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Histoires criminelles du Blâmontois (14)
ANGOMONT - 1838-1853

Voir aussi Histoires criminelles


10 août 1854
Le Droit

COUR D'ASSISES DELA MEURTHE (Nancy).
Présidence de M. Pierson.
Audiences des 3 et 4 août.
EMPOISONNEMENS. - DEUX ACCUSÉS. - CONDAMNATION A MORT. - CONDAMNATION AUX TRAVAUX FORCÉS A PERPÉTUITÉ.
Le principal accusé, Jean-Christophe Marchal, garde forestier, est un homme d'une cinquantaine d'années, de haute taille, et paraissant doué d'une constitution vigoureuse. Ses traits sont accentués, et son œil, enfoncé dans l'orbite, lance un regard plein de flamme.
Sa complice, Florentine Stoquer, beaucoup plus jeune que lui, et qui paraît âgée de vingt-cinq ans à peine, porte dos vêtements de deuil et ne manque pas d'un certain charme dans la physionomie.
Dans cette affaire, d'une gravité exceptionnelle, M. le procureur général a voulu soutenir lui-même l'accusation.
La défense est confiée à Me Louis.
Voici comment Pacte d'accusation retrace la série des empoisonnement successifs dont Marchal se serait rendu coupable :

Jean-Christophe Marchal, né à Angomont le 25 juillet 1802, appartient à une famille riche de cette commune, dont la population est peu nombreuse. Il y a un mois à peine, son neveu était maire, son frère instituteur, un autre de ses parens adjoint. Tous les autres membres de sa famille sont propriétaires. Aussi cette position de fortune inspirait et inspire encore aujourd'hui aux habitans, qui sont pour la plupart de pauvres bûcherons, un certain sentiment de crainte.
En 1822, appelé par la loi du recrutement a faire partie de l'armée, Marchal fut incorporé dans le 1er régiment de dragons. Après trois ans de service, il se fractura le poignet et fut réformé : il était alors maréchal-des-logis. Il rentra au village d'Angomont, qu'il n'a plus quitté depuis. Il y a été successivement maire, garde particulier de Mme la princesse de Poix, puis de M. Chevandier, au service duquel il était lors de son arrestation.
Avant d'être enrôlé sous les drapeaux, Marchal avait eu un enfant naturel de Marie-Anne Aubert. Cet enfant, né le 18 novembre 1822, est décédé quelques jours après, le 25 du même mois. A son retour, son ancienne maîtresse était mariée avec un nommé Vincent. Marchal épousa lui-même en 1826 Anne Bournier, de Pexonne. Il en eut deux enfans qui vivent encore aujourd'hui. Ce sont ses seuls enfans. L'un, employé chez M. Chevandier, habite Angomont, l'autre se prépare à l'état ecclésiastique au séminaire de Corbigny (Nièvre).
Marchal est un homme d'un caractère orgueilleux, ayant beaucoup de confiance en lui-même. Il passe, à i juste titre dans le pays pour avoir abusé de sa position de garde, afin d'obtenir les faveurs des femmes qu'il trouvait dans les forêts confiées à sa surveillance. Quoique marié, il avait renoué des relations coupables avec son ancienne maîtresse, lorsqu'une double catastrophe éclata dans le ménage de chacun d'eux.
Le mari d'Anne Aubert, Jean Vincent, mourut le 6 juin 1838, et Anne Fournier, la femme de Marchal, le suivit de près; elle décéda le 2 septembre suivant. Ces deux morts extraordinaires n'excitèrent pas alors l'éveil de la justice. On n'osa pas en relever les circonstances. Mais il se produisit alors un grand scandale. A peine devenu veuf, Marchal fit venir chez lui, vers la fin d'octobre, Marie-Anne Aubert et vécut avec elle eu concubinage. L'abbé Guénin, curé d'Angomont à cette époque, fit de vaines démarches pour faire cesser ce scandale. Marchal et Anne Aubert se marièrent ensemble après dix mois de veuvage seulement.
Mais cette dernière était devenue vieille ; Marchal s'en dégoûta ; on le vit alors commencer et entretenir des relations adultères avec une jeune femme de son voisinage, nommée Florentine Stoquer, épouse Geoffroy. Anne Aubert les reprochait souvent à son mari, et de fréquentes altercations s'élevaient à ce sujet entre les deux époux.
C'est en ces circonstances que Marie-Anne-Aubert décéda, le 15 janvier 1853, après avoir fait devant Me Mangeon, notaire à Badonviller, une donation de tous ses biens en faveur de son mari. Quelques jours après, Eloi Geoffroy tomba malade et mourut le 18 février, après avoir également fait une donation de tous ses biens en faveur de sa femme.
Devenue veuve, Florentine Stoquer resta a Angomont un mois environ, puis elle alla se fixer dans sa famille à Saint-Sauveur. Les relations de Marchal avec la femme Geoffroy, qui étaient de notoriété publique avant le décès de Geoffroy et de Marie-Anne Aubert, continuèrent ; les rendez-vous avaient lieu dans la forêt, et un témoin les a surpris se livrant à d'indécentes caresses.
La famille Marchal voyait avec peine une telle conduite. Quand il parla d'épouser la veuve Geoffroy, on lui fit de sages observations qu'il n'écouta pas, et le mariage eut lieu le 19 décembre 1853, après les dix mois de veuvage.
Jusqu'à cette époque, il n avait circulé dans le pays aucun soupçon sérieux, soit sur Marchal, soit sur la femme Geoffroy. Ce ne fut qu'à partir de ce moment, et principalement dans le mois de janvier, que l'on parla d'empoisonnement. A Angomont, ou la famille Marchal est toute puissante, on n'osait rieur dire, mais à Brémenil et à Badonviller, ces bruits, vagues d'abord, prenaient de la consistance. On rappelait, en les groupant, les mariages successifs de Marchal, la mort de ses deux premières femmes, celle de Geoffroy, les nombreux adultères des accusés pendant la vie de leurs conjoints.
Marchal était très inquiet. Florentine Stoquer, sa femme, partageait ses inquiétudes. Aussi faisait-il d'actives démarches pour étouffer les bruits qui circulaient. Une chose étonnait, c'était le silence de Marchal quand on lui disait : «  Provoquez une exhumation, vos meilleurs témoins sont dans la terre. » Les craintes et les angoisses de sa femme augmentaient chaque jour. Epouvantés l'un et l'autre par suite des investigations que commençait la justice, ils se décidèrent à prendre la fuite. Ils quittent Augomont dans la soirée du 24 janvier, ils marchent toute la nuit, et le 25, à six heures du matin, ils arrivent à Sarrebourg au moment du passage du train-poste pour Strasbourg; ils sont tellement pressés, qu'ils prennent ce convoi, composé seulement de voitures de première classe.
La dame Boulanger, d'Angomont, qui allait à Strasbourg, les rencontre à la gare de Sarrebourg et monte dans la même voiture. Connaissant l'accusation qui s'élève contre les époux Marchal, elle est frappée de leur tristesse et remarque que Marchal a coupé ses moustaches. Celui-ci répond à peine à ses questions et se borne a lui dire qu'ils vont faire un voyage d'agrément. Les accusés, craignant d'être arrêtés à leur arrivée à Strasbourg, descendent ii Brumath et veulent quitter la dame Boulanger, de peur qu'elle ne puisse fournir plus tard des indications sur la direction qu'ils ont prise. Ils traversent Strasbourg, passent le Rhin, vont à Kehl ; mais là on leur demande leurs papiers. Marchal ne produit qu'un certificat de bonne conduite, qui paraît insuffisant à l'autorité badoise. Alors les fugitifs sont obligés de revenir rapidement à Angomont.
La veille de son départ, Marchal, accompagné de son beau-père Rafain, s'était rendu chez Me Stingre, notaire à Blâmont, pour faire une vente simulé de tous ses biens, meubles et immeubles; mais son fils Théophile étant intervenu, ce projet fut abandonné. On convint qu'un acte de donation serait fait. On voulait ainsi frustrer le gouvernement en cas de poursuite.
La gendarmerie ayant su que Marchal avait pris la fuite, on prévint la justice, qui se transporta sur les lieux le 29. Marchal y était; il s'était fait délivrer par le maire d'Angomont, son neveu, un certificat constatant qu'il n'avait jamais quitté le pays ; il le remit à la gendarmerie et se présenta ensuite avec sa femme au juge d'instruction, qui les interrogea et commença l'information.
Les témoins entendus alors, médecin, curé, habitant d'Angomont et autres, tous déclarèrent que Marie-Anne Aubert et Eloi Geoffroy étaient morts naturellement, l'un d'une péripneumonie, l'autre d'une gastro-entérite.
L'information dut s'arrêter là. Cependant le Parquet de Lunéville prescrivit à la gendarmerie de Badonviller et au juge de paix de Blâmont de continuer leurs investigations. Le 27 février, on apprit qu'à l'époque du décès de Marie-Anne Aubert et d'Eloi Geoffroy (décembre 1852 à février 1853), Marchal, à trois reprises différentes, avait acheté de l'arsenic chez Chardin, pharmacien à Badonviller. Les magistrats se rendirent immédiatement à Angomont. Marchal et sa femme avaient déjà pris la fuite.
Dans la nuit du 26 au 27, devant Me Mangeon, notaire à Badonviller, qui s'était transporté à Angomont, Marchal avait fait donation de tous ses biens, meubles et immeubles, à ses deux enfans, dans le but évident d'annihiler les garanties du fisc.
Après beaucoup de recherches et d'actives démarches, la gendarmerie parvint, le 31 mars, à arrêter les époux Marchal, qui s'étalent réfugiés chez un nommé Lhôte, à Parux.
Les corps de Marie-Anne Aubert et d'Eloi Geoffroy furent exhumés et soumis à une analyse qui fut faite par trois chimistes distingués de Nancy, MM. Braconnot, Simonin et Blondlot. Une quantité considérable d'arsenic fut retrouvée dans les viscères de Marie-Anne Aubert et d'Eloi Geoffroy, et, dans leur procès-verbal, les experts concluent en ces termes : «  Des faits qui précèdent nous concluons que Marie-Aune Aubert et Eloi Geoffroy sont morts empoisonnés par l'arsenic. »
Les auteurs de ces deux empoisonnements sont les époux Marchal.
Il est de notoriété publique, on l'a déjà dit, que Marchal et Marguerite-Florentine Stoquer, du vivant de leurs conjoints, entretenaient un commerce adultérin; ils ont été surpris en flagrant délit : Stoquer père en avait parlé à son gendre et à sa fille. La famille Marchal en était affligée. Marie-Anne Aubert, jalouse et profondément blessée de la conduite de son mari, avait fait connaître son chagrin; elle eut même à ce sujet des discussions vives avec Marchal, auquel elle reprochait ses relations avec la femme Geoffroy.
Peu de temps avant leur mort, Marie-Anne Aubert et Geoffroy pressentaient qu'ils seraient bientôt remplacés par Florentine Stoquer et par Marchal. Ainsi, la première disait à sa filleule, Adélaïde Humbert : Quand je ne serai plus, tu verras la femme d'Eloi entrer chez nous. Geoffroy, deux jours avant sa mort, disait à la femme Jacquel : Mon numéro est sorti, il faut partir, mais c'est place pour un autre ! Et par là, ajoute le témoin, j'ai compris qu'il voulait dire que Marchal le remplacerait près de sa femme.
Marie-Anne Aubert tomba malade vers le 10 novembre 1852. A cette époque, on voit Marchal accompagnant M. Chevandier à la chasse, du côté de Saint-Remy-aux-Bois, prier un garde de lui acheter de l'arsenic à Charmes. Il revient, et avec des ordonnances du sieur Lamblé, docteur en médecine à Badonviller. il parvient à se procurer trois fois de l'arsenic chez le pharmacien Chardin, les 12 décembre 1852, 2 et 14 février 1853, une fois avant le décès de sa femme, morte le 15 janvier 1853, et deux fois avant le décès de Geoffroy, mort le 18 février 1853 : en tout, 120 grammes d'arsenic. Avant ces époques et depuis, on ne trouve plus d'acquisition d'arsenic faite par Marchal, si ce n'est dans l'année 1838, chez le pharmacien Cabasse, de Raon-l'Etape.
