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Pourquoi l'invasion du 8 août 1914 ?
 


Parmi les théorie les plus répandues sur cette première invasion du Blâmontois du 8 au 15 août 1914, on retrouve régulièrement l'allégation d'une VIème armée allemande, aux ordres du kronprinz Ruprecht de Bavière, qui opère pour protéger Mulhouse, et qui, «  le 11 août, atteint la ligne Blamont-Cirey et pousse une avant-garde jusqu'à Badonviller ».
Mais Blâmont a en réalité été envahi dès le 8 aout à 18 h par la même VIème armée allemande. Et si c'est bien en fin de journée du 14 août que les troupes allemandes se replient (en laissant une ligne de défense qui coutera de lourdes pertes au 95ème R.I. français), on peut douter de la théorie d'un Ruprecht indiscipliné, qui «  cette fois, doit se résigner. Le 15 à midi, il ordonne la retraite générale vers la Sarre. ».
Il faut rappeler aussi que c'est la ligne de défense à l'est de Sarrebourg (préparée depuis des jours et sur laquelle Ruprecht attire l'armée française après le franchissement de la frontière), qui brisera le 20 août la contre-offensive française, et offrira l'opportunité d'une marche victoire allemande vers Nancy, qui se heurtera à la défense du Grand-Couronné.
Comme on le voit, l'explication n'est pas satisfaisante : invasion de Blâmont le 8 août, incendies de Parux et Nonhigny le 10, attaque sur Badonviller le 12 (sans pousser davantage la progression)... Une semaine perdue en opérations de faibles envergures, pendant laquelle un corps d'armée d'occupation se perd à Blâmont depuis le 8 aout en beuveries et exactions, alors même qu'on lit ci-dessous que «  le 3e corps de cavalerie, qui, dans la journée du 9 août, a tenté de s'ouvrir un passage de vive force aux environs d'Avricourt, a dû faire demi-tour devant les canons du fort de Manonviller ». (information erronée, puisqu'Avricourt a été occupé dès le 8 août d'autant plus facilement que les troupes françaises avaient ordre de se tenir éloignées de 10 km de la frontière, et qu'en outre, la portée de l'artillerie française de Manonviller ne peut atteindre Avricourt).


La revue de France. t. 3
Mai-Juin. 1922
Ed. Paris 1922

Le Commandement Allemand pendant les Opérations d'Alsace-Lorraine en Août-Septembre 1914

Un article paru, il y a quelques mois, dans une revue d'outre- Rhin (1), a exposé, dans leur ensemble, les opérations qui, du côté allemand, se sont déroulées au début de la guerre en Alsace-Lorraine. Si, en ce qui concerne les batailles et les combats proprement dits, cet article ne relate rien de très nouveau, il se dégage, par contre, de sa lecture, des notions intéressantes sur le rôle joué alors par le commandement allemand, et en particulier par la direction suprême. C'est ce rôle que nous nous proposons d'étudier dans les pages qui suivent, en réduisant dans la mesure du possible le récit des opérations, qui sont aujourd'hui généralement connues du public français.
Dans les premiers jours d'août 1914, la VIe armée allemande se concentre en Lorraine, la VIIe en Alsace.
La VIe armée, placée sous les ordres du kronprinz Ruprecht de Bavière, est en majeure partie constituée de corps bavarois : 1er, 2e, 3e corps d'armée actifs et 1er corps de réserve, auxquels est adjoint le 21e corps d'armée prussien.
La VIIe armée, sous le commandement du général Oberst von Heeringen, se compose des 14e et 15e corps actifs, du 14e corps de réserve et d'un certain nombre de brigades mixtes de Landwehr.
Enfin le 3e corps de cavalerie (général bavarois Chevalier von Frommel), qui comprend les 7e et 8e divisions de cavalerie prussiennes et la division de cavalerie bavaroise, est subordonné à la VIe armée.

L'Instruction du Déploiement stratégique fixe la mission initiale de ces forces, qui, réunies sous un commandement supérieur, auront pour tâche essentielle de protéger le flanc gauche du gros des armées allemandes s'avançant vers la France par le Luxembourg et la Belgique.
Deux hypothèses sont envisagées :
1° L'armée française, restant tout d'abord sur la défensive, se tient prête à contre-attaquer quand la manœuvre allemande se sera dessinée. Dans ce cas, pour retenir le plus de forces ennemies possible dans l'Est, empêcher leur transport vers l'ouest et leur intervention contre la droite allemande chargée de l'action décisive, le commandant supérieur d'Alsace-Lorraine pourra être amené à attaquer en avançant contre la Meurthe et la Moselle en aval de Frouard.
2° Si, au contraire, les Français attaquent en forces supérieures entre Metz et les Vosges, le commandant d'Alsace- Lorraine devra agir de telle manière que le flanc gauche du gros de l'armée allemande ne soit à aucun moment menacé. Il renforcera au besoin les troupes de défense de la position de la Nied (2), et, s'il est obligé de battre en retraite, fixera dans l'espace et dans le temps l'ampleur de son repli.

