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Les fêtes d'Ancerviller - 18 septembre 1927 (4/4)


Est-Républicain
20 septembre 1927

Une fête de la reconstitution
ANCERVILLER A PIEUSEMENT HONORÉ SES MORTS
et inauguré le réseau intercommunal d'adduction d'eau

Ancerviller, 18 septembre.- Il y a six ans, au mois d'octobre 1911, nous assistions à la fête de la reconstitution d'Ancerviller. Il y avait là le regretté M. Duponteil, le général Pénet, l'évêque de Nancy, les sénateurs Louis Michel et Henri Michaut, M. Bègue, à cette époque secrétaire général à la reconstitution ; M. Paul Bouet, aujourd'hui préfet des Ardennes ; M. Deville, l'abbé Fiel, le grand animateur de la fête, artisan plein de zèle de la résurrection de son village natal.
La cérémonie d'Ancerviller revêtait un caractère d'incontestable originalité et de particulière émotion. C'était en effet la première fête de la reconstitution d'un village détruit, sur le front de bataille. Et cette manifestation nous permettait de dire, à peu près en ces termes :
«  De toutes les communes meurtries, massacrées par l'horrible guerre, de tous les villages qui ont subi le choc effroyable des armées combattantes et pendant quatre années, ont été bouleversés, martyrisés dans leur sol et dans leur chair, Ancerviller est le premier qui donne à la France et au monde le spectacle magnifique d'un courage et d'une ténacité sans exemple. »
Ancerviller, dans cette grise matinée d'octobre 1921, vécut une heure d apothéose.
Ayant guéri ses blessures et pensé aux vivants, Ancerviller a songé à honorer ses morts. La pieuse cérémonie s'est déroulée hier sous un funèbre vélum de brume, laissant choir toutes les larmes du ciel...

LA MESSE ET L'INAUGURATION DU MONUMENT
Nous arrivons à Ancerviller par une pluie battante, en même temps que M. André Magre, préfet de Meurthe-et-Moselle ; M. Louis Michel, sénateur, et M. Georges Mazerand, député.
Sur le vaste parvis qui précède l'église, M. Colin, maire, accompagné de M. le chanoine Fiel et de son conseil municipal, reçoit ses hôtes. La jeune fanfare d'Ancerviller, remarquablement dirigée par M. Brichler, joue la «  Marseillaise ». Les pompiers, que commanda le lieutenant Thirion, font une haie d'honneur. Du haut du clocher sonore tombent des notes graves.
Les personnalités officielles, suivies de la foule, entrent dans l'édifice, un des plus nobles qu'il soit permis d admirer dans nos régions reconstituées.
La nouvelle église a été reconstruite, non loin de l'emplacement de l'église détruite, sur les plans de l'éminent architecte M. Deville. C'est un monument gothique, de noble allure. Extérieurement, on remarque un magnifique tympan de Vallin, que le statuaire a terminé ces jours derniers. A l'intérieur, la tribune des orgues montée sur pilastres d'une conception nettement moderne, montre un mélange de styles du plus curieux effet, que le goût de l'architecte a réussi à harmoniser fort heureusement.
On y admire aussi un délicieux chemin de croix sortant des ateliers d art sacré, de merveilleux lustres en fer forgé de Cayette, et les vitraux de Gruber. Je sais bien que certain diable vert irrite le savant chanoine Martin. Il a peut-être raison. Des goûts et des couleurs du diable...
La messe est chantée par M. le vicaire générai Thouvenin. Avant de donner l'absoute, M. le chanoine Fiel prononce un sermon de patriotique inspiration, dont voici la conclusion :
«  L'Église n'ignore certes pas le prix que nous attachons aux récompenses humaines et qui apportent la reconnaissance de la patrie aux braves tombés au champ d'honneur ; elle approuve et bénit tes monuments que nous élevons à leur mémoire ; elle partage le respect avec lequel nous conservons dans nos archives les témoignages d'admiration des chefs aux défenseurs de la justice et du droit.
Mais ce qu'elle ambitionne avant tout pour eux, c'est la récompense que Dieu accorde aux vaillants, celle qui résume toutes les autres et la couronne, la lumière qui ne passe pas, «  lux perpetua luceat eis » ; le repos que rien ne peut troubler, et le bonheur que rien ne peut ternir «  requiem aeternam dona eis Domine » ; la paix enfin qu'ils ont chèrement acquise et pour laquelle ils se sont sacrifiés, «  requiescat in pace ».