Ce fut dans les premiers jours de janvier que la maladie de Marie-Anne Aubert fit des progrès effrayans. Marcha!, dans ce moment, lui administrait le poison dans les remèdes qu'il lui faisait prendre. Les progrès de la maladie furent si rapides, que le docteur Grandys déclare que, je 9 janvier, étant arrivé accidentellement chez Marchal, ff fut tellement frappé de l'aspect du facies de la malade, que l'idée du poison a traversé son âme, mais qu'il n'a pas osé s'y arrêter, à raison du calme et de l'impassibilité de Marchal, qui se trouvait au pied du lit.
La femme Marchal sentait qu'elle mourait empoisonnée ; elle refusait les remèdes que son mari lui donnait, disant à plusieurs personnes : Donnez-moi à boire ; mais surtout ne vous trompez pas, je ne veux pas de ses remèdes.
On remarquait que son mari allait préparer les boissons près d'une armoire dont lui seul avait la clef, et qu'il faisait toujours chauffer l'eau composant ces boissons. On sait que l'arsenic se dissout facilement dans un liquide chaud, tandis que la dissolution est, sinon impossible, au moins très difficile et lente dans un liquide froid. Aussi les vomissements arrivaient-ils quand Marchal donnait à sa femme ces breuvages chauds, tandis qu'ils ne se produisaient pas quand des étrangers préparaient et présentaient des breuvages froids à la malade qui, à la fin, ne voulait plus que de l'eau fraîche.
Cette malheureuse fit comprendre au nommé Clasquin, d'une manière nette et positive, qu'elle mourait empoisonnée par son mari ; elle fit même à ce dernier des reproches en sa présence, en ces termes ; Oh ! mon Dieu ! quel malheur, le plus grand malheur du monde ! Elle répondait à son mari, qui lui demandait sa main : Va t'en, mauvais gueux ; il aurait mieux valu pour toi et pour moi que tu ne l'eusses jamais touchée ! Voulant désigner Florentine Stoquer, un instant après, elle lui disait: Va-t-en, mauvais drôle! c'est toi qui es la cause que je suis ici, Marchal se bornait à dire à Clasquin: Eh bien ! voyez Clasquin, voilà quatre jours et quatre nuits que je la garde. Sa femme répliquait aussitôt : Oui, tu sais bien pourquoi tu me gardes ici.
Marchal, avant et après la mort, alors qu'on ne l'accusait pas encore, parlait des bruits qui couraient ou qui pouvaient courir; il faisait goûter les drogues qu'il prétendait administrer à sa femme. A Clasquin, avant la mort, il dit : Oh! les s... n... de D... de f... bêtes, ils disent que j'avance sa mort; elle le dit; venez voir que je vous fasse goûter ses drogues, vous verrez si c'est bon ou mauvais. Après la mort, Marchal disait encore à des femmes qui étaient venues jeter de l'eau bénite sur le corps de Marie-Anne Aubert : Les b... de bêtes, ils disent que j'ai avancé sa mort; eh bien, goûtez. En même temps il leur faisait goûter d'une espèce de sirop.
Lorsque la justice fit ses premières investigations et qu'on ignorait ses acquisitions d'arsenic, Marchal disait à Bruaut ; Je ne crains rien; si quelqu'un a été empoisonné, ce n'est pas par moi; je n'ai jamais eu de poison en ma possession, et, chez aucun pharmacien de France on ne peut trouver que j'en ai acheté !
Cependant, malgré cette apparente sécurité, Marchal cherchait à circonvenir et à suborneur les témoins. Adélaïde Humbert, filleule de Marie-Anne Aubert, qui l'aimait beaucoup, avait assisté aux derniers instans de sa marraine, avait reçu ses confidences et avait vu plus d'une fois des scènes violentes de la part de Marchal. Celui-ci, craignant les indiscrétions de cette fille, alors que l'impunité semblait devoir couvrir ses crimes, la chassa de sa maison, en l'accusant faussement de l'avoir volé. Adélaïde Humbert se rendit à Paris. L'information commencée, l'accusé comprend l'intérêt qu'il a d'obtenir son silence, et il écrit à Stoquer, de Saint-Sauveur, son beau-frère, pour le prier de voir aussitôt Adélaïde Humbert qui sera entendue par un juge d'instruction à Paris et de l'engager sans doute à taire ce qu'elle sait.
A la même époque, afin de combattre à l'avance l'accusation d'empoisonnement qui pèse sur lui, Marchal va trouver un nommé Jean-Baptiste Vibert, et lui dit : Tu me sauveras la vie et l'honneur de ma famille, si tu veux me rendre un service dont je vais te parler. En échange de ce service, je te donnerai une somme de 500 fr.; tu devras affirmer devant la justice que le jour de l'an, entre midi et une heure, t'étant présenté chez ma femme pour lui souhaiter la bonne année, tu l'as trouvée seule -qu'en réponse à tes souhaits, elle t'a dit : Oh ! mon pauvre Baptiste, pour mon premier jour de l'an, c'est si j'avais du poison pour m'empoisonner! A quoi tu as répliqué : Oh ! madame Marchal, à quoi pensez-vous de dire des choses semblables? Mais celle-ci a manifesté sa persistance par ces mots : Oh ! Baptiste, si j'avais du poison, je m'empoisonnerais.
Vibert a repoussé une telle ouverture; en présence de sa résistance, Marchal lui a dit : Au moins que la semelle de tes souliers n'en sache rien.
Le jeune Aubry, domestique de Marchal, était le confident de son maître, ou bien il avait surpris plus d'un de ses secrets. A la nouvelle de l'arrestation de celui-ci il pâlit et craint d'être arrêté comme lui ; il dit à Marguerite Vernier : Si je disais ce que je sais, mon maître aurait le cou coupé. Dans une autre circonstance, il disait à Thérèse Vincent et à Alexis Maire : Si ces messieurs (c est-à-dire les magistrats en information) savaient ce que sait Adélaïde comme moi aussi, les Marchal seraient bientôt f...
Enfin, lorsque Marchal est détenu à Lunéville et qu'il apprend que les charges deviennent chaque jour plus accablantes, il cherche à faire passer à l'insu du gardien en chef une lettre à un de ses amis qui devait lui procurer des moyens d'évasion.
Ces faits désignaient clairement Marchal comme l'auteur de la mort de sa femme Marie-Anne Aubert.
Marguerite-Florentine Stoquer était sa complice naturelle et obligée. Epouse adultère, afin de pouvoir épouser son amant, il lui fallait la mort de la femme Marchal ; elle a concerté le crime avec le mari de celle-ci, une même pensée les agitait tous deux, un même mobile les poussait; mais son but n'aurait pas été atteint si Geoffroy, son mari, eût survécu : aussi mourut-il peu de jours après.
Lors du décès de la femme Marchal, Geoffroy n'était pas encore malade. Agé de 35 ans, il était fort, vigoureux, travaillant activement, et cependant sa femme prédisait déjà sa mort, car dès ce moment elle l'avait résolue d'accord avec son complice. Se trouvant à la veillée chez la femme Holwech, elle disait : Je mets du bleu dans le fil que je fais afin qu'il puisse servir pour mon deuil. Comme on lui demandait l'explication de ces paroles, elle répondit : Qu'une femme qui disait la bonne aventure lui avait prédit mort et dérangement; que cela ne pouvait s'appliquer à son père, parce que cela ne ferait que malheur, et que pour qu'il y ait dérangement, la prédiction devait nécessairement s'appliquer à son mari On lui fit observer qu'il était gai, bien portant ; elle ajouta : Toutes les nuits il est malade; bien sûr il mourra, il ne sera plus à Pâques.
Quelques jours après, Geoffroy tomba malade. On attribua d'abord son indisposition à un effort qu'il fit en forêt. Le 8 février, il donna tous ses biens meubles et immeubles à sa femme. A partir de ce jour, la maladie augmente de gravité : elle offre tous les symptômes de l'empoisonnement. Marchal est toujours chez lui, il ne le quitte pour ainsi dire pas; le docteur Lamblé l'y trouve même à deux heures du matin. Puis Marchal continue à acheter de l'arsenic à Badonviller : 50 grammes le 2 février et 40 grammes le 14. Geoffroy ayant désiré manger un oiseau, Marchal le fournit ; la femme Geoffroy le prépare, son mari en mange un peu ; et depuis ce jour dit le docteur Lamblé, ce fut un homme perdu. Il est mort en effet, le 18 février, empoisonné par sa femme et par Marchal qui lui administraient l'arsenic dans les aliments et les tisanes.
L'abbé Coutret, curé d'Angomont, avait été tellement frappé de la maladie de Geoffroy, qu'il la qualifiait, en revenant chez lui, de Miserere. Il était si préoccupé de tout ce qui se passait que, voyant Marchal assister aux derniers moments de Geoffroy et recevoir sa femme dans ses bras, il le repoussa violemment en lui disant ; Ce n'est pas là votre place.
Marie-Anne Aubert et Eloi Geoffroy sont donc morts empoisonnés ; ils étaient un obstacle à l'union des deux époux adultères, le poison en a eu bientôt raison.
L instruction était complète sur ces deux crimes, lorsque les magistrats de la Cour pensèrent que Marie-Anne Bournier, première femme de Marchal, et Jean-Baptiste Vincent, premier mari de Marie-Anne Aubert, avaient pu succomber à un empoisonnement : un arrêt ordonna un supplément d'information, qui a pleinement confirmé les prévisions des magistrats.
On exhuma les restes de ces malheureux, une analyse chimique fut faite par les mêmes experts, et dans les deux cadavres on a trouvé de l'arsenic.
Marchal avait donc empoisonné sa première femme pour se marier avec son ancienne maîtresse, après dix mois de veuvage seulement.
Cette dernière s'était associé à ce crime en se débarrassant elle-même de son mari, et Marchal, son horrible complice, s'est chargé de la punir eu la faisant périr à son tour par le poison, de concert avec la femme Geoffroy.
Son second crime n'a été qu'une épouvantable copie de celui qu'il avait commis en 1838.
Dans leurs interrogatoires, les accusés se renferment dans un système de dénégations absolues. Marchal dit :
Si on a trouvé de l'arsenic dans le corps de ma femme, c'est elle qui s'est empoisonnée avec le poison que j'avais chez moi ; quant à E!oi Geoffroy, je ne sais comment cela s'est fait. Il prétend n'avoir acheté que deux fois de l'arsenic pour faire périr les grillons. S'il a pris la fuite, c'était, dit-il, pour éviter la prison préventive.
Quant à Marguerite-Florentine Stoquer, elle répond qu'elle ne sait rien, qu'elle n'a jamais eu de poison en sa possession. Enfin, tous deux repoussent avec énergie les relations adultérines dont le nommé Jacquot a été le témoin si complet.
M. LE PRÉSIDENT fait retirer Marchal de l'audience et procède à l'interrogatoire de Florentine Stoquer.
D. A quel âge avez-vous épousé Geoffroi, votre premier mari ?-R. A dix-huit ans et demi.
D. Votre mari se portait bien ? - R. Oui, monsieur.
D. Comment est-il tombé tout à coup malade?--R. Il s'est plaint d'avoir mal à l'estomac.
D. Saviez-vous quel mal il avait ?- R. Je crois que c'était une fluxion de poitrine.
D. Avez-vous bien soigné votre mari ? - R. Oui, monsieur.
D. Vous l'avez beaucoup regretté ? - R. Oui, monsieur.
D. Comment alors vous êtes-vous remariée dix mois après ? - R. Il y en a bien d'autres qui font comme moi.
D. Connaissiez-vous Marchal du vivant de votre premier mari ? - R. Non.
D. Il ne vous a jamais fait la cour? - R. Non.
D. N'ayez-vous pas eu avec Marchal des relations aussi intimes que possible entre un homme et une femme? - R. Non.
D. Pendant sa maladie, votre mari n'a-t-il pas manifesté le désir de manger du gibier, des oiseaux et du lièvre? N'a-t-on pas remarqué qu'aussitôt après avoir mangé ce gibier, qui venait de Marchal, l'état de votre mari est devenu plus grave, qu'il a eu des vomissements, des selles nombreuses?-R. Je ne sais pas.
