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1909 - Assurance des églises
 


La Croix
22 octobre 1909


L'assurance des églises

La Revue d'Organisation et de Défense religieuse du 17 octobre publie cette importante étude de M. Ravier de Magny, sur laquelle nous attirons l'attention des intéressés :
La Semaine religieuse de Nancy publiait sur ce sujet, le 29 mai dernier, l'article suivant, qui intéressera certainement nos lecteurs, et sur lequel on nous permettra de présenter quelques brèves observations :
Quelle est la responsabilité du curé ? - Généralement, au point de vue légal, le curé n'est ni propriétaire ni locataire de l'église ; il n'est qu'un simple occupant, sans titre légal. Nous ne nous occuperons que de ce dernier cas.
Il est évident que le curé ne peut souscrire une assurance comme propriétaire.
Doit-il assurer les risques locatifs définis par les articles 1733 et 1734 du Code civil ? - Non, puisque nous ne considérons que le cas très fréquent où le curé n'est qu'occupant. L'église est à la disposition du curé et des fidèles pour l'exercice du culte, tout comme les bibliothèques sont ouvertes au public pour la lecture.
Quand donc le curé sera-t-il responsable de l'incendie de son église ? Il est dit dans le Code civil :
Art. 1382. - Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Art. 1383. - Chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence.
Art. 1384. - On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde Les maîtres et les commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques ou préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
C'est en vertu de ces articles qu'un curé peut être rendu responsable de l'incendie de son église. Il peut y avoir imprudence ou négligence dans la préparation des illuminations ; le sacristain en allumant les cierges, le servant de messe avec l'encensoir, peuvent être cause de l'incendie. Comme ils sont les préposés du curé, celui-ci pourra être, actionné en dommages-intérêts par le propriétaire légal ou son assureur.
Comment assurer les églises ? - 1). - La meilleure solution, la plus équitable, la plus économique, serait que le propriétaire légal (par exemple la commune) assurât l'église contre l'incendie, en ayant soin de faire insérer une clause analogue à la suivante :
«  La Compagnie, sans augmentation de prime, renonce à tout recours qu'elle pourrait exercer contre le clergé et ses préposés, ainsi que contre les fidèles, excepté dans les cas de malveillance, ou s'il y avait assurance antérieure ou postérieure par une autre Compagnie. »
Un maire qui souscrirait une pareille police montrerait qu'il comprend bien les intérêts de sa commune, qui est la propriétaire de l'église, et ceux de ses administrés, qui en jouissent. C'est même son intérêt personnel d'agir ainsi, car il est responsable de son préposé qui est chargé de la sonnerie civile ou de l'horloge. Certaines municipalités accepteront peut-être de faire l'assurance comme nous venons de le proposer, mais en exigeant que le curé paye la prime annuelle. Le clergé ne devrait subir cette condition que si, en cas de sinistre, la commune s'engageait à employer à la reconstruction de l'église toute l'indemnité que la Compagnie verserait contre production des mémoires ou des factures de remplacement.
2). - Si cette première solution ne peut être adoptée, nous croyons que le curé devra garantir sa responsabilité et celle de ses employés, en souscrivant une police d'assurance.
 

