Petite
Gazette des tribunaux criminels et correctionnels de l'Alsace.
Année 2, Numéro 13-24
Ernest de Neyremand,
Éd. Colmar, 1859-1860
L'abbé de Moyenmoutier est
arrêté, en 1341, par Jean de Ribeaupierre. - Emmené de force
dans l'un des châteaux de Ribeaupierre, il y meurt. - Le père du
coupable sollicite du duc de Lorraine la grâce de son fils. -
Clémence du duc. - Simple pénitence Infligée.
En l'année 1341, on apprit
qu'en traversant la seigneurie de Ribeaupierre, l'abbé de
Moyenmoutier, chargé d'une mission extraordinaire par le duc de
Lorraine, avait été arrêté par Jean le jeune, fils de Jean
seigneur de Ribeaupierre, emmené de force dans l'un de ses
châteaux, où il avait expiré quelques heures après.
La mort du digne abbé était-elle le résultat d'un crime ou d'un
accident ? on l'ignorait; mais l'arrestation de l'envoyé du duc
de Lorraine était un fait certain, aussi bien que l'emploi de la
violence pour conduire la victime dans un des châteaux de
Ribeaupierre.
Quoiqu'il en soit, le père du coupable, redoutant pour son fils
et pour lui les suites d'une action aussi odieuse, se rendit en
toute hâte à Nancy pour témoigner au duc de Lorraine la douleur
que lui causait cet événement, auquel il n'avait eu aucune part
directe ou indirecte; il affirmait sous la foi du serment qu'il
était innocent de tout ce qui s'était passé; que s'il n'en
pouvait pas dire autant de son fils, celui-ci subissait déjà la
peine que lui avait infligée sa conscience; bourrelé de remords,
il s'adressait à la clémence du duc, et se soumettait d'avance à
la peine qu'il lui plairait de prononcer.
Désarmé par les supplications d'un père qui plaidait chaudement
la cause de son fils, le duc de Lorraine innocenta Jean de
Ribeaupierre, et voulut bien faire grâce à son fils, à la
condition qu'il ferait la pénitence qui serait arbitrée par le
sire de Blamont, ou bien qu'il paierait à lui duc de Lorraine
une somme de mille marcs d'argent.
Ces conditions furent acceptées, et Henri de Blamont choisit
pour le coupable la peine suivante :
1° Jean le jeune, auteur du crime, donnera à l'abbaye de
Moyenmoutier des terres du produit de dix sols de rente
annuelle, pour un service anniversaire perpétuel de la mort
violente de l'abbé.
2° Il s'engagera à soutenir, pendant toute sa vie, l'abbaye de
Moyenmoutier en ses droits et possessions et à consacrer à cette
défense ses avis, ses conseils et ses armes.
3° Il se rendra dans la ville de Nancy, se présentera
processionnellement au duc, la tête nue, en simple robe, sans
ceinture, un cierge allumé au poing; après cette cérémonie, il
se munira d'une bourse et d'un bâton et, sur les ordres du duc,
ira en pèlerinage à Saint-Thomas de Cantorbéry en Angleterre ;
il ne quittera ce lieu que lorsque le duc lui en aura octroyé la
permission, à peine par lui de payer une somme de 1000 marcs
d'argent, somme dont se porteront cautions Albert de l'Aigle et
Renaud de Nancy.
Ce jugement fut-il exécuté et Jean de Ribeaupierre se
laissa-t-il séduire par les agréments d'un voyage en Angleterre
? Il n'existe, pour la solution de ces questions, aucune
indication précise. La pénitence était rude, le voyage fort
long; le duc de Lorraine, à l'arbitraire duquel était abandonnée
la fin du pèlerinage, pouvait oublier le pèlerin dont le séjour
en Angleterre se serait prolongé indéfiniment; bref, il valait
infiniment mieux payer les 1000 marcs d'argent que de se mettre
en route ; c'était tout bénéfice pour le condamné, et il y a
lieu de croire qu'il délia les cordons de sa bourse et resta
dans son nid d'aigle pour y méditer à loisir quelque entreprise
moins coûteuse. |