Le 10 août, le kronprinz Ruprecht de Bavière est nommé au commandement supérieur des forces allemandes d'Alsace-Lorraine.
Ce ne pouvait être pour lui une surprise : depuis longtemps l'Etat-Major bavarois connaissait le rôle qu'il serait appelé à jouer en Lorraine. Deux ans avant la guerre, le chef d'État-Major de l'armée bavaroise, qui allait être le chef d'Etat-Major de Ruprecht au début des hostilités, Krafft von Dellmensingen, avait même dirigé sur la frontière lorraine une manœuvre de cadres au cours de laquelle le cas d'une importante offensive française entre Metz et les Vosges avait été précisément étudié.
Malgré cela, on a l'impression que le haut commandement bavarois ait été quelque peu étonné en recevant l'Instruction du Déploiement stratégique, qu'il aurait jugé trop complexe la mission qui lui était assignée par cette instruction et que, finalement, il se serait arrêté, pour simplifier les choses, au parti d'attaquer en toutes circonstances.

Le 9 août, jour où il établit son quartier général à Saint-Avold, le kronprinz Ruprecht apprend que de graves événements se sont déroulés la veille à la VIIe armée : la ville de Mulhouse a été occupée par les Français, et des combats sérieux continuent de se dérouler autour des cols des Vosges. Le général von Heeringen a décidé de contre-attaquer sans retard avec toutes ses forces, et il sollicite le prince Ruprecht d'appuyer la droite de la VIIe armée en marchant contre le front Baccarat, Raon-l'Ëtape, où, d'après ses renseignements, des forces ennemies importantes sont rassemblées.
Déférant à cette demande, Ruprecht prescrit à la 7e division de cavalerie, soutenue par de l'infanterie du 1er corps bavarois, de se porter sur Baccarat.
Aucune résistance sérieuse ne s'oppose à la marche de ce détachement qui, le 11 août, atteint la ligne Blamont-Cirey et pousse une avant-garde jusqu'à Badonviller. Les choses d'ailleurs en restent là, car à ce moment la VIIe armée fait connaître qu'elle a réoccupé Mulhouse et rejeté les troupes françaises vers la frontière. Seuls les cols des Vosges restent pour la plupart entre les mains des Français, mais les Allemands en tiennent solidement les débouchés vers la plaine d'Alsace.
A peu près rassuré du côté de la VIIe armée, le prince Ruprecht se préoccupe de connaître l'importance des troupes françaises réunies en Lorraine, en face de sa VIe armée. L'aviation ne lui a fourni encore aucun renseignement de valeur, et le 3e corps de cavalerie, qui, dans la journée du 9 août, a tenté de s'ouvrir un passage de vive force aux environs d'Avricourt, a dû faire demi-tour devant les canons du fort de Manonviller.
Un combat va soudain éclairer la situation. Le 11 août, pour réparer un échec infligé la veille à un de ses détachements, le commandant de la 42e division (21e corps) lance une attaque importante sur le village de La Garde. Il s'empare facilement de cette localité, et, à la faveur de l'action, fait un certain nombre de prisonniers, dont l'interrogatoire et la fouille fournissent des renseignements précieux, d'où il résulte qu'une armée française forte de cinq corps d'armée environ est réunie en Lorraine.
Une offensive ennemie peut donc être considérée comme probable dans cette région. Mais, nous l'avons dit, Ruprecht, de son côté, est bien résolu à attaquer et, dès lors, il n'a plus qu'une hâte, celle de prévenir l'offensive adverse. Il décide aussitôt de ramener la VIIe armée entre Strasbourg et Sarrebourg, pour partir ensuite, toutes forces réunies, contre l'armée française de Lorraine.
Toutefois, en rendant compte de ces dispositions au général de Moltke, il lui demande de fixer la date à laquelle il conviendrait, en raison de la situation générale, de commencer les opérations. La réponse du Grand Quartier Général ne le fait pas attendre et vient plonger Ruprecht dans la plus profonde stupéfaction. Non seulement Moltke n'indique pas de date pour l'attaque projetée, mais encore il informe le commandement supérieur d'Alsace-Lorraine que cette attaque serait inopportune.

Ruprecht s'incline, non sans regret et en se réservant de reprendre plus tard son idée. Dans ce but, il laisse la VIIe armée poursuivre sa concentration vers Strasbourg, Sarrebourg et se borne à ordonner à la VIe armée de rester défensivement sur la position qu'elle occupe et qui s'étend de la côte de Delme, par Château-Salins, Geistkirch et Bourdonnay, à Blamont et Cirey.
Le 14 au matin, il reçoit du Grand Quartier Général une instruction qui explique la décision prise la veille en haut lieu. D'après les renseignements que possède la direction suprême, les forces françaises concentrées entre Pont-à-Mousson et Raon-l'Étape s'élèveraient à douze corps d'armée et 5 divisions de cavalerie. En arrière, vers Mirecourt, il y aurait trois corps d'armée, et, de plus, un groupe de divisions de réserve serait en cours de transport vers Epinal et Toul.
Evidemment, les agents allemands ont vu double, mais, sur la foi de leurs renseignements, Moltke s'émeut : «  Que les VIe et VIIe armées, écrit-il, évitent une attaque supérieure en nombre contre la Sarre. »
La Sarre ! 50 kilomètres en arrière du centre de la VIe armée. Ruprecht lui ne voit pas si loin. Pourtant les nouvelles reçues à ce moment du front ne sont pas entièrement favorables.
Dès le matin du 14, l'ennemi s'est porté en avant sur tout le front de Château-Salins à Schirmeck. Articulé en formations profondes, il n'avance, dit-on, qu'avec prudence, et c'est à peine, en effet, si le 3e corps bavarois et le 21e corps prussien signalent quelques engagements aux avant-postes. Le 1er corps bavarois, toutefois, a été assez sérieusement accroché à la gauche de l'armée et obligé d'abandonner Blamont et Cirey.
La VIIe armée, de son côté, rend compte que, attaqué de nouveau, Mulhouse vient d'être repris par les Français, que dans les Vosges les forces allemandes ont évacué le Donon et, que pour faire face à la situation, le général von Heeringen a dû arrêter entre Molsheim et Colmar la fin de ses transports vers le Nord.
De ces événements que conclut Ruprecht ? En Lorraine, une attaque ennemie dont l'allure n'est pas encore très menaçante ; en Alsace, une situation plus sérieuse, mais non encore compromise.
Rien ne justifierait à ses yeux une retraite immédiate vers la Sarre. Toutefois, pour donner en partie satisfaction à la direction suprême, comme aussi pour être prêt à toute éventualité, il envoie l'ordre préparatoire suivant :
Au cas où les forces allemandes d'Alsace-Lorraine seraient contraintes de se replier :
1° La VIe armée viendrait s'établir sur le front Busendorf (Bouzonville), Sarrelouis, Sarreguemines, Sarreunion, Pfalzbourg, Lutzelbourg, couverte par des arrière-gardes qui tiendraient successivement :
a. La ligne Nied française, Rotte, Baronweiler, Rodalben, Bessingen, Sarrebourg, Lutzelbourg ;
b. La ligne Nied allemande, Lixingen, Hellimer, Insmingen, Sarreunion.
2° La VIIe armée s'établirait sur la ligne fortifiée de la Bruche, d'où elle interdirait à tout prix une percée ennemie soit vers Sarrebourg, Pfalzbourg, soit à l'ouest de Molsheim.