Voici un modèle de contrat adopté en différents endroits et notamment au diocèse de Paris :
Article premier. - La Compagnie assure, aux conditions générales qui précèdent et à celles particulières qui suivent, à M. le curé de l'église de... actuellement M... agissant en cette qualité, la somme de...... à l'effet de garantir sa responsabilité civile ainsi que celle du personnel employé au culte et des fidèles en cas d'incendie de cette église ou des objets la garnissant.
Cette somme est ainsi divisée :
1 franc sur bâtiments, y compris la sacristie et le clocher ;
2 francs sur les objets mobiliers. (Dans cette dernière somme sont compris : les orgues pour ..... francs, les vases et autres objets rares ou précieux pour francs.)
Art. 2. - Dans le cas où les responsabilités ci-dessus ne seraient pas en cause, si les objets désignés au présent contrat ne sont pas garantis par leur propriétaire légal ou le sont insuffisamment, et si ce dernier s'engage, avant toute expertise, à employer ou à laisser employer par l'assuré le montant de l'indemnité à reconstruire ou à réparer les objets mobiliers, en leur conservant la même affectation, ladite indemnité ne devant être payée que contre la production des mémoires ou des factures de remplacement, la Compagnie consent à ce que cette assurance de responsabilité se transforme en une assurance pour le compte de qui il appartiendra, soumise aux conditions générales d'assurance de la Compagnie.
Art. 3. - Dans le cas où il existerait un autre contrat souscrit par le propriétaire légal avec quelque assureur que ce soit, la présente police ne pourrait jamais être considérée comme une coassurance mais seulement, et sous les réserves spécifiées ci-dessus, comme une assurance complémentaire si cette garantie était insuffisante.
Art. 4. - L'assuré et la Compagnie se réservent la faculté réciproque de résilier annuellement la présente police, en se prévenant par lettre recommandée un mois avant l'échéance de la prime.
Si le propriétaire du local assure l'église et le mobilier, sans s'occuper du curé, celui-ci garantira seulement sa responsabilité civile; il supprimera les articles 2 et 3 du modèle précédent.
Taux des primes. - Une Société très sérieuse et très solvable, que nous indiquerons à tous les ecclésiastiques qui nous en feront la demande, propose les tarifs suivants, que nous trouvons convenables. Nous croyons savoir que d'autres Compagnies les acceptent également.
Il y a une réduction, sur les tarifs ordinaires, de 40 % dans le premier cas et de 50 % dans le deuxième cas. Le tableau ci-dessous donne la prime nette pour 1000 francs de capital assuré. Il y aura lieu d'ajouter les impôts et les frais.
Abbé L. Thouvenin.



I. - Avec l'auteur de cet article, nous n'envisageons nous-mêmes que l'hypothèse, d'ailleurs normale où le curé est un simple occupant de l'église communale. S'il était propriétaire de l'église, l'église ne serait plus communale. Quant au cas d'un curé locataire, à moins que l'église n'appartienne à un particulier ou à une Société privée, il est devenu chimérique, depuis que les évêques de France ont, d'accord avec Rome, refusé de laisser signer à leurs prêtres les contrats de jouissance en lesquels M. Briand avait mis quelque temps sa confiance. Nous répéterons seulement ici l'observation que nous avons faite naguère, à savoir que l'expression d' «  occupant sans titre juridique » est inexacte et risque d'engendrer de fâcheuses équivoques. Il faut la laisser pour compte à ses inventeurs, MM. Clemenceau et Briand, qui l'ont employée les premiers dans l'exposé des motifs de la loi du 2 janvier 1907 et dans la circulaire du 3 février 1907 (1), Mais, puisque nos curés tiennent leur droit d'occuper les églises d'un texte très formel, l'article 5 § 1er de la loi du 2 janvier 1907, prenons l'habitude, nous, catholiques et jurisconsultes, d'un langage plus précis. Les curés sont de simples occupants, soit. Mais encore ont-ils le droit de l'être, et ce droit est fondé sur le meilleur des titres juridiques, sur la loi (2).

II. - Nous avons distingué soigneusement nous-mêmes (3) la responsabilité personnelle du curé et le risque de l'immeuble.
S'agit-il, pour le curé, de se garantir, au cas d'incendie de l'église, contre le recours de la commune propriétaire ou de l'assureur, alors nous sommes d'accord avec la Semaine de Nancy pour conseiller l'assurance. Nous avons fait observer que ce risque est, en définitive, assez minime, puisque en sont exclus non seulement les sinistres dus à un cas fortuit ou au fait d'un tiers, mais ceux mêmes qui sont la conséquence d'une faute du curé ou de ses préposés toutes les fois, que la preuve de la faute ne pourra pas être établie. En conséquence, nous disions que les Compagnies doivent assurer ce risque moyennant des primes très peu élevées. Une réduction de 50 % n'a rien d'excessif.
Qui doit supporter cette assurance ? C'est incontestablement le curé, puisque c'est de sa responsabilité personnelle qu'il s'agit. La Semaine religieuse de Nancy suggère une combinaison d'après laquelle la commune, tout en s'assurant elle-même contre la destruction ou la détérioration de l'église par l'incendie, stipulerait de sa Compagnie d'assurance la renonciation à tout recours que celle-ci pourrait exercer contre le clergé, ses préposés, ainsi que contre les fidèles. C'est fort bien, et nous souhaitons qu'il se rencontre en France beaucoup de communes et beaucoup d'assureurs pour adopter une semblable clause. Toutefois, que l'on remarque bien que si le curé est par là garanti contre le recours de l'assurance, il ne l'est pas contre le recours de la commune. Cette clause diminue le risque personnel du curé plutôt qu'elle ne le supprime, et n'enlève point, par conséquent, toute utilité à l'assurance personnelle du curé.
«  Certaines municipalités, ajoute la Semaine de Nancy, accepteront peut-être de faire l'assurance comme nous venons de le proposer, mais en exigeant que le curé paye la prime annuelle. » Nous sommes absolument d'avis que le clergé ne devrait subir cette condition que si la commune s'engageait à employer à la reconstruction de l'église toute l'indemnité que la Compagnie verserait contre la production des factures ou des mémoires de remplacement.

