Journal de Monaco
1er septembre 1914
EXTÉRIEUR
S. Exc. le Ministre des Affaires Etrangères de la République
Française a fait parvenir au Gouvernement Princier, par
l'intermédiaire de S. Exc. le Ministre Plénipotentiaire de la
Principauté à Paris, les memorandums dont la teneur suit :
« 19 août 1914.
« MEMORANDUM
« Meurtres et incendies dans la région de Cirey-
(Meurthe-et-Moselle).
« Le Gouvernement de la République Française a l'honneur de
porter à la connaissance des Puissances signataires des
Conventions de La Haye les faits ci-dessous exposés, qui
constituent de la part des autorités militaires allemandes une
violation des Conventions signées le 18 octobre 1907 par le
Gouvernement impérial allemand.
« RAPPORT OFFICIEL DU PRÉFET DE NANCY.
« Nancy, 17 août 1914, 23 h. 10.
« 1° J'ai Visité aujourd'hui dix communes cantons Badonviller,
Cirey et Blamont, arrondissement Lunéville ; impossible vous
citer dans ce télégramme tous actes de sauvagerie constatés,
vais en faire dresser longue liste détaillée.
« 2° Badonviller, 11 personnes assassinées dont la femme du
maire, 78 maisons incendiées avec du pétrole ou cartouches
spéciales, mises à la main; église après le pillage de la ville
canonnée et démolie de fond en comble ; 15 otages, dont le juge
de paix, emmenés le 13 au matin, non encore revenus lors de mon
passage.
« 3° A Bréménil, 5 personnes assassinées dont un vieillard de 74
ans, tiré comme un lapin, tandis que, fuyant sa maison
incendiée, il cherchait refuge à l'église ; un homme blessé il y
a quinze jours d'une chute grave à bicyclette, alité, brûlé dans
sa maison avec sa mère, 74 ans, leurs restes retrouvés ; maire
blessé épaule traversée d'une balle, transporté à Cirey où j'ai
été le saluer.
« 4° Petite commune Parux, monceau de ruines, presque toutes
maisons incendiées, non par boulets pendant combat, mais par
soldats dès l'arrivée, sans sommations, sans avis, avec
cartouches spéciales ; 4 hommes assassinés, disparus, dont un
enfant, probablement brûlés dans maisons.
« 5° Blamont : 3 victimes dont jeune fille tuée comme perdrix
aux champs ; grande chocolaterie, appartenant à sujet suisse,
saccagée et pillée, plusieurs centaines de mille francs de
dégâts ; 12 otages dont curé ; buralistes emmenés jusqu'à
frontière ; sont revenus à Blamont.
« 6° Parmi les maires doit signaler Benoît, maire Badonviller, a
connu en une journée tragique toutes les douleurs ; sa maison de
commerce et particulière brûlées, ne restent que pierres ; sa
femme assassinée, tandis que se conformant aux ordres des
autorités militaires allemandes, elle ouvrait les fenêtres de sa
maison ; ruiné, le coeur meurtri, le maire Benoît, avec un
courage au-dessus de tout éloge, n'a pas cessé un instant de se
consacrer tout entier à la protection des intérêts de sa
commune. »
« Le Gouvernement de la République tient à protester hautement
auprès des Puissances signataires des Conventions de La Haye
contre de pareils actes qui sont formellement contraires aux
engagements conventionnels du droit des gens, et qui forment un
contraste odieux avec les instructions données aux troupes
françaises et observées par elles.
« 20 août 1914.
« MEMORANDUM
« Dévastation systématique ordonnée par les chefs de l'armée
allemande.
« Le Gouvernement de la République Française a l'honneur de
porter à la connaissance des Puissances signataires des
Conventions de La Haye les faits ci-dessous exposés, qui
constituent de la part des autorités militaires allemandes une
violation des Conventions signées le 18 octobre 1907 par le
Gouvernement Impérial allemand.