Donné dans la journée du 14, cet ordre préparatoire ne préjuge en rien du moment de l'exécution que le kronprinz Ruprecht se réserve formellement de fixer.
Les débuts de la journée du 15 août confirment Ruprecht dans sa manière de voir. Devant la VIe armée, l'avance française continue d'être signalée comme peu mordante, et la VIIe armée rend compte, d'autre part, que les renseignements qu'elle a envoyés la veille ayant été très exagérés, - Mulhouse en particulier n'a jamais été inquiété par les Français, - elle reprend ses transports de troupes vers le Nord.
Mais alors se produit une nouvelle intervention de la direction suprême. Vers la fin de la matinée, Moltke téléphone à Ruprecht que décidément des forces françaises considérables lui sont opposées sur le front d' Alsace-Lorraine : trois armées de quatre corps se trouvent entre Toul et Raon-l'Etape, chacune d'elles suivie d'une armée de réserve forte de trois corps ; en outre, un groupe de quatre divisions de réserve est disposé en arrière de chacune des ailes. Quelques instants après arrive au Quartier Général de Saint-Avold une lettre personnelle du Quartier-Maître Général Stein approuvée par le général de Moltke. Cette lettre confirme les renseignements envoyés précédemment par téléphone et invite le commandement supérieur d'Alsace-Lorraine à établir la VIe armée sur la Sarre, en amont de Sarrebruck, de telle manière qu'elle puisse être toujours en mesure de reprendre l'offensive. En terminant, Stein annonce l'arrivée prochaine de trois divisions d'Ersatz à la VIe armée et de trois autres à la VIIe.
Ruprecht, cette fois, doit se résigner. Le 15 à midi, il ordonne la retraite générale vers la Sarre. Le repli des corps d'armée commencera le lendemain et sera réglé de telle sorte qu'un demi-tour reste toujours possible en cas de changement d'attitude de l'adversaire. La retraite, couverte par la 8e division de cavalerie et la division de cavalerie bavaroise, devra être terminée le 18 août.
En exécution de ces ordres, le décrochage s'opère dans la nuit du 15 au 16 pour les avant-postes, dans celle du 16 au 17 pour le gros. Il se fait avec la plus grande facilité, et cette facilité même cause à Ruprecht de vifs regrets. Le 17 au matin, il se repent d'avoir cédé trop vite aux prescriptions de la direction suprême. L'ennemi, en définitive, n'est pas aussi fort qu'on le pense ; s'il avait vraiment la supériorité numérique que lui prête Moltke, son attitude serait différente. En tout cas, c'est par la bataille seule qu'on pourrait prendre une notion exacte de ses forces, et non pas en reculant, comme le veut la direction suprême. Décidément, celle-ci raisonne en aveugle, et il faut passer outre à ses injonctions.
Appelant sur-le-champ son chef d'État-Major, le général Krafft von Dellmensingen, il lui fait écrire au Quartier-Maître Général Stein une lettre particulière pour l'informer que le commandement d'Alsace-Lorraine a décidé d'attaquer aussitôt que la VIIe armée sera en place, c'est-à-dire vraisemblablement le 18 août.
Et cette fois il ne demande plus l'avis du Grand Quartier Général. Il le lui demande d'autant moins qu'un ordre de Moltke vient d'arriver indiquant que l'offensive du gros des forces allemandes vers la France commencerait le 18 août et rappelant qu' «  aux VIe et VIIe armées et au 3e corps de cavalerie incombe la mission de protéger le flanc gauche de l'armée ». Comment pourrait-on mieux couvrir qu'en attaquant ?
La direction suprême, après avoir pris connaissance de la décision du kronprinz bavarois, renonce à contenir plus longtemps l'impétuosité de son lieutenant ; elle tente seulement de la modérer. Dans la soirée du 17, elle dépêche à Saint-Avold le lieutenant-colonel von Dommes, aide de camp de l'Empereur, avec l'instruction suivante : «  Les VIe et VIIe armées ne doivent pas s'engager à l'aventure, mais agir avec sûreté. Leur mission est de couvrir le flanc gauche de l'armée. L'offensive principale française n'aura pas lieu à travers la Lorraine. »
Conclusion pour le moins inattendue ! Vouloir tempérer l'ardeur de Ruprecht, et, pour ce faire, lui annoncer qu'il ne sera pas attaqué, prouve une logique assez peu développée. Ruprecht lui-même a dû en sourire en envoyant ses ordres.