D. Il est impossible que vous ayez ignoré ces circonstances? - R. Je ne me les rappelle pas.
M. le procureur général fait remarquer que c'est à partir du moment où il a mangé des oiseaux pris chez Marchal, que Geoffroy est devenu plus malade. Ses coliques sont devenues plus intenses, ses vomissemens plus fréquent. Il relève, en outre, une contradiction dans la déclaration de Florentine, qui avait dit dans l'instruction que son mari n'avait pas mangé d'oiseaux, qu'elle les avait jetés. A l'audience, elle prétend en avoir jeté au moins deux, parce qu'ils étaient gâtés.
D. Pendant la maladie de votre mari, Marchal n'était-il pas chez vous? - R. Je ne me rappelle pas.
D. Il y était si bien qu'il donnait à boire à votre mari?- R. Je ne me rappelle pas.
D. De quel mal est morte la femme Aubert ? - R. Je pense qu'elle est morte de son retour d'âge.
D. Marchal prétend que Marie Aubert a manifesté plusieurs fois l'intention de se détruire. Est-ce vrai cela? - R. Je ne sais pas.
D. Comment ! Marchal ne vous a-t-il donc jamais parlé de cette circonstance? - R. Jamais.
D. La fille Olvel venait-elle chez-vous quelquefois? - R. Oui.
D. Mais vous avez dit que non dans l'accusation ? - R. C est que je ne m'en suis pas souvenue.
D. Vous rappelez-vous lui avoir offert du pain sur lequel vous avez étendu de la crème, et que cette fille a ressenti aussitôt après de violentes coliques et éprouvé des vomissements?,-R. Je ne me rappelle pas.
D. L'accusation se le rappelle, car il sera constaté que vous avez étendu la crème sur le pain de la fille Olvel avec une cuiller que vous teniez à la main, laquelle était sans doute imprégné du poison qui venait d'être donné à votre mari.
M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL. - Comment ! vous ne vous rappelez pas que, dans sa maladie, votre mari avait de fréquent vomissements? - R. Non, je ne me le rappelle pas.
D. Marchal venait fréquemment chez vous? - R. Il y venait quelquefois.
D. Y restait-il tard? - R. Non, il s'en allait à bonne heure.
D. Les débats établiront que Marchal, pendant la maladie de Geoffroy, venait fréquemment chez vous, qu'il y restait tard, et que, lorsque quelques visiteurs se présentaient, on les repoussait en disant que Geoffroy était trop malade; et cependant Marchal était là et y demeurait jusqu'à une heure avancée de la nuit ; une fois notamment, jusqu'à deux heures après minuit.
M. le président. - Un jour, Marchal ne vous a-t-il pas prise dans ses bras ? - R. Il est vrai qu'un jour, étant tombée en faiblesse, Marchal m'a relevée et m'a posée sur une chaise ; il y avait du monde là.
D. Oui, il y avait M. le curé d'Angomont entre autres, qui, indigné de la conduite de Marchal, l'a vivement repoussé, en lui disant que sa place n'était pas là. Vous avez eu des relations très intimes avec Marchal ?-R. Non, monsieur.
D. Mais on vous a vu dans le bois avec Marchal ?- R. On s'est trompé, ce n'était pas moi.
D. Mais vos relations coupables avec Marchal sont établies, vous vous donniez des rendez-vous dans le bois ; des lettres fixant l'heure de ces rendez-vous étaient placées à des endroits convenus ? -R. Cela n'est pas.
D. Vous aviez si bien des relations coupables avec Marchal que vous êtes allés ensemble à l'enregistrement, après la mort de votre mari, pour déclarer la succession, et que le commis de l'enregistrement vous a d'abord pris pour deux amoureux?- R. Je ne me rappelle pas cela.
Marchal est ramené à l'audience.
M. le président l'interroge sur quelques faits de sa vie antérieure.
D. Cependant vous avez eu avec Anne-Aubert, alors quelle était la femme de Jean-Nicolas Vincent des rapports intimes ? - R. Non, monsieur.
D. Cependant tout le monde croyait à ces rapports et s'en scandalisait. - R. Je n'en ai eu aucun.
D. Des témoins déclareront le contraire. R Les témoins se tromperont.
D. Enfin Marie Aubert, votre ancienne maîtresse avec qui vous avez eu un enfant, devient, après la mort de son mari, votre concubine, des témoins en déposeront, puis enfin votre femme. De quelle maladie est-elle morte ? - R. Be son retour d'âge, je crois ; je ne me rappelle pas bien.
D. Comment! vous ne vous rappelez pas quelle a été prise de coliques dans un pré ; que des vomissemens n'ont pas tardé à se produire ainsi que le dévoiement? - R. Je ne me rappelle pas. Ce que je sais c'est que je l'ai beaucoup regrettée et qu'en la perdant j'ai perdu plus de 10,000 fr.
M. le président rappelle les sinistres prévisions des femmes de Marchal qui, par une sorte de pressentiment, annoncent leur mort prochaine. Puis, s'adressant à l'accusé, il lui demande s'il a acheté de l'arsenic en 1838.
L'accusé répond affirmativement.
D. Pourquoi était-ce faire? - R. C'était pour empoisonner des renards qui infestaient les bois.
-Mais voyez, dit M. le président, quelles singulières coïncidences résultent de vos actes ; en 1838, vous achetez de l'arsenic, et c'est à la même époque que meurent Anne Bournier, votre femme, et François Vincent, le mari de celle que vous épousez bientôt après, et qu'ils meurent empoisonnés. Vous achetez encore de l'arsenic en décembre 1852, et c'est le 15 janvier 1853 que succombe votre seconde femme. Vous en achetez le 3 février 1853, et c'est le 18 février qu'expire le mari de celle que vous convoitiez, de celle avec qui vous entreteniez un commerce adultère.
On passe à l'audition des témoins.
Le premier est M. le docteur Blondlot, professeur de chimie à l'Ecole de médecine de Nancy. Il explique à MM. les jurés les différentes missions dont il a été chargé pour l'exhumation de quatre cadavres, dont deux reposaient dans la terre depuis quinze ans, et les deux autres depuis quinze mois environ.
Il résulte de sa déposition que la présence de l'arsenic a été constatée par les experts dans les restes de Marie-Anne Bournier, première femme de Marchal, de Jean-Baptiste Vincent, de Marie-Anne Aubert et d'Eloi Geoffroy.
L'audience est levée et renvoyée au lendemain.
Au commencement de l'audience du 4, M. le président fait retirer l'accusé Marchal, puis après avoir fait descendre dans l'enceinte de la Cour la femme Marchal, il lui dit ; Florentine Stoquer, vous m'avez fait appeler, ajoutant que vous aviez quelque chose à me dire. Je me suis rendu près de vous, pesant que vous étiez dans l'intention de me faire connaître toute la vérité; or, c'était pour me dire seulement qu'il était vrai, en effet, que Geoffroy, votre premier mari, avait mangé du civet, circonstance que vous avez jusqu'ici déniée parce que Marchal vous avait recommandé de n'en parler à personne. Cet aveu n'est qu'un pas fait dans la voie de la vérité, où il faut entrer entièrement. Vous savez que c'est à partir du moment où votre mari a mangé ce civet que son état a empiré ?
La femme MARCHAL. - Je n'en sais rien.
D. Savez-vous que ce civet renfermât une substance nuisible? - R. Non, monsieur.
D. Vous convenez maintenant, n'est-ce pas, que Marchal venait souvent chez vous? --R. Oui, monsieur.
D. Qu'il y restait très tard? - R. Oui, monsieur.
D. Même la fuit? - R. Je ne crois pas,
D. Il donnait à boire à votre mari? - R. Je ne me le rappelle pas.
D. Voyons, dites la vérité, n'étiez-vous pas d accord avec Marchal pour faire insurger à votre mari ce civet qui a aggravés fort sa maladie?-R. Oh l non, monsieur.
M. le procureur général presse de nouveau Florentine Stoquer d'avouer toute la vérité. Florentine assure l'avoir dite tout entière.
D. Eh bien, voyons, vous avez assuré que votre mari avait mangé du civet, mais vous avez nié que vous avez eu connaissance que ce met, préparé chez Marchal, pût causer de graves accidents. En avez-vous mangé, vous?-R. Non, monsieur.
D. Quelqu'un chez vous en a-t-il mangé?-R. Non, monsieur.
D. Ainsi ce mets, qui devait tenter tant de monde dans la maison d'un bûcheron, personne n'y touche, excepté Geoffroy, qui ne tarde pas à en éprouver les funestes effets.
D. Avez-vous su de quelle maladie était morte la seconde femme de Marchal ?-R. Non, monsieur.
D. Comment ! vous n'avez pas su qu'elle avait eu des vomissements? - R. Non, monsieur.
D. Mais enfin, Marchal, devenu veuf, a dû vous dire : Maintenant, si tu étais veuve, je pourrais t'épouser? - R. Il ne me l'a pas dit.
D. Marchal ne vous a-t-il pas dit de vous faire faire un testament? - R. Non, monsieur, c'est mon mari qui a voulu me donner ce qu'il avait.
D. Et qui est mort six semaines après ? Ainsi, vous obtenez de votre mari une dotation, six semaines après votre mari meurt, et après dix mois de veuvage vous vous remariez !
M. le procureur-général rappelle encore que Geoffroy a mangé d'un oiseau accommodé par Florentine elle-même. Cette dernière circonstance a précédé de deux jours la mort de Geoffroy.
Il presse Florentine de s'expliquer, de dire toute la vérité : Vous êtes devant la justice, dit-il, c'est comme si vous étiez devant Dieu ; revenez à la vérité, Florentine, c'est la vérité seule qui peut vous sauver devant Dieu et devant les hommes. Il faut dire la vérité.
L'accusée déclare l'avoir dite tout entière.
On ramène l'accusé Marchal.
M. le président lui fait le récit de ce qui vient de se passer. Marchal en est très ému et répond d'une voix altérée aux pressantes questions qui lui sont faites.
On appelle M. le docteur LAMBLÉ. C'est ce témoin qui a donné des ordonnances pour faire délivrer du poison à Marchal, et qui a été appelé au lit de mort de Geoffroy ; il a délivré à Marchal un certificat attestant que ce dernier était mort d'une péripneumonie. Comme dans l'instruction, la déposition de ce témoin est embarrassée, M. le procureur général lui adresse, à plusieurs reprises, des admonestions sévères sur l'imprudence de sa conduite et ses complaisances pour l'accusé. Il lui reproche de n'avoir pas su voir le véritable caractère de la maladie de Geoffroy, lui qui la visite plus de sept fois avant sa mort, lui qui a signé trois ordonnances pour faire délivrer du poison à Marchal : 120 grammes d'arsenic !
On entend successivement les autres témoins dont les dépositions rappellent les faits exposés dans l'acte d'accusation.
M. le président fait de nouveau retirer l'accusé Marchal et fait descendre du banc des accusés Florentine Stoquer, qui vient se placer au milieu de l'enceinte, sur l'estrade des témoins. M. le président l'invite de nouveau à dire toute la vérité. Elle convient que son mari lui a dit, en revenant de Strasbourg, qu'il avait placé du poison dans le miel qu'il avait envoyé à Geoffroy ; mais elle nie avoir jamais eu du poison en sa possession et avoir connu que Marchal ait empoisonné sa femme. A cet égard, les pressantes instances de M. le président restent sans effet.
M. le procureur général LEZAUD prend ensuite la parole et développe les charges qui pèsent sur les deux accusés.
Me LOUIS combat ce réquisitoire et demande l'acquittement de ses deux clients.
Après le résumé des débats par M. le président, le jury entre en délibération et revient au bout d'une heure et demie en rapportant un verdict de culpabilité contre les deux accusés.
Des circonstances atténuantes ayant été admises en faveur de Florentine Stoquer, elle est condamnée aux travaux forcés à perpétuité.
Marchal entend prononcer contre lui un arrêt de mort dont l'exécution aura lieu sur la place de Baccarat.