«  Des régions de l'éternel bonheur, nos morts, à leur tour, sourient à notre affection ; pour eux comme pour nous, c'est aujourd'hui grande fête. Au pied du monument que vous avez voulu grandiose, et dans lequel un artiste délicat a si bien traduit les sentiments de vos âmes et reflété ses propres pensées nous allons déposer l'hommage du souvenir et de la prière ; ajoutons-y celui de la fidélité. Soyons dignes de nos héros ; comme eux, élevons-nous au-dessus des marécages où s'embourbent tes appétits grossiers et les vils instincts, et montons sur le plateau où un air pur dilate des poitrines généreuses. Arrière tout ce qui souille et tout ce qui dégrade, arrière les existences impures, mesquines, honteusement égoïstes.
«  Nous agenouillant par la pensée sur la terre sacrée que nos héros sanctifièrent de leur dernier sommeil, écoutons le programme de travail, d'honneur, de foi de patriotisme que formulent ces grandes voix d'outre tombe. »
La cérémonie religieuse terminée, les personnalités officielles se dirigent vers la tribune élevée devant le monument.
Celui-ci érige ses lignes sobres à quelques mètres, à gauche de l'église. Il est l'oeuvre de M Le Bourgeois, architecte à Nancy, et construit en granit rose des Vosges, par M. Seyer, de Baccarat. Constitué par un pylône central et quatre pylônes secondaires reliés par des arc-boutants, il forme une sorte de dôme, abritant un motif d'un symbolisme un peu trop accusé.
Laissant de côté ce détail regrettable - et qui, espérons-le, ne restera pas - l'ensemble est superbe. C'est là, incontestablement une oeuvre qui compte et que les artistes retiendront.
A la tribune, ont pris place, autour de MM. le maire, le préfet, Louis Michel et Georges Mazerand ; MM. le vicaire général Thouvenin, président des Coopératives de reconstruction ; le chanoine Fiel ; de Turckheim, conseiller général ; l'abbé Jacquot, curé d'Ancerviller ; Fournier, maire de Badonviller ; Deville, architecte en chef des régions libérées ; Canel ; l'intendant Divoux, Liengey, Caen, président de l'A M. C.; Le Bourgeois, Barbier, l'abbé Gérardin, Morel, Bancon, Jules Denis, Pierron, adjoint au maire ; Godot, maire de Sainte-Pôle ; Danichert, maire de Saint-Maurice; Serment, maire de Montigny ; Martin, maire de Halloville : l'adjoint de Neuviller-les-Badonviller, etc
La musique joue la «  Marseillaise » puis les enfants des écoles entonnent un hymne patriotique et M. Nonn, instituteur, qui a revêtu, pour la circonstance, son uniforme d'officier, fait l'appel des morts, dont voici la funèbre liste :
Auguste Lefebvre, curé ; Joseph Denis, lieutenant ; Camille Durand, sous-lieutenant ; Joseph Jacquot, sergent ; Louis Denis, caporal ; Emile Blaise, Auguste Colin, Joseph Colin, Emile Colin, Louis Hachon, J.-B. Martin, Charles L'Hôte, Paul Munier, Joseph Michel, Charles Georges, Joseph Troché, Marcel Dévot, Eugène Jacquot, Henri Dieudonné, Ch Klein
Les jeunes filles, sous la direction de l'institutrice, Mlle Mouthon, interprètent à leur tour, un hymne, et tandis que l'assistance silencieuse se recueille la musique joue la marche funèbre de Chopin.
La cérémonie se termine sans qu'aucun discours ait été prononcé. M. le chanoine Fiel, qui est l'organisateur avisé et compréhensif de la solennité en a ainsi décidé.

L'INAUGURATION DU RÉSEAU D'ADDUCTION D'EAU
En cortège on se rend alors devait des fêtes où doit avoir l'inauguration du réseau d'adduction d'eau du Syndicat intercommunal d'Ancerviller, Mignéville, Montigny, Montreux, Neuviller-les-Badonviller Saint Maurice et Sainte-Pôle.
Le ciel a voulu s'associer à cette fête de l'eau. Il ouvre toutes grandes ses écluses et fournit son appoint à la nappe glauque du bassin moussu au milieu duquel un jet d'eau symbolique va répondre aux politesses du ciel en lançant sa gerbe claire.
