sur les
causes du drame ; « Je ne voulais pas, dit-il, que mon jeune
frire aille avec les Vary à Blâmont Emile Vary était venu le
chercher, mais ça ne me plaisait pas du tout; je me souvenais
des menaces qu'il avait lancées peu de temps avant. Ils avaient
eu une grande discussion, et pour éviter des histoires, je les
avais réunis pour les mettre d'accord, mais je sentais bien que
ce n'était pas franc du côté des Vary »
Le président - Qu'est-ce qui avait motivé cette querelle ?
Le témoin - Les Vary reprochaient à mon frère de s'être laissé
battre à la fête d'Avricourt par des sous-officiers, Ils
l'avaient traité longtemps de lâche et de fainéant.
Le président. - Votre frère était querelleur ?
Le témoin. - Il avait la tête chaude, mais c'était un bon coeur.
Le président. - Avait-il un casier judiciaire ?
Le témoin - Quand il a été tué, il se disposait à entrer dans
les chemins de fer. C'est donc qu'il n'avait point de casier
judiciaire.
Un incident
Luis Dubaut, qui parait alors très ému, apostrophe les inculpés
: « C'est abominable, ce que vous avez fait »
Le Président - Vous ne devez pas vous adresser directement aux
accusés.
Le Témoin. - J'ai cependant à leur dire que leur acte est
abominable et que je demande justice.
Les frères Vary se sont dressés au banc des accusés
Edouard Vary.- Tu dois savoir que ton frère avait un revolver ;
c'est toi qui le lui a remis.
Le Témoin. - Donne-moi la preuve; Tu n'es qu'un lâche et un
menteur.
Emile Vary. - Si ! Si ! Il avait un revolver.
Edouard Vary. - Même qu'il a tire trois coups de son revolver
chez des gens d'Harbouey.
Le Témoin - Tu en as menti ! L'Avocat Général intervient : « En
tout cas, il n'y avait pas de revolver sur le cadavre.
Edouard Vary - Dubaut avait un revolver jusqu'au matin du 2 août
; il l'a vendu le matin.
Le Président. - Alors, vous n'aviez pas à craindre son revolver,
puisque vous saviez qu'il l'avait vendu.
L'inculpé, décontenancé, s'asseoit.
Louis Duhaut, en terminant sa déposition, souligne que son frère
craignait les Vary. « Depuis la dernier querelle, dit-il, mon
frère se laissait toujours désirer quand ils venaient le
chercher »
M. Charles Bain. 31 ans, restaurateur à Blàmont, a vu les
accusés dans la soirée du 2 août. Il estime que Emile Vary
n'était pas complètement ivre.
Victor Denis, à Harbouey, bien que cité par l'accusation, est
favorable aux inculpés. Il déclare avoir vu Duhaut arme d'une
petite pelle, poursuivre Emile Vary, et sur une question du
défenseur, il concède qu'il craignait Duhaut. Mais ce n'est pas
pour une plaidoirie que le Ministère Public l'a fait appeler. On
l'invite à répéter devant le jury un propos grave tenu par
Edouard Vary quelques jours avant le crime.
L'Avocat Général. - Edouard Vary n'a-t-il pas dit après la
réconciliation que « tout n'était pas perdu » ?
M Denis. - C'est possible.
On entend doux autres témoins dont les dépositions n'apprennent
rien de nouveau et la séance est suspendue pendant dix minutes.
Le réquisitoire
L'Avocat de la Société, après avoir qualifié ce crime de
lâcheté, retrace les diverses phases de cette affaire qui s'est
terminée par l'assassinat d'un homme par deux agresseurs. M.
Guyenot fait la part de la culpabilité particulière de chacun
des accusés. Il déclaré qu'il ne peut être admis qu'on se trouve
en présente d'un crime commis par des hommes en état d'ivresse.
L'Avocat Général montre que le provocateur fut bien Vary
Edouard, puisque c'est lui qui demanda à boire et qu'il voulait
s'emparer de la bouteille de vin bouché.
En une émouvante péroraison il demande aux jurés de se souvenir
de la victime lâchement assassinée. Il rend cependant hommage
aux accusés dont la vie militaire a été bien remplie et qui ont
à leur actif des actes d'héroïsme. Or, dit-il, quand on a eu une
telle attitude, on se doit de se montrer respectueux de la vie
des autres.
Les jurés tout en leur accordant un peu d'indulgence en raison
de leur bonne conduite, doivent se montrer très sévères visà vis
de ces deux hommes.
La défense
Au début de sa plaidoirie, M. Mougin déclare qu'il n'a pas
l'intention de plaider l'acquittement de ses clients. Puis le
distingué défenseur discute pied à pied les arguments de
l'avocat général.
Il fait surtout état des brillants états de service des deux
accusés qui ont accompli leur devoir au front, en braves
Lorrains, c'est-à-dire en courageux qui ne reculent point devant
le danger.
Le défenseur demande qu'une question subsidiaire soit pesée au
sujet de l'excuse de provocation et sollicite l'indulgence du
jury qui saura peser le pour et le contre en cette affaire.
Les répliques
M. Guyenot s'élève contre les prétentions de la défense qui a
plaide la provocation alors que celle-ci n'a nullement existé.
C'est le contraire de la logique. Il demande aux jurés de ne
point suivre le défenseur dans ses conclusions et de dire qu'il
y a eu provocation. M. Guyenot déclare que la légitime défense
ne peut-être plaidée.
Me Mougin riposte et déclare que si M. l'avocat génère! S'oppose
à l'admission de la provocation, c'est qu'il sent que la défense
a su montrer aux jurés que la victime avait bien été un peu la
cause de ce drame Il reproche à l'avocat général de se servir de
dépositions de témoins qui montrent que les accusés n'ont pas
reçu une éducation très bonne de leurs parents, et il s'élève
contre ce vice de la Société qui veut que les enfants soient
rendus responsables des fautes des parents.
Il explique ensuite qu'il n'a peint plaidé la légitime défense,
sans quoi il aurait sollicité l'acquittement.
Pendant la plaidoirie de leur défenseur, les accusés pleurent
abondamment
Le verdict
A 6 heures 45 le jury se retirent dans la salle de ses
délibérations. Il en sort à 7 h. 10, rapportent un verdict
affirmatif et n'admettant pas la question d'excuse déposée par
la défense, mais accordant le bénéfice des circonstances
atténuantes aux accusés.
En conséquence la cour condamne les frères Vary chacun à six
années de réclusion.
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