Aux termes de ceux-ci, toute l'armée doit s'arrêter sur les positions qu'elle occupe le 17 août au soir et qui sont sensiblement jalonnées par la première ligne prévue pour le repli des arrière-gardes, savoir : la Nied française depuis Sanry, la Rotte jusqu'à Wallersberg, les hauteurs de Destry, Morhange, Bensdorf, Losdorf.
Partant de cette base, la VIe armée et la droite de la VIIe attaqueront l'ennemi de front, tandis que le centre de la VIIe armée et sa gauche tomberont dans le flanc ou sur les derrières de l'adversaire.
Le 18, la VIe armée continuera donc l'organisation de sa position de résistance, en liaison avec la droite de la VIIe armée, qui, pour barrer la trouée de Sarrebourg, se maintiendra sur le front Rieding-Saint-Louis. Le reste de la VIIe année (centre et gauche) commencera son mouvement en avant, de manière à se saisir dans la journée des débouchés ouest des Vosges, 15e corps, dans la région de Dagsbourg, 14e corps de réserve, dans celle de Blamont.
Ce même jour, le 20e corps français entre dans Château-Salins et pousse des avant-gardes au nord de la ville. Dans la région de Dieuze, des engagements assez vifs ont lieu entre les éléments avancés du 21e corps prussien et les têtes de colonnes du 15e corps ftançais ; plus à l'est, la 1re division de réserve bavaroise se porte sur Mittersheim, pour barrer au 16e corps français la trouée du canal des Houillères ; enfin le 8e corps français occupe Sarrebourg.
Le 19, la VIe armée allemande est bien assise sur ses positions. Son front, quelque peu étiré, puisque les corps d'armée qui l'occupent ont un déploiement de 12 à 15 kilomètres, est néanmoins continu et soudé. Des avant-gardes le couvrent à quelque distance vers le sud. En arrière, les divisions d'Ersatz envoyées par la direction suprême débarquent dans la vallée de la Nied, à une étape du champ de bataille.
Par contre, la VIIe armée est depuis quarante-huit heures aux prises avec de grandes difficultés, dues à la fois à la nature du terrain et à la résistance adverse. Le 15e corps et le 14e corps de réserve n'ont pas atteint les débouchés des Vosges. Le 19 au soir, le premier a ses éléments avancés sur la ligne Hommert-Harberg ; l'autre, plus éloigné encore, n'a pas dépassé le front Schirmeck, Steige, Ribauvillé.
Dans ces conditions, il est difficile de prévoir le moment où la VIIe armée pourra faire sentir son action à l'ouest des Vosges.
Continuer de l'attendre, c'est risquer d'imposer à la VIe armée une bataille défensive prolongée, qu'elle a des chances de perdre si, par hasard, les renseignements de la direction suprême touchant l'importance des forces ennemies en Lorraine se trouvent exacts.
Or il n'y a pas de doute que cette bataille soit imminente.
Dans la journée du 19, on en est venu sur tout le front à des contacts étroits. L'ennemi est à présent à portée d'assaut de la position de résistance allemande.
Une décision s'impose. Logique avec lui-même, Ruprecht n'attendra pas le choc de l'ennemi.
Le 19, à 19 h. 30, il donne l'ordre d'attaque pour le lendemain.
Le 20 août à 5 heures, la VIe armée s'élancera sur tout le front, aile droite (3e corps bavarois) en direction de Delme, aile gauche (1er corps de réserve bavarois) en avant de Mittersheim. La réserve générale de Metz couvrira le flanc droit de l'attaque en se portant sur Delme.
La VIIe armée attaquera également sur tout son front ; mais, laissée libre de déterminer l'heure de son attaque «  en considération du pénible déploiement du 15e corps au sortir de la montagne », elle la fixe à onze heures.
La bataille de Morhange est à la veille de se livrer. Les forces adverses qui vont en venir aux mains comptent à cette heure :
Français :
7 corps d'armée.
3 divisions de cavalerie.
5 divisions de réserve.
1 brigade coloniale.
Allemands :
8 corps d'armée.
3 divisions de cavalerie.
3 divisions et demie d'Ersatz.
Au total, une supériorité d'un corps d'armée du côté allemand.
On voit, par ces chiffres, combien la direction suprême s'était lourdement trompée dans son évaluation des forces françaises de Lorraine.