Abrité sous un auvent propice M. le maire s'adresse à M. le préfet :
«  Monsieur le Préfet,
«  Il y a six ans, ici même au cours d'une fête mémorable, je rendais hommage aux artisans de la reconstruction du village, et je remerciais tous ceux qui nous avaient aidé à rendre si vite à la commune et aux cultivateurs d'Ancerviller leur prospérité d'avant-guerre. En traduisant par l'application de la loi du 17 avril 1919 la haute notion de solidarité de tous les Français l'Etat remplissait un devoir de justice. L'expression de la gratitude des sinistrés est donc la reconnaissance de l'accomplissement, par l'Etat, d'un devoir sacré. Le recouvrement d'une dette est doublement agréable quand le débiteur est représenté par des mandataires sympathiques ; ce fut le cas pour l'Etat en Meurthe-et-Moselle, et nous nous plaisons à répéter de quelles qualités, dans notre département les pouvoirs publics ont marqué leur mission auprès des sinistrés.
«  Les sentiments que j'ai l'honneur de vous exprimer aujourd'hui, au nom du Syndicat intercommunal d'adduction d'eau d'Ancerviller, Mignéville, Montigny, Montreux, Neuville-les-Badonviller, Saint-Maurice et Sainte-Pôle, ont une origine et sont d'une nature différentes ; et nous avons pleine conscience d'avoir été l'objet d'une libéralité et d'une faveur exceptionnelles. La proportion dans laquelle notre projet a été subventionné, eu égard à la dévastation de nos communes, a permis de réaliser pour toute la vallée de la Blette le rêve caressé depuis si longtemps, d'avoir l'eau de la montagne. Aussi, monsieur le préfet, les municipalités de nos sept communes vous sauraient gré de vous joindre à M. le sénateur Michel et à M. Mazerand, ambassadeurs très écoutés auprès du pari mutuel, pour exprimer à M. le ministre de l'Agriculture et à M. le ministre des Travaux publics chargé des Réglons libérées, la gratitude de nos populations.
«  Nous enveloppons dans les mêmes sentiments tous ceux qui, au Parlement, à la préfecture, au conseil général, au conseil d'arrondissement, aux ponts et chaussées, à la Trésorerie générale, à la perception de Blâmont, aux fonderies et hauts fourneaux de Pont-à-Mousson, à la Société des tubes en acier de la Sarre, ont été, avec nos architectes et nos entrepreneurs, les précieux collaborateurs du Syndicat. « 
M. le préfet prend acte des remerciements adressés au gouvernement de la République. Il déclare que la présence du représentant du Gouvernement est tout indiquée dans un jour où il faut magnifier ceux qui sont tombés pour la défense de la patrie.
Avec beaucoup d'émotion, M. André Magre rappelle les souffrances d'Ancerviller, incendié, ruiné, presque totalement détruit par un ennemi sans pitié; les souffrances aussi des pauvres morts, tombés sans savoir ce qu'étaient devenus leurs parents, sachant que leur foyer était anéanti, que leur vieux clocher ne dressait plus sa flèche pour une supplication et pour un espoir. Que ne peuvent-ils revenir, un jour comme celui-ci, pour voir ce qu'il est advenu de leur petite patrie, pour admirer leur village plus jeune et plus beau que jadis !
La fête d'aujourd'hui, dit M. le préfet, a un caractère double. La commune ne s'est pas contentée de replacer le passé dans le présent, elle a voulu aussi aller de l'avant, vers le progrès. Après l'électricité, elle vient de fournir, à ses habitants, l'eau..., l'eau qui donne l'hygiène, la santé et la vie.
Il y a, dans cette entente des communes du Syndicat, une haute leçon d optimisme et de confiance inaltérable dans l'avenir de notre pays.
Rapidement, et à l'aide de ces belles images qui revêtent de fortes pensées, M. le préfet montre éloquemment que la France a toujours été calomniée par ses ennemis et par de mauvais esprits.
L'exemple de 1914, celui des années qui ont suivi l'armistice, notre relèvement financier sont là qui témoignent des infinies ressources d'énergie de notre pays.
A la grande tâche du travail réparateur, M. André Magré convie ses auditeurs. C'est grâce à l'union, à la persévérance dans l'effort que nous serons une France toujours plus forte, toujours plus riche, toujours plus belle.