Le Pays : journal des volontés de la France
10 août 1854

Cour d'assises de la Meurthe.

Présidence de M. Pierson, conseiller.
Audience des 4, 5 et 6 août,
AFFAIRE DES ÉPOUX MARCHAL. - EMPOISONNEMENT
Marchal est un homme d'une stature élevée; son extérieur est convenable et annonce un homme appartenant à cette classe des habitants de la campagne que leurs occupations façonnent au contact des gens du monde.
Florentine Stoquer a une expression de figure douce et agréable; elle est vêtue de deuil.
Après l'accomplissement de certaines formalités d'usage, il est donné, par le greffier, au milieu du profond silence, lecture de l'acte d'accusation, dont voici les principaux passages :
Jean-Chrislophe Marchal, né à Angomorit le 25 juillet 1802, appartient à une famille riche de cette commune.
En 1822, appelé par la loi du recrutement à faire partie de l'armée, Marchal fut incorporé dans le 1er régiment de dragons. Après trois ans de service, il se fractura le poignet et fut réformé : il était alors maréchal des logis. Il rentra au village d'Angomont, qu'il n'a pas quitté depuis. Il y a été successivement maire, garde particulier de Mme la princesse Poix, puis de M. Chevandier, au service duquel il était lors de son arrestation.
Avant d'être enrôlé sous les drapeaux, Marchal avait eu un enfant naturel de Marie-Anne Aubert. Cet enfant, né le 18 novembre 1822, est décédé quelques jours après, le 25 du même mois. A son retour, son ancienne maîtresse était mariée avec un nommé Vincent; Marchal épousa lui-même, en 1826, Anne Fournier, de Pexonne. Il en eut deux enfants qui vivent.
Le mari d'Anne Aubert, Jean Vincent, mourut le 6 juin 1838, et Anne Fournier, la femme de Marchal, le suivit de près ; elle décéda le 2 septembre suivant. Ces deux morts n'excitèrent pas alors l'éveil de la justice ; on n'osa pas en relever les circonstances, Mais il se produisit alors un grand scandale. A peine devenu veuf, Marchal fit venir chez lui, vers la fin d'octobre, Marie-Anne Aubert, et vécut avec elle en concubinage. L'abbé Guénin, curé d'Angomont à cette époque, fit de vaines démarches pour faire cesser ce scandale. Marchal et Anne Aubert se marièrent ensemble, après dix mois de veuvage seulement.
Mais cette dernière était devenue vieille ; Marchal s'en dégoûta bientôt. On le vit alors entretenir des relations adultères avec une jeune femme de son voisinage, nommée Florentine Stoquer, épouse Geoffroy. Anne Aubert le reprochait souvent à son mari, et de fréquentes altercations s'élevaient à ce sujet entre les deux époux.
C'est en ces circonstances que Marie-Anne Aubert décéda, le 15 janvier 1853, après avoir fait devant Me Mangeon, notaire à Badonviller, une donation de tous ses biens en faveur de son mari. Quelques jours après, Eloi Geoffroy tomba malade et mourut le 18 février, après avoir également fait une donation de tous ses biens en faveur de sa femme.
Devenue veuve, Florentine Stoquer resta à Angomont un mois environ, puis elle alla se fixer dans sa famille, à Saint-Sauveur. Les relations de Marchal avec la femme Geoffroy, qui étaient de notoriété publique avant le décès de Geoffroy et de Marie-Anne Aubert, continuèrent.
La famille de Marchal voyait avec peine une telle conduite. Quand il parla d'épouser la veuve Geoffroy, on lui fit de sages observations qu'il n'écouta pas, et le mariage eut lieu le 19 décembre 1853, après les dix mois de veuvage.
Ce fut à partir de ce moment, et principalement dans le mois de janvier, que l'on parla d'empoisonnement. On rappelait, en les groupant, les mariages successifs de Marchal : la mort de ses deux premières femmes, celle de Geoffroy, les nombreux adultérés des accusés pendant la vie de leurs conjoints.
Marchal était très inquiet. Florentine Stoquer, sa femme, partageait ses inquiétudes. Aussi faisaient-ils d'activés démarches pour étouffer les bruits qui circulaient. Epouvantés l'un et l'autre par suite des investigations que commençait la justice, ils se décident à prendre la fuite. Ils quittent Angomont dans la soirée du 24 janvier, ils marchent toute la nuit, et le 25, à six heures du matin, ils arrivant à Sàrrebourg au moment du passage du train-poste pour Strasbourg; ils sont tellement pressés, qu'ils prennent ce convoi composé seulement de voitures de première classe. La dame Boulanger, d'Angomont, qui allait à Strasbourg, les rencontre à la gare de Sarrebourg et monte dans la même voiture. Connaissant l'accusation qui s'élève contre les époux Marchal, elle est frappée de leur tristesse et remarqua que Marchal a coupé ses moustaches. Les accusés craignant d'être arrêtés à leur arrivée à Strasbourg, descendent à Brumath et veulent quitter la dame Boulanger, de peur qu'elle ne puisse fournir plus tard des indications sur la direction qu'ils ont prise. Ils traversent Strasbourg, passent le Rhin, vont à Kehl; mais là on leur demande leurs papiers. Marchal ne produit qu'un certificat qui parait insuffisant à l'autorité badoise. Alors les fugitifs reviennent .à Angomont.
La veille de son départ, Marchal, accompagné de son beau-frère Ratain, s'était rendu chez Me Stingre, notaire a Blamont, pour faire une vente simulée de tous ses biens, meubles et immeubles ; mais son fils Théophile étant intervenu, ce projet fut abandonné. On convint qu'un acte de donation sera fait. On voulait ainsi frustrer le gouvernement en cas de poursuite.
La gendarmerie ayant su que Marchal avait pris la fuite, on prévint la justice, qui se transporta sur les lieux le 29. Marchal y était; il s'élit fait délivrer, par le maire d'Angomont, son neveu, un certificat constatant qu'il n'avait jamais quitté le pays ; il le remit à la gendarmerie et se présenta ensuite avec sa femme au juge d'instruction, qui commença l'information.
Les témoins entendus alors déclarèrent que Marie-Anne Aubert et Eloi Geoffroy étaient morts naturellement, l'un de péripneumonie, l'autre de gastro-entérite.
L'information dut s'arrêter là. Cependant lé parquet de Lunéville prescrivit à la gendarmerie de Badonviller et au juge de paix de Blamont de continuer leurs investigations. Le 27 février, on apprit qu'à l'époque du décès de Marie-Anne Aubert, et d'Eloi Geoffroi (décembre 1852 a février 1853), Marchal, à trois reprises différentes, avait acheté de l'arsenic chez Chardin, pharmacien à Badonviller, Les magistrats se rendirent immédiatement à Angomont. Marchal et sa femme avaient déjà pris la fuite.
Dans la nuit du 26 au 27, devant Me Mangeon, notaire à Badonviller, qui s'était transporté à Angomont, Marchal avait fait donation de tous ses biens, meubles et immeubles, à ses deux enfants, dans le but d'annihiler les garanties du fisc.
Après beaucoup de recherches et d'actives démarches, la gendarmerie parvint, le 31 mars, à arrêter les époux Marchal, qui s'étalent réfugiés chez un nommé Lhôte, à Parux.
Les corps de Marie-Anne Aubert et d'Eloi Geoffroy furent exhumés et soumis à une analyse qui fut faite par trois chimistes distingués de Nancy, MM. Braconnot, Simonin et Blondlot. Une quantité considérable d'arsenic fut retrouvée dans les viscères de Marie-Anne Aubert et d'Eloi Geoffroy, et, dans leur procès-verbal, les experts concluent en ces termes : «  Des faits qui précèdent nous concluons que Marie-Anne Aubert et Eloi Geoffroy sont morts empoisonnés par l'arsenic. »
Peu de temps avant leur mort, Marie-Anne Aubert et Geoffroy pressentaient qu'ils seraient bientôt remplacés par Florentine Stoquer et par Marchal. Ainsi, la première disait à sa filleule, Adélaïde Humbéry : «  Quand je ne serai plus, tu verras la femme 'd’Eloi entrer chez nous. » Geoffroy, deux jours avant sa mort, disait à la femme Jacquel : «  Mon numéro-est sorti, il faut partir, mais c'est place pour un autre ! - Et par là, ajoute le témoin, j'ai compris qu'il voulait dire que Marchal le remplacerait près de sa femme. »
Marie-Anne Aubert tomba malade vers le 10 novembre 1852. A Cette époque, on voit Marchal accompagnant M. Chevandier à la chasse, du côté de Saint-Remy-aux-Bois, prier un garde de lui acheter de l'arsenic à Charmes. Il revient, et, avec des ordonnances du sieur Lamblé, docteur en médecine à Badonviller, il parvint à se procurer trois fois de l'arsenic chez le pharmacien Chardin, les 12 décembre 1852, 2 et 14 février 1853, une, fois avant le décès de sa-femme, morte le 15 janvier 1853, et deux fois avant le décès de Geoffroy, mort le 18 février 1853; en tout, 120 grammes d'arsenic.
Ce fut dans les .premiers jours de janvier que la maladie de Marie-Anne Aubert fit des progrès effrayants. Marchal, dans ce moment, lui administrait le poison dans les remèdes qu'il lui faisait prendre. Les progrès de la maladie furent si rapides, que le docteur Grandys déclare que, le 9 janvier, étant arrivé accidentellement chez Marchal, il fut tellement frappé de l'aspect du facies de la malade, que «  l'idée du poison a traversé son âme, » mais qu'il n'a pas osé s'y arrêter, à raison du calme de Marchal, qui se trouvait au pied du lit.
La femme Marchal sentait qu'elle mourait empoisonnée; elle refusait les remèdes que son mari lui donnait, disant à plusieurs personnes : «  Donnez-moi à boire, mais surtout ne vous trompez pas, je ne veux pas de ses remèdes. »
On remarquait que son mari allait préparer les boissons près d'une armoire dont lui seul avait la clef, et qu'il faisait toujours chauffer l'eau composant ces boissons. On sait que l'arsenic se dissout facilement dans un liquide chaud, tandis que la dissolution est, sinon impossible, au moins très difficile et lente dans un liquide froid.
Marchal, avant et après la mort, alors qu'on ne l'accusait pas encore, parlait des bruits qui couraient ou qui pouvaient courir; il faisait goûter les drogues qu'il prétendait administrer à sa femme. A Clasquin, avant la mort, il dit : «  Oh! les s... n... de D... de f... bêtes, ils disent que j'avance sa mort; elle le dit; venez voir que je vous fasse goûter ses drogues, vous verrez si c'est bon ou mauvais. »
Lorsque la justice fit ses premières investigations, et qu'on ignorait ses acquisitions d'arsenic, Marchal disait à Bruant : « Je ne crains rien; si quelqu'un a été empoisonné, ce n'est pas par moi : je n'ai jamais eu de poison en ma possession, et, chez aucun pharmacien de France, on ne peut trouver que j'en aie acheté. »
Cependant, malgré cette apparente sécurité, Marchal cherchait à circonvenir et à suborner les témoins. Adélaïde Humbert, filleule de Marie-Anne .Aubert, qui l'aimait beaucoup, avait assisté aux derniers instants de sa marraine, avait reçu ses confidences et avait vu plus d'une fois des scènes violences de la part de Marchal. Celui-ci, craignant les indiscrétions de cette fille, alors que l'impunité semblait devoir couvrir ses crimes, la chassa de sa maison, en l'accusant faussement de l'avoir volé. Adélaïde Humbert se rendit à Paris. L'information commencé, l'accusé comprend l'intérêt qu'il a d'obtenir son silence, et il écrit à Stoquer, de Saint-Sauveur, son beau-frère, pour le prier de voir aussitôt Adélaïde Humbert, qui sera entendue par un juge d'instruction de Paris, et de l'engager sans doute à taire ce qu'elle savait.
A la même époque, afin de combattre à l'avance l'accusation d'empoisonnement qui pèse sur lui, Marchal va trouver un nommé Jean-Baptiste Vibert, et lui dit : «  Tu me sauveras la vie et l'honneur de ma famille, si tu veux me rendre un service dont je vais te parler. En échange de ce service, je te donnerai une somme de 500 fr.; lu devras affirmer devant la justice que le jour de l'an entre midi et une heure, t'étant présenté chez ma femme pour lui souhaiter la bonne année, tu l'as trouvée seule ; qu'en réponse à tes souhaits, elle t'a dit : Oh! mon pauvre Baptiste, pour mon premier jout de l'an, si j'avais du poison pour m'empoisonner! - A quoi tu as répliqué : - Oh! madame Marchal, à quoi pensez-vous de dire des choses semblables? Mais celle-ci a manifesté sa persistance par ces mots : - Oh! si, j'avais du poison, je m'empoisonnerais. »
Vibert a repoussé une telle ouverture; en présence de sa résistance, Marchal a dit : «  Au moins que la semelle de tes souliers n'en sache rien. »
Le jeune Aubry, domestique de Marchal, était le confident de son maître, ou bien il avait surpris plus d'un de ses secrets. A la nouvelle de l'arrestation de celui-ci, il pâlit et craint d'être arrêté comme lui ; il dit à Marguerite Vernier : «  Si je disais ce que je sais, mon maître aurait le cou coupé. » Dans une autre circonstance, il disait à Thérèse Vincent et Alexis Maire : «  Si ces messieurs (c'est-à-dire les magistrats en information) savaient ce que sait Adélaïde comme moi, les Marchal seraient bientôt f..... »
Marguerite-Florentine Stoquer était la complice obligée de Marchal. Afin de pouvoir épouser son amant, il lui fallait la mort de la femme Marchal, elle a concerté le crime avec le mari de celle-ci ; mais son but n'aurait pas été atteint si Geoffroy son mari eût survécu : aussi mourut-il peut de jours après.
Lors du décès de la femme Marchal, Geoffroy n'était pas encore malade. Agé de 35 ans, il était fort, vigoureux, travaillant activement, et cependant sa femme prédisait déjà sa mort, car dès ce moment elle L'avait résolue d'accord avec son complice. Se trouvant à la veillée chez la femme Holweck, elle disait : «  Je mets du bleu dans le fil que je fais afin qu'il puisse servir pour mon deuil. » Comme on lui demandait l'explication de ces paroles, elle répondit : «  Qu'une femme qui disait la bonne aventure lui avait prédit mort et dérangement ; que la prédiction devait nécessairement s'appliquer à son mari. » On lui fit observer qu'il était gai, bien portant ; elle ajouta : «  Toutes les nuits il est malade; bien sûr il mourra; il ne sera plus à Pâques. »
Quelques jours après, Geoffroy tomba malade. Le 8 février, il donne tous ses biens, meubles et immeubles, à sa femme. A partir de ce jour, la maladie augmente de gravité. Elle offre les symptômes de l'empoisonnement. Marchal est toujours chez lui, il ne le quitte pour ainsi dire pas. Le docteur Lamblé l'y trouve même à deux heures du matin. Puis Marchal continue à acheter de l'arsenic à Badonviller, 50 grammes le 2 février et 40 grammes le 14.
Geoffroy ayant désiré manger un oiseau, Marchal le fournit; la femme Geoffroy le prépare, son mari en mange un peu, et depuis ce jour, dit le docteur Lamblé, ce fut un homme perdu; il est mort, en effet, le 18 février, empoisonné par sa femme et par Marchal, qui lui administraient l'arsenic dans les aliments et les tisanes.
L'abbé Coutret, curé d'Angomont, avait été tellement frappé de la maladie de Geoffroy, qu'il la qualifiait, en revenant chez lui, de miserere. Il était si préoccupé de tout ce qui se passait, que voyant Marchal assister aux derniers moments de Geoffroy et recevoir sa femme dans ses bras, il la repoussait violemment en lui disant : Ce n'est pas là votre place.
L'instruction était complète sur ces deux crimes, lorsque les magistrats de la cour pensèrent que Marie-Anne Fournier, première femme de Marchal, et Jean-Baptiste Vincent, premier mari de Marie-Anne Aubert, avaient pu succomber à un empoisonnement. Un arrêt ordonna tn supplément d'information qui a pleinement confirmé les prévisions des magistrats.
On exhuma les restes de ces malheureux, une analyse chimique fut faite par les mêmes experts, et dans les deux cadavres on a trouvé de l'arsenic.
Marchal avait donc empoisonné sa première femme pour se marier avec son ancienne maîtresse, après dix mois de veuvage.
Cette dernière s'était associée à ce crime, en se débarrassant elle-même de son mari, et Marchal, son horrible complice, s'est chargé de la punir en la faisant périr à son tour par le poison, de concert avec la femme Geoffroy. Son second crime n'a été qu'une épouvantable copie de celui qu'il avait commis en 1838.
Dans leurs interrogatoires, les accusés se renferment dans un système de dénégations absolues. Marchal dit : Si on a trouvé de l’arsenic dans le corps de ma femme, c'est elle qui s'est empoisonnée avec le poison que j’avais chez moi; quant à Eloi Geoffroy, je ne sais comment cela s'est fait. Il prétend n'avoir acheté que deux fois de l'arsenic pour faire périr des grillons. S'il a pris la fuite, c'était, dit-il, pour éviter la prison préventive.
Quant à Marguerite-Florentine Stoquer, elle répond qu'elle ne sait rien, qu'elle n'a jamais eu de poison en sa possession. Enfin, tous deux repoussent avec énergie les relations adultères dont le témoin Jacquot a été le témoin si complet.
Cette importante affaire, dans laquelle près de cinquante témoins ont été entendus, commencée vendredi à onze heures du matin, ne s'est terminée que dimanche, à neuf heures du soir.
Marchal, déclaré coupable, a été condamné à la peine de mort. Son exécution aura lieu sur la place publique de Baccarat.
Florentine Stoquer, la femme de Marchal, ayant obtenu le bénéfice des circonstances atténuantes, a été condamnée aux travaux forcés à perpétuité.