II n'entre pas dans le cadre de cette étude de faire un récit détaillé de la bataille de Morhange.
Etudiant avant tout le rôle du commandement allemand, nous n'avons à retenir des événements du champ de bataille que ce qui aide à comprendre les décisions prises par ce commandement.
On sait que, le 20 août, aux premières lueurs du jour, une nombreuse artillerie allemande de tous calibres entre en action, qu'à la faveur d'un bombardement formidable et précis l'infanterie de la VIe armée dévale le long des pentes au sommet desquelles elle était établie, que sur presque tout son front d'attaque, - à sa gauche en particulier, - les corps français surpris et décontenancés lâchent pied et qu'avant midi la IIe armée française bat en retraite.
Le soir venu, la VIe armée, qui, malgré une tâche relative ment aisée, a progressé avec une certaine prudence et n'a pas avancé de plus d'une dizaine de kilomètres en moyenne, a ses avant-gardes sur la ligne Hochwalsh, Sarrebourg, Freiburg, Dieuze, Durkastel, Gerbecourt, côte de Delme, en liaison à droite avec la réserve générale de Metz, qui a occupé Nomeny.
Quant à la VIIe armée, ses affaires ont marché beaucoup moins bien. Si, au début de l'après-midi, la gauche de la Ire armée française s'est vue contrainte d'évacuer Sarrebourg, elle a opposé à toute avance ultérieure des Allemands une résistance opiniâtre se traduisant par des contre-attaques répétées et violentes. En vain, le 15e corps allemand s'est-il acharné contre le débouché des Vosges ; il a été implacablement contenu devant Alberschweiler, tandis que le 14e corps de réserve combattait en vain pour la possession du Donon.
Aussi, le soir de Morhange, le kronprinz de Bavière a-t-il l'impression de n'avoir remporté dans la journée du 20 qu'un beau succès tactique, non pas une victoire décisive.
Il ordonne, en conséquence, que l'attaque sera reprise le lendemain sur tout le front.
Mais alors une surprise se produit. Quand, le 21 au matin, la VIe armée allemande reprend son offensive, elle tombe dans le vide. Pendant la nuit toute la IIe armée française s'est repliée sur la position de Nancy. Ne rencontrant aucun obstacle devant elle, la VIe armée pousse sa gauche jusqu'à la frontière française, près d'Avricourt, tandis que sa droite vient s'appuyer à la forêt de Gremecey.
La VIIe armée, bénéficiant de son côté de l'avance de la VIIIe armée, peut atteindre le front Cirey-Schirmeck.
Au total, le centre et la gauche du dispositif allemand, en l'absence de toute résistance adverse, ont réalisé dans la journée du 21 une avance importante, mais la droite, qui entre déjà dans la zone d'action des défenses de Nancy, a peu progressé.
Ruprecht ne peut plus entrevoir de grands résultats de ce côté, pas plus qu'il ne peut espérer de progrès décisifs dans la région montagneuse vosgienne. Il n'y a de zone favorable à une exploitation que celle qui s'étend entre le rebord occidental des Vosges et les côtes de Moselle.
C'est donc là qu'il va porter son effort.
Il ordonne en conséquence aux 2e corps bavarois, 21e corps prussien et 1er corps bavarois de se porter rapidement vers le front Lunéville-Baccarat, couverts du côté de Nancy par le 3e corps bavarois.
Le 22, en exécution de ces ordres, celui-ci s'établit face à Nancy, entre la Seille et la Sanon, tandis que le 2e corps bavarois et le 21e corps attaquent Lunéville, qu'ils occupent dans la nuit.
Mais, à leur gauche, le 1er corps bavarois, qui devait se porter sur Baccarat, est immobilisé au débouché d'Avricourt par les canons du fort de Manonviller et, pareillement, la droite de la VIIe armée, en face de «  la résistance de l'ennemi qui devient chaque jour plus opiniâtre », ne peut dépasser la ligne de la Vezouse vers Blamont et Cirey.
Ainsi la VIe armée est séparée en deux masses, dont l'une a atteint la région de Lunéville, l'autre celle de Blamont ; entre les deux, un trou d'une vingtaine de kilomètres dont le centre est marqué par le fort de Manonviller. La situation n'est plus aussi brillante que la veille.
Ruprecht, semble-t-il, s'en rend compte. La menace de Nancy, l'obstacle de Manonviller lui interdisent pour le moment de pousser beaucoup plus loin vers le sud. Il lui faut à tout le moins régler préalablement la question de Manonviller, et il en charge le 1er corps de réserve bavarois. Puis, face à Nancy, il constitue, sous les ordres du commandant du 3e corps bavarois, un détachement d'armée, qui comprend le 3e corps bavarois, les trois divisions d'Ersatz (groupées en un corps d'Ersatz) et la division de cavalerie bavaroise, avec mission de couvrir le flanc droit du dispositif entre la Seille de Manhoué et le canal de la Marne-au-Rhin vers Maixe.
A l'abri de cette couverture, le 2e corps bavarois, le 21e corps et la 8e division de cavalerie viendront, dans la journée du 23, border la Meurthe de part et d'autre de Lunéville, cependant que le 1er corps bavarois, contournant par l'est le fort de Manonviller et la droite de la VIIe armée, viseront la Meurthe de Baccarat à Raon-l'Etape.
C'est donc un objectif limité : la Meurthe, que le Kronprinz de Bavière ambitionne d'atteindre dans la journée du 23. Décision logique qui doit lui permettre de rallier à l'abri d'un obstacle naturel ses forces quelque peu disjointes dans les journées précédentes et de se constituer une nouvelle base solide, qu'il s'agisse de poursuivre ultérieurement la manœuvre vers le sud-ouest en direction de Charmes, ou de se porter contre Nancy.
Mais, à ce moment, une nouvelle intervention de la direction suprême vient faire chavirer sa sagesse.
Le 23, Moltke prescrit, en effet, à la VIe armée de pour suivre vigoureusement vers le sud, de manière à séparer les forces françaises qui sont dans les Vosges de celles qui se trouvent vers Nancy.
Alors, emporté de nouveau par sa fougue, Ruprecht oublie tout ce que la prudence lui conseillait la veille. Sans souci du changement de direction qui lui est imposé par la direction suprême et qui va augmenter encore la longueur de son flanc défensif en face de Nancy, il ordonne aussitôt aux 2e corps bavarois et 21e corps prussien de franchir la Meurthe le 24 août et de se porter sur le front Loromontzey, Essey-la-Côte, Saint-Pierremont.
Le 24 août, le 21e corps s'empare de Gerbeviller et atteint, dans l'ensemble, les objectifs qui lui étaient assignés. Mais le 2e corps bavarois se heurte dès la traversée de la Meurthe, entre Blainville et Lunéville, à une résistance assez sérieuse et tombe en outre sous un violent feu d'écharpe de l'artillerie adverse. Retardé de ce chef, il ne peut dépasser, dans la journée du 24, la ligne Méhoncourt, Einvaux, Morovillers, Vennezey.