La vibrante allocution de M- le Préfet est couverte d'applaudissements.
On va assister, ensuite, à un exercice d'extinction d'incendie - l'eau coule, ruisselle, fuse de tous les cotés à la fois - et l'on visite le village, décoré d'arcs de triomphe, fleuri et pavoisé de tous ses drapeaux.

LE BANQUET
A midi, 120 convives environ se réunissaient en un banquet remarquablement servi par l'excellent hôtelier, Cuny, de Blâmont. Menu délicat et plantureux : menu comme on sait dresser à Ancerviller.
Au champagne, M. Colin, maire, prononce le toast suivant :
«  La reconstitution du village a été l'occasion pour la commune d Ancerviller de plusieurs fêtes qui ont traduit notre joie et notre reconnaissance. Nous avons gardé un souvenir spécial de celles du 30 octobre 1921 et du 20 novembre 1924. M. le préfet Duponteil, qui présidait la première, plaisait à rappeler, jusque sur son lit de mort, que cette journée de résurrection sous un beau soleil d'automne, fut une des plus délicieuses de ses jour en Meurthe-et-Moselle. De son côté le nonce apostolique a remporté de notre région des impressions qui sont tout à l'honneur et à l'éloge de la France.
«  Puissiez-vous Monsieur le Préfet, comme votre distingué prédécesseur de vénérée mémoire, ranger cette journée parmi celles dont l'évocation vous sera la plus agréable. L empressement exquis avec lequel vous avez accepté l'invitation du conseil municipal d'Ancerviller, le vigilant intérêt dont vous entourez les affaires de la commune, la façon charmante (toujours accompagnée d'un fin sourire et de gracieuses paroles) dont vous accueillez nos mandataires nous sont garants que vous ne serez pas insensible à l'hommage de mes concitoyens. Je suis très fier et très heureux de vous en apporter l'expression.
«  M. le vicaire Thouvenin nous a fait un très grand plaisir en présidant à la manifestation religieuse en l'honneur de nos morts. Qu'il me permette de saluer dans sa personne le président de l'Union des coopératives de reconstruction de Meurthe-et-Moselle et de la coopérative des églises, le guide, le grand bienfaiteur des sinistrés. Nous avons voulu que son nom figure sur le marbre commémoratif de la reconstruction d'Ancerviller, à côté de celui de son admirateur et de son fidèle disciple et collaborateur. M. le chanoine Fiel a fait bénéficier chacun de ses compatriotes et le patrimoine communal des sages conseils et des initiatives aussi hardies qu'heureuses de son maître incomparable. Tous deux peuvent être assurés de la vive et parfaite gratitude des habitants d'Ancerviller.
M. le président de la Société centrale d'agriculture a été, lui aussi, un auxiliaire très précieux pour la Coopérative de reconstruction d'Ancerviller. L'Office de constitution de dossiers de dommages de guerre qu'il a fondé a rendu des services de tout premier ordre et permit aux cultivateurs délivrés du souci de leur déclaration de dommages, de donner d'autant plus d'activité à la reconstitution agricole. Dans sa rude tâche, le cultivateur a besoin de conseils et d'encouragements ; avec son sens parfait de la noblesse de la terre et sa vaste expérience de ce qu'on peut en tirer, M. le sénateur Michel est pour nous un protecteur éloquent et éclairé
«  M Mazerand a fait partie des vaillantes unités qui ont défendu la première ligne sur le front d'Ancerviller. Son sang-froid et la connaissance qu'il avait de nos forêts ont empêché à plusieurs reprises les Prussiens de sortir de leurs formidables abris des Boulottes Après l'armistice, la vigilance militaire de M. Mazerand s'est transformée en un dévouement attentif à la défense des sinistrés.
«  M. Le Bourgeois, dont nous avons vivement apprécié la haute conscience et les brillantes qualités professionnelles a réalisé avec émotion le souvenir que nous garderons de nos morts.
«  M. Vallin a fidèlement et artistiquement reproduit les traits de M. l'abbé Lefebvre, auquel dans le recueillement d'une fête religieuse, nous consacrerons demain une journée de filial souvenir.
«  Il nous est particulièrement agréable de saluer M. Deville, architecte en chef du ministère des régions libérées, son nom reste attaché aux initiatives les plus heureuses qui ont marqué l'alignement et la reconstitution du village, ainsi que la construction de l'église.