Journal des débats politiques et littéraires
9 août 1854

COUR D'ASSISES DE LA MEURTHE.

Présidence de M. Pierson conseiller.
Audiences des 3 et 4 août.
Double empoisonnement.
Jean-Christophe Marchal, garde forestier, et Marguerite Florentine Stoquer, sa troisième femme, comparaissaient devant le jury comme prévenus d'avoir de complicité empoisonné 1° Marie-Anne Aubert, veuve en premières noces de Jean Vincent, et deuxième femme de Marchal ; 2° Eloi Geoffroy, premier mari de Marguerite Florentine Stoquer. La prévention impute encore à Marchal deux autres crimes d'empoisonnement, aujourd'hui couverts par la prescription, et qu'il aurait commis sur Anne Fournier, sa première femme, et sur Jean Vincent, premier mari de Marie-Anne Aubert, auxquels il aurait donné la mort pour épouser celle-ci, qui au mois de janvier dernier succombait elle-même, empoisonnée de la main de Marchal.
Le principal accusé était un homme considérable dans le petit village qu'il habitait et dont la population se compose de pauvres bûcherons.
Il est âgé de cinquante-deux ans; sa taille est élevée, ses formes sont athlétiques. Ses traits sont fortement caractérisés, son front bas, son œil profond et ardent.
Florentine Stoquer, qui ne parait pas avoir plus de vingt-cinq ans, a une figure agréable ; ses vêtemens de deuil font ressortir la blancheur et la finesse de son teint, peu ordinaires pour une femme de la campagne.
M. le procureur général Lezaud doit soutenir lui-même cette grave accusation.
Me Louis est le défenseur des époux Marchal.
Il est donné lecture de l'acte d'accusation, ainsi conçu
«  Jean-Christophe Marchal, né à Angomont, le 25 juillet 1802, appartient à une famille riche de cette commune, dont la population est peu nombreuse. II y a un mois à peine, son neveu était maire, son frère instituteur, un autre de ses parens adjoint. Tous les autres membres de sa famille sont propriétaires. Aussi cette position de fortune inspirait et inspire encore aujourd'hui aux habitans, qui sont pour la plupart de pauvres bûcherons, un certain sentiment de crainte.
» En 1822, appelé par la loi du recrutement à faire partie de l'armée, Marchal fut incorporé dans le 1er régiment de dragons. Après trois ans de service, il se fractura le poignet et fut réformé : il était alors maréchal-des-logis. Il rentra au village d'Angomont, qu'il n'a plus quitté depuis. Il y a été successivement maire, garde particulier de Mme la princesse de Poix, puis de M. Chevandier, au service duquel il était lors de son arrestation.
» Avant d'être enrôlé sous les drapeaux. Marchal avait eu un enfant naturel de Marie-Anne Aubert. Cet enfant, né le 18 novembre 1822, est mort quelques jours après, le 25 du même mois. A son retour son ancienne maîtresse était mariée avec un nommé Vincent. Marchal épousa lui-même en 1826 Anne Bournier de Pexonne. Il en eut deux enfans qui vivent encore aujourd’hui. Ce sont ses seuls enfans. L'un employé chez M. Chevandier, habite Angomont, l'autre se prépare à l'état ecclésiastique au séminaire de Corbigny (Nièvre). »
» Marchal est un homme d'un caractère orgueilleux, ayant beaucoup de confiance en lui-même. Il passe à juste titre dans le pays pour avoir abusé de sa position de garde afin d'obtenir les faveurs des femmes qu'il trouvait dans les forêts confiées à sa surveillance. Quoique marié, il avait renoué des relations coupables avec son ancienne maîtresse, lorsqu'une double catastrophe éclata dans le ménage de chacun d'eux. Le mari d'Anne Aubert, Jean Vincent, mourut le 6 juin 1838, et Anne Fournier, la femme de Marchal, le suivit de près, elle mourut le 2 septembre suivant. Ces deux morts extraordinaires n'excitèrent pas alors l'éveil de la justice. On n'osa pas en relever les circonstances. Mais il se produisit alors un grand scandale. A peine devenu veuf, Marchal fit venir chez lui, vers la fin d'octobre, Marie-Anne-Aubert et vécut avec elle en concubinage. L'abbé Guénin, curé d'Angomont à cette époque, fit de vaines démarches pour faire cesser ce scandale. Marchal et Anne Aubert se marièrent ensemble après dix mois de veuvage seulement..
» Mais cette dernière était devenue vieille; Marchal s'en dégoût a:onle vit alors commencer et entretenir des relations adultères avec une jeune femme de son voisinage, nommée Florentine Stoquer, épouse Geoffroy. Anne Aubert les reprochait souvent à son mari, et de fréquentes altercations s'élevaient à ce sujet entre les deux époux.
» C'est en ces circonstances que Marie-Anne Aubert mourut, le 15 janvier 1853, après avoir fait devant Me Mangeon, notaire à Badonviller, une donation de tous ses biens en faveur de son mari. Quelques jours après, Eloi Geoffroy tomba malade et mourut le 18 février, après avoir également fait donation de tous ses biens en faveur de sa femme.
» Devenue veuve, Florentine Stoquer resta à Angomont un mois environ, puis elle alla se fixer dans sa famille à Saint-Sauveur. Les relations de Marchal avec la femme Geoffroy qui étaient de notoriété publique avant la mort de Geoffroy et de Marie-Anne Aubert, continuèrent. Les rendez-vous avaient lieu dans la forêt, et un témoin les a surpris se livrant à d'indécentes caresses.
» La famille de Marchal voyait avec peine une telle conduite. Quand il parla d’épouser la veuve Geoffroy, on lui fit de sages observations qu'il n'écouta pas, et le mariage eut lieu le 19 décembre 1853, après dix mois de veuvage.
» Jusqu'à cette époque il n'avait circulé dans le pays aucun soupçon sérieux, soit sur Marchal, soit sur la femme Geoffroy. Ce ne fut qu'à partir de ce moment, et principalement dans le mois de janvier, que l'on parla d'empoisonnement. A Angomont, où la famille Marchal est toute-puissante, ou n'osait rien dire; mais à Brémenil et à Badonviller, ces bruits, vagues d'abord, prenaient de la consistance. On rappelait, en les groupant, les mariages successifs de Marchal, la mort de ses deux premières femmes, celle de Geoffroy, les nombreux adultères des accusés pendant la vie de leurs conjoints.
» Marchal était très inquiet. Florentine Stoquer, sa femme, partageait ses inquiétudes. Aussi faisaient-ils d'actives démarches pour étouffer les bruits qui circulaient. Une chose étonnait c'était le silence de Marchal quand on lui disait «  Provoquez une exhumation, vos meilleurs témoins sont dans la terre. » Les craintes et les angoisses de sa femme augmentaient chaque jour. Epouvantés l'un et l'autre par suite des investigations que commençait la justice, ils se décidèrent à prendre la fuite. Ils quittent Angomont dans la soirée du 24 janvier, ils marchent toute la nuit, et le 25, à six heures du matin ils arrivent a Sarrebourg au moment du passage du train-poste pour Strasbourg; ils sont tellement pressés qu'ils prennent ce convoi, composé seulement de voitures de première classe. La dame Boulanger, d'Angomont, qui allait à Strasbourg, les rencontre à la gare de Sarrebourg et monte dans la même voiture. Connaissant l'accusation qui s'élève contre les époux Marchal, elle est frappée de leur tristesse, et remarque que Marchal a coupé ses moustaches. Celui-ci répond à peine à ses questions et se borne à lui dire qu'ils vont faire un voyage d'agrément. Les accusés, craignant d'être arrêtés à leur arrivée à Strasbourg, descendent à Brumath et veulent quitter la dame Boulanger, de peur qu'elle ne puisse fournir plus tard des indications sur la direction qu'ils ont prise. Ils traversent Strasbourg, passent le Rhin, vont à Kehl; mais là on leur demande leurs papiers. Marchal ne produit qu'un certificat de bonne conduite, qui paraît insuffisant à l'autorité badoise. Alors les fugitifs sont obligés de revenir rapidement à Angomont.
» La veille de son départ, Marchal, accompagné de son beau-frère Ratain, s'était rendu chez Me Stingre, notaire à Blâmont, pour faire une vente simulée de tous ses biens meubles et immeubles mais son fils Théophile étant intervenu, ce projet fut abandonné. On convint qu’un acte de donation serait fait. On voulait ainsi frustrer le gouvernement en cas de poursuite.
» La gendarmerie ayant su que Marchal avait pris la fuite, on prévint la justice, qui se transporta sur les lieux le 29. Marchal y était ; il s'était fait délivrer par le maire d'Angomont, son neveu, un certificat constatant qu’il n'avait jamais quitté le pays; il le remit à la gendarmerie et se présenta ensuite avec sa femme au juge d'instruction, qui les interrogea et commença l'information.
» Les témoins entendus alors, médecin, curé, habitans d'Angomont et autres, tous déclarèrent que Marie-Anne Aubert et Eloi Geoffroy étaient morts naturellement d’une péripneumonic, l'autre d'une gastro- entérite.
» L'information dut s'arrêter là. Cependant le parquet d Lunéville prescrivit à la gendarmerie de Badonvîller et au juge de paix de Bl^tmont de continuer leurs investigations. Le 27 février, on apprit qu'à l'époque de la mort de Marie-Anne Aubert et d'Eloi Geoffroy (décembre 1852 à février 1853), Marchal, à trois reprises différentes, avait acheté de l'arsenic chez Chardin, pharmacien à Badonviller. Les magistrats se rendirent immédiatement à Angomont. Marchal et sa femme avaient déjà pris la fuite.
» Dans la nuit du 26 au 27, devant. Me Mangeon, notaire à Badonviller, qui s'était transporté à Angomont, Marchal avait fait donation de tous ses biens, meubles et immeubles, à ses deux enfans, dans le but évident d'annihiler les garanties du fisc. t
» Après beaucoup de recherches et d'actives démarches, la gendarmerie parvint, le 31 mars, à arrêter les époux Marchal, qui s'étaient réfugiés chez un nommé Lhôte, à Parux.
» Les corps de Marie-Anne Aubert et d'Eloi Geoffroy furent exhumés et soumis à une analyse qui fut faite par trois chimistes distingués de Nancy, MM. Braconnot, Simonin et Blondlot. Une quantité considérable d'arsenic fut retrouvée dans les viscères de Marie-Anne Aubert et d'Eloi Geoffroy, et dans leur procès-verbal les experts concluent en ces termes : «  Des faits qui précèdent nous concluons que Marie-Anne Aubert et Eloi Geoffroy sont morts empoisonnés par l'arsenic. »
» Les auteurs de ces deux empoisonnemens sont les époux Marchal.
» II est de notoriété publique, on l'a dit, que Marchal et Marguerite-Florentine Stoquer, du vivant de leurs conjoints, entretenaient un commerce adultérin ils ont été surpris en flagrant délit; Stoquer père en avait parlé à son gendre et à sa fille. La famille Marchal en était affligée. Marie-Anne Aubert. jalouse et profondément blessée de la conduite de son mari, avait fait connaître son chagrin; elle eut même à ce sujet des discussions vives avec Marchal, auquel elle reprochait ses relations avec la femme Geoffroy.
» Peu de temps avant leur mort, Marie-Anne Aubert et Geoffroy pressentaient qu'ils seraient bientôt remplacés par Florentine Stoquer et par Marchal. Ainsi la première disait à sa filleule, Adélaïde Humbert : «  Quand je ne serai plus, tu verras la femme d'Eloi entrer chez nous. » Geoffroy deux jours avant sa mort, disait à la femme Jacquel : «  Mon numéro est sorti, il faut partir, mais c'est place pour un autre » Et par là, ajoute le témoin, j'ai compris qu'il voulait dire que Marchal le remplacerait près de sa femme.
» Marie-Anne Aubert tomba malade vers le 10 novembre 1852. A cette époque, on voit Marchal accompagnant M. Chevandier à la chasse, du côté de Saint-Remy-aux-Bois, prier un garde de lui acheter dé l'arsenic à Charmes. Il revient, et avec des ordonnances du sieur Lamblé, docteur en médecine à Badonviller, il parvient à se procurer trois fois de l'arsenic chez le pharmacien Chardin, les 12 décembre 1852, 2 et 14 février 1853, une fois avant le décès de sa femme, morte le 15 janvier 1853, et deux fois avant le décès de Geoffroy, mort le 15 février 1853; en tout, 120 grammes d'arsenic. Avant ces époques et depuis, on ne trouve plus d'acquisition d'arsenic faite par Marchal, si ce n'est dans l'année 1838, chez le pharmacien Cabasse, de Raon-l'Etape.
» Ce fut dans les premiers jours de janvier que la maladie de Marie-Anne Aubert fit des progrès effrayans. Marchal, dans ce moment, lui administrait le poison dans les remèdes qu'il lui faisait prendre. Les progrès de la maladie furent si rapides, que le docteur Grandys déclare que le 9 janvier, étant arrivé accidentellement chez Marchal, il fut tellement frappé de l'aspect du facies de la malade, que l'idée du poison a traversé son âme, mais qu'il n'a pas osé s'y arrêter, à raison du calme, et de l'impassibilité de Marchal, qui se trouvait au pied du lit.
» La femme Marchal sentait qu'elle mourait empoisonnée; elle refusait les remèdes que son mari lui donnait, disant à plusieurs personnes «  Donnez-moi à boire, mais surtout ne vous trompez pas, je ne veux pas de ses remèdes. »
» On remarquait que son mari allait préparer les boissons près d'une armoire dont lui seul avait la clef, et qu'il faisait toujours chauffer l'eau composant ces boissons. On sait que l'arsenic se dissout facilement dans un liquide chaud, tandis que la dissolution est sinon impossible, au moins très difficile et lente dans un liquide froid. Aussi les vomissemens arrivaient-ils quand Marchal donnait à sa femme ces breuvages chauds, tandis qu'ils ne se produisaient pas quand des étrangers préparaient et présentaient des breuvages froids à la malade, qui à la fin ne voulait plus que de l'eau fraîche.
» Cette malheureuse fit comprendre au nommé Clasquin, d'une manière nette et positive, qu'elle mourait empoisonnée par son mari; elle fit même à ce dernier des reproches en sa présence en ces termes «  Oh mon Dieu! quel malheur, le plus grand malheur du monde ! » Elle répondait à son mari qui lui demandait sa main «  Va-t'en, mauvais gueux; il aurait mieux valu pour toi et pour moi que tu ne l'eusses jamais touchée! » Voulant désigner Florentine Stoquer, un instant après elle lui disait «  Va-t-en, mauvais drôle, c'est toi qui es la cause que je suis ici. » Marchal se bornait à dire à Clasquin : «  Eh bien! voyez, Clasquin, voilà quatre jours et quatre nuits que je la garde: » Sa femme répliquait, aussitôt «  Oui, tu sais bien pourquoi tu me gardes ici.
» Marchal, avant et après la mort, alors qu'on ne l'accusait pas encore, parlait des bruits qui couraient ou qui pouvaient courir; il faisait goûter les drogues qu'il prétendait administrer à sa femme. A Clasquin, avant la mort, il dit : «  Oh! les s... n... de-D... de f... bêtes, ils disent que j’avance sa mort; elle le. dit; venez voir que je vous fasse goûter ses drogues, vous verrez si c'est bon ou mauvais. » Après la mort, Marchal disait encore à des femmes qui étaient venues jeter de l'eau bénite sur le corps de Marie-Anne Aubert: «  Les b... de bêtes, ils disent que j'ai avancé sa mort; eh bien! goûtez « .̃ En même temps il leur faisait goûter une espèce de sirop.
» Lorsque la justice fit ses premières investigations et qu'on ignorait ses acquisitions d'arsenic, Marchal disait à Bruant : «  Je ne crains rien; si quelqu'un 'a été empoisonné, ce n'est pas par moi ; je n'ai jamais eu de poison en ma possession, et chez aucun pharmacien de France on ne peut trouver que j’en ai acheté. »