III. - Ceci nous amène à l'assurance de l'immeuble et du mobilier qu'il contient. Nul doute que ce ne soit aux communes, propriétaires légales de nos églises, qu'il incombe de la supporter. Nul doute non plus que, devant l'abstention d'une commune, un curé n'ait le droit de contracter une assurance à la place et pour le compte de celle-ci. C'est une application parfaitement légitime de la stipulation pour autrui.
Mais, si c'est légitime, est-ce vraiment utile, et faut-il conseiller cette combinaison ? On l'a pensé dans plusieurs diocèses, la Semaine de Nancy indique fort bien pourquoi.
Après avoir contracté dans l'article 1er de la police une assurance pour garantir sa responsabilité civile personnelle, celle de ses employés et même celle des fidèles (4), en cas d'incendie de l'église, le curé stipule dans les articles 2 et 3 de la même police une assurance pour garantir la réparation ou la reconstruction de l'édifice, ou des meubles détruits par le sinistre. Cette seconde assurance, souscrite par le curé et dont les primes seront payées par lui, profitera donc à la commune. C'est la commune qui aura droit à l'indemnité en cas de sinistre.
Le danger est que, après avoir réalisé ce gain aux dépens du curé, la commune évite d'affecter la somme encaissée aux réparations ou à la reconstruction de l'église.
Pour parer à ce danger, la police spécifie que l'indemnité ne sera payée par l'assureur au propriétaire légal, autrement dit à la commune, que s'il s'engage, avant toute expertise, à employer ou à laisser employer par le curé le montant de l'indemnité à reconstruire l'immeuble ou à réparer les objets détruits ou détériorés en leur conservant la même affectation. Pour comble de précaution, on stipule que l'indemnité ne sera payée que contre la production des mémoires ou des factures de remplacement.
Un pareil contrat, signé par le curé et la Compagnie seuls, ne saurait lier la commune, qui n'y est point partie. Donc, quand le sinistre prévu se réalisera, ce n'est pas ce contrat qui obligera la commune à reconstruire l'église ; mais ce contrat lui permettra de le faire, et c'est déjà beaucoup.
Il le lui permettra en mettant les sommes nécessaires à sa disposition ; et l'on suppose qu'il ne se rencontrera pas de commune assez sectaire et assez peu soucieuse de ses intérêts pour refuser cette aubaine et renoncer à une indemnité qui ne lui a rien coûté, plutôt que de réparer ou de relever une église.
Sans être, pour notre part, optimiste au point de croire une pareille hypothèse complètement invraisemblable, nous accordons volontiers qu'elle ne se réalisera pas fréquemment. Le contrat donnera tout au moins au clergé et aux fidèles un moyen de pression morale considérable pour vaincre le mauvais vouloir des communes, lorsque mauvais vouloir il y aura.
Donc, en général, l'église sera réparée ou réédifiée grâce à l'assurance signée par le curé.
Mais sera-t-elle sûrement, après cela, conservée à l'usage du curé et des fidèles? Lui gardera-t-on sûrement la même affectation, ainsi qu'il a été écrit dans la police ?
C'est beaucoup plus douteux.
Tant que la législation actuelle sera maintenue, la nouvelle église sera soumise au même titre que l'ancienne à toutes les causes de désaffectation posées par la loi du 9 décembre 1905. Si la législation est aggravée, la nouvelle église sera atteinte, par toutes les mesures légales nouvelles. Une fois que la Compagnie d'assurance aura versé les fonds à la Caisse municipale, une fois que ces fonds auront été transformés en pierres de taille et en ciment, en salaires d'ouvriers et en honoraires d'architectes, il sera trop tard pour en demander la restitution. La Compagnie d'assurance ne s'en souciera plus et, d'ailleurs, ne le pourra plus.
Ainsi donc, l'assurance souscrite par le curé pour le compte de qui il appartiendra (lisez : de la commune) ne peut nous procurer qu'un bénéfice toujours précaire et aléatoire. Nous ne disons pas que ce bénéfice, tel quel, ne vaille pas de légers sacrifices. Mais nous demandons aux intéressés de ne pas se faire d'illusions, et de mesurer prudemment l'étendue de leurs sacrifices au bénéfice qu'ils sont en droit d'en attendre.