«  M. Canel et ses dévoués agents nous ont apporté et nous continueront leur actif concours pour la reconstitution et l'entretien de nos dix-sept kilomètres de chemins vicinaux. Vous avez admiré ce matin les travaux remarquables qui ont été réalisés sous leur direction.
«  M. Bancon, qui les a, exécutés, a placé sur son ouvrage un somptueux bouquet dont je le remercie au nom de tous les habitants.
«  M. l'intendant militaire du 20e corps, enfant du village, MM. les conseillers généraux et d'arrondissement, MM. les maires des communes voisines, M. le juge de paix du canton de Blâmont, M. le receveur municipal, M. l'instituteur, Mlle l'institutrice, les religieuses et les jeunes filles qui ont si gracieusement décoré cette salle et fleuri le monument à nos morts, la Fanfare, avec son actif président, la Chorale avec son distingué maître de chapelle, la compagnie des sapeurs-pompiers, tous, messieurs, en préparant cette fête, ou en l'honorant de votre présence, vous avez de grosses obligations sur la commune d'Ancerviller; au nom de mes concitoyens, je les reconnais, et je prends l'engagement que vos créances ne seront pas protestées. (Applaudissements.)
M. de Turckheim, conseiller général, rappelle d'intéressants souvenirs personnels et boit aux cultivateurs du canton.
C'est ensuite M. le vicaire général Thouvenin, qui, dans une allocution pleine d'esprit, compare l'Ancerviller d'il y a 9 ans au chaos d'avant la création du monde.
Sous une forme enjouée, il montre l'effort prodigieux accompli par les coopératives de reconstitution et se félicite de voir aujourd'hui le couronnement d'une oeuvre dont les difficultés paraissaient insurmontables.
M. Georges Mazerand lui succède. Il s'exprime ainsi :
«  Ancerviller, qui, après avoir subi les pires infortunes pendant la guerre, a eu l'honneur d'être la première commune dont on ait pu célébrer la reconstitution, ne pouvait considérer comme achevée l'oeuvre de réparation sans avoir consacré à ses enfants morts pour la patrie, le monument digne de leurs mémoires. Aujourd'hui est accompli le geste auguste, dans la cite rénovée, auprès de l'église enfin relevée par les soins pieux de M. l'abbé Fiel qui a attaché son nom d'une manière indéfectible à la tâche merveilleuse de la résurrection.
«  Il y a six ans nous avions la joie us pouvoir assister à la résurrection d'Ancerviller que favorisèrent l'initiative et le dévouement de M. l'abbé Fiel, et l'activité de l'Union des Coopératives secondée par les fonctionnaires des services des régions libérées.
«  En rendant hommage à ces pionniers de la reconstitution, je leur disais que la restauration de la commune devait être parachevée dans des conditions bien supérieures à celles qui existaient avant la guerre. Parmi les améliorations à réaliser, je citais votre projet d'adduction d'eau de montagne avec les villages de Saint-Maurice, Sainte-Pôle auxquels allaient se joindre Mignéville. Montigny, Montreux et Neuviller-les-Badonviller qui marquerait une étape sérieuse dans la voie du progrès pour le confort, l'hygiène, la sécurité !... Après les vicissitudes inséparables des travaux de cette nature (quand on cherche à les effectuer aux prix les moins dispendieux), l'oeuvre a été menée à bien...
«  Il convient de s'en réjouir et de féliciter M. les ingénieurs des Ponts et Chaussées ; agents-voyers, etc., dont la compétence a été mise à contribution si souvent afin de régler les moindres détails d'installation. Ne faut-il pas satisfaire toutes les exigences particulières sans pour cela entraîner le Syndicat intercommunal à des dépenses somptuaires ?
«  Il y a des questions de tact et de mesure, qu'ont toujours pu trancher au mieux, les services intéressés avec la collaboration et la bonne volonté efficaces de vos maires.
«  L'heure n'est, plus aux paroles mais aux actes. L'ouverture de la conduite, la visite des fontaines et l'exercice d'une bouche d'incendie nous convaincront mieux qu'aucun discours qu'Ancerviller est devenue une petite cité moderne où les habitants trouveront toujours l'utile et l'agréable, si l'on peut dire, sous leur main...
«  L'eau, maintenant en abondance, est l'embellissement le plus indispensable à une agglomération.