Cela aurait dû ouvrir les yeux de Ruprecht et le ramener à la sagesse; mais il ne veut plus entendre personne, ni le commandant du 2e corps bavarois, qui lui signale l'extrême danger auquel son flanc droit et ses derrières sont exposés, ni le commandant du 3e corps bavarois, qui lui rend compte que des colonnes ennemies, soutenues par une forte artillerie lourde, se dirigent de Nancy vers l'est. Ruprecht a appris que deux corps d'armée français se trouvent dans la région de Rambervillers ; il n'a d'yeux que pour eux, il ne veut surtout pas les laisser échapper, donc poursuite à fond. Et, pour mieux saisir sa proie, il n'hésite pas à changer de nouveau la direction de marche de sa droite, en l'orientant vers le sud-est.
Ordre au 21e corps de dépasser, le 25, Rambervillers ; au 2e corps bavarois de lancer une de ses divisions sur la direction de Moyemont, Padoux, Girecourt-sur-Durbion, son autre division couvrant face à Bayon.
Comme un fil ténu le flanc défensif allemand s'allonge démesurément au pied du grand couronné de Nancy et des hauteurs qui, au sud, s'étendent le long de la rive droite de la Moselle. On court à la catastrophe ; ce qui devait arriver arriva.
Dans la journée même du 25, attaqué dans son flanc droit par l'ennemi qui occupe les hauteurs entre Meurthe et Moselle, le 2e corps bavarois est culbuté et rejeté sur la Mortagne avec de lourdes pertes, cependant que le 21e corps, entraîné par le repli de son voisin, fait face à l'orage sur le front Gerbeviller-Griviller. De leur côté, le 3e corps bavarois et le corps d'armée d'Ersatz, qui ne cessent depuis deux jours d'étendre leur front pour protéger les communications du 2e corps bavarois, sont sérieusement accrochés sur les hauteurs qui s'élèvent de part et d'autre du canal de la Marne-au-Rhin et obligés de céder du terrain entre Lunéville et Courbessaux.
En toute hâte, le kronprinz de Bavière ramène à Lunéville une division du 14e corps et le 1er corps de réserve laissé devant Manonviller. La prise du fort reste confiée à quelques éléments de Landwehr ou d'Ersatz.
Le 26, le 2e corps bavarois est rejeté de l'autre côté de la Mortagne, et ses éléments de queue viennent tomber sous le feu de Manonviller, qui tient toujours. La situation est nettement critique.
Seule, la capitulation du fort, qui survient le lendemain 27 août, sauve le 2e corps bavarois d'une ruine presque certaine.
Grâce également aux forces que Ruprecht a ramenées et qui contre-attaquent sans relâche, le corps d'armée d'Ersatz et le 3e corps bavarois peuvent se rétablir sur les hauteurs au nord de Lunéville.
La VIIe armée, enfin, en poursuivant vigoureusement ses attaques sur la Meurthe en amont de Baccarat, soulageait le 21e corps prussien et le 2e corps bavarois, qui réussissaient à s'accrocher sur les collines d'entre Meurthe et Mortagne.
Ainsi se terminait une poursuite inconsidérée, œuvre de la direction suprême. Désormais tout espoir d'obtenir une décision sur le front de Lorraine devait être abandonné, et tout ce qu'on pouvait ambitionner de ce côté, c'était, en quelque sorte, d'occuper l'ennemi pour l'empêcher de retirer des forces.
Il semble bien que Ruprecht ait ainsi envisagé la situation ; mais à ce moment il reçoit de Moltke une nouvelle instruction datée du 27 août qui, derechef, le fait changer d'avis. «  Le gros des forces allemandes, après une série de brillants succès, est en marche sur Paris. Les VIe et VIIe armées, en liaison avec la place de Metz, devront empêcher une avance de l'ennemi en Lorraine et en Haute-Alsace. Au cas où l'ennemi reculerait devant elles, la VIe armée et le 3e corps de cavalerie franchiront la Moselle entre Nancy et Épinal et se porteront en direction générale de Neufchâteau, tandis que la VIIe armée, couvrant leur mouvement, interdira à l'adversaire tout débouché entre Ëpinal et la frontière Suisse. »
Ainsi le gros des forces allemandes est en marche sur Paris !
Déjà Ruprecht voit la victoire se lever à l'horizon. Il faut que les armées d'Alsace-Lorraine soient, elles aussi, à la curée. En avant donc !
Ordre est donné :
Au 3e corps bavarois, au corps d'armée d'Ersatz et au 1er corps de réserve bavarois, celui-ci renforcé d'une division de Landwher avec artillerie de siège et génie de place, - d'attaquer Nancy ; au reste de la VIe armée et à la VIIe, de percer entre Nancy et Ëpinal.
On devra être en mesure de déclencher cette offensive le 2 septembre.
Mais les préparatifs en sont plus longs qu'on ne le prévoyait, en particulier devant Nancy, où l'installation des batteries de siège allemandes se trouve grandement gênée par le feu de l'artillerie française.
Le 2 septembre, ils ne sont pas encore achevés, et il faut remettre les attaques à quelques jours plus tard.
Or, sur ces entrefaites, on apprend que les Français commencent à retirer des forces et que, dans la journée du 3 septembre, deux de leurs corps d'armée se sont embarqués dans la vallée de la Moselle.
Il n'est plus possible à Ruprecht de différer son offensive à moins de manquer à sa mission essentielle : retenir les forces ennemies qui lui sont opposées.
Dans la nuit du 4 au 5, il lance donc ses armées dans une formidable attaque : partout il échoue avec les plus lourdes pertes. En vain la direction suprême presse-t-elle le kronprinz bavarois de se saisir au plus tôt de la Moselle entre Toul et Epinal, en vain celui-ci multiplie-t-il ses efforts nuit et jour. Il peut faire ployer le front français ; il ne parvient pas à le rompre.
Et, pendant ce temps, le gros des forces allemandes subit la défaite de la Marne.
Le 8 septembre, tout espoir étant perdu, la direction suprême commence à transporter vers l'ouest l'État-Major de la VIIe armée, avec le 15e corps d'armée et le 1er corps bavarois.
Le rôle des armées allemandes d'Alsace-Lorraine est terminé. Quelques jours plus tard, pour se créer des disponibilités et poursuivre la nouvelle manœuvre débordante entreprise dans l'ouest, Moltke ordonnera à Ruprecht de raccourcir son front en se retirant jusqu'à la frontière lorraine et en abandonnant au besoin la Haute-Alsace.
Au milieu de septembre, les troupes du kronprinz bavarois se trouvent de nouveau sur le sol allemand, où elles se retranchent. La guerre de mouvement ne devait plus ressusciter en Lorraine.