» Cependant, malgré cette apparente sécurité, Marchal cherchait à circonvenir et à suborner les témoins. Adélaïde Humbert, filleule de Marie-Anne Aubert, qui l'aimait beaucoup, avait assisté aux derniers instans de sa marraine avait reçu ses confidences et avait vu plus d'une fois des scènes violentes de la part de Marchal. Celui-ci, craignant les indiscrétions de cette fille, alors que l'impunité semblait devoir couvrir ses crimes, la chassa de sa maison, en l'accusant faussement de l'avoir volé. Adélaïde Humbert se rendit à Paris. L'information commencée, l'accusé comprend l'intérêt qu'il a d'obtenir son silence, et il écrit à Stoquer, de Saint-Sauveur, son beau-frère, pour le prier de voir aussitôt Adélaïde Humbert, qui sera entendue par un juge d'instruction à Paris et de l'engager sans doute à taire ce qu'elle sait.
» A la même époque, afin de combattre à l'avance l'accusation d'empoisonnement qui pèse sur lui, Marchal va trouver un nommé Jean-Baptiste Vibert et lui dit «  Tu me sauveras la vie et l'honneur de ma famille si tu veux me rendre un service dont je vais te parler. En échange de ce service je te donnerai une somme de 500 fr.; tu devras affirmer devant lai justice que le jour de l'an, entre midi et une heure, t’étant présenté chez ma femme pour lui souhaiter la bonne année, tu l'as trouvée seule; qu'en réponse à tes souhaits elle t’a dit : «  Oh! mon pauvre Baptiste, pour mon premier jour de l'an c'est si j'avais du poison pour m'empoisonner! » A quoi tu as répliqué :«  Oh! madame Marchal à quoi pensez-vous de dire des choses semblables? » Mais celle-ci a manifesté sa persistance par ces mots : «  Oh! Baptiste, si j'avais du poison je m'empoisonnerais. »
» Vibert a repoussé une telle ouverture; en présence de sa résistance, Marchal lui a dit «  Au moins que la semelle de tes souliers n'en sache rien. »
» Le jeune Aubry, domestique de Marchal, était le confident de son maître, ou bien il avait surpris plus d'un de ses secrets. A la nouvelle de l'arrestation de celui-ci, il pâlit et craint d'être arrêté comme lui; il dit à Marguerite Vernier : «  Si je disais ce que je sais, mon maître aurait le cou coupé. » Dans une autre circonstance, il disait à Thérèse Vincent et à Alexis Maire : «  Si ces messieurs (c'est-a-dire les magistrats en information) savaient ce que sait Adélaïde, comme moi aussi, les Marchal seraient bientôt f... ».
» Enfin lorsque Marchal est détemt à Lunéville et qu'il apprend que les charges deviennent chaque jour plus accablantes, il cherche à faire passer, à l'insu du gardien en chef, une lettre à un de ses amis qui devait lui procurer des moyens d'évasion.
» Ces faits désignaient clairement Marchal comme l'auteur de la mort de sa femme Marie-Anne Aubert Marguerite
» Florentine Stoquer était sa complice naturelle et obligée. Epouse adultère, afin de pouvoir épouser son amant, il lui fallait la mort de la femme Marchal ; elle a concerté le crime avec le mari de celle-ci, une même pensée les agitait, tous deux, un même mobile les poussait ; mais son but n'aurait pas été atteint si Geoffroy, son mari, eût survécu ; aussi mourut-il peu de jours après.
» Lors de la mort de la femme Marchal, Geoffroy n'était pas encore malade. Agé de trente-cinq ans, il était fort, vigoureux, travaillant activement, et cependant sa femme prédisait déjà sa mort; car dès ce moment elle l'avait résolue, d’accord avec son complice. Se trouvant à la veillée chez la femme Holwech, elle disait «  Je mets du bleu dans le fil que je fais, afin qu'il puisse servir pour mon deuil. » Comme on lui demandait l'explication de ses paroles, elle répondit «  Qu'une femme qui disait la bonne aventure lui avait prédit mort et dérangement ; que cela ne pouvait s'appliquer à son père, parce que cela ne ferait que malheur, et que pour qu'il y ait dérangement, la prédiction devait nécessairement s'appliquer à son mari. » On lui fit observer qu'il était gai, bien portant ; elle ajouta : «  Toutes les nuits il est malade; bien sûr il mourra, il ne sera plus à Pâques. »
» Quelques jours après, Geoffroy tomba malade. On attribua d'abord son indisposition à un effort qu'il fit en forêt. Le 8 février, il donne tous ses biens meubles et immeubles à sa femme. A partir de ce jour, la maladie augmente de gravité. Elle offre tous les symptômes de l'empoisonnement. Marchal est toujours chez lui, il ne le quitte pour ainsi dire pas. Le. docteur Lamblé l'y trouve même à deux heures du matin ; puis Marchal continue à acheter de l'arsenic à Badonviller, 50 grammes le 2 février et 40 grammes le 14. Geoffroy avant désiré manger un oiseau, Marchal le fournit; la femme Geoffroy le prépare son mari en mange un peu et depuis ce jour, dit le doctenr Lamblé, ce fut un homme perdu. Il est mort, en effet, le 18 février, empoisonné par sa femme et par Marchal qui lui administraient l'arsenic dans les alimens et les tisanes.
» L'abbé Coutret, curé d'Angomont, avait été tellement frappé de la maladie de Geoffroy, qu'il la qualifiait en revenant chez lui, de miserere. Il était si préoccupé de tout ce qui se passait que, voyant Marchal assister aux derniers momens de Geoffroy et recevoir sa femme dans ses bras, il la repoussa violemment en lui disant : «  Ce n'est pas là votre place. »
» Marie-Anne Aubert et Eloi Geoffroy sont donc morts empoisonnés; ils étaient un obstacle à l'union des deux époux adultères, le poison en a eu bientôt raison.
» L'instruction était complète sur ces deux crimes lorsque les magistrats de la Cour pensèrent que Marie-Anne Fournier, première femme de Marchal, et Jean-Baptiste Vincent, premier mari de Marie-Anne Aubert, avaient pu succomber à un empoisonnement; un arrêt ordonna un supplément d’information qui a pleinement confirmé les prévisions des magistrats.
» On exhuma les restes de ces malheureux; une analyse chimique fut faite par les mêmes, experts, et dans les deux cadavres on a trouvé de l'arsenic.
» Marchal avait donc empoisonné sa première femme pour se marier avec son ancienne maîtresse, après dix mois de veuvage seulement.
» Cette dernière s’était associée à ce crime en se débarrassant elle-même de son mari, et Marchal, son horrible complice, s'est chargé de la punir en la faisant périr à son tour par le poison, de concert avec la femme .Geoffroy. Son second crime n'a été qu'une épouvantable copie de celui qu'il avait commis en 1838.
» Dans leurs interrogatoires, les accusés se renferment dans un système de dénégations absolues. Marchal dit : «  Si on a trouvé de l'arsenic dans le corps de ma femme, c'est elle qui s'est empoisonnée avec le poison que j'avais chez moi; quant à Eloi Geoffroy, je ne sais comment cela s'est fait. » II prétend n'avoir acheté que deux fois de l'arsenic pour faire périr les grillons. S'il a pris la fuite, c'était, dit-il, pour éviter la prison préventive.
» Quant à Marguerite-Florentine Stoquer, elle répond qu'elle ne sait rien, qu'elle n'a jamais eu de poison en sa possession. Enfin tous deux repoussent avec énergie les relations adultérines dont le nommé Jacquot a été témoin si complet.
» En conséquence, sont accusés, etc. »
Après avoir fait retirer Marchal de l'audience, M. LE PRESIDENT procède à l'interrogatoire de florentine Stoqiier.
D. A quel âge avez-vous épousé Geoffroy, votre premier mari ? - R. A dix-huit ans et demi.
D. Votre mari.se portait bien? - R. Oui, Monsieur.
D. Comment est-u tombé tout à coup malade? - R. Il s'est plaint d'avoir mal à l'estomac.
D., Savez-vous quel mal il avait ? - R. Je crois que c'était une fluxion de poitrine.
D. Vous avez bien soigné votre mari ? - R. Oui, Monsieur.
D. Vous l'avez beaucoup regretté ? - R. Oui, Monsieur.
D. Comment alors vous êtes-vous remariée dix mois après ? - R. Il y en a bien d'autres qui font comme moi.
D. Connaissiez-vous Marchal du vivant de votre premier mari ? R. Non.
D. Il ne vous a jamais fait la cour? - R. Non.
D. N'avez-vous pas eu avec Marchal des relations aussi intimes que possible entre un homme et une femme ? - R. Non.
D. Pendant sa maladie, votre mari n'a-l-il pas manifesté le désir de manger du gibier, des oiseaux et du lièvre ? N'a-t-on pas remarqué qu'aussitôt après avoir mangé ce gibier qui venait de Marchal, l'état de. votre mari est devenu plus gravé, qu'il a eu des vomissemens, des selles nombreuses ? - R. Je ne sais pas.
D. II es impossible que. vous ayez ignoré ces circonstances ? - R. Je ne me les rappelle pas.
M. LE PROCUREUR-GENERAL fait remarquer que c'est à partir du moment où il a mangé des oiseaux pris chez Marchal, que, Geoffroy est devenu plus malade. Ses coliques sont devenues plus intenses, ses vomissemens plus fréquens. Il relève, en outre, une contradiction dans la déclaration de, Forentine, qui avait dit dans l'instruction que son mari n'avait pas mangé d'oiseaux qu'elle les avait jetés. A l'audience, elle prétend en avoir jeté au moins deux, parce qu'ils étaient gâtés.
D. Pendant la maladie de votre mari, Marchal n'était-il pas chez vous ? - R. Je ne me rappelle pas.
D. Il y était si bien qu'il donnait à boire à votre mari. - R. Je ne me rappelle pas.
D. De quel mal est morte la femme Aubert ? - R. Je pense qu'elle est morte de son retour d'âge.
D. Marchal prétend que Marie-Aubert a manifesté plusieurs fois l'intention de se détruire. Est-ce vrai cela?- R. Je ne sais pas.
D. Comment ! Marchal ne vous a-t-il donc jamais parlé de celle circonstance ? - R. Jamais.
D. La fille Olvel venait-elle chez vous quelquefois ? - R. Oui.
D. Mais vous avez dit que non dans l'instruction ? - R. C'est que je ne m'en suis pas rappelée.
D. Vous rappelez-vous lui avoir offert du pain sur lequel vous avez étendu de la crème, et que cette fille a ressenti aussitôt âpres de violentes coliques et a éprouvé des vomisseinens ? - R. Je ne me rappelle pas.
M. LE PRESIDENT : L'accusation se le rappelle, car il sera constaté que vous avez étendu la crème sur le pain de la fille Olvel avec une cuiller que vous teniez à la main, laquelle était sans doute imprégnée du poison qui venait d'être donné à votre mari.
M. LE PROCUREUR-GENERAL. Comment ! vous ne vous rappelez pas que dans sa maladie votre mari avait de fréquens .vomissemens ? - R.Non, je ne me le rappelle pas.
D. Marchal venait fréquemment chez vous ? - R. Il y venait quelquefois.
D. Y restait-il tard ? - R. Non, il s'en allait à bonne heure.
M. LE PROCUREUR-GENERAL : Les débats établiront que Marchal, pendant la maladie de Geoffroy, venait fréquemment chez vous, qu'il y restait tard, et que, lorsque quelques visiteurs se présentaient, on les repoussait en disant que Geoffroy était trop malade. Et cependant Marchal était la et y demeurait jusqu'à une heure avancée de la nuit une fois, notamment, jusqu'à deux heures après minuit.
M. LE PRESIDENT reprend l'interrogatoire.
D. Un jour, Marchal ne vous a-l-il pas prise dans ses bras? - R. Il est vrai qu'un jour, étant tombée en faiblesse, Marchal m'a relevée et m'a posée sur une chaise; il y avait du monde là.
D. Oui, il y avait M. le curé d'Angomont, entre autres, qui, indigné de la conduite de Marchal, l'a vivement repoussé en lui disant que sa place n'était pas là. Vous avez eu des relations très intimes avec Marchal ? - R. Non, Monsieur.
D. Mais on vous a vue dans le bois avec Marchal? - R. On s'est trompé, ce n'était pas moi.
D. Mais vos relations coupables avec Marchal sont établies, Vous vous donniez des rendez-vous dans le bois; des lettres fixant l'heure de ces rendez-vous étaient placées à des endroits convenus ? - R. Cela n’est pas.
D. Vous aviez si bien des relations coupables avec Marchal que vous êtes allés ensemble à l'enregistrement, après la mort de votre mari, pour déclarer la succession, et que le commis de l'enregistrement vous a d'abord pris pour deux amoureux ? - R. Je ne me rappelle pas cela.
M. LE PRESIDENT, avant de clore cet interrogatoire, soutenu par la femme Florentine Stoquer avec beaucoup de sang-froid, résume son système de défense et fait ressortir sa coïncidence avec celui de Marchal. (Ce dernier est ramené à l'audience.)
M. LE PRESIDENT l'interroge sur quelques faits de sa vie antérieure, et lui demande comment, lors de son retour du régiment, il n'a pas épousé Marie Aubert, à qui il devait une réparation.
L'accusé répond qu'il ne s'en souciait pas.
D. Cependant vous avez eu avec cette femme, alors qu'elle était la femme de Jean-Nicolas Vincent, vous avez eu, dis-je, des rapports intimes avec elle ? - R. Non, Monsieur.
D. Cependant tout le monde croyait à ces rapports et s'en scandalisait. - R. Je n'en ai eu aucuns.
D. Des témoins déclareront le contraire. - R. Les témoins se tromperont.
D. Comment, après avoir dédaigné la femme Aubert, vous êtes-vous décide à l'épouser ? - R. C'est ma mère qui l’a voulu ainsi et qui m'a dit que je devais la prendre chez moi.
D. Vous aviez des rapports adultères avec cette femme ? - R. Non, Monsieur.
L'accusé nie énergiquement ce fait.
D. Enfin Marie-Aubert, votre ancienne maitresse, avec qui vous avez eu un enfant, dont vous ne vous souciiez plus pour votre femme, devient après la mort de sou mari votre concubine, des témoins en déposeront, puis enfin votre femme. De quelle maladie est-elle morte ? - R. De son retour d'âge, je crois, je ne me rappelle pas bien.
D. Comment vous ne vous rappelez pas qu'elle a été prise de coliques dans un pré, que des vomissemens n'ont pas tardé à se produire ainsi que le dévoiement ? - R. Je ne me rappelle pas; ce que je sais, c'est que je l'ai beaucoup regrettée, et qu'en la perdant j'ai perdu plus de 10,000 fr.
M. LE PRESIDENT rappelle les sinistres prévisions des femmes de Marchal, qui par une sorte de pressentiment annoncent leur mort prochaine. Puis s'adressant à l'accusé, il lui demande s'il a acheté de l'arsenic en 1838.
L’ACCUSE répond affirmativement.
D. Pourquoi était-ce faire ? - R. C'était pour empoisonner des renards qui infestaient les bois.
Mais voyez, continue M. LE PRESIDENT, quelles singulières coïncidences résultent de vos actes: en 1838, vous achetez de l'arsenic, et c'est à la même époque que meurent Anne Fournier, votre femme, et François Vincent, le mari de celle que vous épousez bientôt après, et qu'ils meurent empoisonnés. Vous achetez encore de l'arsenic en décembre 1852, et c’est le 15 janvier 1853 que succombe votre seconde femme. Vous en achetez le 3 février 1853, et c'est le 18 février qu'expire le mari de celle que vous convoitiez, de celle avec qui vous entreteniez un commerce adultère.
M. LE PROCUREUR GENERAL fait ressortir avec beaucoup de force la gravité de l'acte par lequel Marchal se faisait donner par sa femme la totalité de ses biens, puis de la vente que Marchal voulait opérer ensuite de ses biens réunis à ceux de sa femme, sans se réserver la moindre parcelle de sa fortune ni l'usufruit d'aucune chose.
MARCHAL explique qu'il voulait que sa femme donnât son bien à ses enfans, mais que le notaire lui fit observer que l'acte de cette donation couterait 400 fr., tandis que si sa femme faisait la donation en sa faveur, l'acte ne coulerait plus que 60 fr. Il aurait bien préféré que la donation eût lieu en faveur de ses fils.
L'interrogatoire des deux accusés est terminé.
Le premier témoin est M. LE DOCTEUR BLONDLOT, professeur de chimie à l'Ecole de Médecine, de Nancy. Un mouvement très marqué de curiosité se manifeste dans l'auditoire à l'appel de son nom. Le savant professeur explique à MM. les jurés les différentes missions dont il a été chargé pour l'exhumation de quatre cadavres dont deux reposaient dans la terre depuis quinze ans et les deux autres depuis quinze mois environ.
II résulte de sa déposition que la présence de l'arsenic a été constatée par les experts dans les restes de Marie-Anne Fournier, première femme de Marchal, de Jean-Baptiste Vincent, de Marie-Anne Aubert et d'Eloi Geoffroy.
L'audience est levée et renvoyée au lendemain.