« Du dépouillement des lettres écrites par les soldats allemands
et trouvées sur eux, il résulte : « 1° Que l'incendie des
villages a été une mesure générale ;
« 2° Que les mises à mort des habitants ont été également une
mesure générale ;
« 3° Que ces atrocités ont été commises dans des localités que
défendait exclusivement l'armée française et non les habitants ;
« 4° Que l'ordre d'exécution a été donné par le commandement
(colonels sur certains points, commandants de corps sur
d'autres).
« Le Gouvernement de la République tient à protester hautement
auprès des Puissances signataires des Conventions de La Haye
contre de pareils actes qui sont formellement contraires aux
engagements conventionnels du droit des gens.
« Il saisit cette occasion pour rappeler aux Puissances que
c'est sur la proposition de la Délégation Allemande, à la
deuxième Conférence de La Haye, qu'a été insérée, dans la
Convention 54 de La Haye, l'article 3 suivant :
« La partie belligérante qui violerait les dispositions du dit
Règlement sera tenue à indemnité, s'il y a lieu. Elle sera
responsable de tous actes commis par les personnes faisant
partie de sa force armée. »
« Le Gouvernement de la République se réserve de demander à
l'Allemagne l'application de ce principe proposé par elle et
accepté par les 44 Etats réunis à La Haye, le 18 octobre 1907. »
« 21 août 1914.
« MEMORANDUM.
« Villages détruits dans la région de Parux.
« Le Gouvernement de la République Française a l'honneur de
porter à la connaissance des Puissances signataires des
Conventions de La Haye les faits ci-dessous exposés, qui
constituent de la part des autorités militaires allemandes une
violation des Conventions signées le 18 octobre 1907 par le
Gouvernement impérial allemand.
« L'autorité militaire a recueilli de la bouche de l'adjoint au
maire de Blamont les détails ci-après sur les actes de barbarie
et de sauvagerie dont les troupes bavaroises se sont rendues
coupables dans cette localité.
« Bien qu'aucun acte d'hostilité n'ait été commis contre les
Allemands et qu'en particulier aucun coup de feu n'ait été tiré
sur eux, ces derniers ont à plusieurs reprises affirmé avoir été
blessés par des habitants et ont pris ce prétexte, d'abord pour
fusiller sans aucune forme de procès un cafetier de la localité,
ensuite pour brutaliser et emprisonner un certain nombre
d'habitants. Un de ces derniers a été saisi pendant la nuit et
traîné dans la rue en chemise et nu-pieds, pour être ensuite
enfermé avec d'autres personnes dans un local dépourvu de tout
meuble ; les actes de ce genre ont été innombrables. Les
Allemands ont saisi les moindres indices et prétextes pour
envoyer partout des volées de balles, et c'est miracle qu'il n'y
ait pas eu plus de gens atteints.
« Les habitants ayant été obligés de tenir pendant la nuit des
lampes allumées à leurs fenêtres, un vieillard de 85 ans, ancien
maire de la localité, ne pouvant allumer sa lampe assez vite, a
été fusillé dans la rue.
« Une jeune fille qui travaillait aux champs avec d'autres
personnes, s'étant couchée dans un fossé pour éviter les balles
d'un combat voisin et s'étant relevée à un moment donné pour
voir ce qui se passait, a été tuée aussitôt d'un coup de fusil à
bout portant.
« Les hommes, continuellement ivres, ont tout saccagé, pillé,
brisé dans toutes les maisons où ils sont passés.
« Tous les villages de la région sont incendiés à moitié, aux
trois quarts, ou même complètement, comme celui de Parux. Il
paraît certain que l'incendie est prémédité et organisé : les
hommes ont de l'étoupe en grande quantité à leur disposition.
(Un sous-officier bavarois prisonnier avait de l'étoupe dans ses
cartouchières).
« Pour copie conforme :
« Le Commandant en chef. »
« Le Gouvernement de la République tient à protester auprès des
Puissances signataires des Conventions de La Haye contre de
pareils actes qui sont formellement contraires aux engagements
conventionnels du droit des gens. |