En revoyant cette Allemagne qu'il avait quittée quelques jours auparavant dans la certitude de la victoire allemande, Ruprecht, sans doute, a fait un retour sur les événements qui avaient amené un tout autre résultat.
Interrogeant sa conscience, pouvait-il affirmer qu'il avait rempli sa mission ? Oui, puisque, ayant eu pour tâche de couvrir le flanc des armées allemandes, il l'avait effectivement protégé, et que, devant retenir les forces françaises qui lui étaient opposées, il les avait constamment tenues en haleine pendant un mois.
Pouvait-il faire mieux ? Peut-être. Mais, pour cela, il lui eût fallu se soumettre aux instructions que la direction suprême lui adressait le 15 août, lorsqu'elle lui enjoignait de replier ses forces sur la Sarre. Il lui eût fallu cette discipline intellectuelle, ou cette discipline tout court, qui, au début de la dernière guerre, fut rarement le fait des généraux allemands.
L'esprit d'indépendance, pour ne pas dire d'indiscipline, qui caractérise les Kluck et les Ruprecht, c'est bien celui qui animait déjà les généraux allemands de 1870, commandants de corps d'armée ou simples commandants d'avant-gardes, qui, imbus d'une doctrine d'offensive à outrance, engageaient de leur propre initiative des batailles décisives, sans se soucier des intentions ou des directives du commandement en chef. Que de fois celui-ci avait été près de sa perte, à cause de l'élan irraisonné de certains subordonnés !
Au lendemain de la guerre de 1870, l'Etat-Major allemand, loin de reconnaître les erreurs commises à ce point de vue par les chefs en sous-ordre, semble avoir attribué à la conduite de ceux-ci les victoires remportées, oubliant ainsi ou ne se rendant pas compte que le succès de cette conduite n'avait été rendu possible que par la passivité et l'ignorance de l'adversaire.
Une aussi grave erreur d'appréciation devait conduire fatalement à la défaite les chefs allemands le jour où ils se rencontreraient avec des généraux ennemis unis et disciplinés, obéissant à une seule volonté lucide et agissante.
La direction suprême de 1914, il faut aussi le reconnaître, commande de haut, si tant est qu'elle commande, car, bornant son rôle à quelques directives d'ordre général, elle semble éviter soigneusement d'en contrôler et d'en exiger l'exécution.
Éloignée de l'action, elle est réduite, au fur et à mesure que les événements se présentent, que les réactions de l'en nemi se font sentir, à s'en remettre à la volonté de ses sous-ordres, au lieu de les diriger ; elle se contente le plus souvent d'entériner leurs décisions. Ainsi fait-elle pour Kluck lorsque, de son propre chef, il change brusquement sa direction de marche devant Paris. Ainsi fait-elle pour Ruprecht lorsque celui-ci, le 17 août, lui déclare tout net qu'il n'exécutera pas les ordres de retraite qu'il a reçus.
Pourtant, la direction suprême avait encore, à ce moment-là, le temps de modifier les décisions du commandement d'Alsace-Lorraine et, ce faisant, quelle belle manœuvre elle pouvait réaliser ! Laisser les armées françaises s'engager dans l'intervalle de 100 kilomètres qui sépare les défenses de Metz de celles de Strasbourg, les forcer à s'étirer à l'extrême pour se couvrir du côté de ces places, les attirer dans le cul-de-sac que représentaient les lignes organisées de la Nied et de la Sarre, et enfin, par une double attaque de flanc débouchant de Metz et de Strasbourg, les y enfermer ; voilà qui eût été une opération capitale et qui aurait largement remboursé les millions engloutis depuis des années dans le béton des deux plus grandes places fortes du monde. Plus les effectifs de l'ennemi étaient considérables, et c'est bien ainsi que la direction suprême les voyait, plus cette manœuvre était avantageuse et indiquée. Au lieu de cela, on se soucie peu que Ruprecht déclenche une attaque frontale, en avant de la ligne Metz-Strasbourg, laissant à peu près inutilisées ces deux forteresses, complètement inutilisées les positions de la Nied et de la Sarre, et permettant aux armées françaises de se dégager avec la plus grande facilité.
Mais la direction suprême de 1914, si elle était à même de concevoir une telle manœuvre, n'était pas en état de la faire exécuter, de l'imposer au besoin. Elle n'a pas la confiance de ses subordonnés, et cela diminue sa confiance en elle-même, tant il est vrai qu'un nom, si illustre fût-il, ne suffit pas pour triompher des difficultés et remporter des victoires.