Audience du 4 août.

M. LE PRESIDENT fait retirer l'accusé Marchal, puis après avoir fait descendre dans l'enceinte de la Cour la femme Marchal, il lui dit : «  Florentine Stoquer, vous m'avez fait appeler, ajoutant que vous aviez quelque chose à me dire. Je me suis rendu près de vous, pensant que vous étiez dans l'intention de me faire connaître toute la vérité; or, c'était pour me dire seulement qu'il était vrai en effet que Geoffroy, votre premier mari avait mangé du civet, circonstance que vous avez jusqu'ici déniée parce que Marchal vous avait recommandé de n'en parler à personne. Cet aveu n'est qu'un pas fait dans la voie de la vérité, où il faut entrer entièrement. Vous savez que c'est à partir du moment où votre mari a mangé de ce civet que son état a empiré ?
LA FEMME MARCHAL : Je n'en sais rien.
D. Saviez-vous que ce civet renfermât une substance nuisible? - R. Non, Monsieur.
D. Vous convenez maintenant, n'est-ce pas, que Marchal venait souvent chez vous ? - R. Oui, Monsieur.
D. Qu'il y restait très tard ? - R. Oui, Monsieur.
D. Même la nuit ? - R. Je ne le crois pas.
D. Il donnait à boire à votre mari? - R. Je ne me le rappelle pas.
D. Voyons, dites la vérité ; n'étiez-vous pas d'accord avec Marchal pour faire manger à votre mari ce civet qui a aggravé si fort sa maladie ? - R. Oh! non, Monsieur.
M. LE PROCUREUR GENERAL presse de nouveau Florentine Stoquer d'avouer toute la vérité. Florentine assure l'avoir dite tout entière.
D. Eh. Bien ! voyons, vous avez assuré que votre mari avait mangé du civet, mais vous avez nié que vous ayez eu connaissance que ce mets préparé chez Marchal put causer de graves accidens. En avez-vous mangé, vous? - R. Non, Monsieur.
D. Quelqu'un chez vous en a-t-il mangé? - R. Non, Monsieur.
D. Ainsi ce mets qui devait tenter tant de monde dans la maison d'un bûcheron, personne n'y touche, excepté Geoffroy, qui ne tarde pas à en éprouver les funestes effets. Avez-vous su de quelle maladie était morte la seconde femme de Marchal ? - R. Non, Monsieur.
D. Comment ! vous n'avez pas su qu'elle avait eu des vomissemens ? - R. Non, Monsieur.
D. Mais enfin Marchal, devenu veuf, a dû vous dire: «  Maintenant, si tu étais veuve, je pourrais t'épouser» ? - R. Il ne me l'a pas dit.
D. Marchal ne vous a-t-il pas dit de vous faire faire un testament? - R. Non, Monsieur; c'est mon mari qui a voulu me donner ce qu'il avait.
M. LE PRERSIDENT : Et qui est mort six semaines après? Ainsi, vous obtenez de votre mari une donation; six semaines après, votre mari meurt; et après dix mois de veuvage vous vous remariez.
M. LE PROCUREUR GENERAL rapelle encore que Geoffroy a mangé d'un oiseau accommodé par Florentine elle-même. Cette dernière circonstance a préeédé de deux jours la mort de Geoffroy.
Il presse Florentine de s'expliquer, de dire toute la vérité. Vous êtes devant la justice, dit-il, c'est comme si vous étiez devant Dieu. Revenez à la vérité Florentine, c'est la vérité seule qui peut vous sauver devant Dieu et devant les hommes. Il faut dire la vérité.
L’ACCUSEE déclare l'avoir dite tout entière.
On ramène l'accusé Marchal.
M. LE PRESIDENT lui fait le récit de ce qui vient de se passer. Marchal en est très ému et répond d'une voix altérée aux pressantes questions qui lui sont faites.
On appelle M. le docteur Lamblé. C'est ce témoin qui a donné des ordonnances pour faire délivrer du poison à Marchal et qui a été appelé au lit de mort de Geoffroy ; il a délivré à Marchal un certificat attestant que ce dernier était mort d'une péripneumonie. Comme dans l'instruction, la déposition de ce témoin est embarrassée ; M. le procureur général lui adresse à plusieurs reprises des admonestations sévères sur l'imprudence de sa conduite et ses complaisances pour l'accusé. Il lui reproche de n'avoir pas su voir le véritable caractère de la maladie de Geoffroy, lui qui l'a visité plus de sept fois avant sa mort, lui qui a délivré trois ordonnances pour faire délivrer du poison à Marchal : 120 grammes d'arsenic !
M. LE PRESIDENT demande au témoin où il a rédigé les ordonnances. Il ne se le rappelle pas. Marchal se le rappelle lui, et indique que la première a été délivrée à Badonviller et la seconde chez lui. Quant à la troisième, il n'en a jamais eu connaissance.
M. LE PROCUREUR GENERAL fait cette remarque que le poison délivré sur la troisième ordonnance a été remis a un commissionnaire chargé d'apporter également des médicamens pour Geoffroy, et qu'il résulterait de la dénégation de Marchal que les quarante grammes d'arsenic délivrés le 14 février auraient été remis à Florentine Stoquer,
M. Blondlot est rappelé. M. LE PRESIDENT veut savoir de lui si un médecin peut se méprendre sur les traces que le poison imprime aux traits du visage, M. BLONDLOT croit que tout médecin clairvoyant doit s'en apercevoir. L'audience continue.
(Gazette des tribunaux)
 

Journal des débats politiques et littéraires
10 août 1854

Cours et Tribunaux
COUR D'ASSISES DE LA MEURTHE.