IV. - N'y a-t-il rien autre à faire pour nous que de payer des primes afin de sauvegarder la propriété des communes sur des églises dont nous ne sommes pas plus assurés par là de jouir toujours ou même seulement pendant un nombre certain d'années ?
Il nous semble que si.
Mais pour cela il faudrait rompre avec les habitudes faites et sortir du vieux cadre de l'assurance-incendie.
Par le fait de l'incendie qui le met à la porte de l'église, le curé subit un dommage. C'est ce dommage, c'est cette privation de jouissance en vue de la quelle il devrait, selon nous, contracter, l'assurance, en sorte que, le sinistre se réalisant, il entre sans aucune condition en possession de l'indemnité et demeure maître de l'utiliser comme il le jugera bon, soit en la mettant à la disposition de la commune pour reconstruire l'église communale, soit en construisant lui-même, sur son terrain et sans con cours de la commune, une église dont il demeurera propriétaire dans des conditions à fixer par l'Ordinaire.
Je ne sais si parmi les Compagnies d'assurance actuellement établies, il en existe quelqu'une qui se prêtât à cette adaptation du contrat d'assurances. Aujourd'hui que l'on assure tant de risques nouveaux qui échappaient hier encore aux prévisions des hommes du métier, la «  privation de jouissance » trouverait peut-être bien ses assureurs, tout comme la grève, le chômage ou le vol. Mais il me semble que les Compagnies d'assurance ne sont point ici un rouage essentiel.
Ce qu'elles ne feraient pas, la mutualité le ferait mieux encore, avec plus de souplesse et avec moins de déchet. Pourquoi les évêques ne seraient-ils pas leurs propres assureurs ? Ne pourraient-ils pas, à l'aide de primes très légères perçues sur leurs curés, constituer un capital suffisant pour couvrir les risques d'incendie de toutes les églises de leurs diocèses ?
Et n'y aurait-il pas lieu, ensuite, de prévoir d'autres causes de privation de jouissance que le seul risque d'incendie et de s'assurer aussi, pour chaque paroisse dont l'église viendrait à être désaffectée, des ressources qui permissent de rouvrir sans délai un autre asile au culte ?
Nous ne nous dissimulons pas les difficultés d'application d'un semblable projet. Elles ne nous semblent pas cependant telles qu'on ne puisse les vaincre.
Un danger menace actuellement les catholiques de France dans l'œuvre da réorganisation rendue nécessaire par la séparation, et à laquelle ils apportent tant de générosité et de bonne volonté : c'est la mauvaise et même simplement la moins bonne utilisation de leurs ressources. A ce point de vue, la centralisation des primes d'assurances dans des caisses diocésaines nous paraît préférable à leur éparpillement dans les caisses des Compagnies d'assurance. J'espère qu'en le disant je n'ai manqué ni à la modestie qui convient au fidèle ni au respect qui est dû aux pasteurs, et je laisse à de plus compétents le soin de dégager ce que peut avoir de pratique l'idée dont je me suis fait l'interprète.

P. Ravier du Magny, avocat & la Cour d'appel de Lyon, professeur à la Faculté catholique de droit.

(1) R O. D., 1907, n° 22, p. 2, et n° 25, p. 103.
(2) Voir, en ce sens : importante note de M. Tissier, professeur à la Faculté de droit de Paris (S., 1908. II. 274, col. 1 et 2) ; - C. Bourges, 16 juin 1909 (R. O. D., 1909, n° 82, p. 414) ; - C. Pau, 30 juin 1909 (R. O. D., 1909, n° 87, p. 565).
(3) R. O. D., 1908, n° 46, p. 1 et suiv.
(4) A l'égard des fidèles, c'est une stipulation pour autrui, car on ne saurait prétendre les ranger parmi les personnes dont, aux termes de l'article 1384 du Code civil, le curé doit répondre.

 

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