En réalité, le Moltke de 1914 ne sait pas ce qu'il veut. D'un ordre de retraite donné la veille et resté, d'ailleurs, inexécuté, il passe sans transition à un ordre de poursuite. Marchant à la remorque de ses lieutenants, il intervient forcément trop tard et mal à propos.
Quand, le 23 août, il lance Ruprecht à la poursuite des Français, c'est à contre-temps, puisque l'exécution de ses ordres doit avoir pour conséquence d'engouffrer une partie des forces de la VIe armée entre la région fortifiée de Nancy, Toul et la région fortifiée d'Epinal, tandis que le reste de ces forces n'assurera qu'une couverture illusoire du côté menacé. Ayant, le 20 août, commis l'erreur de laisser Ruprecht interdire aux Français l'entrée d'une nasse dans laquelle ils étaient près de se jeter et de se perdre, il en commet une autre, quatre jours plus tard, en le précipitant à son tour dans une situation dont il ne sortira qu'au prix des plus grandes difficultés, et non sans pertes.
Pour n'avoir pas voulu, - avant d'entreprendre quoi que ce soit vers le sud, - régler au préalable la question de Nancy, pour n'avoir peut-être pas su le discerner, la direction suprême mettait ses années de Lorraine en fâcheuse posture et compromettait irrémédiablement tout succès à venir sur ce théâtre d'opérations.
Car Ruprecht pouvait-il vraiment espérer un succès lorsqu'il commençait, au début de septembre, l'attaque sur Nancy et la trouée de Charmes ? Le moment était passé. Depuis quinze jours que la bataille de Morhange avait eu lieu, les Français étaient solidement installés sur les défenses autour de Nancy ; ils avaient eu le temps de se refaire, de se reconstituer, tandis que ses propres forces étaient réduites à la moitié de leur effectif normal.
En le poussant sur Nancy et sur Charmes avec des effectifs réduits, avec des moyens insuffisants, la direction suprême, agissant une fois de plus à contre-temps, lui assignait une mission impossible à remplir. Il fallait, ou bien qu'elle le renforçât, ce qu'elle ne pouvait faire, contre toute logique, qu'au détriment des armées à qui incombait l'effort principal, ou bien qu'elle lui prescrivît de rester sur la défensive. Il y avait là une décision à prendre sans retard. La masse des armées allemandes qui opéraient en France, et à qui revenait l'action décisive, avait été amputée, à la fin d'août, de quatre corps d'armée dirigés sur la Russie. Elle n'avait plus alors les moyens suffisants pour s'assurer la victoire.
Si, à ce moment, la direction suprême avait pris le parti de retirer des forces d'Alsace-Lorraine, elle aurait pu reconstituer ses armées de l'ouest dans leur composition initiale et leur redonner ainsi des chances de succès.
Le kronprinz bavarois, maintenu dans une attitude défensive, aurait eu encore des effectifs bien suffisants pour jouer son rôle, surtout avec l'appui de places fortes comme Metz et Strasbourg, et, ce faisant, on pouvait espérer une victoire décisive en France.
Au lieu de cela, la direction suprême, figée dans une répartition rigide de ses forces, attaque partout avec des moyens insuffisants et subit partout un échec inévitable.
Ce n'est que le 8 septembre, - nous l'avons vu, - qu'elle se décide à retirer des unités du front de Lorraine et à établir celui-ci sur la défensive. Il est trop tard. La bataille de la Marne est à ce moment perdue.
Quelle différence dans la manière de Joffre ! A la fin d'août, discernant que la partie décisive va se jouer en France, le généralissime français y ramène tout ce qu'il peut récupérer de forces. A l'heure même où la poussée allemande se prépare sur Nancy, il n'hésite pas à prélever deux corps d'armée sur ses armées de droite, auxquelles il ne laisse que les effectifs strictement nécessaires pour assurer la défense du front dont elles ont la garde, et ces corps d'armée seront à temps à la bataille de la Marne.
Par ce simple fait, le commandement français donnait la preuve de sa clairvoyance, de sa souplesse et de son activité. Par là il donnait une preuve de plus de sa supériorité incontestable sur le commandement allemand.

Commandant DE MIERRY.

(1) «  La campagne en Lorraine, 1914 ». par le colonel Chevalier VON RUITH, chef d'état-major de la 7e division (revue Wissen und Wehr, juillet-septembre 1921).

(2) Cette position partait du coude de la Nied (au sud-est de Metz), où un point d'appui était organisé dès le temps de paix, et elle devait être renforcée, dans tout son cours, jusqu'au confluent avec la Sarre, par des travaux de fortification. Des brigades mixtes de Landwehr étalent affectées à sa défense.

 

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