Présidence de M, Pierson, conseiller.
Audiences des 3 et 6 août.
Double empoisonnement.
On continue l'audition des témoins.
M. LE DOCTEUR HRANDIN, médecin à Badonviller: Dès les premières fois que je visitai la femme Marchal (Marie-Anne Aubert), je la trouvai gravement malade. Elle se plaignait de violentes douleurs d'estomac et d'envies de vomir. Le soupçon d'un empoisonnement a traversé mon âme ; mais en voyant Marchal, dont la réputation était excellente, calme, affectueux, plein de soins pour sa femme, j’ai repoussé cette pensée.
M.J. HOLSTEIN : J'ai en 1838 donné à Marchal un certificat, afin qu'il put se faire délivrer de l'arsenic dont il disait avoir besoin pour détruire des grillons.
M. CLAUDEL, maréchal des logis de gendarmerie à Badonviller Avant le mariage de Marchal avec la veuve d'EIoi Geoffroy, je n'avais rien entendu dire sur son compte; mais quinze jours environ après ce mariage, on me rapporta que la rumeur publique attribuait au poison la mort de Marie-Anne Aubert et d'Eloi Geoffroy. Je me rendis à Angomont. Marchal vint se plaindre à moi de calomnies dont il se prétendait l'objet. Je l'engageai à provoquer l'exhumation des deux cadavres, afin de se justifier; il m'a répondu que cette opération était trop triste. Il m'a demandé si je ferais un rapport et si je savais ce que ferait le procureur impérial; j'ai répondu que je ferais un rapport à mes chefs, mais que j'ignorais quel parti prendrait M. le procureur impérial.
Le lendemain j'ai appris que Marchal et Florentine Stoquer étaient partis. Ils étaient allés à Strasbourg. Mais n'ayant pas pu passer à Kehl faute de passeport, ils sont revenus à Angomont. Ils ont été interrogés par M. le juge d'instruction. Mais leur arrestation n'ayant pas été ordonnée parce qu'ils ont présenté un certificat du maire attestant qu'ils n'avaient jamais quitté leur maison, ils ont pris la fuite de nouveau. Pendant un mois nous les avons cherchés de village en village.
Enfin, le 31 mars, soupçonnant qu'ils étaient cachés chez un sieur Lhôte, je m'y suis rendu dans la nuit. J'ai fait entourer la maison de manière à ce que personne n'en pût sortir. J'ai alors frappé à la porte, que Lhôte n'a ouverte qu'après m'avoir fait attendre plus de dix minutes, sous prétexte de s'habiller. Après avoir cherché dans toute la maison, nous avons trouvé Marchal et Florentine cachés sous un lit, entre le plancher de la chambre et celui formant le fond du lit. Marchal affectait une grande dévotion, il communiait deux fois par an et il n'aurait pas fait gras un jour maigre.
BRUANT : Le lendemain de la descente de la justice à Angomont, Marchal m'a dit qu'il n'avait jamais acheté de poison dans aucune pharmacie de France.
M. LE PRESIDENT fait observer à Marchal qu'il est constaté par sa propre signature, qui a été retrouvée sur le registre du pharmacien, qu'il avait acheté de l'arsenic en 1838, et qu'en outre il lui en avait été livré en décembre 1852 et en février 1853, sur les ordonnances du docteur Lamblé.
M. LATREILLE : II y a deux ans, j'accompagnais Marchal à une battue près de Charmes. Il me dit qu'il avait besoin d'arsenic pour empoisonner des rats; qu'il était difficile de s'en procurer à Badonviller. Il me demanda de lui en acheter à Charmes et de le lui remettre le lendemain. Etant rentré à Charmes très tard, je n'ai pas exécuté cette commission. J'en ai donné le motif à Marchal, que j'ai revu le lendemain à la chasse. Il m'a alors engagé à venir à la fête à Angomont. en me recommandant de .ne pas oublier de lui apporter de l'arsenic; mais je ne l'ai pas revu depuis.
M. CHARDIN, pharmacien à Badonviller : Marchal m'a demandé de lui vendre de l'arsenic pour détruire des renards, mais j'ai refusé. Je ne lui en ai livré que sur les ordonnances de M. le docteur Lamblé les 12 décembre 1852, 2 et 14 février 1853, soit le 2, soit le 14 février, sans qu'il me soit possible de me rappeler lequel de ces deux jours l'arsenic a été remis, non pas à Marchal lui-même, mais à un commissionnaire qui venait chercher des médicamens pour Eloi Geoffroy.
THERESE VINCEENT a entendu Aubry (domestique de Marchal) dire : «  Si ces messieurs (il voulait parler des magistrats chargés de l’information) savaient ce que je sais, mes maîtres seraient bientôt f... »
MARGUERITE CUNY : Marchal m'a dit, quelque temps avant la mort d'Anne Aubert, qu'il serait bientôt veuf; que s'il se remariait, il ne voulait pas d'une vieille femme, parce qu'elle resterait auprès du fourneau (du poêle) ; ni d'une jeune, parce qu'elle aurait des enfans; qu'il saurait bien en trouver une encore jeune et jolie et qui n'aurait pas d'enfans. J'ai compris qu'il voulait parler de Florentine Stoquer qui, mariée depuis plusieurs années, n'avait pas d'enfans. Plusieurs témoins viennent ensuite déposer qu'il y a environ trois ans ils ont vu, dans la forêt, la femme Geoffroy s'abandonner à Marchal.
MARIE-ANNE BOURA a vu Marie-Anne Aubert, pendant sa maladie, repousser une soupe que lui offrait son mari.
MARGUERITE ZABÉE : Deux ou trois jours avant la mort de Marie-Anne Aubert, son mari lui ayant offert à boire, elle lui dit : «  Ne me donnez pas quelque chose de mauvais. »
ADELAIDE HUMBERT : Marie-Anne Aubert était ma tante et ma marraine ; je suis restée chez elle depuis l'âge de cinq ans jusqu'à ma dix-huitième année. Elle avait bien du chagrin de voir que son mari allait avec d'autres femmes et surtout avec Florentine. Il y eut bien des discussions entre Marchal et sa femme à ce sujet. Pendant la maladie de ma marraine, j'ai remarqué que, quand Marchal lui donnait à boire, elle vomissait immédiatement quand elle recevait à boire d'autres personnes les vomissemens arrivaient moins promptement et avec moins de violence. Ma tante m'a dit que si elle mourait, Eloi Geoffroy ne tarderait pas à mourir aussitôt elle serait bientôt remplacée par la femme d'Eloi. Marchal m'a fait plusieurs propositions que j'ai repoussées.
ELISABETH THOMAS : Adélaïde Humbert m'a dit qu'elle quittait la maison de Marchal pour se soustraire à ses tentatives de séduction.
JOSEPH HUMBERT : Adélaïde est venue un soir me dire que Marchal voulait la séduire ; elle m'a dit que sa marraine, pendant sa maladie, avait prédit que, si elle mourait, la femme d'Eloi Geoffroy viendrait bientôt dans la maison.
M. COUTRET, curé de Brémenil, dépose que Marchal accomplissait régulièrement ses devoirs religieux, qu'il a donné des ornemens à l'église. Il ajoute : Lorsque Marchal est venu me parler des rumeurs qui l'accusaient et me demander comment il pourrait les faire cesser, je lui ai conseillé de demander l'exhumation des cadavres de Marie-Anne Aubert et de Geoffroy. Je lui ai dit : Vos meilleurs témoins sont dans la tombe ! Je lui ai répété ce conseil plusieurs fois, mais jamais il ne m'a répondu sur ce point. M; le curé rend compte aussi de la scène qui s'est passée au moment où Geoffroy venait d'expirer et qui est relatée dans l'acte d'accusation.
SEBASTIEN CLASQUIN : J'ai été lié avec Marchal ; cependant, environ deux ans avant la mort de sa seconde femme, j'avais cessé d'aller chez lui, parce que Marchal m'imputait, bien qu'il n'en fût rien, d'avoir dit que son bien était hypothéqué ; il en était résulté un refroidissement entre nous. Cependant, l'ayant rencontré dans le cours de la maladie de sa femme Marie-Anne Aubert, je lui demandai comment elle allait. Il m'invita à entrer pour la voir. Je trouvai la femme Marchal dans son lit; ses bras étaient étendus de chaque côté de son corps ; elle se plaignait. Son mari s'étant éloigné quelques instants, elle joignit ses mains avec effort, en disant «  Ah quel màlheur ! je suis une femme perdue?" Son mari étant rentré et ayant voulu lui prendre la main, elle la retira en disant «  Ah! mauvais gueux, il serait à souhaiter que tu ne l'eusses jamais touchée » et elle détourna sa tête vers le mur. Marchal lui demanda pourquoi elle se détournait ainsi, mais elle resta dans la même attitude. Il lui prit alors la tête dans ses deux mains pour la lui redresser. Elle dit alors «  Ah ! misérable ! il faut donc que je meure dans tes mains !» Marchal s'assit alors et me dit en se croisant les bras sur la poitrine : «  Voilà trois jours et trois nuits que je garde ainsi ma femme, et voilà la reconnaissance qu'elle me témoigne » La femme s'écria «  Ah ! mauvais gueux ! tu sais bien pourquoi tu me gardes ! » En me reconduisant, Marchal me dit : «  Je serai veuf aussi vrai que nous sommes deux. » En rentrant chez moi, je me suis dit : Si la femme Marchal en revient, je l'interrogerai de près, et si elle meurt, j'y penserai toute ma vie
MARCHAL dément le témoin ; il nie qu'il soit venu chez lui pendant la maladie de sa femme. Il soutient que cette dernière avait, avant sa maladie, chassé Clasquin à coups de trique.
M. LE PREIDENT. Clasquin, est-il vrai que la femme Marchal vous ait traité comme le prétend l’accusé ? - R. Non. seulement une fois elle m’a reproché doucement d'avoir dit que leur bien était engagé, et je lui ai assuré que je n'avais jamais tenu ces propos; elle n'a pas insiste davange.
M. LE PRESIDENT : Marie-Anne Aubert ne vous a-t-elle jamais témoigné le chagrin qu'elle éprouvait des relations de son mari avec la femme Geoffroy ? - R. Une fois je me suis trouvé avec Marie-Anne Aubert à la fontaine; je venais de faire une maladie de quatre mois, et je me plaignais de ma mauvaise santé. La femme Marchal me dit : «  Allez, chacun a ses peines ; vous ne savez pas combien je suis malheureuse ! » Je lui ai répondu: «  Vos peines, je les connais bien. » En effet, je. savais que Marchal fréquentait d'autres femmes, et entre autres celle ici présente.
M. LE PRESIDENT. N'avez-vous rien appris de Vibert ? - R. Vibert m'a raconté que. Marchal était venu le trouver après les premières recherches de la justice et lui avait dit «  Je suis un homme perdu, mais vous pouvez me sauver. Vous direz à ces messieurs que vous avez été chez nous le jour du nouvel an, et que ma femme vous a dit qu'elle voulait s'empoisonner. Si vous voulez dire cela, je vous donnerai 500 fr. » Vibert ayant hésité, Marchal lui a dit «  Je vois bien que vous ne voulez pas le faire; mais du moins que la semelle de vos souliers n'en sache rien, ni la terre qui est au-dessous. »
VIBERT SEGARD, ouvrier dans une scierie : J'ai travaillé de longues années sous les ordres de Marchal. A l'époque ou la justice est venue pour la première fois à Angomont, Marchal est venu me trouver à la scierie; il m'a parlé en pleurant des bruits qui couraient sur son compte à propos de la mort de sa femme et de Geoffroy il m'a dit «  Je suis un homme perdu. » Le voyant pleurer, j'ai pleuré aussi. Il m'a dit alors: «  Vous pourriez me rendre un grand service si vous déposiez que, pendant la maladie de ma femme, vous m'avez vu venir tous les jours à la scierie. » Je lui promis de faire ce qu'il me demandait. Il a ajouté : «  Je vous donne 500 francs si vous voulez dire que vous avez été au 1er janvier souhaiter la bonne année à ma femme, qu'elle s'est plainte à vous d'être malade, de beaucoup souffrir; qu'elle vous a dit qu'elle voudrait mourir, qu'elle voudrait avoir de quoi s’empoisonner. » Je lui ai répondu : «  Oh ! non. Si je dis cela, la justice m'interrogera cinquante fois, je ne pourrai pas soutenir mon témoignage. » Il m'a a dit alors «  Eh bien, puisque vous ne voulez pas faire ce que je vous demande, qu’au moins la semelle de vos souliers et la terre qui est dessous ignorent ce qui vient de se passer entre nous. »
De nombreux-témoins sont encore entendus, qui viennent confirmer les charges relevées dans l'acte d'accusation.
LE PRESIDENT fait retirer l'accusé Marchal et fait descendre du banc des accusés Florentine Stoquer, qui vient se placer au milieu de l'enceinte, sur l'estrade des témoins. M. le président l'invite de nouveau à dire toute la vérité. Elle convient que son mari lui a dit, en revenant de Strasbourg, qu'il avait placé du poison dans le miel qu'il avait envoyé à Geoffroy ; mais elle nie avoir jamais eu du poison en sa possession et avoir connu que Marchal ait empoisonné sa femme. A cet égard, les pressantes instances de M. le président sont sans résultat.
L'audience est suspendue. Elle est repris à une heure. La foule est plus grande qu'elle n'a jamais été. Le nombre des dames est considérable.
M. LE PROCUREUR GENERAL entre dans le récit des faits. Il s'attache a prouver le crime d'empoisonnement d'Anne Fournier, et adresse des remercîmens pleins d'éloges au savant chimiste dont les expérimentations ont été si concluantes dans cette affaire; puis il prend successivement les témoignages, les groupe, et conclut en demandant un verdict de culpabilité contre les deux accusés.
Me LOUIS prend la parole pour la défense.
De vives répliques ont lieu; après quoi LE PRESIDENT résume les débats.
Le jury entre dans la salle des délibérations et rentre en audience au bout d'une heure et demie, rapportant un verdict de culpabilité contre les deux accusés. Des circonstances atténuantes sont admises en faveur de Florentine Stoquer Cette dernière est condamnée à la peine des travaux forcés à perpétuité.
Marchal est condamné à la peine de mort. L'exécution aura lieu sur la place de Baccarat. (Gazette des Tribunaux).


Jean-Christophe Marchal a été guillotiné à Baccarat le 6 octobre 1854.

Marguerite Florentine Stoquer était née à Saint-Sauveur le 28 juillet 1823. On ignore la date de sa libération, mais elle est décédée le 11 avril 1904 à Saint-Sauveur, au domicile de son beau-frère, le bucheron Joseph Lauber.
 

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Acte de décès de Jean-Christophe Marchal
Etat-civil de Baccarat - 6 octobre 1854

 

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