«  Gage de sécurité contre l'incendie, elle permet d'entreprendre des ouvrages qu'il eut été insensé de concevoir seulement autrefois ! Tous les espoirs sont permis à votre jolie commune puisqu'elle possède à son service les deux maîtresses sources de progrès : la lumière et l'eau !
«  Qu'Ancerviller en reçoive la joie et la prospérité. » (Applaudissements.)
M. Louis Michel, sénateur, se lève à son tour. Il fait un impressionnant parallèle entre le paysan d'aujourd'hui et le paysan d'autrefois. Le bonheur de l'homme des champs est un bonheur simple. Que lui faut-il pour être heureux ? Un foyer, une famille, un cadre convenable pour la loger. Ancerviller a reconstitué tout cela.
«  Vous avez, maintenant, la lumière, dit le sympathique sénateur, vous avez aussi l'eau. Et, permettez-moi de vous dire que pour inaugurer votre réseau d'adduction, vous avez bien choisi votre année. M. le chanoine Fiel est le complice de saint Médard ! »
On considérait, autrefois, qu'il était juste que le paysan peinât comme un esclave sans que l'existence lui accordât la moindre satisfaction. Eh bien ! il est bon qu'à un tournant de l'histoire, ce même paysan voie son labeur récompensé et mange un pain moins amer et moins dur.
M. Michel s'élève avec force contre cette légende qui veut que le paysan soit un fauteur de vie chère. Si sa situation s'est améliorée, elle n'est pour tant point tellement belle qu'elle justifié la campagne de dénigrement dont il est l'objet.
Si, à la campagne, la vie était si facile, pourquoi nos villages se dépeupleraient- ils ? Et pourquoi ceux qui critiquent avec tant d'âpreté le cultivateur ne viennent-ils pas prendre le manche de la charrue ?
M. Louis Michel félicite chaleureusement les maires des communes du syndicat d'adduction d'eau et rend hommage au magnifique résultat de leur effort collectif.
Et en concluant, sous un tonnerre d'acclamations, M. Louis Michel lève son verre à tous les artisans de la reconstitution d'Ancerviller.
M. le Préfet termine la série des toasts.
Mettre le point final à une telle profusion d'excellents propos est un périlleux honneur. C'est, du moins, M. André Magre qui le dit. Mais pour qui connaît sa verve heureuse, son enthousiasme communicatif, il faut considérer que c'est là une inutile précaution oratoire.
Avec infiniment d'émotion, M. le préfet s'associe aux paroles de M. le maire touchant le regretté M. Duponteil.
«  Puisque ce nom a été prononcé, dit-il, moi qui ai connu son dévouement, la noblesse de son esprit et son grand coeur, je tiens à rendre un hommage ému à sa mémoire et à saluer son souvenir. »
Ce qui a le plus frappé M. Magre, à Ancerviller, c'est la date, de la première inauguration du village ressuscité, en octobre 1921, c'est-à-dire moins de trois ans après l'armistice. Les causes de ce miracle, il les connaît. Et c'est pour lui l'occasion de rendre un chaleureux hommage à l'activité, l'intelligence, l'esprit d'opportunité du chanoine Fiel et du vicaire général Thouvenin.
M. Magre dit aussi tout ce qu'ont fait pour la cause de la reconstitution MM. Mazerand et Michel. Il félicite les anciens combattants, les pompiers et boit à la ténacité inébranlable du paysan lorrain, amoureux par-dessus tout de son sol, et dont le premier soin .après la guerre a été de refaire sa maison et rétablir son foyer.
Pour terminer, il cite la réponse admirable de la brave maman Denis, d'Ancerviller, qui, ayant pendant l'occupation allemande caché et soigné chez elle - et cela au péril de sa vie - trois chasseurs à pied : «  Vous me demandez pourquoi j'ai fait cela ? Parce que j'ai des enfants qui se battent et je voudrais que l'on fasse pour eux ce que j'ai fait pour nos chasseurs... » Parole digne d'être retenue, et symbolique de la haute sensibilité des gens de ce pays.
Salué par de vibrantes salves d'applaudissements, M. le préfet porte la santé du président Raymond Poincaré et du président de la République.
La cérémonie, dont la mauvaise humeur du ciel n'a pas réussi à altérer la cordialité, est terminée. Et nous partons sous le déluge...
Fernand ROUSSELOT.



Inauguration du Réseau d'Adduction d'eau - 18 septembre 1927


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